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PROMÉTHÉE : le mythe littéraire

Publié le 28/09/2015

Extrait du document

PROMÉTHÉE. Prométhée est l’une des plus puissantes figures nées de la légende et dont la littérature et les différents arts n’ont cessé de s’inspirer depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours. A l’origine, divinité du feu, les poètes et les conteurs lui ont peu à peu conféré maintes attributions et un sens philosophique et moral : il en est venu à symboliser l’esprit humain aspirant à la connaissance et à la liberté.
 
Dans les Travaux et les Jours d’Hésiode, le premier poète qui s’inspira de ce mythe, Prométhée paraît comme un bon Titan, protecteur des hommes auxquels il donne le feu et enseigne les arts, violant ainsi l’interdiction de Zeus. Pour le châtier, le dieu envoie sur terre la célèbre Pandore, celle qui est à l’origine de tous les maux et il enchaîne Prométhée sur une cime du Caucase où un aigle lui dévore sans cesse le foie, toujours renaissant. Platon, dans son Protagoras, a recueilli une variante de ce mythe, variante selon laquelle Prométhée serait le père de toutes les races. La légende du Titan a aussi été reprise par Sophocle, Euripide et même Aristophane et les auteurs comiques de la période attique, qui le transposèrent dans leurs œuvres.
 
Mais c’est dans le Prométhée enchaîné que le mythe s’offre avec le plus de grandeur et de vérité. C’est à la fois la plus facile et la plus difficile des tragédies d’Eschyle (525-456 av. J.-C.) : la plus facile quant à l’interprétation littérale, la plus difficile quant à l’interprétation critique. Elle fit partie d’une trilogie dont nous ne savons exactement l’ordre de composition ; ce qu’il est permis d’affirmer, c’est que le Prométhée délivré suivait le Prométhée enchaîné. Quant à savoir si le Prométhée porteur de feu ouvrait ou terminait cette trilogie, l’une et l’autre hypothèse sont également valables. La date à laquelle Eschyle l’écrivit est de même inconnue, mais il est permis d’en situer la composition entre celle des Perses et celle des Sept contre Thèbes. Les personnages en sont tous des divinités : Kratos, Bias (rôle muet), Héphaïstos, Prométhée, le Chœur des Océanides, Océan, Io (fille d’Inachos), Hermès. La scène se passe dans une région désertique de la Scythie, sur les flancs d’une montagne, non loin de la mer. Nous sommes aux premiers temps du régne de Zeus qui, aidé de Prométhée, a renversé depuis peu la tyrannie de Cronos et des Titans. Prométhée, coupable d’avoir ravi le feu céleste et d’en avoir enseigné l’usage aux mortels, est conduit en ces lieux par Kratos et Bias, les deux principaux serviteurs d’Héphaïstos, qui est lui-même aux ordres de Zeus. Tandis qu’on l’enchaîne, Prométhée se tait ; mais sitôt que les autres l’ont abandonné, il commence son long et célèbre monologue ; Ether divin, vents à l’aile

« Gravure de Flaxmann pour le Prométhée de Goethe (1795).

il crible de ses sarcasmes le principe de la « jus· tice divine 11• Il situe la scène de son dialogue sur le Caucase, comme dans le Prométhée d'Eschyle.

I/aigle qui.

selon la volonté de 'Zeus, doit dévorer le foie du Titan.

n'est pas encore arrivé ; en pré­ sence d'Hermès et d'Héphaïstos, -les exécuteurs des ordres du Dieu des Dieux, -le captif en pro­ fite JlOUr faire l'apologie des fautes qui lui sont reprochées (et son argumentation ne manque pas de mordant) : répartition frauduleuse des viandes lors d'un festin offert par Zeus, création des hommes, rapt du feu.

Défense habile concue selon les meilleures règles de la rhétorique.

vraiment digne du grand orateur qu'était Lucien.

