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Raymond Weil, (Extrait d'une allocution prononcée à la Sorbonne en 1983 dans le cadre de la Promotion Violette)

Publié le 30/03/2011

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La morale, chose peut-être surprenante, est à l'ordre du pur sinon à la mode. Sous le nom d'éthique surtout, elle fait parler d'elle : on crée un comité d'éthique biomédicale de l'ère atomique, d'une éthique de l'information, d'une éthique de l'informatique 5 aussi, d'une éthique de l'environnement. Tout cela, à mesure que la puissance des techniques grandit, de sorte que le besoin d'un contrôle en retour se fait sentir davantage. C'est la vieille et fameuse histoire de l'apprenti sorcier.    Elle mérite d'autant moins d'être rejetée comme une vieille lune, 10 qu'il s'agit pour nous de la formation de toute une jeunesse. Les mauvais esprits diront sans doute qu'on parle de morale quand on ne l'enseigne plus : elle a disparu à peu près de nos programmes et du texte littéral de nos instructions. Et les journaux sont pleins de faits divers terribles [...] 15 C'est pourtant une question fondamentale, que tout membre du corps enseignant s'est posée à lui-même un jour ou l'autre. Enseigner des valeurs, soit, mais lesquelles et au nom de quoi ? Et qui suis-je pour les choisir, sinon même pour les transmettre ? Si la réponse est facile dans un contexte religieux, elle l'est moins 20 au sein d'une société qui, en fait, n'est plus si persuadée de sa morale ; dans ce qui paraissait solide et presque inébranlable aux contemporains de Jules Ferry et Paul Bert1, beaucoup de chose vacillent, changent, s'effondrent. La morale d'une société ne peut d'ailleurs reposer que sur un accord, un consensus comme l'on 25 dit. Or cet accord n'existe plus. Il portait jadis sur deux principes au moins : celui de la responsabilité d'abord ; or la tendance de la pensée moderne consiste à expliquer plus qu'à juger ; elle est plus psychologique ou médicale, que morale. Le second principe consistait à accepter un ensemble de règles : or la notion même 30 de règle, dans la perspective que je viens de dire, est souvent ressentie comme une mutilation (et ce qui est « ressenti « est tenu pour réel) ; la société devient permissive, alors, « il est interdit d'interdire «. Et encore les choses seraient-elles assez faciles si ces tendances-là étaient admises universellement ; mais ce n'est 35 pas le cas. D'où des contradictions dans lesquelles des professeurs, dont la vocation est de réfléchir pour essayer de mettre de la cohérence dans le désordre du réel, ne peuvent que se trouver gênés, embarrassés, inhibés si l'on veut.    Un exemple est particulièrement frappant, celui de la morale 4o sexuelle. L'invention des chimistes et des biologistes a changé le comportement social, relégué dans un lointain presque irréel, l'ère de la reine Victoria2 (elle reviendra peut-être plus vite qu'on ne penserait de cet exil, par une réaction qui ne serait pas sans exemples) et rendu caducs plusieurs enseignements de la morale 45 et des Églises. Des conduites qui passaient pour abominables sont admises couramment : la cohabitation a remplacé les fiançailles. On songe à l'étonnement faussement naïf de cet ethnologue qui jadis, décrivant les mœurs absolument libres des Mohaves d'Amérique, remarquait qu'ils ne pourraient rien comprendre à 50 « Roméo et Juliette « : mourir par amour... Or nous pouvons craindre que la société actuelle nous demande de former des générations de Mohaves Un autre thème peut être éclairant aussi, celui du courage, de l'abnégation, de l'héroïsme, qui régnait si souvent dans la tradition morale et littéraire. Je sais bien que nous avons Zorro, héros juste et toujours vainqueur, mais chacun sait aussi bien qu'il n'existe pas. En pratique, essayons donc de monter une émission télévisée sur un de ces grands hommes de l'Antiquité que connaissaient les jeunes latinistes d'autrefois, l'héroïque Regulus4 ou l'héroïque Mucius Scaevola. Des exemples récents donnent à imaginer que l'émission passera mieux l'écran, si Regulus accepte de renier sa parole et Scaevala de trahir son pays, venant expliquer devant la caméra, assez hagards, qu'ils y sont bien obligés, puisqu'il y va de leur vie. Ici, il ne s'agit plus de former des Mohaves, mais des gens pour qui Corneille serait le comble de l'étrangeté.    Raymond Weil, (Extrait d'une allocution prononcée à la Sorbonne en 1983 dans le cadre de la Promotion Violette)    (La Réunion)    1. Résumez le texte en 180 mots (marge de plus ou moins 10% tolérée). Vous indiquerez, à la fin de votre résumé, le nombre de mots employés.    2. Expliquez le sens, dans le texte des expressions suivantes :    — « l'apprenti sorcier « (ligne 7)    — « comme une vieille lune « (ligne 8)    3. Quelles remarques vous suggère cette pensée : « A mesure que la puissances des techniques grandit [...] le besoin d'un contrôle en retour se fait sentir davantage «.

