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Mysantrhope

Publié le 05/06/2018

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LE MISANTHROPE COMÉDIE ACTEURS ALCESTE, amant de Célimène PHILINTE, ami d’Alceste ORONTE, amant de Célimène CÉLIMÈNE, amante d’Alceste ÉLIANTE, cousine de Célimène ARSINOÉ, amie de Célimène ACASTE } CLITANDRE } marquis BASQUE, valet de Célimène UN GARDE de la maréchaussée de France DU BOIS, valet d’Alceste La scène est à Paris. ACTE I, SCÈNE PREMIÈRE PHILINTE, ALCESTE. PHILINTE Qu'est-ce donc? Qu'avez-vous? ALCESTE Laissez-moi, je vous prie. PHILINTE Mais, encor, dites-moi, quelle bizarrerie... ALCESTE Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher. PHILINTE Mais on entend les gens, au moins, sans se fâcher. ALCESTE 5 Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre. PHILINTE Dans vos brusques chagrins, je ne puis vous comprendre; Et quoique amis, enfin, je suis tous des premiers... ALCESTE 1 10 Moi, votre ami? Rayez cela de vos papiers. J'ai fait jusques ici, profession de l'être; Mais après ce qu'en vous, je viens de voir paraître, Je vous déclare net, que je ne le suis plus, Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus. PHILINTE Je suis, donc, bien coupable, Alceste, à votre compte? ALCESTE 15 20 25 Allez, vous devriez mourir de pure honte, Une telle action ne saurait s'excuser, Et tout homme d'honneur s'en doit scandaliser. Je vous vois accabler un homme de caresses, Et témoigner, pour lui, les dernières tendresses; De protestations, d'offres, et de serments, Vous chargez la fureur de vos embrassements: Et quand je vous demande après, quel est cet homme, À peine pouvez-vous dire comme il se nomme, Votre chaleur, pour lui, tombe en vous séparant, Et vous me le traitez, à moi, d'indifférent. Morbleu, c'est une chose indigne, lâche, infâme, De s'abaisser ainsi, jusqu'à trahir son âme: Et si, par un malheur, j'en avais fait autant, Je m'irais, de regret, pendre tout à l'instant. PHILINTE 30 Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable; Et je vous supplierai d'avoir pour agréable, Que je me fasse un peu, grâce sur votre arrêt, Et ne me pende pas, pour cela, s'il vous plaît. ALCESTE Que la plaisanterie est de mauvaise grâce! PHILINTE Mais, sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse? ALCESTE 35 Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur, On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur. PHILINTE Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie, Il faut bien le payer de la même monnoie1, Répondre, comme on peut, à ses empressements, 1 Au XVIIe siècle, joie (prononcé joué) rimait très bien avec monnoie (prononcé monnoué). 2 40 Et rendre offre pour offre, et serments pour serments. ALCESTE 45 50 55 60 Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode; Et je ne hais rien tant, que les contorsions De tous ces grands faiseurs de protestations, Ces affables donneurs d'embrassades frivoles, Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles, Qui de civilités, avec tous, font combat, Et traitent du même air, l'honnête homme, et le fat. Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse, Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse, Et vous fasse de vous, un éloge éclatant, Lorsque au premier faquin, il court en faire autant? Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située, Qui veuille d'une estime, ainsi, prostituée; Et la plus glorieuse a des régals peu chers2, Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers: Sur quelque préférence, une estime se fonde, Et c'est n'estimer rien, qu'estimer tout le monde. Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps, Morbleu, vous n'êtes pas pour être de mes gens3; Je refuse d'un cœur la vaste complaisance, Qui ne fait de mérite aucune différence: Je veux qu'on me distingue, et pour le trancher net, L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait4. PHILINTE 65 Mais quand on est du monde, il faut bien que l'on rende Quelques dehors civils, que l'usage demande5. ALCESTE 70 Non, vous dis-je, on devrait châtier, sans pitié, Ce commerce honteux de semblants d'amitié: Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre, Le fond de notre cœur, dans nos discours, se montre; Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments Ne se masquent jamais, sous de vains compliments. PHILINTE 75 Il est bien des endroits, où la pleine franchise Deviendrait ridicule, et serait peu permise; Et, parfois, n'en déplaise à votre austère honneur, 2 Et la plus glorieuse a des régals peu chers: l'âme la plus éprise de gloire se contente de bien peu. 3 Vous n'êtes pas pour être de mes gens : vous n'êtes pas de nature à être de mes amis («gens se dit des personnes d'une même société», précise le dictionnaire de Furetière (1690). 