Devoir de Philosophie

Sujet francais

Publié le 14/10/2015

Extrait du document

Sujet 1 Sujet national, juin 2014, série L Objet d?étude : Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours Corpus : Stendhal, Gustave Flaubert, Émile Zola, Marcel Proust › Texte 1 La Chartreuse de Parme raconte l?itinéraire d?un jeune aristocrate italien, Fabrice del Dongo. Victime d?une vengeance, le personnage est emprisonné dans la citadelle de Parme. Le gouverneur de cette forteresse est le général Fabio Conti, que Fabrice avait croisé avec sa fille Clélia sept années plus tôt. Fabrice vient de revoir la jeune fille. 5 10 15 20 Il courut aux fenêtres ; la vue qu?on avait de ces fenêtres grillées était sublime : un seul petit coin de l?horizon était caché, vers le nord-ouest, par le toit en galerie du joli palais du gouverneur, qui n?avait que deux étages ; le rez-de-chaussée était occupé par les bureaux de l?état-major ; et d?abord les yeux de Fabrice furent attirés vers une des fenêtres du second étage, où se trouvaient, dans de jolies cages, une grande quantité d?oiseaux de toute sorte. Fabrice s?amusait à les entendre chanter, et à les voir saluer les derniers rayons du crépuscule du soir, tandis que les geôliers 1 s?agitaient autour de lui. Cette fenêtre de la volière n?était pas à plus de vingt-cinq pieds de l?une des siennes, et se trouvait à cinq ou six pieds en contrebas, de façon qu?il plongeait sur les oiseaux. Il y avait lune ce jour-là, et au moment où Fabrice entrait dans sa prison, elle se levait majestueusement à l?horizon à droite, au-dessus de la chaîne des Alpes, vers Trévise. Il n?était que huit heures et demie du soir, et à l?autre extrémité de l?horizon, au couchant, un brillant crépuscule rouge orangé dessinait parfaitement les contours du mont Viso et des autres pics des Alpes qui remontent de Nice vers le Mont-Cenis et Turin ; sans songer autrement à son malheur, Fabrice fut ému et ravi par ce spectacle sublime. « C?est donc dans ce monde ravissant que vit Clélia Conti ! avec son âme pensive et sérieuse, elle doit jouir de cette vue plus qu?un autre ; on est ici comme dans des montagnes solitaires à cent lieues de Parme. » Ce ne fut qu?après avoir passé plus de deux heures à la fenêtre, admirant cet horizon qui parlait à son âme, et souvent aussi arrêtant sa vue sur le joli palais du gouverneur que Fabrice s?écria tout à coup : « Mais ceci est-il une prison ? est-ce là ce que j?ai tant redouté ? » Au lieu d?apercevoir à chaque pas des désagréments et des motifs d?aigreur, notre héros se laissait charmer par les douceurs de la prison. Stendhal, La Chartreuse de Parme, partie II, chapitre XVIII, extrait, 1839. 1. Geôliers : gardiens de la prison. 15 Sujet 1 Énoncé › Texte 2 Emma a épousé Charles Bovary, un officier de santé. Elle mène une vie plate et médiocre, bien différente du bonheur que lui faisaient imaginer ses lectures romanesques au couvent où elle a fait ses études. Elle sombre peu à peu dans l?ennui et la mélancolie. 5 10 15 20 Un soir que la fenêtre était ouverte, et que, assise au bord, elle venait de regarder Lestiboudois, le bedeau 2 , qui taillait le buis, elle entendit tout à coup sonner l?angélus 3 . On était au commencement d?avril, quand les primevères sont écloses ; un vent tiède se roule sur les plates-bandes labourées, et les jardins, comme des femmes, semblent faire leur toilette pour les fêtes de l?été. Par les barreaux de la tonnelle et au-delà tout alentour, on voyait la rivière dans la prairie, où elle dessinait sur l?herbe des sinuosités vagabondes. La vapeur du soir passait entre les peupliers sans feuilles, estompant leurs contours d?une teinte violette, plus pâle et plus transparente qu?une gaze subtile arrêtée sur leurs branchages. Au loin, des bestiaux marchaient ; on n?entendait ni leurs pas, ni leurs mugissements ; et la cloche, sonnant toujours, continuait dans les airs sa lamentation pacifique. À ce tintement répété, la pensée de la jeune femme s?égarait dans ses vieux souvenirs de jeunesse et de pension. Elle se rappela les grands chandeliers, qui dépassaient sur l?autel les vases pleins de fleurs et le tabernacle 4 à colonnettes. Elle aurait voulu, comme autrefois, être encore confondue dans la longue ligne des voiles blancs, que marquaient de noir çà et là les capuchons raides des bonnes s?urs inclinées sur leur prie-Dieu ; le dimanche, à la messe, quand elle relevait sa tête, elle apercevait le doux visage de la Vierge parmi les tourbillons bleuâtres de l?encens qui montait. Alors un attendrissement la saisit ; elle se sentit molle et tout abandonnée, comme un duvet d?oiseau qui tournoie dans la tempête ; et ce fut sans en avoir conscience qu?elle s?achemina vers l?église, disposée à n?importe quelle dévotion, pourvu qu?elle y absorbât son âme et que l?existence entière y disparût. Gustave Flaubert, Madame Bovary, partie II, chapitre VI, extrait, 1857. › Texte 3 Gervaise Macquart, une jeune provinciale, a suivi Lantier, son amant, à Paris. Vers cinq heures du matin, tandis que ses deux enfants dorment paisiblement, Gervaise, accoudée à la fenêtre de sa chambre d?hôtel, s?inquiète de l?absence de Lantier qui n?est pas rentré de la nuit. L?hôtel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle 5 , à gauche de la barrière Poissonnière. C?était une masure 6 de deux étages, peinte en rouge lie de vin jusqu?au second, avec des persiennes pourries par la pluie. Au-dessus d?une lanterne aux vitres étoilées, on parvenait à lire, entre les deux fenêtres : Hôtel Bonc?ur, tenu par Marsoullier, en grandes lettres jaunes, 2. Bedeau : employé d?une église préposé au service matériel. 3. Angélus : sonnerie de cloche qui annonce l?heure de la prière. 4. Tabernacle : petite armoire qui renferme les hosties. 5. La Chapelle : quartier misérable du Paris du XIXe siècle. 6. Masure : petite habitation délabrée. 