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« Vocabulaire L'apprenti sorcier. C'est à l'origine une ballade composée par Gœthe en 1797.

L'élève d'un magicien transforme par un mot magique unbalai en domestique et lui ordonne de remplir une baignoire.

Il oublie la formule qui doit arrêter l'enchantementprovoquant ainsi une inondation.

L'histoire a été reprise par le compositeur Paul Dukas pour un poème symphoniquetrès connu, joué à Paris en 1897.

Elle a enfin inspiré Walt Disney dans un des épisodes du film animé musical «Fantasia » sur la musique de Paul Dukas avec Mickey en apprenti-sorcier.

L'histoire de l'apprenti-sorcier symboliseles dangers de la science et de la technique quand elles sont confiées à des individus irresponsables.

On pourrait àce propos évoquer la célèbre formule « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». Comme une vieille lune. L'expression désigne une période révolue, le temps passé.

La morale date, son enseignement est démodé, dépassé. Discussion Homo sapiens et homo faber.

Bricoleur génial, inventeur perpétuellement insatisfait, l'homme, de génération engénération, accumule les découvertes et fait ainsi reculer les limites de sa nature et du monde.

Il crée la vie, laprolonge, la détruit, extorque à la nature ses trésors et la mutile.

Cette constante avancée ne peut se faire sansdangers.

Le scientifique doit se doubler d'un moraliste.

Non content de progresser dans ses recherches, il doit envérifier le bien-fondé et l'utilisation.

C'est pourquoi « A mesure que la puissance des techniques grandit [...] lebesoin d'un contrôle en retour se fait sentir davantage.

» En effet, le génie technique de l'homme fait reculer leslimites de la nature, mais les conséquences sur l'équilibre du monde et de l'être humain sont parfois désastreuses,quelles attitudes peut-on alors adopter ? I.

Le recul des limites. Les conquêtes scientifiques et les applications techniques qui en sont tirées modifient la conception et la définitionhabituellement reçues du monde et de l'homme. 1.

Dans le domaine biologique. — La création de la vie : Ce qui était pure imagination dans le Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley, la fécondation invitro, et aujourd'hui connue sous le terme de bébé-fivette.

Certes, le fœtus est réimplanté chez une femme, mais lafécondation peut se faire hors du milieu naturel.

La procréation est l'objet de découvertes qui tendent à combler ledésir d'enfant chez le couple stérile : fécondation in vitro, congélation de sperme, mère porteuse, réimplantationd'ovules, etc... — Le maintien de la vie : Les progrès de la médecine grâce à la biochimie, aux nouveaux matériaux (les plastiques, les métaux spéciaux, laminiaturisation), à la physique, à l'électronique, etc.

sont considérables. — La mort : Les techniques de réanimation ébranlent la définition de la mort et de la vie (mort clinique, vie végétative...).

Desproblèmes moraux se posent alors : doit-on « débrancher » un malade sous machines, qui peut en décider ? 2.

Dans la nature. L'industrialisation à outrance pollue la nature et rompt l'équilibre naturel.

Ex : pollution de l'air, des cours d'eau par lerejet de produits radioactifs ou chimiques qui remontent les chaînes alimentaires, destruction de la couche d'ozone,changement de climats, avancée du désert, etc. 3.

Dans les techniques de destruction. La bombe nucléaire d'Hiroshima et de Nagasaki est largement dépassée par les bombes plus puissantes ou lesbombes à neutrons. Transition. Les découvertes scientifiques et leurs applications pratiques ne sont pas toutes synonymes de progrès comme l'oncroyait au XIXe siècle.

Les conséquences sont fâcheuses tant dans le domaine pratique que moral.. »

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