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MONTAIGNE : Raisciac, capitaine allemand

Publié le 06/07/2011

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montaigne

Vous tâcherez de dégager l'idée générale de cette narration de Montaigne, et vous chercherez comment l'écrivain l'a mise en valeur dans ce récit court et serré. — Vous le montrerez en étudiant le plan général, l'ordre et le choix des parties ; — la marche même de la phrase et les rapports des divers membres entre eux ; — le style enfin dont l'écrivain s'est servi dans ce passage. (Vous expliquerez surtout, brièvement mais avec précision, les passages soulignés.)

« Raisciac, capitaine allemand, veoyant rapporter le corps d'un homme de cheval à qui chascun avoit veu excessifcernent bien faire en lameslée, leplaignoit d'une plaincte commune : mais, curieux avecques les aultres de cognoistre qui il estoit, aprez qu'on Veut désarmé, trouva que c'étoit son fils ; et, parmi les larmes publicques, luy seul se teint, sans espandre ny voix ny pleurs, debout sur ses pieds, les yeux immobiles, le regardant fixement, jusques à ce que l'effort de la tristesse, venant à glacer ses esprits vitaux, le porta en cet estât roide mort par terre. « (MONTAIGNE, Essais, livre I, ch. II : « De la Tristesse «.)

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« b) Puis, comme les autres, il s'avance; il découvre que c'est le corps de son fils.c) Troisième temps : désolation des autres, impassibilité de Raisciac; le problème est posé : le père est-il doncmoins bouleversé que ses compagnons d'armes ?d) Suit la réponse: derrière cette impassibilité extérieure, la tristesse fait son œuvre de mort ; l'œuvre accomplie,Raisciac tombe.Et pour rendre cette succession de faits vraisemblable, le choix et la place des détails ont la plus grande importance:a) Raisciac est un capitaine ; on rapporte le corps d'un brave, qui a fait des prodiges; l'homme de guerre pleure lehéros.b) De là sa curiosité, le désir très naturel qu'il a de voir ce vaillant ; on découvre le cadavre ; Raisciac aperçoit sonfils.c) Les larmes redoublent ; on s'attend à ce que le père parle, gémisse, la surprise est à son comble : le père estinsensible en apparence.d) Voilà ce qu'on aperçoit ; voici ce qu'on n'aperçoit pas (le regard fixe est peut-être un symptôme) : la tristessepeu à peu abat l'énergie vitale; le père s'écroule, le drame est fini.Ainsi l'attention est, dès l'abord, piquée ; puis elle est excitée dès que l'« agnition », la reconnaissance a lieu; elleest tenue en haleine, aussi longtemps que Raisciac est sous nos yeux, sans un geste, sans un mot ; et enfin, avantqu'elle ait faibli un instant, nous sommes conduits, par une explication qui le prépare, au dénouement du dramepoignant et rapide.

La démonstration s'achève avec le récit ; c'est celle d'un artiste qui nous persuade en nousfaisant partager son émotion sobre, mais forte. III Cet art de tenir l'esprit en suspens et de remuer notre âme, nous le retrouvons dans la structure de la phrase,l'ordre de ses éléments, le choix des mots et des expressions.Dans une seule phrase est ramassée toute la narration oratoire ; on dirait, n'était le personnage, la traduction d'unmoraliste ou d'un historien de Rome.La phrase se décompose en quatre membres : le premier et le quatrième sont rattachés au sujet (Raisciac, luy seul)par deux participes présents (veoyant, regardant), celui-ci rappelant celui-là, mais avec une idée de plus(différence entre « voir » et « regarder ») ; le second membre est relié au sujet par un adjectif qui a la valeur d'unparticipe marquant la cause ; le troisième fait rebondir la phrase en rappelant le sujet (luy seul) qui doit toujoursêtre devant nous.

De là, variété et unité.Entre le premier membre et le second, il y a une conjonction adversative (mais), entre le second et le troisième unecopulative (et) ; pas de lien de ce genre entre le troisième et le dernier ; le temps d'arrêt est nécessaire, voulu parla succession des faits, par l'esprit, par l'oreille.

Qu'on essaie de ne pas le marquer, on verra comme tout change.L'idée est assez forte pour soutenir la phrase entière et suppléer à l'absence d'une liaison matérielle.Le premier membre et le dernier sont les plus longs : l'action, sans perdre de temps, s'y étale à son aise ; les deuxmembres du milieu sont plus courts : la soudaineté du coup de théâtre, la soudaineté de l'attitude du capitaine sontpar là soulignées.

Cela donne d'ailleurs du nombre à cette phrase, de l'ampleur, de l'éloquence.Les verbes principaux : plaignoit, trouva, sont à la fin de chaque membre ; il en est de même pour : porta ; et celapour les raisons déjà données.

Mais : se teint est presque au début du troisième membre ; il se dresse, séparé dumot qui le complète : debout, et l'effet est saisissant.

Le mouvement depuis « et....

» se déroule ainsi: 1 + 7 + (2+2) + 8 + (2 + 3 +5) : le groupe central (2 + 2), ainsi encadré, domine tout ce qui l'entoure.

Même effet, plussaisissant encore dans la séparation des mots : porta, roide mort, par terre; le rythme du dernier membre est lesuivant : 7 + 11 + (5 + 5) + (3 + 4 + 3 + 2) ; le travail latent de la tristesse est marqué par le long vers de onzesyllabes ; quand il est achevé, la phrase est brusque, et chaque mot est mis en valeur parce qu'il se détache avecforce, jusqu'au moment où par terre retentit comme le bruit de la chute.La marche droite du développement n'est encombrée ni par des épithètes, ni par des images de luxe.

Les chosesparlent elles-mêmes.

Pureté de la langue, sobriété, précision.

Pas la moindre « farcissure » ; Montaigne n'« entasseque les têtes »; un homme de cheval = un cavalier; « de » marque la qualité, et, par suite, la profession.A qui chascun, etc...; l'écrivain insiste, on comprend pourquoi ; bien faire signifie, dans la langue des camps, se biencomporter ; excessivement renforce le tour, et l'adverbe est acceptable puisqu'il n'est pas question d'une qualitéimpliquant la finesse, la douceur; à qui est irrégulier, puisqu'on ne peut pas dire : « je lui vois réussir », mais nonincorrect, si on regarde bien faire comme l'équivalent d'un verbe actif accompagné d'un complément direct (« fairede beaux exploits») ;Plaignoit : l'imparfait peint, l'action se prolonge ; elle a commencé avant le récit, elle dure encore; d'une plainctecommune : de — par (instrumental); commune pourrait signifier : ordinaire, banale; le sens est net: « qui lui étaitcommune avec les autres » ; désarmé : sens premier, débarrassé de son armure ; trouva : ellipse du sujet; enrejoignant ce verbe à: Raisciac, l'esprit unit plus fortement les deux phrases ; à l'imparfait succède le parfait défini ;c'est un moment décisif de l'action ; le verbe est très exact, il implique l'idée de chercher ;que c'était son fils : simplicité émouvante ; toute addition affaiblirait la pensée ;parmi les larmes publicques = au milieu des larmes du public ; image vive et naturelle (au milieu de ceux quipleuraient) ;sans espandre ny voix ny pleurs ; rapidité de la phrase par suite de l'ellipse, et du zeugme, qui fait image, et quijoint au même verbe deux régimes différents (voix = paroles, et pleurs) ; épandre est employé à dessein, puisqu'ilapporte une nuance d'arrangement, ici d'ostentation, qui n'est pas dans répandre ;sur ses pieds : familiarité voulue, et que rendent plus sensible encore les coupes;. »

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