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PHILOSOPHIE ET MORALE DE MOLIÈRE

Publié le 14/05/2011

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— Le théâtre de Molière possède une force durable, parce, qu'ayant fait l'énergique critique intellectuelle et morale de son temps, il a peint aussi l'homme de tous les temps. Par conséquent, il s'en dégage une philosophie, c'est-à-dire une attitude d'esprit, un ensemble de points de vue et d'idées se rapportant à quelques grandes réalités de la vie.

— Ce théâtre pose constamment des problèmes de morale sociale. Les campagnes que Molière a menées contre certains vices et travers qu'il a cru dangereux pour la famille et donc pour la société l'ont conduit à réfléchir aux différents systèmes d'éducation, au rôle social de la femme, aux rapports de la religion ou de la science avec la société, aux conditions de la parfaite sociabilité.

— Les solutions qu'il a proposées ou suggérées s'inspirent d'une philosophie éminemment raisonnable. Mais qu'est-ce donc que la raison) C'est la saine nature interprétée avec bon sens. Ajoutons-y les convenances de la vie en société, l'honnête bienséance, la sagesse du juste milieu. Or, c'est précisément contre ces harmonies naturelles et sociales que se dressent les erreurs humaines combattues par Molière.

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« a) Bossuet non seulement a dénoncé chez Molière de prétendues impiétés et infamies, mais a écrit de lui qu'il s'étaitcontenté d'attaquer les ridicules du monde en lui laissant cependant toute sa corruption. Fénelon l'a blâmé de donner : i° un air aimable au vice (Don Juan, Tartuffe, fils d'Harpagon), 2° une austérité ridiculeet odieuse à la vertu (allusion à Alceste).Rousseau a appelé le théâtre de Molière, dont il admirait pourtant le génie, une « école de vices et de mauvaisesmoeurs » destinée à troubler tout l'ordre de la société : les enfants se rebellent contre leurs pères, les femmesbafouent et ridiculisent leurs maris, les serviteurs se moquent de leurs maîtres.

Il visait ainsi l'Avare, Georges Dandin,les Fourberies de Scapin.

Il se plaignait d'ailleurs de voir trop souvent des sots victimes de coquins : par exemple,un imbécile, qui est M.

Jourdain, dupe d'un fripon, qui est le gentilhomme Dorante.

Mais voici le pire : Rousseauaccusait Molière de mettre dans des situations risibles Alceste, homme de bien, et de flatter Philinte, égoïste froid ettout près de la friponnerie; bref, d'accepter l'usage du monde aux dépens de l'exacte probité et de la stricte vertu,au point de faire manquer son misanthrope à la véritable misanthropie, pour le rendre plus sûrement ridicule (parexemple, dans la scène du sonnet, Alceste tergiverse pour dire la vérité à Oronte; à plusieurs reprises, Alcestes'emporte au sujet de méchancetés humaines dont lui seul est victime et qu'il devrait donc mépriser).

En revanche,Rousseau loue l'emportement d'Alceste dans la scène des portraits, car le misanthrope véritable, dit-il, « abhorre lacalomnie et déteste la satire : ce sont les vices publics, ce sont les méchants en général qu'il hait »; — mais,ajoute-t-il, Molière semble ne l'avoir compris que dans cette scène, parce que les nécessités du théâtre comique luiinterdisaient le plus souvent une juste exactitude.Enfin, de moins illustres censeurs vont, jusqu'à prétendre que Molière s'est moqué de tout effort pour s'instruire,pour élever l'âme, pour être loyal, et qu'il a prôné les satisfactions de l'instinct et des sens. — Répondons à ces diverses critiques. a) La dénonciation de Bossuet vise, à travers Molière, tout le théâtre comique.

Il est certain que Molière futfoncièrement « libertin », mais où donc son théâtre se montre-t-il impie ? Il a représenté un impie, Don Juan, maissans prendre fait et cause pour son impiété, au contraire.