Dans la tragédie d'Eschyle, Zeus parait grandi par les reproches de Prométhée, puissant et ter· rible dans sa colère divine.

Ici.

il n'est plus qu'un être injuste, privé de bon sens, dépourvu de noblesse et de dignité.

Prométhée pourrait obtenir IR fin de son supplice et acheter sa délivrance moyennant la révélation de son secret : Hermès, qui le prend en pitié, le supplie d'y consentir, mais le Titan refuse car l'aigle, -instrument de son rachat, -est là qui approche.

L'ironie de ce morceau est plus caustique que celle des Dialogues marins ou des Dialogues des dieux, car elle n'est pas déguisée : nous sommes en présence d'un vrai héros qui, en défendant sa cause.

lance une accusation terrible contre la divinité et parvient à convaincre jusqu'aux ministres de Zeus de l'injus­ tice de leur maître.

Comme toujours, le style de Lucien de Samosate est limpide.

élégant, propre à mettre en relief les arguments irréfutables de Prométhée.

En grande partie sa langue demeure attique.

-T.F.

Éditions de la Couronne, 1946.

* Le mythe de Prométhée prit un nouvel eosor sous la Renaissance et à l'âge du Baroque, époque de vitalité débordante.

Mais cette fois, il inspira davantage les peintres que les poètes et les drama· turges.

Citons néanmoins la célèbre comédie mY· thologique espagnole du xviie siècle La estatua de Prometeo de Pedro CalderOn de la Barca (1600- 1681 ), qui est de 1669, et qui fut publiée dans la Qwinta parte de Comedias...

(Barcelone, 1677).

L'auteur espagnol transpose la légende dans un symbolisme philosophique plein de réminiscences théologiques, mais animé très souvent par un admirable lyrisme.

:1f.

Le Romantisme vit Prométhée sous les traits d'un rebelle indomptable et en lit l'un de ses grands héros.

Le Prométhée [Prometheus] de Wolf· gang Gœthe (1749·1832) est célèbre ; il date de 1773, mais n'a été publié qu'après la mort de l'auteur, en 1878.

Dans un discours commémo­ ratif en l'honneur de Shakespeare prononcé par Gœthe en 1771, Prométhée se dessine déjà et apparaît comme le créateur du genre humain.

L'année suivante, soit en 1772, dans l'Architecture allemande, Il devient un médiateur entre le Ciel et la Terre.

Le Discours sur les sciences et les arts (*) de Rousseau.

l'influence de Herder, enfin l'ouvrage de Wieland : Dialogue en songe avec Prométhée contribuèrent en partie à l'élaboration du Prométhée gœthéen, lequel, cependant, s'ins­ pire surtout d'Eschyle et de Voltaire.

Le vieux mythe.

renouvelé en accord avec l'a-tmosphère du temps, a entlammé l'imagination créatrice du jeune poète qui, à son tour, lui a donné une forme neuve et un élan nouveau.

Le fragment se divise en deux actes.

Dans le premier, Prométhée, dia� loguant avec Mercure, déclare qu'il ne redoute plus les dieux et atteste qu'il ne reconnaît que la prééminence du Destin.

Il repousse ensuite la proposition de son frère Épiméthée.

qui l'incite à prendre place parmi les immortels au sommet de l'Olympe (• Ils veulent partager avec moi, et je prétends -N'avoir rien à partager avec eux­ Ce que moi je détiens.

ils ne peuvent me le prendre -Et ce qu'eux, ils détiennent, à eux de le défendre •).

Épiméthée lui reproche cette attitude altière : • Tu te tiens à l'écart ! - Buté, tu ne vois pas quelle félicité -Si les Di•ux et toi-même -Et les tiens et le ciel tout entier - Se sentaient unanimes, soudés en un seul tout ! », Mais Prométhée ne reconnaît d'autre ivresse que celle que lui procure sa propre puissance de créateur et l'amour qu'il porte aux êtres qui lui sont redevables de la vie.