16 Sujet 1 Énoncé 5 10 15 20 dont la moisissure du plâtre avait emporté des morceaux. Gervaise, que la lanterne gênait, se haussait, son mouchoir sur les lèvres. Elle regardait à droite, du côté du boulevard de Rochechouart, où des groupes de bouchers, devant les abattoirs, stationnaient en tabliers sanglants ; et le vent frais apportait une puanteur par moments, une odeur fauve de bêtes massacrées. Elle regardait à gauche, enfilant un long ruban d?avenue, s?arrêtant, presque en face d?elle, à la masse blanche de l?hôpital de Lariboisière, alors en construction. Lentement, d?un bout à l?autre de l?horizon, elle suivait le mur de l?octroi 7 , derrière lequel, la nuit, elle entendait parfois des cris d?assassinés ; et elle fouillait les angles écartés, les coins sombres, noirs d?humidité et d?ordure, avec la peur d?y découvrir le corps de Lantier, le ventre troué de coups de couteau. Quand elle levait les yeux, au-delà de cette muraille grise et interminable qui entourait la ville d?une bande de désert, elle apercevait une grande lueur, une poussière de soleil, pleine déjà du grondement matinal de Paris. Mais c?était toujours à la barrière Poissonnière qu?elle revenait, le cou tendu, s?étourdissant à voir couler, entre les deux pavillons trapus de l?octroi, le flot ininterrompu d?hommes, de bêtes, de charrettes, qui descendait des hauteurs de Montmartre et de la Chapelle. Il y avait là un piétinement de troupeau, une foule que de brusques arrêts étalaient en mares sur la chaussée, un défilé sans fin d?ouvriers allant au travail, leurs outils sur le dos, leur pain sous le bras ; et la cohue s?engouffrait dans Paris où elle se noyait, continuellement. Lorsque Gervaise, parmi tout ce monde, croyait reconnaître Lantier, elle se penchait davantage, au risque de tomber ; puis, elle appuyait plus fortement son mouchoir sur la bouche, comme pour renfoncer sa douleur. Émile Zola, L?Assommoir, chapitre I, extrait, 1876. › Texte 4 L?action se déroule en Normandie. Le narrateur prend le train pour aller visiter l?église de Balbec. 5 10 Les levers de soleil sont un accompagnement des longs voyages en chemin de fer, comme les ?ufs durs, les journaux illustrés, les jeux de cartes, les rivières où des barques s?évertuent sans avancer. À un moment où je dénombrais les pensées qui avaient rempli mon esprit, pendant les minutes précédentes, pour me rendre compte si je venais ou non de dormir (et où l?incertitude même qui me faisait me poser la question, était en train de me fournir une réponse affirmative), dans le carreau de la fenêtre, au-dessus d?un petit bois noir, je vis des nuages échancrés 8 dont le doux duvet était d?un rose fixé, mort, qui ne changera plus, comme celui qui teint les plumes de l?aile qui l?a assimilé ou le pastel sur lequel l?a déposé la fantaisie du peintre. Mais je sentais qu?au contraire cette couleur n?était ni inertie, ni caprice, mais nécessité et vie. Bientôt s?amoncelèrent derrière elle des réserves de lumière. Elle s?aviva, le ciel devint d?un incarnat 9 que je tâchais, en collant mes yeux à la vitre, de mieux voir car je le sentais en rapport avec l?existence profonde de la nature, mais la ligne du chemin de fer ayant changé de direction, le train tourna, la scène matinale fut remplacée dans le cadre de la 7. Octroi : lieu où est perçue une taxe. 8. Échancré : creusé. 9. Incarnat : rouge clair. 17 Sujet 1 Énoncé 15 20 fenêtre par un village nocturne aux toits bleus de clair de lune, avec un lavoir encrassé de la nacre opaline 10 de la nuit, sous un ciel encore semé de toutes ses étoiles, et je me désolais d?avoir perdu ma bande de ciel rose quand je l?aperçus de nouveau, mais rouge cette fois, dans la fenêtre d?en face qu?elle abandonna à un deuxième coude de la voie ferrée ; si bien que je passais mon temps à courir d?une fenêtre à l?autre pour rapprocher, pour rentoiler 11 les fragments intermittents et opposites de mon beau matin écarlate et versatile 12 et en avoir une vue totale et un tableau continu. Marcel Proust, À l?ombre des jeunes filles en fleurs, « Noms de pays : le pays », extrait, 1919. I. Question Dans quelle mesure le regard que les personnages de ces textes portent sur le monde révèle-t-il leur état d?âme ? „Comprendre la question Analyser les termes importants du sujet permet de bien comprendre la question posée. La référence au « regard » indique par exemple que les descriptions seront bien souvent subjectives et liées au point de vue interne. Le substantif « monde » est volontairement vague car les paysages décrits peuvent être différents selon les textes. Il pourra s?agir d?une citadelle, d?une aube ou encore d?un paysage urbain... Vous devrez donc, dans votre réponse, rendre compte de cette variété. Le verbe « révéler » montre enfin qu?il faut ici lier l?« état d?âme » du personnage au « monde ». Vous pourrez ainsi observer que les émotions entretiennent des liens forts avec les paysages contemplés. „Mobiliser ses connaissances Le point de vue interne permet d?être au plus près des émotions des personnages. Dans le texte de Stendhal, nous découvrons ainsi les pensées de Fabrice tandis que, dans le texte de Flaubert, nous plongeons dans les souvenirs d?Emma Bovary. Émile Zola, tout en accordant une grande importance à la description, nous permet aussi d?observer la rue du point de vue de Gervaise et de ressentir sa peur. Marcel Proust a, pour sa part, choisi un narrateur interne qui nous raconte lui-même cette expérience marquante. La valeur des temps est importante dans un récit au passé : ? l?imparfait est par exemple employé dans le cadre d?une description. Ce temps pourra aussi avoir une valeur itérative : il servira alors à évoquer des actions répétitives. Zola utilise parfois cette valeur pour montrer que l?angoisse de Gervaise est incessante ; 10. Opalin : qui est d?une teinte laiteuse et bleuâtre. 11. Rentoiler : remettre une toile neuve à la place de celle qui a été usée. 12. Versatile : sujet à de brusques revirements. 18 Sujet 1 Énoncé ? à l?inverse, le passé simple permet d?