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Spleen de BAUDELAIRE (Commentaire complet)

Publié le 17/01/2022

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baudelaire

LXXVIII - Spleen  

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;  

Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris;  

Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,  

Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement.  

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

 

Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire

 

Ce poème figure dans la première édition des Fleurs- du Mal, celle de 1857. Il est la soixante-deuxième pièce du recueil et se trouve bien sûr dans la première partie du livre, celle qui est intitulée « Spleen et Idéal «. On le retrouve (pièce 78) dans l'édition de 1861 et (pièce 80) dans celle de 1868.

Il est précédé de trois autres « Spleen « :

  • pièce 75 « Spleen « : « Pluviôse, irrité contre la ville entière.«

  • pièce 76 : « Spleen « : «J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.«

  • pièce 77 : « Spleen « : «Je suis comme le roi d'un pays pluvieux.«

Il est donc le dernier des quatre « Spleen« qui figurent dans les Fleurs du Mal. Les Petits poèmes en prose sont aussi appelés Le Spleen de Paris, mais cet ouvrage ne contient pas de poèmes intitulés « Spleen «.

Dans une étude de ce texte, il est évidemment possible de faire un rapprochement avec les trois autres « Spleen « qui le précèdent. Ce rapprochement devra cependant être rapide, l'essentiel étant comme toujours l'étude du texte lui-même.

 

baudelaire

« Dans le texte de 1857, Baudelaire, — met une virgule après « timide» (vers 7); écrit «d'horribles araignées» (vers I 1 ); écrit d'abord (sur épreuves) : « Et poussent vers le ciel un long gémissement» (on voit bien l'effet d'une plus grande âpreté introduit par l'allitération en -r de « un affreux hurlement» à la place de « un long gémissement »); écrit ainsi le début de la dernière strophe : — Et d'anciens corbillards, sans tambours ni musique Défilent lentement dans mon âme; et l'EspoirPleurant comme un vaincu, l'Angoisse despotique Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

» Sur les épreuves de cette première version, on lit «— Et de grands corbillards...» Baudelaire, toujours sur les épreuves, met une virgule entre «et» et «l'Espoir» en demandant à son éditeur ce qu'il en pense.

On note à cette occasion le souci du détail de Baudelaire. Notre étude suivie, lorsqu'elle s'arrêtera sur cette dernière strophe, montrera comment l'étude des variantespeut être intégrée au commentaire. QU'EST-CE QUE LE SPLEEN ? «Spleen» est un mot anglais apparu dans notre langue au XVIIIe siècle, et qui s'est répandu dans les textes littéraires au début du me.

Il a alors le sens général que lui donne le Petit Robert : «Mélancolie passagère, sans cau.se apparente, caractérisée par le dégoût de toute chose.» Mais sous la plume de Baudelaire, le spleen prend une tout autre résonance.

Par son importance, d'abord : sept ouhuit poèmes lui sont consacrés, dont quatre portent le même titre « Spleen » (les pièces 75-76-77-78).

Par saplace surtout : le spleen est chanté à la fin de la première partie des Fleurs du Mal («Spleen et Idéal »), comme s'il en était l'aboutissement.

Baudelaire le décrit dès lors, non pas seulement comme l'opposé même de l'idéal, maiscomme une composante essentielle de son « mal de vivre », à laquelle il ne peut échapper. L'objet du commentaire sera donc de montrer toute l'originalité du spleen baudelairien : non pas un simple ennuipassager ou une douce mélancolie, mais la nausée physique et morale, l'angoisse atroce, l'enfer de la conditionterrestre par opposition aux aspirations célestes de l'idéal.

On comprendra alors comment un poète, en se saisissantd'un mot commun, lui donne toute sa force, sa dimension nouvelle et définitive : le mot «spleen », enrichi de toutes les connotations que lui confère sa présence dans Les Fleurs du Mal, ne peut plus avoir le même sens après Baudelaire qu'avant lui. MOUVEMENT DU TEXTE ET SIGNIFICATION DE SA STRUCTURE Ce poème raconte une défaite acceptée.

Deux phrases seulement le composent ; la première, surtout, qui s'étendsur quatre strophes, nous surprend.

Par cette structure étudiée, Baudelaire peint l'ampleur de la crise qui l'ébranle,avant d'évoquer son abdication devant le mal.

Le mouvement du texte, qui mime le progrès du mal, est donc clair : Les trois premières strophes, martelées par une vigoureuse anaphore (elles ont le même début, la mêmesyntaxe : «Quand [..] Et que ; Quand [..] Quand [..] Et que»), sur un ton ascendant, décrivent l'oppression croissante du spleen. La quatrième strophe (où s'énonce enfin la proposition principale après la série des subordonnées) exprimel'ébranlement brutal engendré par cette oppression, sans qu'on sache s'il s'agit d'un sursaut volontaire contrele mal, ou d'une sorte de délire suprême, convulsif, avant l'abattement. La dernière strophe enregistre l'échec, la chute de l'espoir, dans une atmosphère funèbre : c'est la résignationdéfinitive, l'abandon (complaisant ?) à l'angoisse. Un poème est un tableau : avant de l'étudier en détail, il importe d'en percevoir à distance les grandes masses, leslignes de force.

Le mouvement que nous venons d'analyser n'est qu'un aspect du texte : l'autre ligne directrice estson intériorisation progressive.

Dès le début, on peut voir que la nature du spleen n'est pas seulement physique, liéeau spectacle extérieur : elle est aussi spirituelle, cérébrale.

Plus on avance dans le poème, plus on s'aperçoit que letableau de l'oppression, à partir d'éléments réalistes (le ciel/la terre/la pluie), se transforme en paysage intérieur (les araignées dans le cerveau, un cortège funèbre dans l'âme). Cette remarque doit nous rendre soucieux de ne pas réduire l'état d'âme de Baudelaire à de la simple tristesse,même infinie, devant un univers déprimant.

Il faut voir au-delà, dans le paysage extérieur, des éléments choisis parl'auteur pour imager sa douleur interne.

Ce n'est pas « le ciel bas et lourd» qui crée le désespoir, mais plutôt l'âme du poète qui trouve dans ce « ciel bas et lourd» la figure de son oppression intérieure, le symbole physique de son. »

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