Quant au monde laissé par lui dans sa corruption, celan'est ni plus ni moins vrai de Molière que de tous les autres moralistes.

b) Fénelon et Rousseau ont tort.

Molière n'a donné de tour gracieux à aucun vice; il nous fait voir au contraire dansTartuffe le fourbe infernal, dans Don Juan le grand seigneur méchant homme, dans Cléante un dévoyé.

Ce n'est paschez Rousseau un paradoxe moins faux que d'attribuer une âme noire à l'aimable Philinte, homme d'honneurincontestablement.

Et où donc Rousseau a-t-il pris que Molière approuvait le fils d'Harpagon ? Simple ment il donne àce fils l'excuse de n'avoir pas reçu d'éducation familiale, il montre dans son manque de respect une conséquencefâcheuse du vice affreux du père.

La question, pour tout le théâtre de Molière, est de savoir si Molière approuve lemal qu'il nous met sous les yeux (le fils volant son père et lui manquant de respect, la femme de qualité déshonorantson mari paysan, le valet jouant mille tours à ses maîtres); ou bien s'il nous avertit par là que les erreurs se payent,l'erreur de sacrifier à un trésor le bonheur de sa famille, l'erreur de prendre femme dans un monde trop différent dusien, l'erreur de mal comprendre les devoirs de l'autorité paternelle.

Telle est évidemment la leçon morale donnée parMolière, qui, en réalité, bien loin de renverser l'ordre de la société, pré: tend le consolider en faisant rire aux dépensde tout ce qui le menace, aux dépens de tout ce qui dérange les rapports sains et normaux qui doivent unir père,mère et enfants, mari et femme, maître et serviteurs. c) Quant à Alceste, Molière nous le fait aimer pour la générosité de son coeur, la loyauté de son caractère : on leplaint pour sa souffrance; enfin on le trouve, non vraiment ridicule mais plaisant, pour ses efforts orgueilleuxd'impossible franchise, aussi pour ses contradictions, qui sont d'ailleurs si humaines; car l'Alceste de Molière estinfiniment plus humain que celui que Rousseau imagine.

Mais Molière le voit du point de vue de la sociabilité parfaite;Rousseau le voit d'un point de vue diamétralement opposé, celui de la guerre à la société citadine et mondaine :comment ne l'aurait-il pas déformé ? C'est depuis Rousseau qu'on se laisse prendre parfois à reconnaître dansAlceste un homme crucifié par les hommes pour sa vertu inflexible. d) Molière n'a jamais lancé de railleries sur les nobles efforts de l'humanité pour s'instruire et s'élever l'âme; car s'ill'avait fait, le Clitandre des Femmes savantes, le personnage d'Eliante dans le Misanthrope, celui d'Uranie dans laCritique de l'Ecole des Femmes protesteraient en nous.

D'autre part, l'effort qu'il a raillé dans ses précieuses et sesfemmes savantes tendait uniquement à satisfaire des vanités et à réaliser des prétentions dangereuses.

Enfin,était-ce prôner les satisfactions de l'instinct et des sens, que de vouloir faire servir sa soupe chaude à Chrysale oud'inviter les jeunes filles à ne pas fuir le mariage, comme les y portait la préciosité ? — Ce qu'il convient d'accorder à ceux que la morale et la philosophie de Molière ne satisfont point, c'est qu'il exprimele plus souvent l'âme bourgeoise qui s'épanouissait à la fin du XVIIe siècle et dont les caractères se sont incorporésà la nation.

C'est pourquoi l'on peut dire, — avec d'ailleurs des réserves et en se gardant d'oublier le peintre des «honnêtes gens » — que son bon sens peut-être un peu terre à terre et méfiant nous rappelle trop que nousrentrons avec lui dans la tradition réaliste des fabliaux, des farces du Moyen Age, de Rabelais et de son. »

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