Devoir de Philosophie

RÉALISME ET LITTERATURE

Publié le 21/03/2019

Extrait du document

RÉALISME. Le réalisme se définit, dans les diverses esthétiques littéraires, comme la reproduction, la plus fidèle possible, de la réalité. Cette fidélité ne peut être caractérisée de manière invariante ou absolue ; elle dépend de la conception de la réalité propre à une époque et des contraintes poétiques inséparables du genre et du courant de création considérés. À la fois convention et renvoi expcite au réel, le réalisme suppose admise l'aptitude de cette convention à représenter le réel et un accord sur la définition et les formulations possibles du réel. Il définit ainsi la rencontre, sous le signe de l'assentiment aux modes de l'énoncé et aux objets de référence, de l'œuvre et du lecteur. Le réalisme porte donc en lui-même le principe de sa propre caducité.

 

Les esthétiques réalistes se développent à partir du xviiie s., particulièrement dans le cas du roman, par réaction contre les conventions des esthétiques néoclassiques, et contre la hiérarchie des objets de référence et des genres, issue des arts poétiques de l'Antiquité. Le réalisme qui établit la reconnaissance artistique du réel, identifié aux objets les plus communs, suppose que les éléments de ce réel soient repérables de manière différentielle par leurs qualités observables et par leurs propriétés opératoires. Il définit ainsi la représentation littéraire comme l imitation de ces objets deréférence, mais surtout comme la concordance, supposée constante et

 

assurée, entre le mot et l'objet. Le réalisme, double héritier du cartésia nisme et du sensualisme, implique que l'argument confirme cette visée référentielle et noétique par son organisation : continuité de la chaîne causale ; motivation des actions ; définition du personnage à travers une localisation spatio-temporelle et suivant une identité constante.

 

La critique considère volontiers que la littérature française offre les œuvres, théoriques et « pratiques », exemplaires du courant réaliste. Le problème du réalisme se posant toujours, plus ou moins, en terme de ressemblance, on notera d'abord le rapport privilégié que les écrivains qui se recommandent du réalisme entretiennent avec la peinture. Les Goncourt (particulièrement Edmond) sont en effet fascinés par les écrivains-peintres, du type Fromentin et Théophile Gautier : rendant compte d'Émaux et Camées, ils marquent que Gautier ne recule « ni devant un archaïsme, ni devant un néologisme, ni devant un germanisme — ce qui veut dire que la totalité de la réalité suppose la totalité du vocabulaire. Cette conception rappelle d'ailleurs curieusement les principes de la rhétorique jésuite du début du xviie s., pour laquelle l'art de l'éloquence doit rivaliser de diversité avec la nature et s'adapter à toutes les situations, comme la bouquetière Gly-cera de l'Introduction à la vie dévote de saint François de Sales l'emporte sur le peintre Pausanias dans l'agencement toujours nouveau des mêmes fleurs : et le P. Richesme \\Tableaux sacrés des figures mystiques, 1601 ; la Peinture spirituelle, 1611) recommande à l'orateur de connaître les « mots propres » des arts, des sciences, du laboureur, du chasseur, du marinier, etc.

 

