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MORAND Paul : sa vie et son oeuvre

Publié le 24/11/2018

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MORAND Paul (1888-1976). Cultivant tous les genres littéraires, poésie, roman, chronique, théâtre, journal intime, histoire, Paul Morand est surtout un maître de la nouvelle. En réaction contre « les méandres du roman-fleuve et même du roman tout court », il y voit une façon de s’adapter à la vitesse des temps modernes en faisant « rare, bref et serré ». Appartenant à la génération des diplomates hommes de lettres (Giraudoux, Saint-John

 

Perse), ce voyageur par profession l’est également par goût dans la tradition cosmopolite de Valéry Larbaud. Ses chroniques, qui cherchent à capter le « mystère » de New York, de Londres ou de Bucarest, évoquent aussi de lointaines contrées : un exotisme d’esthète s’y marie alors aux méditations anthropophilosophiques d’un globe-trotter qui parcourt « cinquante mille kilomètres, vingt-huit pays nègres », le regard amusé et passablement cynique toujours posé sur une élite internationale dont il fait suffisamment partie pour ne pas avoir à la ménager.

 

« Monplaisir »

 

Parisien de naissance, Paul Morand grandit dans la famille aisée et cultivée d'un directeur de l’École des arts décoratifs. Sciences politiques, Oxford; le jeune homme embrasse la carrière diplomatique et part pour Londres (1913). De retour au « Quai » en 1916, dans l’ombre de Philippe Berthelot, il observe les jeux politiques d’une époque troublée, témoin curieux du Paris de la Grande Guerre, gravitant aussi dans les milieux diplomatiques et mondains mais leur préférant les soupers fins chez Larue ou au Ritz, en compagnie de Proust, de Cocteau, de Misia Sert (Journal d’un attaché d’ambassade, 7976-1917, 1948). Il se lance bientôt dans la poésie (Lampes à arc; Feuilles de température, 1920), dans la nouvelle (Tendres Stocks, 1921) et le roman (Lew/s et Irène, 1924). Deux recueils où il décrit les bouleversements de l’après-guerre lui apportent une réputation internationale : Ouvert la nuit (1922) et Fermé la nuit (1923). Après divers postes à l’étranger (Rome, Madrid, Bangkok), ce voyageur impénitent consacre un congé à faire le tour du monde. Portraits de villes, New York (1929), Londres (1933), Bucarest (1935), chroniques et nouvelles sont le fruit de ces périples. En 1934, il entre au comité directeur du Figaro, continuant toujours à publier : France la doulce (1934), une satire du milieu du cinéma; les Extravagants (1936), nouvelles; F Homme pressé (1941), où il s’attaque au mythe de la vitesse, etc. Pendant la guerre, le gouvernement de Vichy le nomme ministre en Roumanie, puis ambassadeur à Berne. Sa carrière prend fin brusquement avec la Libération. Il se partage alors entre la Suisse et la France, fidèle encore à la nouvelle (le Prisonnier de Cintra, 1958) ou aux œuvres brèves (Hécate et ses chiens, 1954), s’essayant à l’histoire et à la critique littéraire avec Fouquet ou le Soleil offusqué (1961), récit d'une disgrâce, Monplaisir en littérature (1967), recueil de préfaces et de courtes monographies sur ses écrivains préférés, Monplaisir en histoire (1969). En 1968, l’Académie française lui ouvre ses portes, en dépit de nombreuses oppositions. Sa dernière chronique de voyage, Venzses (1971), peut être considérée comme son testament littéraire. Prenant un départ foudroyant au début des années 20, son œuvre avait connu après la guerre une période de purgatoire. Relancée par les écrivains des années 50, notamment Roger Nimier, elle est aujourd’hui largement diffusée dans le grand public.

 

Au piège de l'écriture

 

Avec son « goût des bibelots », Morand est-il un collectionneur? Sa curiosité pour tout ce qui bouge, son « œil de rapace » (Chardonne) annoncent plutôt un chasseur. Même vigilance du regard; même convoitise, que l’écrivain assouvit par la médiation du langage. En effet, le meilleur de cette œuvre, ce sont des notations brèves, fruits d’une extrême concentration de l’attention (« la contraction de l’huître sous le citron », écrit-il à Maurice Rheims), captant en formules concises la quintessence d’une atmosphère : New York qui vous reçoit « debout »;

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« Lisbonne et ses odeurs : «le poisson d'abord, puis le café frais moulu ».

Il sait aussi immobiliser en pleine action la mimique des corps : un passage de relais (Champions du monde, 1930), un échange de balles sur un court (Tendres Stocks), la musculature d'un écuyer de haute école et celle de son cheval, associées aux différen­ tes « allures » ( « Milady », dans les Extravagants).

Art de 1' instantané fleurissant encore dans le Journal d'un arraché d'ambassade et dans sa correspondance.

Mais Morand cherche aussi à enfermer le spectacle du monde dans le miroitement d'innombrables métaphores.

Les plus élaborées accentuent sans le charger le dessin très précis du récit, soulignant le comique de gestes ( « ces femmes qui rient avec un bruit de carafes qui se vident», Fermé la nuit), le tracé d'une silhouette (un écuyer de Saumur en tenue noire « boutonnée haut comme une soutane » annonçant la vocation « mona­ cale» -«Milady»), ou une simple ligne d'horizon (bateaux de guerre « rangés comme des caïmans dans la nasse conique de l'estuaire», l'Europe galante, 1925).

