Relation écriture poétique et théâtre.
Publié le 03/06/2015
Extrait du document
«
autre à des interprètes.
Qui est qui, dans ce jeu fascinant et pèrilleux ? Quand j’entends
lady Macbeth èvoquer la petite tache qui, sur sa main, rèsisterait à tous les parfums de
l’Arabie, je suis donc en face d’un personnage qui a rec̀u dèlègation de l’auteur, mais je
suis mème en face de la tragèdienne qui l’incarne, qui lui prète son visage, son regard et
sa voix.
En outre, je me trouve normalement parmi d’autres spectateurs qui m’englobent
dans une èmotion collective, ou qui m’en excluent parce qu’ils rèagissent autrement.
Et
mème si je me limite à lire Macbeth, comme je ferais pour lire un poème, j’assiste
encore à une sorte de spectacle intèrieur où les personnages parlent dans le silence.
Qu’on m’excuse de m’attarder encore à Shakespeare, tout ensemble si sùr de sa poèsie
et si sùr de ses dèlègations dramatiques.
Le poète, chez lui, ne cherche pas à effacer les
diffèrences avec le thèàtre.
Oui, la poèsie ruisselle dans son thèàtre, mais elle n’efface
jamais la thèàtralitè la plus vivante.
On dirait mème que Shakespeare aime se donner le
luxe de souligner la diffèrence.
Pensons à Hamlet qui, pour les besoins de sa cause se
fait sous nos yeux auteur et metteur en scène, organisateur de spectacles et simulateur de
lui-mème.
La poésie est peut-ètre le plus beau langage qu’ait jamais pris l’orgueil du thèàtre.
Avec
un autre, de quelques mots, où Lope de Vega, pensant aux modestes cours d’auberge où
on le jouait, disait : « Donnez-moi quatre planches et je vous donne le monde ! »
Mais rèsistons à cet appel qui combattrait notre rèflexion.
Il me semble que thèàtre et
poèsie, si proches et si autres à la fois, sont essentiellement diffèrents dans leur fac̀on de
vivre l’espace et le temps.
La poèsie est à elle-mème son espace et son lieu.
Seul compte l’espace intèrieur qu’elle
crèe à la fois chez son auteur et chez son lecteur.
De mème le temps poètique se resserre
sur l’instant de la lecture.
Mème un poème de l’attente ou de l’ennui nous donne sa
plènitude dans la durèe de notre lecture.
Mème un poème qui veut nous parler du temps
abolit ce temps ou l’unifie, à mesure qu’il le crèe.
La vie antèrieure chère à Baudelaire,
la vie future selon Dante : tout est à nous dans le resserrement global de la dècouverte.
Espace et temps : le thèàtre, au contraire, y est asservi et nous y asservit.
Dix minutes
peuvent nous donner la sensation de toute une heure, et les classiques attachès aux trois
unitès acceptaient eux-mèmes qu’une journèe entière entre dans la durèe d’une
reprèsentation.
Mais s’il ne s’agit point du temps objectif, il s’agit tout de mème de
quelque chose qui dure.
Le resserrement immèdiat et global de la dècouverte (à quoi
s’offre la poèsie) n’existe pas au thèàtre.
Il faut que les Troyennes aient le temps de
gèmir et de mourir ; que le mari trompè ait le temps d’entendre son infortune et de sortir
de l’armoire ; que le roi d’Eugène Ionesco ait le temps d’attendre la mort programmèe
par le destin et son crèateur , que les personnages de Marguerite Duras trouvent le temps
de nous faire comprendre qu’ils sont hors du temps.
Ce temps nècessaire et recomptè, cet espace inèvitable et truquè nous remettent en face
d’un des traits majeurs du thèàtre.
Car on pourrait ètendre encore la sèrie de ce qu’on
aime appeler les mensonges crèateurs.
Le lieu n’est pas le lieu, le temps n’est pas le
temps, le soleil et les tènèbres sont produits par l’èclairagiste.
Le comèdien n’est pas
celui qu’il joue, qui n’est pas l’auteur.
Le spectateur lui-mème se dèdouble ètrangement,
puisqu’il accepte, sans mème y penser, un code rigoureux.
Il sait que si Hamlet meurt en
scène, l’interprète en sortira vivant.
Il accepte d’ètre le tèmoin d’un piège abject et de
n’en pas avertir la victime qui a pourtant toute sa sympathie.
Il accepte de regarder
mourir la pauvre dame aux camèlias sans demander au mèdecin de service de montrer.
»
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