Ainsi, le réalisme français vient de loin et le réalisme pictural a ouvert la voie au réalisme littéraire. En tant que mouvement conscient et organisé, le réalisme naît de la querelle autour de Courbet et de son Enterrement à Ornans : on peut considérer comme le manifeste du réalisme la Lettre à Mme Suud de Champfleury parue dans l'Artiste le 2 septembre 1855. À une critique malveillante qui a usé du mot « réalisme » comme d'une injure (Gustave Planche contre les feuilletons de Balzac), Champfleury réplique : « Tous ceux qui apportent quelques aspirations nouvelles sont dits réalistes. On verra certainement des médecins réalistes, des chimistes réalistes, des manufacturiers réalistes, des historiens réalistes. M. Courbet est un réaliste, je suis un réaliste... » Avant le procès de Madame Bovary, la critique, même lorsqu'elle est favorable, juge de l'art en fonction d’un but éthique et social, et non proprement plastique. Or la transgression de Courbet était d'abord plastique (format, traitement de la lumière) ; elle atteignait aussi le typique par excès d'attention donnée au particulier : « Un peintre ne doit peindre que ce que ses yeux peuvent voir » (Courbet) — non par restriction systématique du champ culturel, mais par refus de la symbolisation et de la rhétorique argumentative. Le réalisme en peinture, c'est « l'accommodation sur la matérialité signifiante du tableau ». En littérature, c'est l'accommodation sur le texte. Sartre notera à propos de Flaubert qu'il « ressemble aux peintres de son époque qui avaient besoin d'un sujet — fût-ce une simple nature morte — pour enflammer leurs couleurs et pour en faire autre chose ». Autre chose, c'est-à-dire un « être plastique », une combinaison de valeurs et de tons (les Concourt signalent dans leur Journal, le 17 mars 1861, cet aveu de Flaubert à propos de Salammbô en gestation : « Dans mon roman carthaginois, je veux faire quelque chose pourpre... »).

 

Mais qu'il se rattache à la peinture ou à un pannaturalisme du langage, le réalisme français apparaît d'emblée comme un « réalisme contre ». Le réalisme implique quelque part un non-réalisme, une « esthétique du non » (à la façon dont Bachelard parlait d'une « philosophie du non »). Le réalisme suppose un « pouvoir » esthétique et un système institutionnel que l'on considère inadapté, plus ou moins consciemment, à la fonction essentielle de l'art : repré

 

senter la réalité qui compte. Le réalisme mène l'offensive contre quelque chose qui se défend et qui tente de se maintenir.

 

C'est autour du problème de l'amour et du mariage que se produit en fait la première « cristallisation » réaliste. Le roman courtois est venu dire que le seul combat n'était pas celui de la guerre, et que la vie de cour, la vie déjà mondaine définissait un nouveau champ de vie et de mort. Par là s'élargit le champ de reconnaissance et d'identification sans lequel il n'est pas de définition du réalisme : ainsi Tristan définit un champ d'identification beaucoup plus large que Roland et qui n'est même pas totalement limitable à la chevalerie militaire formelle : la transformation, plus tard, du roman courtois, sa prolongation dans des œuvres comme le Lys dans la vallée de Balzac, ou sa reprise dans l'Étemel Retour de Cocteau Delannoy, montre que l'histoire de Tristan concerne une humanité plus large que la « catastrophe » de Roncevaux. Mais les problèmes naissent des problèmes et, très vite, la représentation hautement héroïque de l'amour va se voir contestée par le fabliau, par le conte, qui attirent l'attention sur une sexualité « moyenne » et sur des désirs moins élaborés. Ce qu'on a appelé la tradition gauloise oppose aux raffinements courtois une conception et une pratique plus simple de l'amour, qui va du lâchez-tout de kermesse à l'affirmation d'un sentiment plus rustique mais plus vrai de la relation amoureuse. Un bon exemple s'en trouve dans la fameuse chanson du roi Henri (« J'aime mieux ma mie, ô gué ») qu'Alceste, dans le Misanthrope de Molière, oppose à Belle Philis... Réalisme, ici, ne se veut nullement régression, mais retour à une vérité qui se perd. Comme les révolutions politiques, pendant longtemps, les révolutions esthétiques ont été conçues en termes de retour à un âge d’or perdu (ou révolu).

