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Ruy Blas, III, 2

Publié le 27/03/2015

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Le peuple, éternelle victime ? Le ton de Ruy Blas devient lyrique pour évoquer le peuple, comme en témoigne la reprise «le peuple« (v. 1092), «le peuple misérable« (y. 1095). L'apparition du mot « peuple « est immé­diatement suivie de la première occurrence du « je « : «j'en ai fait le compte «, l'ancien valet Ruy Blas tenant à s'associer au moins syntaxique-ment à cette entité un peu floue qu'il rappelle aux ministres cupides. 

Ruy Blas, dissimulé au fond de la salle de gouvernement, a écouté les ministres réunis qui se partagent avec avidité les richesses du royaume espagnol. Il intervient brusquement. (Voir résumé de la pièce, p. 125).

RUY BLAS, survenant.

1042 Bon appétit, messieurs!

Tous se retournent. Silence de surprise et d'inquiétude. Ruy Blas se couvre, croise les

bras, et poursuit en les regardant en face.

Ô ministres intègres!

Conseillers vertueux ! voilà votre façon

De servir, serviteurs qui pillez la maison !

1045 Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,

L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !

Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts

Que remplir votre poche et vous enfuir après!

Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,

1050 Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe!

— Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.

L'Espagne et sa vertu, l'Espagne et sa grandeur,

Tout s'en va. — Nous avons, depuis Philippe Quatre,

Perdu le Portugal, le Brésil, sans combattre ;

1055 En Alsace Brisach, Steinfort en Luxembourg;

Et toute la Comté jusqu'au dernier faubourg;

Le Roussillon, Ormuz, Goa, cinq mille lieues

De côte, et Fernambouc, et les Montagnes Bleues!

Mais voyez. — Du ponant jusques à l'orient,

1060 L'Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.

Comme si votre roi n'était plus qu'un fantôme,

La Hollande et l'Anglais partagent ce royaume;

Rome vous trompe; il faut ne risquer qu'à demi

Une armée en Piémont, quoique pays ami;

1065 La Savoie et son duc sont pleins de précipices.

La France pour vous prendre attend des jours propices.

L'Autriche aussi vous guette. Et l'infant bavarois

Se meurt, vous le savez. — Quant à vos vice-rois,

Médina, fou d'amour, emplit Naples d'esclandres,

1070 Vaudémont vend Milan, Legafiez perd les Flandres.

Quel remède à cela? — L'état est indigent,

L'état est épuisé de troupes et d'argent;

Nous avons sur la mer, où Dieu met ses colères,

Perdu trois cents vaisseaux, sans compter les galères.

1075 Et vous osez !... — Messieurs, en vingt ans, songez-y,

 

Le peuple, — j'en ai fait le compte, et c'est ainsi! —

Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,

Pour vous, pour vos plaisirs, — pour vos filles de joie,

Le peuple misérable, et qu'on pressure encor,

1080 A sué quatre cent trente millions d'or!

Et ce n'est pas assez ! et vous voulez, mes maîtres!...

Ah! j'ai honte pour vous! — Au dedans, routiers, reîtres,

Vont battant le pays et brûlant la moisson.

L'escopette est braquée au coin de tout buisson.

1085 Comme si c'était peu de la guerre des princes,

Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces,

Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,

Morsures d'affamés sur un vaisseau perdu!

Notre église en ruine est pleine de couleuvres;

1090 L'herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d'oeuvres.

Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.

L'Espagne est un égout où vient l'impureté

De toute nation. — Tout seigneur à ses gages

A cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.

1095 Génois, sardes, flamands. Babel est dans Madrid.

L'alguazil, dur au pauvre, au riche s'attendrit.

La nuit on assassine, et chacun crie: À l'aide !

— Hier on m'a volé, moi, près du pont de Tolède! —

La moitié de Madrid pillé l'autre moitié.

1100 Tous les juges vendus. Pas un soldat payé.

Anciens vainqueurs du monde, Espagnols que nous sommes.

Quelle armée avons-nous? À peine six mille hommes,

Qui vont pieds nus. Des gueux, des juifs, des montagnards,

S'habillant d'une loque et s'armant de poignards.

1105 Aussi d'un régiment toute bande se double.

Sitôt que la nuit tombe, il est une heure trouble

Où le soldat douteux se transforme en larron.

Matalobos a plus de troupes qu'un baron.

Un voleur fait chez lui la guerre au roi d'Espagne.

1110 Hélas! les paysans qui sont dans la campagne

Insultent en passant la voiture du roi.

