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SARRAUTE Nathalie

Publié le 13/10/2018

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SARRAUTE Nathalie. Universellement reconnue comme l’un des piliers du Nouveau Roman. Nathalie Sarraute occupe, au sein de ce mouvement, une position bien particulière. Pionnière d’une « école » dont, en 1939, ses premiers textes ouvraient déjà les portes [voir Nouveau roman], elle s’est, d’emblée, attaquée à un domaine qui, depuis près d’un demi-siècle, inlassablement exploré en marge des évolutions qu’a pu connaître l’histoire du groupe, s’impose comme le sien propre : l’exploration des « tropismes », ces vibrations imperceptibles, ces glissements insoupçonnés qui modifient les rapports entre les êtres et affleurent sous le discours, le geste les plus banals, bouleversant l’équilibre psychologique et dramatique du roman traditionnel.

 

Entre la vie et les mots...

 

Nathalie Sarraute, née à Ivanovo-Voznessensk, est issue d’un milieu d’intellectuels russes. Très tôt, la séparation de ses parents et de fréquents va-et-vient entre la France et la Russie vont amener l’enfant à pratiquer les deux littératures (cf. Enfance, 1983). A Paris, à Oxford et à Berlin, elle étudie les lettres, l’anglais, l’histoire, la sociologie. De retour à Paris, elle opte pour le droit et épouse un condisciple, Raymond Sarraute, dont elle aura trois filles. Avocats, les jeunes gens s’inscrivent au barreau, mais l’art et la littérature les passionnent également, et c’est sur les conseils de son mari que Nathalie Sarraute revient à ses premières inclinations : les dix-huit textes écrits entre 1932 et 1937 et publiés en 1939 sous le titre de Tropismes passent à peu près inaperçus; ils contiennent pourtant en germe l’essentiel de l’œuvre.

 

Ce n’est qu’après la guerre, au sortir d’une difficile période de camouflage et de silence forcé, qu’un premier chef-d’œuvre : Portrait d'un inconnu, peut voir le jour, cautionné par une préface de Sartre (1948). Le succès n’en est pas acquis pour autant. En 1953, un deuxième roman, Martereau, recueille les seuls suffrages de quelques initiés; tout aussi discrets ont paru dans différentes

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« revues des articles, ceux-là mêmes qui, rassemblés en 1956 sous le titre l'Ère du soupçon, vont être considérés comme le premier manifeste du « nouveau roman» ...

De fait, autour des années 55, se sont peu à peu recon­ nus puis regroupés ces romanciers de la dissidence, Beckett, Butor, Pinget, Robbe-Grillet, Simon : un nou­ veau climat d'effervescence littéraire qui permet en 1959 au Planétarium de consacrer son auteur comme l'un des écrivains les plus originaux de l'époque.

En 1963, les Fruits d'or obtiennent le prix international de Littéra­ ture.

Les titres se succèdent : pièces de théâtre (à l'au­ dience plus restreinte: le Silence et le Mensonge, 1967; lsma, 1970; C'est beau, 1973; Elle est là, publié avec d'autres pièces dans Théâtre, 1978; Pour un oui ou pour un non, 1982), essais (Paul Valéry et l'enfant d'éléphant, 1986; Flaubert le précurseur, 1986) et surtout romans, qui circulent dans le monde traduits en vingt-deux lan­ gues et tirés à plus d'un million d'exemplaires : Entre la vie et la mort (1968), Vous les entendez? (1972), Disent les imbéciles (1976); Tu ne t'aimes pas (1989).

L'Usage de la parole (1980) pourrait illustrer le rôle essentiel que la romancière attribue aux mots : traquer « cette parcelle de réalité encore inconnue » qui constitue, selon elle, le fondement du psychisme humain; parallèlement, dénon­ cer l'inadéquate grossièreté du langage « installé» pour «capter» l'ondoiement de cette réalité complexe et «marécageuse» ...

Conventions et soupçons : le personnage Que, par postulat, tout roman mette en jeu des person­ nages devrait inciter tout romancier à une préalable remise en cause.

Faute de quoi s'installent chez le lecteur doute, lassitude- pour tout dire :le« soupçon».

Car le héros traditionnel, celui, « si richement pourvu », des fictions balzaciennes, ou ces figures de «musée », telle­ ment plus « vivantes que les gens vivants eux-mêmes », ces «blocs solides et durs» (Portrait d'un inconnu) dont Tolstoï étaie ses romans, n'ont plus pour le lecteur, déci­ détpent, que «la plate apparence du trompe-l'œil» (l'Ere du soupçon).

C'est qu'il a, ce lecteur, «trop appris » ...

«Il a connu Joyce, Proust et Freud; le ruissel­ lement, que rien au-dehors ne permet de déceler, du monologue intérieur, le foisonnement infini de la vie psychologique et les vastes régions encore à peine défri­ chées de l'inconscient.