 

Le front de l'amour et du mariage déroula longtemps ses vertus. Très vite, en effet, se leva une autre question : celle de la femme sacrifiée soit par la tyrannie parentale et maritale, soit par ses propres illusions sur ce qui l'attend lorsqu'elle aura quitté sa mère. La thèse dominante est celle d'un droit et d'une valeur du mariage (largement bourgeois). Cette thèse s'exprime formellement de la manière la plus cohérente dans l’hypothèse de base qui commande la comédie et dynamise ses intrigues : qu'on laisse s'épouser ceux qui se désirent, et le rideau tombe toujours sur un mariage qui résout tous les problèmes. Les choses craquent le jour où l'on commence à s'interroger sur la valeur de ce stéréotype. On commence par s'en prendre, dans des tirades explicites, aux défenseurs de l'institution (Arnolphe dans l'École des femmes de Molière) : mais l'opération est limitée, car au mauvais mariage s'oppose implicitement un bon mariage, comme au mauvais argent s'oppose l'argent libéral et libérateur. On va plus loin lorsque, brisant le cercle formel du théâtre et de sa temporalité, on envisage le mariage dans le temps, lorsqu’on songe à la suite : c’est dire qu'on est déjà dans le roman, au moins dans le romanesque. Chez Molière (Tartuffe), l'avenir d'Elmire aux côtés d'Orgon est sombre, et rien n'empêche l'imagination de travailler sur ce sujet pour le moment « hors texte » mais que le texte retient mal. Une étape décisive sera franchie le jour où Beaumarchais, dans sa trilogie, montrera les suites d'un mariage d'amour pourtant enlevé à la hussarde contre un tuteur de la plus pure tradi tion : Rosine devenant la comtesse, la première « femme de trente ans » de notre littérature, délaissée, tentée, adultère, malheureuse dans le cercle de fer de ses pseudo-libertés successives, c'est non seulement un nouveau personnage, mais aussi un nouvel espace de représentation. Le réalisme, ici, est passé par la crise d'une forme dont la fonction, nécessairement consciente et organisée mais efficace, était de maintenir une certaine image du monde. La Princesse de Clèves, un siècle plus tôt, avait déjà, au travers pourtant de tout un attirail extérieur parfaitement distingué, discrètement fait sauter le couvercle : elle avait montré rentrée dans le monde, le

 

mariage, la vie conjugale comme une série de pièges auxquels on n'échappait, fugitivement, que par une ascèse, par un sacrifice de soi, ce qui établissait un lien très profond entre réalisme et philosophie, entre nomination et analyse des problèmes concrets d'une part et dilemme moral de l'autre. Dire une certaine vérité sur un sujet tabou, élaborer les formes et les procédures sans lesquelles ce dire et cette vérité n'existent pas, telle est la démarche de ce réalisme, qui livre moins de nouveaux matériaux bruts à décrire qu'il ne fait apparaître des points de fracture, qu'il ne commence une lutte, une revendication là où les choses sont vivement senties. La grande querelle morale (fallait-il avouer à son mari ?) et esthétique (le style !) autour du roman de Mmc de La Fayette montre bien que les « instances dominantes » avaient senti le danger. Plus tard, l’Atala de Chateaubriand, doté pourtant si largement d'un attirail « noble », mais posant le problème de l'amour dans le monde des institutions et des valeurs d'État, provoquera la même levée de boucliers du côté des académies.

 

Ainsi, le réalisme a d'abord consisté à déplacer un problème et à subvenir (de manière non nécessairement fracassante) le procédé de construction de la fiction. On voit que le réalisme n'est au fond nullement opposable à l'analyse psychologique, à la litote pour gens du monde, au puisage des héros dans les sphères supérieures de la société, bref à l'élégance. Au même moment, d'ailleurs, la tragédie, comme le dira Chateaubriand dans le Génie du christianisme, traite des sujets français et chrétiens sous des habits antiques. Serait-ce dire que, toute œuvre valable étant réaliste, le problème du réalisme s'évaporera de lui-même ? Il faut, au vrai, opérer un nouveau déplacement.

 

Parallèlement à la grande offensive sur l'amour et le mariage (révolutions et relectures passent toujours par la femme), une autre percée se développait depuis longtemps. Elle tendait à faire leur place à des sujets, à des personnages soit non nobles, soit pauvres, dans une

« l'Artiste le 2 septembre 1855.