Et lui, votre seigneur, plein de deuil et d'effroi,

Seul, dans l'Escurial, avec les morts qu'il foule,

Courbe son front pensif sur qui l'empire croule !

1115 - Voilà! - L'Europe, hélas! écrase du talon

Ce pays qui fut pourpre et n'est plus que haillon.

L'état s'est ruiné dans ce siècle funeste,

Et vous vous disputez à qui prendra le reste !

Ce grand, peuple espagnol. aux membres énervés,

1120 Qui s'est couché dans l'ombre et sur qui vous vivez,

Expire dans cet antre où son sort se termine,

Triste comme un lion mangé par la vermine !

— Charles-Quint, dans ces temps d'opprobre et de terreur,

 

Que fais-tu dans ta tombe, ô puissant empereur?

1125 Oh! lève-toi ! viens voir! — Les bons font place aux pires.

Ce royaume effrayant, fait d'un amas d'empires,

Penche... Il nous faut ton bras! au secours, Charles-Quint!

Car l'Espagne se meurt, car l'Espagne s'éteint!

Ton globe, qui brillait dans ta droite profonde,

1130 Soleil éblouissant qui faisait croire au monde

Que le jour désormais se levait à Madrid,

Maintenant, astre mort, dans l'ombre s'amoindrit,

Lune aux trois quarts rongée et qui décroît encore,

Et que d'un autre peuple enlacer l'aurore!

1135 Hélas! ton héritage est en proie aux vendeurs.

Tes rayons, ils en font des piastres! Tes splendeurs,

On les souille! — Ô géant! se peut-il que tu dormes? —

On vend ton sceptre au poids! un tas de nains difformes

Se taillent des pourpoints dans ton manteau de roi;

1140 Et l'aigle impérial, qui, jadis, sous ta loi,

Couvrait le monde entier de tonnerre et de flamme,

 

Cuit, pauvre oiseau plumé, dans leur marmite infâme!

« Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie, Pour vous, pour vos plaisirs, - pour vos filles de joie, Le peuple misérable, et qu'on pressure encor, 1080 A sué quatre cent trente millions d'or! Et ce n'est pas assez! et vous voulez, mes maîtres! ...

Ah! j'ai honte pour vous! -Au dedans, routiers, reîtres, Vont battant le pays et brûlant la moisson.

L'escopette est braquée au coin de tout buisson.

1085 Comme si c'était peu de la guerre des princes, Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces, Tous voulant dévorer leur voisin éperdu, Morsures d'affamés sur un vaisseau perdu! Notre église en ruine est pleine de couleuvres; 1090 L'herbe y croît.

Quant aux grands, des aïeux, mais pas d'œuvres.

Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.

L'Espagne est un égout où vient l'impureté De toute nation.

-Tout seigneur à ses gages A cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.

1095 Génois, sardes, flamands.

Babel est dans Madrid.

L'alguazil, dur au pauvre, au riche s'attendrit.

La nuit on assassine, et chacun crie: À l'aide! -Hier on m'a volé, moi, près du pont de Tolède! - La moitié de Madrid pillé l'autre moitié.

1100 Tous les juges vendus.

Pas un soldat payé.

Anciens vainqueurs du monde, Espagnols que nous sommes.

Quelle armée avons-nous? À peine six mille hommes, Qui vont pieds nus.

Des gueux, des juifs, des montagnards, S'habillant d'une loque et s'armant de poignards.

1105 Aussi d'un régiment toute bande se double.

Sitôt que la nuit tombe, il est une heure trouble Où le soldat douteux se transforme en larron.

Matalobos a plus de troupes qu'un baron.

Un voleur fait chez lui la guerre au roi d'Espagne.

1110 Hélas! les paysans qui sont dans la campagne Insultent en passant la voiture du roi.

Et lui, votre seigneur, plein de deuil et d'effroi, Seul, dans l'Escurial, avec les morts qu'il foule, Courbe son front pensif sur qui l'empire croule! ll15 -Voilà! - L'Europe, hélas! écrase du talon Ce pays qui fut pourpre et n'est plus que haillon.

L'état s'est ruiné dans ce siècle funeste, Et vous vous disputez à qui prendra le reste! Ce grand, peuple espagnol.

aux membres énervés, 1120 Qui s'est couché dans l'ombre et sur qui vous vivez, Expire dans cet antre où son sort se termine, Triste comme un lion mangé par la vermine ! -Charles-Quint, dans ces temps d'opprobre et de terreur, 152. »

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