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PRIERE POUR ALLER AU PARADIS AVEC LES ANES par Francis Jammes

Publié le 02/03/2011

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   Lorsqu'il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites Que ce soit par un jour où la campagne en fête Poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas, Choisir un chemin pour aller comme il me plaira, Au Paradis, où sont en plein jour les étoiles. 5    Je prendrai mon bâton, et sur la grande route J'irai, et je dirai aux ânes, mes amis« : Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis, Car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon Dieu. Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu, 10    Pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreille, Chassez les mouches plates, les coups et les abeilles.... Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes Que j'aime tant parce qu'elles baissent la tête Doucement, et s'arrêtent en joignant leurs petits pieds 15    D'une façon bien douce et qui vous fait pitié. J'arriverai suivi de leurs milliers d'oreilles, Suivi de ceux qui portèrent au liane des corbeilles, De ceux traînant des voitures de saltimbanques Ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc, 20    De ceux qui ont au dos des bidons bossués, Des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés, De ceux à qui l'on met de petits pantalons A cause des plaies bleues et suintantes que font Les mouches entêtées qui s'y groupent en ronds. 25    Mon Dieu, faites qu'avec ces ânes je Vous vienne. Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent Vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises Et faites que, penché dans ce séjour des âmes. Sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes 30    Qui mireront leur humble et douce pauvreté A la limpidité de l'amour éternel.    (Le Deuil des Primevères).     

I    La versification    A) Le rythme. — Le lecteur est d'abord frappé par l'allure originale des vers, et serait disposé à ranger Francis Jammes parmi les vers-libristes, â côté de René Ghil, de Viélé-Griffin, etc... En réalité, quand on y regarde de près, sur les 32 vers que nous venons de citer, il y en a 24 qui sont des alexandrins. Il est vrai que les numéros 12, 24 et 25 contiennent un e muet non élidé, mais dont il est possible de ne pas tenir compte dans la prononciation. Aux vers 1 et 21, le poète se permet un hiatus interdit par la versification traditionnelle.

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« ? Le vers 11 est le plus long ; il a 15 pieds ! Replaçons-le dans l'ensemble : Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu, Pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreille, Chassez les mouches plates, les coups et les abeilles. Le premier de ces trois vers est un alexandrin harmonieux, et le rythme se poursuit d'abord, aussi régulier, pendantle premier hémistiche du vers suivant : Pauvres bêtes chéries...

Puis, ce rythme se rompt, et le second hémistiche a9 pieds.

Or, ne dirait-on pas que le poète se représente les ânes dociles qui suivent leur maître d'un pas monotone,et qui, brusquement, sous les piqûres des mouches ou sous les coups, s'arrêtent pour se secouer ? De là, unpiétinement dans la versification... De même, au vers 15, qui a 13 pieds.

Les ânes se sont arrêtés : rupture du rythme. Le vers 18 (13 pieds) est comme alourdi à dessein.

Car le poète pouvait écrire : Suivi de ceux qui portent au flanc des corbeilles. Pourquoi, en transformant le présent en passé, rompt-il 'la mesure dé l'alexandrin régulier ? Le vers est commefaussé : Suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles. Peut-être a-t-il voulu, en adoptant le rythme impair, donner l'idée d'une marche pénible et inégale sous le fardeauaccablant et mal équilibré ? Il n'est pas douteux que le vers 22, de 14 syllabes, est volontairement pénible et gravidus. B) Les rimes.

— Sont-ce bien des rimes ? Oui, quelquefois.

En tout cas, des rimes très libres, sans souci desdifférences d'orthographe.

Et, le plus souvent, des assonances, et très libres aussi, puisqu'on voit sonner ensembleune féminine : saltimbanques, avec blanc. Mais ce qu'il y a de plus curieux, ce sont quelques finales qui restent comme en suspens, et qui « ne riment à rien ».Exemples : v.

5 : étoiles, — v.

6 : route, — v.

26 : vienne, — v.

32 : éternel.

Nous pouvons être certains qu'enlaissant ces quatre finales sonner isolément, le poète a voulu obtenir un effet particulier.

Cet effet est sensible pourle v.

5 et le v.

32 : étoiles et éternel prennent un singulier relief à n'éveiller aucun écho.

Il me paraît difficile desentir une intention analogue, dans de mot route, et surtout dans le mot vienne ? Nous avons tenu à faire ces observations techniques, tout d'abord afin de contenter ceux qui, dans une pièce devers, attachent une importance presque exclusive à la forme ; — ensuite pour faire sentir qu'elles sont le plussouvent inutiles et presque puériles, et qu'un lecteur intelligent sera tenté de répondre : « A quoi bon ? me prenez-vous pour un imbécile ? » Et pourtant, combien de maîtres ne poussent pas plus loin leur commentaire ? II La poésie de Francis Jammes Romantique, parnassienne, symboliste..., à quelle école se rattache Francis Jammes ? est-il unanimiste, intimiste,néo-classique, archaïste, naturiste ? Question bien inutile, en vérité.

Francis Jammes est tout simplement un poète,au sens à la fois le plus commun et le plus subtil du mot.

En tête de son premier recueil, De l'Angélus de l'aube àl'Angélus du soir, il a écrit : « Mon Dieu, vous m'avez appelé parmi les hommes.

Me voici, je souffre et j'aime.

J'ai parlé avec la voix que vousm'avez donnée.

J'ai écrit avec les mots que vous avez enseignés à ma mère et à mon père qui me les ont transmis.Je passe sur la route comme un âne chargé dont rient les enfants et qui baisse la tête.

Je m'en irai où vousvoudrez, quand vous voudrez.

L'Angélus sonne ». Il est impossible de mieux définir le fond et la forme de la poésie telle que Jammes la comprend...

« Je souffre etj'aime voilà pour l'inspiration lyrique.

— « J'ai écrit avec les mots...

etc...

», voilà pour la langue.

— « Je passe sur laroute...

je m'en irai où vous voudrez...

», voilà pour la philosophie. Nous devons y ajouter toutefois le don d'observation naïve et pénétrante à la fois, et un « sentiment de la nature »tout à fait direct, comme celui d'un enfant qui aime, avec un étonnement mystérieux et inconscient, les ciels, les. »

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