évoquer des actions soudaines et achevées. Flaubert s?en sert lorsqu?Emma Bovary se met à marcher, à la fin de l?extrait proposé dans le corpus. De même, Marcel Proust conjugue le verbe « voir » au passé simple afin de renforcer l?impression laissée par cette apparition dans l?esprit du narrateur. „Procéder par étapes Vous ne pouvez pas vous contenter de proposer une liste d?impressions ou de sentiments en séparant les textes. Au contraire, cherchez un plan permettant de créer des ponts entre ces extraits. De nombreux points communs peuvent ainsi être relevés. Analysez par exemple l?importance des sensations dans ces quatre textes. Soyez aussi sensibles aux émotions des personnages : certaines sont positives tandis que d?autres sont beaucoup plus désagréables, ce qui peut modifier la vision que nous avons du paysage. Vous pouvez par conséquent relever également certaines différences afin de bien mettre en lumière les spécificités de chaque extrait. II. Travaux d?écriture Vous traiterez ensuite, au choix, l?un des sujets suivants Commentaire de texte Vous commenterez l?extrait de La Chartreuse de Parme de Stendhal (texte 1). „Comprendre le texte Pour bien commenter ce texte, il vous faudra comprendre et expliquer un paradoxe intéressant. Parce qu?il découvre la prison, le personnage de Stendhal devrait, en théorie, être affecté ou abattu. Nous pourrions également attendre, de la part de l?auteur, une description réaliste de la cellule et des difficiles conditions de vie qui attendent ce jeune homme. Or, à l?inverse, Fabrice del Dongo semble apprécier cette expérience. Quelques repères littéraires, comme des références au réalisme ou au romantisme, pourront également se révéler utiles. Ces repères vous permettront d?analyser certaines caractéristiques importantes de cet extrait. Cependant, ces références devront être subtiles et nuancées pour être véritablement convaincantes. „Mobiliser ses connaissances Les mouvements littéraires nous offrent des repères précieux. Il arrive cependant que certains écrivains se trouvent au carrefour de ces mouvements. Stendhal est par exemple considéré comme l?un des précurseurs du mouvement réaliste. Il a notamment affirmé que le roman est « un miroir que l?on promène le long d?un chemin ». Ses personnages possèdent pourtant une sensibilité qui les rapproche des plus grands héros romantiques, comme l?illustre cet extrait de La Chartreuse de Parme. Il faut donc savoir manier les mouvements littéraires avec subtilité, comme nous le rappelle très justement Julien Gracq dans En lisant en écrivant : « En matière de critique littéraire, tous les mots qui commandent à des catégories sont des pièges. Il en faut, et il faut s?en servir, à condition de ne jamais prendre de simples outils-pour-saisir, outils précaires, outils de hasard, pour des subdivisions originelles de la création. [...] Les ?uvres d?art, il 19 Sujet 1 Énoncé est judicieux d?avoir l??il sur leurs fréquentations, mais de laisser quelque peu flotter leur état civil. » Les rythmes du récit sont souvent variés dans un roman. Le romancier peut par exemple choisir un rythme lent en privilégiant les ralentis ou les pauses. Mais il peut tout aussi bien préférer un rythme plus rapide. Grâce à l?ellipse, il passera parfois certains éléments du récit sous silence, parce qu?ils sont inutiles ou pour préserver une forme de suspense. Il pourra aussi résumer certaines actions à travers un sommaire. Dans ce texte, le rythme s?accélère brutalement lorsque Stendhal écrit : « Ce ne fut qu?après avoir passé plus de deux heures à la fenêtre [...] que Fabrice s?écria tout à coup... » Cette accélération, qui résume deux heures en quelques mots, se révèle intéressante. Elle permet à Stendhal de ne pas s?attarder sur certains détails tout en nous donnant l?impression que le personnage n?a pas plus vraiment conscience du temps qui passe. „Procéder par étapes Au brouillon, relevez les citations et les procédés les plus importants. Vous constaterez alors que tout nous ramène, dans ce texte, à Fabrice del Dongo. Vous remarquerez également un contraste entre l?enfermement du personnage et cette impression de liberté qui parcourt l?extrait. Utilisez cette idée pour formuler un projet de lecture précis. Pour organiser vos remarques dans un développement logique, vous pourrez montrer que le personnage n?est pas seulement tourné vers lui-même : il nous emmène aussi à la rencontre du monde qui l?entoure. Votre commentaire pourra suivre cette dynamique qui permet de passer du personnage au paysage. Enfin, évitez de résumer ou de paraphraser ce texte lorsque vous rédigerez votre devoir. Pensez à utiliser des outils littéraires comme les figures de style ou encore les points de vue pour proposer de véritables analyses. Dissertation Attendez-vous essentiellement d?un roman qu?il vous plonge dans les pensées d?un personnage ? Vous répondrez à cette question en vous fondant sur les textes du corpus ainsi que sur les textes et les ?uvres que vous avez lus et étudiés. „Comprendre le sujet Ce sujet interroge les attentes des lecteurs. Pour quelles raisons ces derniers passent-ils plusieurs heures à tourner les pages d?un roman ? Une première hypothèse est avancée. Le lecteur peut attendre que le roman le « plonge dans les pensées » de différents personnages. Le verbe « plonger » est intéressant : il sous-entend une véritable communion entre le personnage et le lecteur, à tel point qu?il est parfois possible de parler d?identification. Le terme « pensées » mérite aussi d?être analysé car il peut regrouper différents éléments comme les émotions, les sensations ou les souvenirs... L?adverbe « essentiellement » vous invite néanmoins à envisager d?autres attentes, qui pourront être plus ou moins importantes que celle qui est proposée par le sujet. 