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SAINT-EXUPÉRY: J'ai atterri dans la douceur du soir...

Publié le 16/02/2011

Extrait du document

Punta Arenas! Je m'adosse contre une fontaine et regarde les jeunes filles. A deux pas de leur grâce, je sens mieux encore le mystère humain. Dans un monde où la vie rejoint si bien la vie, où les fleurs dans le lit même du vent se mêlent aux fleurs, où le cygne connaît tous les cygnes, les hommes seuls bâtissent leur solitude. Quel espace réserve entre eux leur part spirituelle? Un songe de jeune fille l'isole de moi, comment l'y joindre? Que connaître d'une jeune fille qui rentre chez elle à pas lents, les yeux baissés et se souriant à elle-même, et déjà pleine d'inventions et de mensonges adorables?... Punta Arenas ! Je m'adosse contre une fontaine. Des vieilles femmes viennent y puiser; de leur drame je ne connaîtrai que ce mouvement de servantes. Un enfant, la nuque au mur, pleure en silence; il ne subsistera de lui, dans mon souvenir, qu'un bel enfant à jamais inconsolable. Je suis un étranger. Je ne sais rien. Je n'entre pas dans leurs Empires.

Texte court, brève méditation, à l'occasion d'une escale et d'un spectacle familier qui s'offre, alors que l'esprit peut se reposer de la tension habituelle à laquelle le soumet la profession.  Allusions plutôt que développements : l'esprit court, bien au-delà de ce qu'expriment les mots, vers le rêve qui prolonge la vision (ce que pensent les jeunes filles, ce qui préoccupe les vieilles femmes...), vers la signification profonde de ces comportements humains dont on ne saisit que les apparences...  Ce qui frappe pourtant d'emblée le lecteur, c'est le désir constant de Saint-Exupéry de percer le mystère humain (expression essentielle de toute la page), son effort attentif pour comprendre son prochain, deviner sa pensée, appréhender son esprit : cette préoccupation fondamentale place parfaitement la page dans la philosophie générale de l'écrivain et traduit son intime désir de véritable connaissance, sa charité aussi qui le pousse ainsi vers les autres, ses semblables.

« IV.

- EXPLICATION a) C'est la liberté et le hasard de l'escale qui invitent Saint-Exupéry au repos et à la rêverie à la fois.

Sans doutedispose-t-il de trop peu de temps pour s'attacher à une occupation quelconque : en tout cas, il se contented'examiner autour de lui.Son attitude est celle du répit, de la détente physique : je m'adosse.

Mais l'observateur a bien choisi l'endroitpittoresque pour flâner : la fontaine, lieu de prédilection, dans les pays chauds, où l'on flâne, où l'on bavarde.

Lehasard le comble en lui envoyant tout de suite une vision de beauté et de grâce : les jeunes filles.Pourtant, l'auteur ne se contente pas d'une passivité alanguie et séduite : si, physiquement, il se repose, son espritmédite : je sens mieux encore...

L'idée dominante de ce premier paragraphe, c'est l'opposition entre le monde etl'homme : celui-ci semble vouloir une existence à part; il se distingue des plantes, des animaux qui, eux, suivent leslois de la nature : la vie rejoint la vie...

les hommes seuls bâtissent leur solitude...Cette opposition qui isole l'homme est traduite et renforcée par la construction même de la phrase en deux partiesqui se heurtent : trois expressions parallèles évoquent le monde en général : la vie rejoint la vie, les fleurs se mêlentaux fleurs, le cygne connaît tous les cygnes ; la dernière situe les hommes par contraste total : les hommes seulsbâtissent leur solitude.

Le déséquilibre du rythme est encore accentué par la répétition de seuls et solitude et par laplace de ce dernier mot (solitude) qui est le plus important, en fin de phrase et de paragraphe.Cette première partie se termine donc par le mot qui traduit son idée générale et qui introduit en même temps lethème d'ensemble qui sera exprimé à la fin. b) Il y a d'abord un effort pour concrétiser cette solitude : le mot espace appelle une sorte de vision physique del'isolement de l'homme dans le monde; il apporte une idée de discontinuité qui s'oppose à celle de l'union et del'harmonie qui règnent dans le monde végétal et animal (la vie rejoint la vie).

Le vocabulaire ajoute les nuances desens et montre que l'idée se poursuit dans l'esprit de l'auteur : un songe l'isole de moi, comment l'y joindre? Le toninterrogatif répété (quel espace? comment l'y joindre? que connaître?) traduit le doute, l'impuissance et déjà ladéfaite de l'auteur dans son effort de compréhension et de communion.Pourtant nous relevons beaucoup de complaisance, d'intérêt, de passion même dans la description extérieure de lajeune fille : le plaisir de l'auteur est certain et sincère quand il décrit l'attitude (rentre chez elle à pas lents), lasilhouette (les yeux baissés) de la jeune fille dont il semble s'efforcer de retrouver la rêverie par un effort decommunion avec elle-même : pleine d'inventions et de mensonges adorables.

La supposition révèle uneconnaissance de l'âme juvénile qui atteste de la sincérité du désir de comprendre et de sympathiser et qui rendd'autant plus amère la déception de l'échec.

Les points de suspension nous entraînent vers l'évocation pluscomplète de l'univers de la jeune fille, en fonction de nos propres souvenirs, et contribuent à traduire cet effortconstant de communion qui ne peut aboutir... c) Le deuxième tableau est présenté par la même expression reprise du début.

L'attitude se fige, comme pour mieuxfaciliter l'attention de l'observateur : je m'adosse..., comme si, aussi, la lenteur mesurée des gestes et des pas desvieilles femmes requérait un surcroît de concentration.Très vite, cette fois, l'auteur semble se décourager : malgré son effort et sa curiosité, il ne réussit à percer aucunmystère.

Seule la silhouette des vieilles femmes est visible (ce mouvement) : que traduit-elle? la fatigue,l'expérience, la réserve? Leur calme est déconcertant et muet.

L'enfant, lui, est aussi impénétrable dans sa douleurinconsolable.

Et ces deux derniers exemples entraînent Saint-Exupéry sur la voie de sa conclusion : seul, l'extérieurfrappe; l'apparence seule est visible.

Mais dès qu'on cherche le fond des pensées des hommes, tout échappe :l'homme reste prisonnier de lui-même et étranger à son semblable. Sans doute la sensibilité de chacun peut-elle construire des interprétations : chagrin de l'enfant, amertume oudécouragement des vieilles femmes, espoirs enchantés des jeunes filles...

mais jamais aucune certitude ne peut êtreatteinte quant à la connaissance de ce qui habite le fond de l'âme de nos semblables.Aussi, le texte retrouve-t-il, pour finir, le mot du début (solitude) pour exprimer plus clairement, au-delà des deuxtableaux décrits, l'idée fondamentale de cette page : Je suis un étranger.

Je ne sais rien.

Je n'entre pas dans leursEmpires.Le véritable drame est que l'auteur devine, suppose, la vie difficile, le découragement ou l'espoir passager de cesêtres qu'il côtoie sans parvenir à aucune certitude de ces sentiments qu'il leur prête avec raison, mais gratuitement.Cela lui donne le sentiment de l'isolement de chacun par rapport aux autres et du divorce entre la vie intime et lecomportement extérieur des êtres humains.Les trois dernières phrases, synonymes, répètent, en claquant sec — aucun doute n'est plus permis — le thème dela page.

Leur affirmation frappe par le ton de forte conviction mêlé de tristesse.

Elles contrastent tout à fait, parleur rigueur, avec l'amabilité du rythme du premier paragraphe qui évoquait complaisamment la vie animale etvégétale.

Dans les trois phrases, le mot important est le dernier : étranger, rien, leurs Empires.

Le pluriel ici estd'autant plus important qu'il évoque la diversité des sensibilités et des préoccupations de chaque être; le mot et samajuscule grossissent le sens de ces préoccupations. CONCLUSIONComme souvent chez Saint-Exupéry, la page manque sans doute de densité.

Il est difficile de parler de vraiephilosophie et il ne peut être question de faire un sort à chaque mot.. »

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