4 N'est point du tout mon fait: n'est point du tout ce qui me convient. 5 Quelques dehors civils: quelques marques extérieures de civilité. 3 80 Il est bon de cacher ce qu'on a dans le cœur. Serait-il à propos, et de la bienséance, De dire à mille gens tout ce que d'eux, on pense? Et quand on a quelqu'un qu'on hait, ou qui déplaît, Lui doit-on déclarer la chose comme elle est? ALCESTE Ouy.. PHILINTE Quoi! vous iriez dire à la vieille Émilie, Qu'à son âge, il sied mal de faire la jolie? Et que le blanc qu'elle a, scandalise chacun? ALCESTE Sans doute6. PHILINTE 85 À Dorilas, qu'il est trop importun: Et qu'il n'est à la cour, oreille qu'il ne lasse, À conter sa bravoure, et l'éclat de sa race? ALCESTE Fort bien. PHILINTE Vous vous moquez. ALCESTE 90 95 Je ne me moque point, Et je vais n'épargner personne sur ce point. Mes yeux sont trop blessés; et la cour, et la ville, Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile: J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond, Quand je vois vivre entre eux, les hommes comme ils font; Je ne trouve, partout, que lâche flatterie, Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie; Je n'y puis plus tenir, j'enrage, et mon dessein Est de rompre en visière à tout le genre humain7. PHILINTE Ce chagrin philosophe8 est un peu trop sauvage, 6 Sans doute: sans aucun doute, assurément. 7 Rompre en visière: «rompre sa lance dans la visière de son adversaire, et figurément attaquer, contredire quelqu'un en face, brusquement» (Littré). 8 Ce chagrin philosophe : ce chagrin caractéristique d'un philosophe (cf. ci-dessous, vers 166). 4 100 Je ris des noirs accès où je vous envisage; Et crois voir, en nous deux, sous mêmes soins nourris, Ces deux frères que peint l'Ecole des maris, Dont9... ALCESTE Mon Dieu, laissons là, vos comparaisons fades. PHILINTE 105 Non, tout de bon, quittez toutes ces incartades, Le monde, par vos soins, ne se changera pas; Et puisque la franchise a, pour vous, tant d'appas, Je vous dirai tout franc, que cette maladie, Partout où vous allez, donne la comédie, Et qu'un si grand courroux contre les mœurs du temps, Vous tourne en ridicule auprès de bien des gens. ALCESTE 110 Tant mieux, morbleu, tant mieux, c'est ce que je demande, Ce m'est un fort bon signe, et ma joie en est grande: Tous les hommes me sont, à tel point, odieux, Que je serais fâché d'être sage à leurs yeux. PHILINTE Vous voulez un grand mal à la nature humaine! ALCESTE Oui! j'ai conçu pour elle, une effroyable haine. PHILINTE 115 Tous les pauvres mortels, sans nulle exception, Seront enveloppés dans cette aversion? Encor, en est-il bien, dans le siècle où nous sommes... ALCESTE 120 125 Non, elle est générale, et je hais tous les hommes: Les uns, parce qu'ils sont méchants, et malfaisants; Et les autres, pour être aux méchants, complaisants, Et n'avoir pas, pour eux, ces haines vigoureuses Que doit donner le vice aux âmes vertueuses10. De cette complaisance, on voit l'injuste excès, Pour le franc scélérat avec qui j'ai procès; Au travers de son masque, on voit à plein le traître, 9 Les vers 99 à 102 étaient sautés à la représentation. 10 Cf. le mot qu'Erasme met au crédit de Timon d'Athènes, dans le VIe livre des Apophtegmes: «On demandait à Timon d'Athènes, appelé le Misanthrope, pourquoi il poursuivait tous les hommes de sa haine: Les méchants, répondit-il, je les hais à bon droit; les autres, je les hais de ne point haïr les méchants.» 