20 Sujet 1 Énoncé „Mobiliser ses connaissances Le point de vue externe peut surprendre le lecteur. En effet, ce dernier n?a pas accès aux émotions du personnage. Il reste alors à distance des souvenirs et des pensées. Le personnage n?existe plus que par son apparence, ses actes ou ses paroles. Jean-Patrick Manchette, auteur de polars mort en 1995, a par exemple marqué les esprits en refusant l?approche psychologique des meurtriers ou de leurs victimes. Il le prouve notamment au début de La Position du tireur couché, lorsqu?il décrit un tueur à gages : « L?homme ne cillait pas. Il était grand mais pas vraiment massif, avec un visage calme, des yeux bleus, des cheveux bruns qui lui recouvraient juste le bord supérieur de l?oreille. Il portait un caban, un chandail noir et un blue-jean, des fausses Clark?s aux pieds, et se tenait le buste droit, adossé à la portière droite de la cabine, les jambes sur la banquette, les semelles touchant la portière gauche. On lui aurait donné trente ans ou un peu plus. » Le nouveau roman a remis en question la toute-puissance du personnage. En refusant les personnages types et en déjouant sans cesse les attentes, les auteurs cherchent à brouiller les repères du lecteur. Certes, il s?agit parfois de plonger dans les pensées d?un personnage, mais c?est pour mieux se perdre dans un labyrinthe de mots. Dans La Route des Flandres de Claude Simon, nous découvrons par exemple un soldat pendant la débâcle de mai 1940. Loin de nous offrir un récit clairement balisé, le romancier nous emporte dans une conscience trouble et agitée. „Procéder par étapes Le plan dialectique semble ici particulièrement adapté puisqu?il permettra de développer l?idée donnée par le sujet en ajoutant certaines nuances. Votre réflexion sera ainsi plus riche et plus dynamique. Au brouillon, relevez tout d?abord des arguments permettant d?illustrer la thèse proposée par le sujet. Vous pourrez par la suite examiner d?autres attentes du lecteur. Avant de commencer à rédiger, vérifiez que vous avez suffisamment d?exemples pour mener à bien chaque sous-partie. En effet, un argument qui n?est pas illustré par une référence précise n?est guère convaincant. Écriture d?invention Posté à une fenêtre, vous observez un lieu de votre choix. En vous inspirant, par exemple, des procédés employés dans les textes du corpus, rédigez la description détaillée de ce paysage, de façon à ce qu?elle reflète vos états d?âme. „Comprendre le sujet Ce sujet accorde une grande place à l?imagination. En effet, il ne s?agit pas ici de continuer ou de réécrire un texte mais de décrire « un lieu de votre choix ». À l?instar des auteurs du corpus, il vous faudra lier ce paysage à des émotions ou des souvenirs. Vous devez donc, à votre tour, proposer un véritable paysage-état d?âme. Attention : le narrateur de votre récit sera nécessairement interne. Il faut également garder à l?esprit que l?écriture d?invention est un exercice littéraire. Le sujet vous invite ainsi à utiliser des « procédés » littéraires pour enrichir votre description. Pour cela, tirez profit des textes du corpus et de vos connaissances. 21 Sujet 1 Énoncé „Mobiliser ses connaissances La description nous donne à voir des lieux, des scènes ou des personnes. Dans de nombreux récits, elle a notamment pour tâche de faire croire à la réalité de l?histoire en lui faisant prendre place au milieu des choses et des noms connus. Elle crée alors des « effets de réel », pour reprendre une expression de Roland Barthes. Elle peut également avoir une fonction symbolique : elle crée du sens. Ainsi, pour traiter ce sujet, vous devrez associer la description d?un paysage à des émotions. Cette description ne sera pas neutre mais subjective. Le paysage-état d?âme est très fréquent en littérature ou en peinture. Les artistes romantiques lui ont notamment accordé un rôle important. Même si vous devez proposer une description insérée dans un récit, vous pouvez vous inspirer de poèmes ou de tableaux qui vous ont marqué. Lamartine représente par exemple, dans « L?automne », un paysage qui est intimement lié à la sensibilité de celui qui le contemple : Salut ! bois couronnés d?un reste de verdure ! Feuillages jaunissants sur les gazons épars ! Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature Convient à la douleur et plaît à mes regards ! Je suis d?un pas rêveur le sentier solitaire, J?aime à revoir encor, pour la dernière fois, Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière Perce à peine à mes pieds l?obscurité des bois ! „Procéder par étapes Commencez par choisir le « paysage » que vous allez décrire ainsi que les « états d?âme » qui lui seront associés. Au brouillon, organisez ensuite vos idées afin de proposer un texte construit, avec une véritable progression logique. Pensez par exemple, au début de votre devoir, à vous situer dans l?espace et dans le temps. Où se trouve celui qui va décrire ce paysage ? À quel moment de la journée ? Ne négligez pas ces détails qui rendront votre récit vraisemblable et qui donneront du sens à votre description. Avant la rédaction, relisez les textes du corpus pour identifier quelques « procédés » importants. Vous pourrez également utiliser d?autres outils littéraires s?ils s?avèrent pertinents. N?oubliez pas, enfin, de relire attentivement votre devoir afin d?éviter les incohérences et les fautes d?expression. 22 Sujet 1 Corrigé Question Le roman permet bien souvent de plonger dans les pensées d?un personnage. Ce dernier peut ainsi nous faire partager ses souvenirs ou ses états d?âme. Dans ces quatre extraits, les personnages imaginés par les romanciers semblent, sur ce point, particulièrement riches. Dans La Chartreuse de Parme de Stendhal, Fabrice del Dongo laisse son regard s?échapper par la fenêtre de sa cellule. Emma Bovary, dans le roman de Flaubert, se perd dans ses pensées en entendant sonner l?angélus. Dans L?Assommoir d?Émile Zola, Gervaise observe attentivement une rue en attendant Lantier. Enfin, dans À l?ombre des jeunes filles en fleurs, le narrateur contemple un paysage durant un voyage en train. Mais dans quelle mesure le regard que les personnages portent sur le monde révèle-t-il leur état d?âme ? Pour répondre à cette question, nous montrerons tout d?abord que ces descriptions sont essentiellement subjectives. Nous analyserons ensuite la variété des émotions et des paysages, avant de noter que ces regards trahissent souvent une forme d?agitation. Dans ces textes, le paysage nous est le plus souvent présenté par l?intermédiaire d?un personnage. Dans l?extrait du roman de Stendhal, nous avons accès aux pensées de Fabrice, et le narrateur évoque « les yeux » du personnage pour mettre en lumière l?importance de ce regard. Dans l?extrait de Madame Bovary, Flaubert nous indique clairement que la jeune femme « venait de regarder Lestiboudois » et qu?elle « entendit tout à coup sonner l?angélus ». En outre, le lecteur découvre les souvenirs d?Emma. Le bruit de l?angélus pousse en effet cette dernière à s?