Dans lJ1.

scène suivante où parait Minerve, Prométhée se révèle de plus en plus comme un révolté luttant pour la con­ quête de la liberté.

La déesse, s'inclinant devant son audace et sa fierté, va jusqu'à lui dévoiler le mystère de la source de vie que les dieux seuls possèdent.

Au second acte, Mercure annonce à Jupiter, pour le pousser à la vengeance et au châtiment.

que Mine rve a confié à Prométhée le secret de la vie et qu'à présent l'engeance humaine grouille déjà et s"ébat joyeusement sur terre.

Mais Jupiter répond à son messager que les hommes doivent être : ils ne feront qu'accroître le nombre de ses serviteurs ; ils auront droit au bonheur s'ils suivent ses lois et seront malheu­ reux s'ils ne veulent se soumettre à sa toute� puissante autorité.

Arrêtant le fidèle Mercure qui croyait devoir se hâter de porter aux nouvelles créatures ces mots d'espoir, il lui dit sur un ton paternel et à demi-souriant : • Pas encore J Dans la joie fratche éclose de leur jeunesse -Ils pensent égaler les dieux -ils ne t'écouteront point, jusqu'au jour -Où ils auront besoin de toi.

Laisse-les à leur vie».

En présentant Jupiter sous ce jour, Gœthe risquait de détourner l'in­ térêt qu'il entendait porter à Prométhée, au profit du dieu qui apparaissait tout à coup comme un être digne de respect, image de la sagesse et de l'harmonie.

Telle est sans doute la raison pour laquelle ce drame resta inachevé ; entre les divers fragments, il en est un particu­ lièrement remarquable, qui nous montre la venue de la mort sur la terre {la première victime sera Mira, qui rendra l'âme sous les yeux de Pandore, sa mère).

Mais grâce à Prométhée, la mort sem­ blera comme une suprême éclosion de la vie, une sorte de palingénésie.

De ces fragments inachevés, Gœthe tira la matière d'un court, mais puissant poème ; c'est son vrai • Prométhée n, vu tel qu'il concevait le héros dans sa jeunesse ; non pas celui qui cède et fait alliance avec Zeus, mais celui qui proclame la vanité de l'existence des dieux, la puissance et la pleine liberté des humains.

• Couvre ton Ciel, Zeus, -De brume et de nuages, -Et, pareil à l'enfant -Qui joue à décapiter les chardons -Éprouve ta force sur les chênes et les sommets des monts : -Mais ma terre, -Lalsse·la mol, -Et ma cabane que tu n'as point bâtie -Et mon foyer -Avec sa flamme que tu m'envies ! -Je ne sais rien sous le soleil -De plus misérable que vous.

dieux ! - Vous vivez pauvrement -Des offrandes de vos autels -Et de l'haleine des prières -Pour nourrir votre majesté : -Vous mourriez de faim -Si les enfants, les mendiants -N'étaient des fous gontlés d'espoir ...

-Moi.

t'honorer ? A quel titre ? - As-tu jamais adouci les souf­ frances -De qui ploie sous le fardeau ? - As-tu jamais tari les larmes -De l'angoissé ? - Qui a forgé cet homme que je suis -Sinon le Temps tout·puissant, -Et le Destin éternel, -Mes maîtres et les tiens ? ••• -C'est ici que je demeure.

formant des hommes - A mon image -Une race à ma ressemblance -Pour souffrir, pour pleurer - Pour goûter les plaisirs et les joies, -Et t'avoir en mépris, -Comme moi! •.

En 1795, Gœthe travailla aussi à une Délivrance de Prométhée.

Il ne nous en reste que trois courts fragments (23 vers au total) dont le principal, animé d'un sou flle puissant et majestueux, fut publié eu 1888.

- T.F.

Gallimard, 1942.

* Le Prométhée délivré [Prometheus U nboîlndl de Percy Bysshe Shelley (1792·1822), drame lyrique en quatre actes et en vers publié en 1820, est concu dans le même esprit de révolte que celui de Gœthe.