5 130 135 140 Partout, il est connu pour tout ce qu'il peut être; Et ses roulements d'yeux, et son ton radouci, N'imposent qu'à des gens qui ne sont point d'ici. On sait que ce pied plat, digne qu'on le confonde, Par de sales emplois, s'est poussé dans le monde: Et, que, par eux, son sort, de splendeur revêtu, Fait gronder le mérite, et rougir la vertu. Quelques titres honteux qu'en tous lieux on lui donne, Son misérable honneur ne voit, pour lui, personne11: Nommez-le fourbe, infâme, et scélérat maudit, Tout le monde en convient, et nul n'y contredit. Cependant, sa grimace est, partout, bienvenue, On l'accueille, on lui rit; partout, il s'insinue; Et s'il est, par la brigue, un rang à disputer, Sur le plus honnête homme, on le voit l'emporter. Têtebleu, ce me sont de mortelles blessures, De voir qu'avec le vice on garde des mesures; Et, parfois, il me prend des mouvements soudains, De fuir, dans un désert, l'approche des humains. PHILINTE 145 150 155 160 165 Mon Dieu, des mœurs du temps, mettons-nous moins en peine, Et faisons un peu grâce à la nature humaine; Ne l'examinons point dans la grande rigueur, Et voyons ses défauts, avec quelque douceur. Il faut, parmi le monde, une vertu traitable, À force de sagesse on peut être blâmable, La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l'on soit sage avec sobriété12. Cette grande raideur des vertus des vieux âges, Heurte trop notre siècle, et les communs usages, Elle veut aux mortels, trop de perfection, Il faut fléchir au temps, sans obstination; Et c'est une folie, à nulle autre, seconde, De vouloir se mêler de corriger le monde. J'observe, comme vous, cent choses, tous les jours, Qui pourraient mieux aller, prenant un autre cours: Mais quoi qu'à chaque pas, je puisse voir paraître, En courroux, comme vous, on ne me voit point être; Je prends, tout doucement, les hommes comme ils sont, J'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font; Et je crois qu'à la cour, de même qu'à la ville, Mon flegme13 est philosophe, autant que votre bile. ALCESTE Mais ce flegme, Monsieur, qui raisonnez si bien14, 11 Ne voit pour lui personne: ne voit personne qui prenne sa défense. 12 Cf. Saint Paul, Épître aux Romains, XII, 3: Non plus sapere quam oportet sapere, sed sapere ad sobrietatem, que Montaigne traduit ainsi (Essais, I, 30): «Ne soyez pas plus sage qu'il ne faut, mais soyez sobrement sages.» 13 Le flegme est, dans la médecine* hippocratique, une des quatre humeurs* du corps, dont le mélange définit le tempérament (avec le sang, la bile et l'atrabile): le tempérament flegmatique de Philinte est tout aussi digne d'un philosophe que le caractère atrabilaire d'Alceste. 6 170 Ce flegme, pourra-t-il ne s'échauffer de rien? Et s'il faut, par hasard, qu'un ami vous trahisse, Que pour avoir vos biens, on dresse un artifice, Ou qu'on tâche à semer de méchants bruits de vous, Verrez-vous tout cela, sans vous mettre en courroux? PHILINTE 175 Oui, je vois ces défauts dont votre âme murmure, Comme vices unis à l'humaine nature; Et mon esprit, enfin, n'est pas plus offensé, De voir un homme fourbe, injuste, intéressé, Que de voir des vautours affamés de carnage, Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage. ALCESTE 180 Je me verrai trahir, mettre en pièces, voler, Sans que je sois... Morbleu, je ne veux point parler, Tant ce raisonnement est plein d'impertinence. PHILINTE Ma foi, vous ferez bien de garder le silence; Contre votre partie, éclatez un peu moins, Et, donnez au procès, une part de vos soins. ALCESTE 185 Je n'en donnerai point, c'est une chose dite. PHILINTE Mais qui voulez-vous, donc, qui, pour vous, sollicite15? ALCESTE Qui je veux! la raison, mon bon droit, l'équité. PHILINTE Aucun juge, par vous, ne sera visité? ALCESTE Non, est-ce que ma cause est injuste, ou douteuse? PHILINTE 190 J'en demeure d'accord, mais la brigue est fâcheuse, Et... 14 VAR. Mais ce flegme, Monsieur, qui raisonnez si bien. (1682). 15 C'était un usage tout à fait admis, voire une sorte d'obligation de politesse, au XVIIe siècle, que d'aller entretenir son juge, avant le jugement, et, le cas échéant, d'aller le remercier après. 7 ALCESTE Non, j'ai résolu de n'en pas faire un pas; J'ai tort, ou j'ai raison. PHILINTE Ne vous y fiez pas. ALCESTE Je ne remuerai point. PHILINTE Votre partie est forte, Et peut, par sa cabale, entraîner... ALCESTE Il n'importe. PHILINTE Vous vous tromperez. ALCESTE Soit, j'en veux voir le succès16. 195 PHILINTE Mais... ALCESTE J'aurai le plaisir de perdre mon procès. PHILINTE Mais, enfin... ALCESTE 200 Je verrai dans cette plaiderie17, Si les hommes auront assez d'effronterie, Seront assez méchants, scélérats, et pervers, Pour me faire injustice aux yeux de l'univers. PHILINTE 16 Le succès : l'issue, le résultat (bon ou mauvais). 17 Plaiderie: «Le mot n'a pas ici le sens de plaidoirie; c'est le procès arrivé au temps des plaidoyers, devenu l'affaire des avocats; il est ici méprisant et dit par humeur.» (Despois et Mesnard). 