éloigner de cette réalité qui est à l?image du « vent tiède ». La jeune femme fuit vers son passé, loin de ce paysage monotone. Après avoir décrit l?hôtel, Zola nous place au même niveau que Gervaise : nous suivons alors les mouvements de son regard et nous découvrons son angoisse. Les verbes liés à la vision sont, à nouveau, particulièrement importants. Enfin, pour nous mener au plus près des réflexions et des émotions de son personnage, Marcel Proust en a fait le narrateur de son roman. Le lecteur tente, en même temps que le narrateur, de lutter contre le mouvement du train et l?évolution du ciel pour avoir « une vue totale et un tableau continu » de ce paysage « versatile ». Les regards que portent les personnages reflètent en outre des sentiments variés. Les adjectifs utilisés dans le texte de Stendhal sont par exemple mélioratifs. Même si Fabrice est emprisonné, il découvre une vue « sublime », un « joli palais », « de jolies cages », un « spectacle sublime » ou « un monde ravissant ». Son attirance pour Clélia Conti métamorphose le monde qui l?entoure. L?attention du personnage de Marcel Proust pour ces « réserves de lumière » traduit également une forme de fascination pour ce « beau matin » à la fois « écarlate et versatile ». La couleur est celle de la « vie ». En revanche, les paysages évoqués dans les deux autres textes semblent moins positifs. La description de Flaubert, sans être réellement désagréable, est à l?image du personnage d?Emma qui se sent « molle et toute abandonnée ». La « lamentation pacifique » de la cloche semble faire écho à l?état d?âme d?Emma. Le regard que la jeune femme pose sur le monde qui l?entoure est teinté par sa mélancolie. Zola va plus loin dans l?évocation des sensations déplaisantes. En effet, il plonge son personnage et son lecteur dans une atmosphère étouffante. Les persiennes sont « pourries par la pluie » et le plâtre est attaqué par « la moisissure ». La tension de Gervaise, qui guette le retour de Lantier, est directement liée à « cette odeur fauve de bête massacrée » qui l?entoure. La mort semble flotter autour du personnage et tout indique ici une forme de décomposition. Le paysage n?est pas seulement influencé par l?état d?âme de Gervaise : Zola le charge d?impressions 23 Sujet 1 Corrigé et de symboles qui ne peuvent que renforcer la peur du personnage. Même si Fabrice et Gervaise ne sortent pas de la pièce dans laquelle ils se trouvent, leur regard semble constamment en mouvement. Les verbes d?action sont en effet nombreux dans le texte de Zola et tous sont directement liés au regard du personnage qui « regardait à gauche », « suivait le mur », « fouillait les angles », « levait les yeux » ou « apercevait une grande lueur ». Par ailleurs, dans le roman de Stendhal, le narrateur précise que « les yeux de Fabrice furent attirés vers une des fenêtres du second étage ». L?agitation est aussi physique : Fabrice court aux fenêtres tandis que Gervaise se penche « au risque de tomber ». Dans le texte de Zola, l?imparfait traduit même parfois un mouvement répétitif et incessant. Seulement, l?agitation de Gervaise représente une forme d?anxiété alors que, pour Fabrice del Dongo, agitation rime avec exaltation et évasion. Loin de l?enfermer ou de le bloquer, la fenêtre de sa cellule semble lui ouvrir les portes du monde. Le narrateur du roman de Marcel Proust, exalté par le paysage qu?il observe, se lance également à la poursuite de ce lever de soleil. Il avoue ainsi passer son temps « à courir d?une fenêtre à l?autre ». À nouveau, les mouvements sont directement liés au regard, comme l?indique l?importance du verbe « voir ». Le passé simple renforce ici le caractère marquant de cette apparition soudaine. C?est lorsqu?il voit les « nuages échancrés » que le personnage sort soudainement de sa torpeur. Le narrateur en vient même à « coller [ses] yeux à la vitre ». Ces trois personnages se distinguent d?Emma Bovary qui paraît, dans le texte de Flaubert, beaucoup plus passive. Certes, tout commence également grâce au verbe « regarder », mais c?est le bruit de la cloche qui semble davantage toucher le personnage, comme malgré lui. Le personnage se met également en mouvement en plongeant dans ses souvenirs ou en marchant vers l?église, mais la jeune femme le fait « sans en avoir conscience ». En somme, chaque auteur parvient à nous proposer un véritable paysage-état d?âme. Les émotions colorent le paysage et celui-ci renforce parfois les émotions. Le regard posé sur le monde traduit alors une certaine agitation et des sentiments pour le moins variés. Qu?il soit romantique, réaliste, naturaliste ou plus moderne, le romancier ne se contente donc pas de reproduire le monde : il le réinvente grâce aux personnages qu?il crée. Travaux d?écriture : commentaire Introduction Stendhal occupe une place particulière dans l?histoire de la littérature. Il a par exemple affirmé que le roman est « un miroir que l?on promène le long d?un chemin », et il est parfois considéré comme un des précurseurs du réalisme. Pourtant, la sensibilité de ses personnages les rapproche également des héros romantiques. Cet extrait de La Chartreuse de Parme, roman publié pour la première fois en 1839, illustre ce paradoxe. Dans cette ?uvre que Stendhal aurait écrite en quelques semaines seulement, le lecteur fait la connaissance de Fabrice del Dongo. Victime d?une vengeance, le personnage est ici emprisonné. Il est alors enfermé dans la citadelle de Parme. Seulement, Stendhal ne se livre pas à une description froide et réaliste des conditions de vie d?un prisonnier dans une 24 Sujet 1 Corrigé forteresse. Au contraire, le « héros » imaginé par l?auteur semble au comble du bonheur. Comment Stendhal transforme-t-il l?expérience de la prison en une forme d?évasion ? Pour répondre à cette question, nous étudierons tout d?abord l?exaltation du héros avant d?analyser plus précisément « les douceurs de la prison ». Nous montrerons enfin que le romancier parvient à construire un monde à l?image du personnage qui l?observe. I. Un « héros » exalté 1. Un personnage en mouvement Dès le début du texte, Fabrice se distingue par ses gestes. Loin d?être abattu par cet emprisonnement ou d?