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RIMBAUD (Jean-Nicolas Arthur)

Publié le 03/05/2019

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rimbaud

RIMBAUD (Jean-Nicolas Arthur), poète français (Charleville 1854 - Marseille 1891). Entre une mère continûment, absolument là et un père intermittent puis définitivement ailleurs (il « disparaît » quand Arthur a 10 ans), l'enfance de Rimbaud est d'abord l'expérience d'une tension : côté maternel, il y a Charleville, l'univers stable et mesquin des devoirs de toutes sortes, le moule des institutions et, notamment, celui de l'institution scolaire, dans lequel d'ailleurs Rimbaud se coule avec une aisance déconcertante pour tous ceux qui voudraient que les révoltés l'aient été de toute éternité ; il y a donc un bon élève, qui sait faire des hexamètres et rafle tous les prix. Côté paternel, il y a l'errance que favorise le métier (Frédéric Rimbaud était officier), de l'Algérie à la Crimée, la passion d'écrire (mais son œuvre, entièrement manuscrite, a sombré comme lui), la culture et le mépris affiché de ces rituels sociaux sans lesquels il semble que sa femme n'eût su exister. Aussitôt présentées ainsi, naturellement, les choses se pétrifient : rien ne nous permet d'affirmer que le jeune Rimbaud ait songé à ce père absent dans les termes qui nous arrangeraient pour une commode « identification ». Tout ce qu'on sait, c'est qu'il eut entre les mains les livres de son père (leurs annotations s'y rencontrent côte à côte) ; tout ce qu'on peut dire aussi, c'est que Rimbaud, au bout de son chemin, se mit à ressembler à l'ombre errante de l'officier qui l'engendra.

 

Tout le monde connaît — car la vulgate rimbaldienne est la source du « mythe » auquel Étiemble a donné une imposante existence textuelle — la rencontre Rim-baud-Izambard : le premier avait 16 ans, le second 22. Entre l'élève et le professeur une amitié naquit. Izambard prêta des livres, au grand dam de la « mère Rimbe », qui lui reprocha vertement de permettre à un enfant la lecture de livres comme « les misérables de v hugot » (sic). Rimbaud, qui écrivait des poèmes, s'adressa dans le même temps à Banville pour le supplier de publier quelques pièces dans le Parnasse contemporain. Malgré un refus, il continuait à écrire quand la guerre de 1870 éclata. Il semble que Rimbaud ait d'abord perçu cet événement comme ce qui le coupait encore plus sûrement de ce pour quoi, alors, il vivait : livres, journaux, revues et comme ce qui l’enfermait à Charle

 

ville. D'où la première fugue, manquée (errer est un apprentissage), le bref emprisonnement, la parenthèse heureuse chez Izambard, qui l'accueillit à Douai... et le retour au bercail, si l'on peut dire, symbolisé par la gifle maternelle destinée sans nul doute à attester qu'Arthur était bien « rentré » et qu'après tout il n'était qu'un enfant. La seconde fugue (en octobre et en Belgique) produisit quelques-uns des poèmes du premier Rimbaud (Ma bohème, Au cabaret vert, la Maline, le Dormeur du Val) et s'acheva, après remise aux mains de la police (ainsi l'avait voulu la tendre mère), par un nouveau retour dans Charleville glacée et qui portait tous les stigmates de la guerre.

 

En février, puis en avril 1871, Rimbaud se trouva à Paris, probablement aux côtés des insurgés. Mais quelque chose se passa sans doute (on a voulu souvent en trouver le « récit » dans le Cœur volé) qui le bouleversa assez pour qu'une fois encore il revienne à Charleville. Si l'on tente de dégager des textes qu'il a déjà composés sa poétique d'alors, on s'aperçoit de quelques ébranlements (de nouveaux mots conquièrent un droit de cité poétique, des images inattendues surviennent) ; on note une prédilection marquée pour tous les thèmes de la dérision, de la destruction, de la haine, mais on est frappé par le caractère consciencieux et scolaire de cette poésie qui ne s'interroge nullement sur ses fonctions ni sur son fonctionnement, qui use de la langue telle quelle, et qui ne conteste pas même (ce qui est plus facile, puisque plus extérieur) les médias poéti ques (il y a des « Maîtres » et ce sont les poètes qui ont été sacrés ; il y a des lieux où la poésie se publie et ce sont les revues ; bref il y a des rites). Rien de plus normal : Rimbaud a 16 ans ; il commence, comme tous les écrivains, par le pastiche. Il faut qu'il s'agisse de lui pour qu'on s'en étonne. Tel est le pouvoir des mythes.

 

L'interrogation sur la poésie ne verra pas le jour dans un texte poétique mais dans une lettre, celle du 15 mai 1871, connue sous le nom de « Lettre du voyant », et qu'il n'est du reste pas juste de présenter comme le coup de tonnerre dans le ciel toujours serein puisqu'elle avait été précédée deux jours avant d'une lettre à Izambard, où Rimbaud mettait violemment en cause ceux qui se laissent entretenir au « râtelier universitaire », ceux qui n'enseignent rien, ceux qui sacrifient à la « poésie subjective ». Cette poésie subjective, c'est d'abord sans doute celle qui, sentimentale et lyrique, enferme l'homme dans sa nature conventionnelle ; mais c'est surtout celle qui est soumise à la domination d'une classe, d'un Dieu, d'un sujet : ainsi peut se comprendre la provocatrice réécriture du cogito qui suit. S'il est faux de dire : « Je pense. On devrait dire : On me pense », c'est que le poète n'est pas le producteur mais le produit de sa production, ce que prouve son absence de liberté dans le résultat obtenu : « Car je est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. » Le fameux « Je est un autre » fournit, selon Benveniste, l'expression typique de ce qui est proprement l'« aliénation » mentale, où le moi est dépossédé de son identité constitutive ; il constitue aussi l'acte de naissance de la poésie moderne : l'œuvre comprend le producteur qui s'y trouve annulé en tant que sujet responsable. Est poète, depuis Rimbaud, comme le dit à peu près J.-L. Baudry, celui qui s'est reconnu baigné dans l'océan textuel (« Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème / De la Mer, infusé d'astres, et lactescent, » le Bateau ivre}. Tout le devenir de la poésie a prouvé la justesse du commentaire dont Rimbaud assortissait sa lettre : « Ça ne veut pas rien dire... »

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