8 Quel homme! ALCESTE Je voudrais, m'en coutât-il grand'chose, Pour la beauté du fait, avoir perdu ma cause. PHILINTE On se rirait de vous, Alceste, tout de bon, Si l'on vous entendait parler de la façon. ALCESTE Tant pis pour qui rirait. PHILINTE 205 210 215 220 Mais cette rectitude Que vous voulez, en tout, avec exactitude, Cette pleine droiture où vous vous renfermez, La trouvez-vous ici, dans ce18 que vous aimez? Je m'étonne, pour moi, qu'étant, comme il le semble, Vous, et le genre humain, si fort brouillés ensemble, Malgré tout ce qui peut vous le rendre odieux, Vous ayez pris, chez lui, ce qui charme vos yeux: Et ce qui me surprend, encore, davantage, C'est cet étrange choix où votre cœur s'engage. La sincère Éliante a du penchant pour vous, La prude Arsinoé vous voit d'un œil fort doux: Cependant, à leurs vœux, votre âme se refuse, Tandis qu'en ses liens Célimène l'amuse, De qui l'humeur coquette, et l'esprit médisant, Semblent19 si fort donner dans les mœurs d'à présent. D'où vient que leur portant une haine mortelle, Vous pouvez bien souffrir ce qu'en tient cette belle? Ne sont-ce plus défauts dans un objet si doux? Ne les voyez-vous pas? ou les excusez-vous? ALCESTE 225 230 Non, l'amour que je sens pour cette jeune veuve, Ne ferme point mes yeux aux défauts qu'on lui treuve20; Et je suis, quelque ardeur qu'elle m'ait pu donner, Le premier à les voir, comme à les condamner. Mais, avec tout cela, quoi que je puisse faire, Je confesse mon faible, elle a l'art de me plaire: J'ai beau voir ses défauts et j'ai beau l'en blâmer, En dépit qu'on en ait, elle se fait aimer; 18 Ce que vous aimez : celle que vous aimez. L'emploi du pronom neutre pour désigner une personne est un tour du style relevé au XVIIe siècle. 19 Le texte de 1667, comme toutes les éditions anciennes donne Semble. Il s'agit là d'une faute évidente. 20 Treuve est à l'époque le doublet de trouve, mais commence à vieillir. 9 Sa grâce est la plus forte, et, sans doute21, ma flamme, De ces vices du temps pourra purger son âme. PHILINTE 235 Si vous faites cela, vous ne ferez pas peu. Vous croyez être, donc, aimé d'elle? ALCESTE Oui, parbleu; Je ne l'aimerais pas, si je ne croyais l'être. PHILINTE Mais si son amitié, pour vous, se fait paraître, D'où vient que vos rivaux vous causent de l'ennui? ALCESTE 240 C'est qu'un cœur bien atteint veut qu'on soit tout à lui; Et je ne viens ici, qu'à dessein de lui dire Tout ce que là-dessus, ma passion m'inspire. PHILINTE 245 Pour moi, si je n'avais qu'à former des désirs, La cousine Éliante22 aurait tous mes soupirs, Son cœur, qui vous estime, est solide, et sincère; Et ce choix plus conforme, était mieux votre affaire. ALCESTE Il est vrai, ma raison me le dit chaque jour; Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour. PHILINTE Je crains fort pour vos feux; et l'espoir où vous êtes, Pourrait... SCÈNE II ORONTE, ALCESTE, PHILINTE. ORONTE 250 21 22 J'ai su là-bas que, pour quelques emplettes Éliante est sortie, et Célimène aussi: Mais, comme l'on m'a dit que vous étiez ici, J'ai monté, pour vous dire, et d'un cœur véritable, Sans doute: sans aucun doute, assurément. VAR. Sa cousine Éliante (1682). 10 255 260 Que j'ai conçu pour vous, une estime incroyable; Et que, depuis longtemps, cette estime m'a mis Dans un ardent désir d'être de vos amis. Oui, mon cœur, au mérite, aime à rendre justice, Et je brûle qu'un nœud d'amitié nous unisse: Je crois qu'un ami chaud, et de ma qualité, N'est pas, assurément, pour être rejeté. C'est à vous, s'il vous plaît, que ce discours s'adresse. En cet endroit Alceste paraît tout rêveur, et semble n'entendre pas qu'Oronte lui parle. ALCESTE À moi, Monsieur? ORONTE À vous. Trouvez-vous qu'il vous blesse? ALCESTE Non pas, mais la surprise est fort grande pour moi, Et je n'attendais pas l'honneur que je reçoi. ORONTE 265 L'estime où je vous tiens ne doit point vous surprendre, Et de tout l'univers, vous la pouvez prétendre. ALCESTE Monsieur... ORONTE l'État n'a rien qui ne soit au-dessous Du mérite éclatant que l'on découvre en vous. ALCESTE Monsieur... ORONTE 270 Oui, de ma part, je vous tiens préférable À tout ce que j'y vois de plus considérable. ALCESTE Monsieur... ORONTE Sois-je du Ciel écrasé, si je mens; Et pour vous confirmer ici, mes sentiments, Souffrez qu'à cœur ouvert, Monsieur, je vous embrasse, 11 275 Et qu'en votre amitié, je vous demande place. Touchez là, s'il vous plaît, vous me la promettez Votre amitié? ALCESTE Monsieur... ORONTE Quoi! vous y résistez? ALCESTE 280 Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me voulez faire; Mais l'amitié demande un peu plus de mystère, Et c'est, assurément, en profaner le nom, Que de vouloir le mettre à toute occasion. Avec lumière et choix, cette union veut naître, Avant que nous lier, il faut nous mieux connaître; Et nous pourrions avoir telles complexions, Que tous deux, du marché, nous nous repentirions. ORONTE 285 290 295 Parbleu, c'est là-dessus, parler en homme sage, Et je vous en estime, encore, davantage: Souffrons, donc, que le temps forme des nœuds si doux. Mais, cependant, je m'offre entièrement à vous; S'il faut faire à la cour, pour vous, quelque ouverture, On sait, qu'auprès du Roi, je fais quelque figure, Il m'écoute, et dans tout, il en use, ma foi, Le plus honnêtement du monde, avecque moi. Enfin, je suis à vous, de toutes les manières; Et, comme votre esprit a de grandes lumières, Je viens, pour commencer, entre nous, ce beau nœud, Vous montrer un sonnet, que j'ai fait depuis peu, Et savoir s'il est bon qu'au public je l'expose. ALCESTE Monsieur, je suis mal propre à décider la chose, Veuillez m'en dispenser. ORONTE Pourquoi? ALCESTE 300 J'ai le défaut D'être un peu plus sincère, en cela, qu'il ne faut. ORONTE C'est ce que je demande, et j'aurais lieu de plainte, 12 Si m'exposant23 à vous, pour me parler, sans feinte, Vous alliez me trahir, et me déguiser rien. ALCESTE Puisqu'il vous plaît ainsi, Monsieur, je le veux bien. ORONTE 305 Sonnet... C'est un sonnet. L'espoir... C'est une dame, Qui, de quelque espérance, avait flatté ma flamme. L'espoir... Ce ne sont point de ces grands vers pompeux, Mais de petits vers doux, tendres, et langoureux. À toutes ces interruptions il regarde Alceste. ALCESTE Nous verrons bien. ORONTE 310 L'espoir... Je ne sais si le style Pourra vous en paraître assez net, et facile; Et si, du choix des mots, vous vous contenterez. ALCESTE Nous allons voir, Monsieur. ORONTE Au reste, vous saurez, Que je n'ai demeuré qu'un quart d'heure à le faire. ALCESTE Voyons, Monsieur, le temps ne fait rien à l'affaire. ORONTE 315 L'espoir, il est vrai, nous soulage, Et nous berce un temps, notre ennui: Mais, Philis, le triste avantage, Lorsque rien ne marche après lui! PHILINTE Je suis déjà charmé de ce petit morceau. ALCESTE, bas. 320 23 Quoi! vous avez le front de trouver cela beau? M'exposant à vous : alors que je me découvre à vous. 13 ORONTE Vous eûtes de la complaisance, Mais vous en deviez moins avoir; Et ne vous pas mettre en dépense, Pour ne me donner que l'espoir. PHILINTE 325 Ah! qu'en termes galants, ces choses-là sont mises! ALCESTE,bas. Morbleu, vil complaisant, vous louez des sottises24? ORONTE S'il faut qu'une attente éternelle Pousse à bout, l'ardeur de mon zèle, Le trépas sera mon recours. 330 Vos soins ne m'en peuvent distraire; Belle Philis, on désespère, Alors qu'on espère toujours. PHILINTE La chute en est jolie, amoureuse, admirable. ALCESTE, bas. 335 La peste de ta chute! Empoisonneur au diable25, En eusses-tu fait une à te casser le nez. PHILINTE Je n'ai jamais ouï de vers si bien tournés. ALCESTE Morbleu... ORONTE Vous me flattez, et vous croyez, peut-être... PHILINTE Non, je ne flatte point. ALCESTE, bas. Et que fais-tu, donc, traître? 24 25 VAR. Hé quoi! vil complaisant, vous louez des sottises (1682). Empoisonneur au diable : empoisonneur digne d'aller au diable. 14 ORONTE 340 Mais, pour vous, vous savez quel est notre traité; Parlez-moi, je vous prie, avec sincérité. ALCESTE 345 350 Monsieur, cette matière est toujours délicate, Et, sur le bel esprit, nous aimons qu'on nous flatte: Mais un jour, à quelqu'un, dont je tairai le nom, Je disais, en voyant des vers de sa façon, Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours grand empire Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire; Qu'il doit tenir la bride aux grands empressements Qu'on a de faire éclat de tels amusements; Et que, par la chaleur de montrer ses ouvrages, On s'expose à jouer de mauvais personnages. ORONTE Est-ce que vous voulez me déclarer, par là, Que j'ai tort de vouloir... ALCESTE 355 Je ne dis pas cela: Mais je lui disais, moi, qu'un froid écrit assomme, Qu'il ne faut que ce faible, à décrier un homme; Et qu'eût-on, d'autre part, cent belles qualités, On regarde les gens, par leurs méchants côtés. ORONTE Est-ce qu'à mon sonnet, vous trouvez à redire? ALCESTE 360 Je ne dis pas cela; mais, pour ne point écrire, Je lui mettais aux yeux, comme dans notr...