D'autres, en revanche, plus gratuites, se succédant en cascade, ornementent l'écriture sans s'y intégrer.

Des traces de symbolisme, voire de surréalisme ( « plaies orangées» du crépuscule, tignasse fondant «au soleil comme de l'asphalte»), une certaine complaisance de 1' auteur pour ses trouvailles produisent un effet de sur­ charge justement critiqué par Proust (Préface de Tendres Stocks) et qui contredit l'esthétique formulée par Morand lui-même : répondant à un « réOexe foudroyant», toute image de vrai poète doit, « comme un crime parfait », s'évanouir dans une écriture « simple où l'art n'apparaî­ tra pas à première vue» (lettre à ses parents).

Idéal qu'il atteint effectivement dans son chef-d'œuvre, « Milady ».

De 1' instinct du chasseur, Morand tire aussi le sens de la trajectoire parfaite, du moins dans ses œuvres brèves.

Car, dans ses romans, il calcule mal la distance : descrip­ tions prolixes et insistantes (1 'Homme presse), personna­ ges aux trails simplifiés et dont la minceur ne retient guère l'attention (France la doulce).

Mais ailleurs, la balistique est sans défaut; départ rapide: «Soirée à l'hô­ tel des ducs de Ré, rue de l'Université.

Minuit trois quarts >> (« Congo», dans Magie noire, 1928); première partie en forme de scène d'exposition; la courbe culmine avec l'incident décisif (tache noire sur l'oreiller de Congo; lettre de 1' huissier dans « Milady » ), puis décline vers une fin tragique.

Un moraliste Car ce conteur est un pessimiste.

Nimier a vu en lui un homme mal à l'aise avec l'humain (cf.

Préface d'Hé­ cate er ses chiens), et Morand lui-même confesse qu'il a « ricoché sur des surfaces dures sans y pénétrer>>.

Que cherche l'infatigable voyageur? Peignant lestement ses premières héroïnes de Tendres Stocks, l'écrivain laisse pourtant percer son désarroi devant un monde feint.

Sous leur innocence de «garçonnes» sportives, ces jeunes femmes annoncent la Clotilde d'Hécate et ses chiens dont le prénom aristocratique, la mise et les manières distinguées de« dîneuse en ville » couvrent l'« industrie de la maquerelle et l'impudicité de la ménade>>.

A mesure que se déploie l'œuvre de Morand, la dichotomie, sous une forme ou sous une autre, s'étend à l'ensemble de ses personnages : Montjoye, de jour fonctionnaire modèle, débauché la nuit, laissant, crime suprême, traî­ ner « en désordre » les dossiers du ministre parmi les verres et les « tubéreuses » (Tendres Stocks); despote antillais déchiré entre deux cultures et prompt à retourner au vaudou, pratique, justement, du dédoublement (Ma gie noire); respectable marquise au nom prédestiné de « Beausemblant», révélant avec fougue de« maudites et inavouables» passions saphiques (l'Europe galante).

1684 Les lieux visités par 1 'auteur sont eux-mêmes divisés : dans les «endroits de plaisir>> (Fermé la nuit), les « macs et les prostituées » côtoient de « vénérables domestiques » décantant le bordeaux avec des gestes demeurés « rituels ».

A leur tour, les villes que Morand scrute avec une attention passionnée se dérobent à ce guide pointilleux : «Avez-vous vu Londres? Je l'ai entendu -inoubliable rumeur-, je l'ai senti, mais je ne suis pas sûr de l'avoir jamais vu>> (Londres).

Enfin de lui-même Morand dira plaisamment qu'il« s'est faufilé entre des écrivains qui le prenaient pour un diplomate et des diplomates qui le prenaient pour un écrivain ».

D'où le scepticisme désabusé de cet homme gâté qui fait profession d'une certaine candeur_ « Méthodique, habitué à labourer ma vie par droits sillons >> (Hécate et ses chiens), amoureux des causes perdues, le voilà floué.

Si le monde «est un immense bal masqué» (lettre à Chardonne), un comportement de fuite n'est-il pas justi­ fié? Fuite dans un continuel ailleurs ne menant nulle part, puisque, avoue cet inlassable preneur d'avions, « Je n'aime pas les voyages, je n'aime que le mouvement>> (Rien que la terre, 1926).

Fuite aussi dans une éthique stoïcienne du dénuement; mais ce dénuement, effet de la satiété, n'est que le stade ultime de l'esprit de consom­ mation : >, Gallimard ( 1973).

Nouvelles complètes (t.

l, 1991, et II, 1992), Bibliothèque de la Pléiade.

Voir aussi chez Arléa : Bains de mer, 1990; Propos des 52 semaines, 1992.

Aux éditions du Roch er: Lettres du voyageur, 1988; Méditerranée, mer des surprises, 1991.

Aux P.U.F.: l'Art de mourir, 1992.

A consulter.

-M.

Schneider et G.

Guitard-Auvist�, Paul Morand, Gallimard, 1971; J.F.

Fogel, Morand-Express, Grasset, 1980; G.

Guitard-Auviste, Paul Morand, Hachette, 1981; Manuel Burrus, Paul Morand, voyageur du vingtième siècle, Lib.

Séguier, 1986.. »

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