être impressionné par sa cellule, le personnage se précipite à la fenêtre pour profiter du point de vue. Le narrateur précise même : « Il courut aux fenêtres ». Conjugué au passé simple, le verbe indique parfaitement l?attitude et le caractère fougueux du personnage. Dès qu?il se trouve à la fenêtre, c?est ensuite par son regard que Fabrice semble se promener. Nous découvrons ainsi que « les yeux de Fabrice furent attirés vers une des fenêtres du second étage ». La fin du texte confirme la mobilité du regard du personnage qui passe « plus de deux heures à la fenêtre ». Le narrateur précise enfin que le jeune homme arrête « souvent » « sa vue sur le joli palais du gouverneur ». Les verbes comme « attirer » ou « s?arrêter » indiquent que l?esprit du personnage, même si ce dernier est retenu prisonnier, n?est jamais vraiment immobile. En utilisant un verbe à la fois lié au lexique de la vision et au mouvement, Stendhal écrit également que Fabrice « plongeait sur les oiseaux ». 2. Une richesse intérieure C?est aussi par la richesse de ses pensées que le personnage se distingue aux yeux du lecteur. Le point de vue interne est largement utilisé par Stendhal, et il nous permet notamment d?observer le paysage du point de vue de Fabrice. Nous avons également accès aux émotions de ce dernier, comme lorsque le narrateur précise que « Fabrice fut ému et ravi par ce spectacle sublime ». L?utilisation des adjectifs tient presque de l?hyperbole et elle traduit une sorte de gradation, comme si l?exaltation du personnage était croissante et ne connaissait aucune limite. Les paroles retranscrites au discours direct, à la fin du texte, confirment cet enthousiasme de plus en plus étonnant. Le verbe « s?écrier », le passé simple, l?utilisation de « tout à coup » : tout concourt à faire de ces quelques mots un véritable cri du c?ur, représentant parfaitement l?élan du personnage. 3. Un personnage libre L?accélération qui permet de résumer les deux heures de contemplation prouve en outre que le personnage peut tout à fait passer un long moment à regarder le paysage. Au début de l?extrait, il semble totalement indifférent aux « geôliers » qui, pourtant, « s?agit[ent] autour de lui ». Il ne pense même plus aux raisons de son emprisonnement ou aux coups du sort qui l?ont mené dans cette forteresse : il reste « sans songer autrement à son malheur », loin « des désagréments et des motifs d?aigreur ». Tout se passe comme si le personnage vivait totalement détaché du monde réel, libre de ses pensées et de ses émotions. Il est en somme à l?image des oiseaux qu?il observe. 25 Sujet 1 Corrigé Comme Fabrice, ces derniers sont eux aussi dans des « cages ». Ils sont pourtant décrits en train de « chanter ». Fabrice semble même encore plus libre qu?eux puisqu?il peut à loisir passer de la contemplation du palais à celle de l?horizon, profiter de la lune qui se lève « majestueusement » ou de ce « brillant crépuscule rouge orangé. » Le corps de Fabrice reste prisonnier mais son esprit est libre de vagabonder. Si Fabrice est un « héros », ce n?est donc pas parce qu?il parvient à briller par sa bravoure ou ses qualités physiques. Il se distingue plutôt grâce son exaltation, son enthousiasme et sa passion. C?est ce caractère qui lui permet de goûter pleinement aux charmes de la prison. II. « Les douceurs de la prison » 1. La description de la forteresse Grâce à la répétition du terme « prison », Stendhal nous rappelle constamment que Fabrice del Dongo est emprisonné. Dès le début de l?extrait, le personnage peut certes profiter de la vue mais le narrateur note qu?il est face à des « fenêtres grillées ». Les geôliers sont également présents autour de lui et ils s?agitent. Fabrice est bien dans une prison, comme le souligne par ailleurs la description des lieux. Le personnage observe ainsi « le palais du gouverneur » ou encore « les bureaux de l?état-major », autant de signes de sa détention et de son statut dans la forteresse. Le narrateur n?élude donc pas le lieu que découvre le personnage. Néanmoins, Stendhal ne nous livre pas, dans cet extrait, une description méticuleuse de la cellule. Rapidement, le regard du personnage passe la barrière des « fenêtres grillées » pour s?aventurer vers l?extérieur. La description devient plus précise dès lors qu?il s?agit de peindre ce paysage. 2. Une métamorphose Le lecteur peut être surpris par les adjectifs choisis dans cet extrait. Les répétitions renforcent ces paradoxes. « Sublime » est utilisé à deux reprises pour décrire « la vue » ou « le spectacle ». De même, le narrateur évoque deux fois « le joli palais du gouverneur ». Les cages sont également « jolies ». Même les oiseaux ne semblent pas déplorer leur captivité puisque Fabrice les voit « chanter » et « saluer les derniers rayons du crépuscule ». Le point de vue interne est ici important. La description n?est pas objective, comme l?indiquent les adjectifs qualificatifs qui sont le plus souvent subjectifs. Tout se passe comme si l?humeur de Fabrice métamorphosait la forteresse. Lui-même semble d?ailleurs avoir conscience de ce paradoxe comme lorsqu?il s?interroge : « Mais ceci est-il une prison ? est-ce là ce que j?ai tant redouté ? ». Le personnage en vient même à douter de la réalité de son expérience. Le narrateur renforce ce contraste à la fin de l?extrait grâce à la locution prépositionnelle « au lieu de » et aux antithèses. « Désagréments » et « aigreurs » s?opposent ainsi à « charmer » et à « douceur ». 3. Un lieu associé à Clélia Conti Ce qui donne toute sa valeur à ce lieu, c?est aussi la proximité avec Clélia Conti. Tout semble en effet rappeler la jeune femme. Les adjectifs employés par Fabrice trahissent déjà sa passion : le palais devient une forme de substitut et symbolise l?attirance ressentie par le jeune homme. Il s?agit 26 Sujet 1 Corrigé bien d?une curiosité et d?une forme d?attraction, d?autant que le narrateur précise que « d?abord les yeux de Fabrice furent attirés vers une des fenêtres du second étage ». Mais le personnage associe lui-même les lieux à la jeune femme. « C?est donc dans ce monde ravissant que vit Clélia Conti ! », constate-t-il dans une phrase exclamative qui indique bien toute son ardeur. De même, Fabrice évoque Clélia Conti en supposant une sorte de communion des esprits. La jeune femme serait une forme de double de lui-même puisqu?elle aussi, avec « son âme pensive et sérieuse », doit, comme Fabrice, « jouir de cette vue ». La présence de la jeune femme n?est donc pas étrangère aux « douceurs de la prison ». C?est aussi cette proximité qui intrigue et charme le jeune homme. L?expérience de la prison est donc particulièrement heureuse pour le personnage de Fabrice. Mais ce qui exalte le jeune homme, c?est également la beauté du paysage qu?il contemple. III. Un monde à l?image du personnage 1. Une évasion loin de la forteresse Si la cellule est rapidement oubliée par Fabrice del Dongo et par le narrateur, le paysage contemplé par le personnage est décrit avec davantage de précision. Peu à peu, Fabrice semble s?éloigner de sa « prison » grâce à son regard et à son imagination. Le narrateur évoque tout d?abord la citadelle en nous présentant une description organisée de la forteresse. Mais, dès le deuxième paragraphe, Fabrice paraît emporté par cet « horizon » qui était déjà mentionné au début du texte. Les indications deviennent alors beaucoup plus précises. Nous trouvons par exemple de nombreux détails géographiques comme « la chaîne des Alpes », « Trévise », le « mont Viso » ou encore les « autres pics des Alpes qui remontent de Nice vers le Mont-Cenis et Turin ». Stendhal parvient ici à conjuguer une certaine exigence de réalisme avec une évocation très subjective du paysage. Même le temps semble disparaître : Fabrice plonge pleinement dans la beauté de ce « spectacle ». 2. Un dialogue avec le monde La communion entre le personnage et le paysage semble telle que Fabrice est décrit comme « admirant cet horizon qui parlait à son âme ». Et c?est bien à un échange entre le personnage et le monde qui l?entoure que nous assistons. Le paysage est sublimé par l?enthousiasme du personnage. Rien ne semble pouvoir entraver cet échange particulièrement riche. Ainsi, même le toit du joli palais ne gâche pas cette vue « sublime », puisqu?il ne cache qu?« un seul petit coin de l?horizon ». Le monde semble lui aussi en mouvement, comme animé. Le narrateur, lorsqu?il évoque la lune au début du second paragraphe, précise par exemple : « elle se levait majestueusement à l?horizon à droite ». À cet adverbe particulièrement élogieux répond un autre adverbe qui est associé au crépuscule dessinant « parfaitement les contours » de ce paysage. En somme, nous sommes bien face à un paysage-état d?âme et nous assistons à une forme de communion. Ce « spectacle sublime » ravive encore davantage l?ardeur du personnage, et l?enthousiasme de ce dernier rend cette vue encore plus marquante. 27 Sujet 1 Corrigé 3. Le plaisir des sens Mais le lecteur prend également la mesure de cette douceur grâce à une véritable fête des sens. La vue est constamment sollicitée dans cet extrait. Stendhal va même jusqu?à nous offrir un « spectacle » particulièrement coloré, comme lorsqu?il imagine ce « brillant crépuscule rouge orangé ». L?ouïe joue également un rôle important. Fabrice découvre ainsi « dans de jolies cages, une grande quantité d?oiseaux de toutes sortes ». La présence de ces oiseaux a déjà tout pour séduire le personnage, d?autant que cette variété de volatiles, et donc sans doute de couleurs, ne peut que charmer les yeux. Mais Fabrice apprécie également le « chant » de ces oiseaux qui vont jusqu?à « saluer les derniers rayons du crépuscule du soir ». Certes, le décalage entre la condition de Fabrice et son exaltation peut faire sourire le lecteur. Nous ne sommes pas si loin de cette ironie bien particulière qui parcourt tout le roman de Stendhal, comme le prouve l?utilisation du terme « héros ». Reste qu?il y a ici un indéniable plaisir à « voir » et à « entendre », plaisir qui nous entraîne loin de la forteresse, de la « prison » ou des « geôliers ». Comme ces oiseaux, le personnage salue lui aussi la beauté du monde et chante les charmes de la vie. Conclusion Stendhal nous livre donc un texte singulier. Même emprisonné, son personnage semble s?évader par l?imagination et par les sens. Tout en proposant une description ayant certains aspects réalistes, Stendhal crée donc un « héros » singulier, qui conserve par ailleurs des caractéristiques romantiques. Nous comprenons aussi, à la lecture de ce texte, la passion que certains lecteurs vouent à ce romancier capable de sublimer les instants les plus moroses. Julien Gracq, romancier et critique du XXe siècle, considère par exemple qu?un roman comme La Chartreuse de Parme est « un Éden des passions en liberté, irrigué par le bonheur de vivre, où rien en définitive ne peut se passer très mal, où l?amour renaît de ses cendres, où même le malheur vrai se transforme en regret souriant. » Travaux d?écriture : dissertation Introduction Pendant longtemps, le théâtre a bénéficié d?un indéniable prestige et le roman a été méprisé. Pourtant, force est de constater que, depuis plusieurs siècles, les lecteurs partent avec bonheur à la rencontre de ces « êtres de papier ». Mais qu?attendent au juste les lecteurs lorsqu?ils tournent les pages d?un roman ? Nous pouvons par exemple nous demander s?ils cherchent essentiellement à plonger dans les pensées d?un personnage ou s?ils sont poussés par d?autres motivations. Pour mieux comprendre ce qui fait de la lecture d?un roman une expérience singulière, nous commencerons par analyser le rôle joué par les pensées des personnages. Seulement, nous montrerons par la suite que ces « êtres de papier » ont aussi un corps et qu?ils agissent. Enfin, nous rappellerons que les personnages peuvent également déjouer nos attentes pour mieux nous faire réfléchir. 