« Moi, votre ami? Rayez cela de vos papiers.

J'ai fait jusques ici, profession de l'être; 10 Mais après ce qu'en vous, je viens de voir paraître, Je vous déclare net, que je ne le suis plus, Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.

PHILINTE Je suis, donc, bien coupable, Alceste, à votre compte? ALCESTE Allez, vous devriez mourir de pure honte, 15 Une telle action ne saurait s'excuser, Et tout homme d'honneur s'en doit scandaliser.

Je vous vois accabler un homme de caresses, Et témoigner, pour lui, les dernières tendresses; De protestations, d'offres, et de serments, 20 Vous chargez la fureur de vos embrassements: Et quand je vous demande après, quel est cet homme, À peine pouvez-vous dire comme il se nomme, Votre chaleur, pour lui, tombe en vous séparant, Et vous me le traitez , à moi, d'indifférent.

25 Morbleu, c'est une chose indigne, lâche, infâme, De s'abaisser ainsi, jusqu'à trahir son âme: Et si, par un malheur, j'en avais fait autant, Je m'irais, de regret, pendre tout à l'instant.

PHILINTE Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable; 30 Et je vous supplierai d'avoir pour agréable, Que je me fasse un peu, grâce sur votre arrêt, Et ne me pende pas, pour cela, s'il vous plaît.

ALCESTE Que la plaisanterie est de mauvaise grâce! PHILINTE Mais, sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse? ALCESTE 35 Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur, On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.

PHILINTE Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie, Il faut bien le payer de la même monnoie 1, Répondre, comme on peut, à ses empressements, 2 1 Au XVII e sièc le, joie (prononcé joué ) rimait très bien avec monnoie (prononcé monnoué ).. »

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