S'inspirant en pa.rtie seulement de la tradition classique.

Shelley fait de Zeus le sym­ bole du mal, tandis que Prométhée devient le sauveur de l'humanité : le héros, employant le Savoir ainsi qu'une arme, vainc le mal et ramène les hommes à la sagesse et à la vertu.

Pour châtier les audaces du Titan qui s'est fait le champion des mortels, Zeus le condamne à être enchainé sur un pic du Caucase où un vautour lui rongera continuellement le foie.

Prométhée supporte courageusement tous les supplices que le dieu lui inflige, car il attend avec patience l'heure où Zeus sera détrôné et l'esprit du B:ien triomphera.

Le destin ne pourrait changer que si Prométhée révélait le secret qu'il est seul à détenir.

Mais les dieux ne parviennent pas à le lui ravir, même en lui promettant une déli­ vrance immédiate.

Finalement, l'heure marquée par le sort arrive : Zeus disparaît, jeté à bas de son trône par Demogorgon, le Pouvoir originel du Monde, tandis qu'Hercule (qui symbolise la force) délivre Prométhée (l'Humanité) des sou:ffranees engendrées par le MaL Asia, l'ùne des Océanides, personnification de la Nature.

retrouve au même instant sa beauté première et s'unit à Prométhée.

Ainsi commencera le règne de l'Amour et du Bien.

Shelley a cherché à exprimer toute sa phi­ losophie dans ce drame.

Tout d'abord disciple de William Godwin (1756·1836), dont il épousa en secondes noces la fille Mary, Shelley se fit par la suite une philosophie toute personnelle ; on la trouve exprimée dans la majorité de ses œuvres et surtout dans son Prométhée délivré.

Ses théories sur le destin de l'humanité peuvent se résumer ainsi : il est convaincu que le mal n'est pas inhérent à la nature des hommes, mais bien accidentel, donc susceptible d'être éliminé.

L'idée qu'il reprendra le plus volontiers est que tout incli­ vidu doit tenter de se perfectionner jusqu'à réduire à néant le mal qui est en lui.

Prométhée déliL•ré est la transposition d'une vision philoso­ phique dans le domaine lyrique: et, en utilisant le vieux mythe grec, l'auteur entend conférer à cette vision une portée plus profonde, presque sacrée.

On retrouve dans ce drame quelques-uns des éléments les plus caractéristiques de l'art et de l'univers poétique de Sh�lley : d'abord sa conception platonique de l'amour (ce n'est point par hasard s'il a choisi un mythe grec) : COJtl� ception à la fois déformée et amplifiée par une croyance -très romantique -en la toute puis­ sance de ce sentiment qui ne néglige cependant pas le côté physique et humain.

Il arrive que Ja luxuriante richesse de l'imagination de Shelley accumule les images jusqu'à produire un ensemble plus éblouissant que substantiel.

La beauté de cette œuvre, outre la penRée généreuse qui l'anime, repose cependant sur l'extraordinaire puissance et le lyrisme débordant de maints pas­ sages qui sont parmi les plus belles pages rle l'auteur.

Ce drame n'avait •tue trois actes à l'origine; ce n'est que quelquef: mois après l'avoir achevé que l'auteur en ajouta un quatrième, sorte d'hymne triomphal après la victoire du héros.

-T.F.

Aubier, 1942.

* A son tour, le rationalisrne du xviire siècle voulut mettre à l'honneur la légende de Promé­ thée.

Nous possédons, entre autres, un petit poème en hendécas},.llabes libres de l'Italien Vin­ cenzo Monti (1754·1828) : Il Prorneteo.

Commencé en 1797, continué en 1821, il ne parut qu'en 1832, après la mort de l'auteur.

Il se divise en trois chants.

Dans la préface (« Prefazione non inutile al poema �l.

Monti explique les deux grandes idées qui l'ont guidé : d'abord servir la.. »

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