A une c riti que malveillante qui a usé du mot « ré alism e » comm e d'une injure (Gus· tave Planche contre les feuilletons de Balzac), Champfleury réplique : «Tous ceux qui apportent quelques aspirations nouvelles sont dits réalistes.

On verra c ertain emen t des médecins réalistes, des chimis tes réalistes, des manufacturiers réalistes, des historiens réalistes.

M.

Cour bet est un réali ste , je suis un ré alis te ...

» Avant le procès de Madame Bovary, la critique, même lorsqu'elle est favorable, juge de l'art en fonction d'un but éthique et social, et non proprement plastique.

Or la transgression de Courbet était d'abord plastique (format, traite­ ment de la lumière) : elle atteignait aussi le typique par oxcès d'attention donné e au part ic ul ie r : > (Courbet) -non par restriction systématique du champ culturel, mais par refus de la symbo lisati on et de la r h éto ri que argum en tativ e.

Le réalisme en peinture, c'est ).

Mais qu 'i l se rattache à Ja peinture ou à un pannaturalisme du lan gage, le réalisme fran ça is apparait d'emblée comme un «réalisme contre>>.

Le réalisme i mpli que quelque part un non· réalisme, une « esthétique du non >> (à la fa ç on dont Bachelard parlait d'un e « philosophie d u non > > ).

Le ré alism e suppose un « pou vo ir >> es th étique et un système institutionnel que l'on considère inadapté, plus ou moins co nsc iemment , à la fo ncti on essentielle de l'art : repré· senter la réalité qui compte.

Le réalisme mène l'offensive contre quelque chose q u i se défend et qui tente de se m ain te n ir .

C'est autour du prob lè m e de l'am our ct du mariage que sc produit en fait la première « cris tallisa tion >> réalis te.

Le roman courtois est venu dire que le seul combat n'était pas celui de la guerre.

et que la vie de cour, la vie déjà mondaine définissait un nouv ea u champ de vie et de mon.

Par là s'élar git le champ de re conn aiss ance et d'identification sans lequel il n'est pas de définition du réalisme ainsi Tristan définit un champ d'identification beauco up p lus large que Roland et qui n'e st même pas total emen t limitable à la chevalene militaire formelle : la transformation, plus tard.

du roman courtois, sa prolongation dans d es œuvres comme le Lys dans la vallée de Balzac, ou sa reprise dans l'Éternel Retour do Cocteau Delannoy.

montre qu e 1 histoire de Tristan concerne une humaruté plus large que la « catastro­ phe >> de Roncevaux.

Mais les problèmes naissent des problèmes ct, très vite, la représentation hautement hérolque de l'amour va se voir contestée par le fabliau, par le conte, qui attirent l'atten­ tion sur une sexualité « moyenne » et sur des désirs moins élaborés.

Ce qu'on a appelé la tradition gauloise oppose aux raffinements courtois une co nc ep tion et un e pratique plus simple de l'am our , qui va du lâchez-tout de kermesse à J'affir.

maûo n d'un sentiment plu s rustique mais plus vrai de la relation amoureuse.

Un bon exemp le s'en trouve dan s la f am euse chanson du roi llenri («J'aime rrueux ma mie, ô gué >>) qu'Alceste, dans le Misanthrope de Molière.

oppose à Belle Philis ...

Réalisme, ici, ne se veut n ull em en t rég res sion, mais retour à une vérité qui se perd.

Comme les révolutions politiques, pendant lon gtemps, les révo­ lutions esl.hétiques ont été conçues en termes de retour à un àge d'or perdu (ou révolu).

Le front de l'amour et du mariage déroula lon gte m ps ses vertus.

Très vite, en eff et, se leva une autre question : cell e de la femme sacrifiée soit par la tyrannie parentale et maritale, so1t par ses. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles