« NOUS SOMMES DANS L'ÎLE DES ESCLAVES »
Publié le 05/06/2015
Extrait du document
Le « là-bas « regretté est donc bien la Grèce et très certainement la Grèce antique : ainsi s'expliquerait le terme d'esclaves dans le titre qui renverrait à une situation historique lointaine, et non aux réalités contemporaines que dénonçaient les philosophes du xviw siècle. Mais trouve-t-on dans le texte même de la pièce d'autres indices qui permettraient de confirmer cette « localisation historique «? Il est évident que non : le rappel que fait Cléanthis (scène 3) des conditions de vie de sa maîtresse, par exemple, situe indiscutablement la pièce à l'époque même de Marivaux !
Dès la scène 1, deux accessoires sont mentionnés par l'auteur : la bouteille de vin qu'(Arlequin) a à sa ceinture et dont il appréciera régulièrement le contenu; et l'épée d'Iphicrate. Le premier de ces objets représente Arlequin; il symbolise sa gaieté, sa joie de vivre, son entrain, son goût des plaisirs; il reprend les éléments traditionnels du valet de comédie, du « servus « de la comédie antique. Le second est la propriété exclusive du maître : l'épée fonctionne ici très lisiblement pour le lecteur, très visiblement pour le spectateur, comme la représentation de la puissance, du pouvoir dont elle est le symbole. Privé de gourdin, privé de l'instrument habituel et admis du châtiment, Iphicrate n'hésite pas, dans son désespoir, à dégainer son arme contre son valet : courant après lui, l'épée à la main, et la didascalie qui introduit la scène 2 précise encore, comme pour s'étonner (s'indigner?) d'un tel comportement : Trivelin, avec cinq ou six insulaires ...] accourent à Iphicrate qu'ils voient l'épée à la main.
Et aussitôt Trivelin de faire saisir et désarmer Iphi-crate par ses gens. Voici désormais et définitivement le maître privé par la tempête du gourdin, par la loi de l'île de son épée, symboles de ses droits sur son valet, des pouvoirs sociaux de son rang. S'il n'y avait que cela, on pourrait y lire la volonté de Marivaux de proscrire l'abus de pouvoir, la violence physique, de fustiger la colère... Mais il y a plus, bien plus :
«
64 PARCOURS DE LECTURE L'Île des esclaves
quatre fois en quelque dix répliques, Marivaux nous
rappellera cette singulière insularité.
Cette insistance ne
saurait correspondre au seul souci de localiser l'action
et de répondre ainsi aux exigences de la scène d'exposi
tion!
Constatons l'insistance, ébauchons des hypothè
ses ...
et réservons notre explication.
• Un lieu resserré
La lecture méthodique de la scène 1 l'a montré : ce
lieu est celui
de tous les dangers : d'un côté la mer et
des rochers (mer tempétueuse et rochers meurtriers,
cf.
septième réplique), de
l'autre les cases de ceux dont la coutume est de tuer tous les maîtres qu'ils rencontrent.
Arlequin lui-même, qui ignore encore à ce moment tout
ce qu'il a à gagner dans l'île, prédit : Nous deviendrons
maigres, étiques, et puis morts
de faim.
Ainsi, et cela
s'avérera autant pour Je maître que pour le valet, cette
île
va devenir Je lieu d'une épreuve, à laquelle nul ne
pourra échapper.
La première préoccupation des per
sonnages est bien celle de fuir les
dangers menaçants (ne
négligeons rien pour nous tirer d'ici.
Si je ne me sauve, je
suis perdu).
Mais, dès la scène 2, Trivelin brise leurs
faibles espoirs :
Au reste, ne cherchez point à vous sauver
de ces lieux, vous le tenteriez sans succès.
Les voilà
prisonniers et
détenteurs cependant de la clé de leur
liberté : ce lieu d'épreuve qui les angoisse, loin d'être un
lieu de perte ou de perdition, sera celui d'une vraie
liberté (cf.
chapitre VII).
Seul pouvait permettre cet
accès à la liberté et cette accession à une véritable
dignité
un lieu resserré, générateur d'angoisse, de trou
ble, d'inquiétude, et dès lors de remise en question
salutaire.
L'île paraît ici être comme la projection d'une
conscience que la peur éclaire!
• Une république
Or, les naufragés ne vont pas affronter les épreuves
attendues.
Ils sont même accueillis avec bienveillance
par leur hôte Trivelin : lphicrate habitera cette case avec.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Commentaire écrit sur l'île des esclaves
- Sujet : l’île des esclaves, une œuvre utopique ?
- L’île des esclaves de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (analyse détaillée)
- ÎLE DES ESCLAVES (L') de Marivaux (analyse détaillée)
- Lecture analytique: L'île des esclaves de Marivaux (scéne 1)