Il a vu tomber les cloisons étan­ ches qui séparaient les personnages, et le héros de roman devenir une limitation arbitraire, un découpage conven­ tionnel pratiqué sur la trame commune que chacun contient tout entière [ ...

] il a vu nos actes perdre leurs mobiles courants et leurs significations admises, des sen­ timents inconnus apparaître et les mieux connus changer d'aspect et de nom» (ibid.).

«Contours purs et fermes», «masques rassurants» (Portrait d'un inconnu), la tendue « psychologie » héritée du xrxe siècle qui plaque sur des comportements inventés les grandes étiquettes classificatrices d'amour, d'ambition, d'avarice, de lâcheté, etc., est impuissante à déceler la pulsation secrète, les mouvements fugitifs d'approche et de fuite par lesquels s'appellent et se repoussent, au plus profond d'elles-mêmes, les « masses informes et flageolantes » qui constituent nos sensibilités.

C'est, en revanche, dans les héros tourmentés, contor­ sionnés des plus grandes pages dostoïevskiennes, comme l'« éternel mari», comme le vieux Karamazov virevol­ tant de pitrerie en mortification, que Nathalie Sarraute saisit l'ébauche de ces «mouvements sous-jacents » encore inexplorés, « contradictoires, évanescents », qu'elle considère comme autant de drames, plus subtils peut-être, mais non moins passionnants que les « grosses actions de premier plan» d'un roman de Dos Passos, par exemple, ou d'un film (l'Ère du soupçon, «De Dos­ toïevski à Kafka»).

En effet : que lire derrière « ces interrogations pas­ sionnées et ces réponses, [ ...

] ces approches, ces reculs feints, ces fuites et ces poursuites, ces agaceries et ces frottements, ces chocs, ces caresses, ces morsures, ces étreintes ...

» (ibid.), sinon cette permanente nécessité du contact entre les êtres, ces liens qui se tissent, ventouses molles, tentacules avides ou fils soyeux d'araignées, bar­ rières et ruptures, corps à corps acharnés et douloureux arrachements ...

? Vous? Moi?...

ça n'existe pas ...

Dans ce mouvement et cette mêlée, que devient désor­ mais le personnage, dépouillé de ces couleurs nettes, de ce « prétendu caractère qui n'appartenait qu'à lui » et le dressait, inexpugnable, un «type humain» si réussi? «Un simple support de hasard ...

, un portrait de [ces] états indéfinis que nous retrouvons, dit l'auteur, aussi bien en nous-mêmes» (ibid.).

Des «ils», des «elles», épars et débordants, sous le rassurant vernis des lieux communs; dont le plus commun, assurément, restait l'usage du nom.

Cet anonymat, ces pluriels sont constants dans Tropismes; dans Portrait d'un inconnu, le narrateur pense un instant à « leur donner au moins un nom, d'abord, pour les identifier ...

Mais non, je ne peux pas; il est inutile de tricher ...

».

D'un « couple char­ mant», les Guimier, naît comme une gêne ...

«Oui, c'est bien cela, il fallait s'en douter.

Ce sont des effigies.

Ce ne sont pas les vrais Guimier » (le Planétarium).

Changement de perspective : ce n'est plus dans l'homme dans ces «endroits obscurs de la psycholo­ gie» dont Nathalie Sarraute dénonce ironiquement l'illu­ sion -, mais entre les hommes, là où s'agite «cette substance fluide qui circule chez tous, passe des uns aux autres, franchissant des frontières arbitrairement tra­ cées» que le langage introduit sa recherche (cf.

Interven­ tion au colloque de Cerisy, dans Nouveau Roman, hier, aujourd'hui, 1972).

Si constante, en effet, est l'interac­ tion du moi sur le toi, du social sur l'individuel, que les «personnages» ne sauraient exister l'un sans l'autre.

La « mère attentionnée» d'un jeune couple surprend entre ses enfants un regard complice, et c'est soudain un autre rôle qui se joue à travers elle : rire faux, voix glacée, agressive, qu'elle-même a peine à reconnaître (cf.

le Pla­ nétarium).

Au contact d'autrui, d'étranges mutations se produi­ sent : sur le visage obstiné de sa fille, le vieux, dans Portrait d'un inconnu, contemple « sa propre image gro­ tesque.

Sa caricature ...

», « son produit immonde ».

«La parasite.

La sangsue.

Collée à lui, sans s'arracher à lui un seul instant, elle n'a cessé d'aspirer avec avidité tout ce qui sortait de lui ...

».

Mais aussi des grimaces, des frétillements honteux ...

«Moi? Mais "moi" ça n'existe pas, je viens de vous le dire ...

Il n'y a pas de moi ici, pas de vous [ ...

] oui, vous.comprenez, il n'y a pas moyen de coïncider avec ça, avec ce que vous avez construit ...

» (Disent les imbéciles).. »

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