28 Sujet 1 Corrigé I. Plonger dans les pensées d?un personnage 1. Des outils variés Le romancier peut emprunter différents chemins pour nous faire découvrir les pensées des personnages. Dans Jean Santeuil, ?uvre de jeunesse qui est restée inachevée, Marcel Proust a utilisé un narrateur externe. À l?inverse, dans les romans qui composent À la recherche du temps perdu, il a fait le choix de modifier la place du narrateur. Dès le célèbre incipit de Du côté de chez Swann, le lecteur plonge dans les pensées d?un « Je » : « Longtemps je me suis couché de bonne heure ». En somme, Proust a éprouvé le besoin de nous emporter au plus près de la conscience de son personnage, comme l?indique l?extrait proposé dans le corpus. Pour autant, le point de vue pourra également être interne dans un récit écrit à la troisième personne. Dans Un balcon en forêt, Julien Gracq nous invite par exemple à suivre les aventures de Grange, un soldat qui attend l?attaque de l?armée allemande au début de la Seconde Guerre mondiale. Même s?il choisit un narrateur interne, le romancier nous permet de voir les différents événements à travers les yeux de son personnage. Nous en savons alors autant que lui et nous partageons ses doutes ou ses désirs. 2. Des pensées variées Plonger dans les pensées d?un personnage nous permet également de mieux le comprendre. La Princesse de Clèves doit une partie de son succès à la subtilité de la psychologie des personnages. Si le roman est encore, au XVIIe siècle, un genre méprisé, Mme de La Fayette prouve qu?il n?a rien à envier à la tragédie. Dans La Chartreuse de Parme, Fabrice del Dongo parvient pour sa part à sublimer l?expérience de la prison. Loin d?être abattu ou affligé, il est charmé par les « douceurs de la prison » et profite d?une « vue sublime » tout en pensant à Clélia Conti dont il n?a jamais été aussi proche. Ce sont bien ici les pensées du personnage qui viennent métamorphoser la cellule et la forteresse. Les sentiments pourront cependant être plus sombres. Au début de L?Assommoir, Gervaise guette ainsi, avec anxiété, le retour de Lantier. Le lecteur est alors invité à partager l?angoisse de la jeune femme. Un romancier peut même choisir d?emmener le lecteur dans la conscience d?un meurtrier, comme dans Thérèse Raquin. Zola nous plonge ainsi dans la conscience torturée de Laurent et de Thérèse. Les pensées des personnages sont donc particulièrement variées. Elles pourront même évoluer au cours d?un roman d?apprentissage. 3. L?identification du lecteur Ce travail du romancier favorise indéniablement l?identification du lecteur. Comme durant les plus grandes tragédies, le lecteur pourra éprouver toutes ces émotions. Le registre pathétique permet même de mieux faire partager les souffrances d?un personnage. Dans Les Misérables, Victor Hugo a souvent recours à ce registre pour nous faire ressentir le trouble de ses héros. Ainsi, lorsque Jean Valjean hésite à se dénoncer pour sauver un homme injustement accusé à sa place, nous ressentons tout le désarroi du personnage. Nous hésitons à ses côtés et nous souffrons avec lui au cours de cette terrible délibération : « Se dénoncer, grand Dieu ! se livrer ! Il envisagea avec un immense désespoir tout ce qu?il faudrait quitter, tout ce qu?il faudrait reprendre. [...] Ainsi se débattait sous l?angoisse cette malheureuse âme ». L?utilisation du discours indirect libre nous amène ici au 29 Sujet 1 Corrigé plus près de ce terrible dilemme. De même, à la fin de Boule de suif, une longue nouvelle écrite par Maupassant, le lecteur pourra être touché par l?humiliation et les larmes de la jeune femme : « [...] les pleurs montaient, luisaient au bord de ses paupières, et bientôt deux grosses larmes, se détachant des yeux, roulèrent lentement sur ses joues. » La lecture devient alors une expérience particulièrement riche et, en tournant les pages, nous vivons par procuration ces vies pleines de souvenirs et d?émotions. De nombreux lecteurs s?attendent ainsi, lorsqu?ils commencent un roman, à découvrir des pensées qui peuvent, le temps de la lecture, devenir les leurs. Pour autant, cela ne doit pas nous faire oublier que les personnages ne se contentent pas de réfléchir : ils agissent. II. L?importance de l?action dans un roman 1. De la pensée au corps Les romanciers peuvent tout d?abord nous confronter aux personnages sans nous donner accès à leurs émotions. Le point de vue externe est parfois privilégié parce qu?il nous permet d?appréhender différemment le personnage. Ce dernier n?existe plus grâce à ses pensées mais par ses paroles ou ses gestes. Jean-Patrick Manchette, auteur de polars mort en 1995, a par exemple affirmé son refus de toute forme de psychologie. On parle alors parfois de béhaviorisme : le personnage se définit par son comportement et non par ses sentiments. De même, les descriptions peuvent nous en apprendre beaucoup sur un personnage. Certains romanciers imaginent ainsi des portraits physiques particulièrement riches. Voici, par exemple, comment Balzac évoque le personnage de Vautrin dans Le Père Goriot : « Il avait les épaules larges, le buste bien développé, les muscles apparents, des mains épaisses, carrées et fortement marquées aux phalanges par des bouquets de poils touffus et d?un roux ardent. Sa figure, rayée par des rides prématurées, offrait des signes de dureté que démentaient ses manières souples et liantes. » Ce portrait physique annonce déjà le portrait moral de Vautrin. 2. Des personnages en mouvement Ces corps sont aussi créés pour être mis en mouvement. Don Quichotte, dans le célèbre roman de Cervantès, est d?abord reconnaissable à sa silhouette si particulière. Mais rapidement, ce personnage « sec de corps » et « maigre de visage » part sur les routes en quête d?aventures. C?est bien cet élan qui donne tout son intérêt au roman. Parce qu?il se prend pour un chevalier, Don Quichotte connaît certes des mésaventures, comme la célèbre confrontation avec les moulins à vent. Seulement, il s?agit toujours, pour reprendre les mots du personnage lui-même, de « plonger les mains jusqu?au coude dans ce qui s?appelle des aventures » 13 . Loin de se refermer sur lui-même en se contentant de simples méditations, le héros de Cervantès nous permet en outre de rencontrer de nombreux autres personnages. Les héros des romans vivent aussi par ces rencontres, qu?elles soient positives ou négatives. Dans Le Roman comique, Scarron imagine quant à lui les aventures d?une troupe de comédiens. Dans En lisant en écrivant, Julien Gracq évoque également ce rythme si particulier qui anime les romans de Stendhal et qui concerne directement les personnages. Il 13. Les citations de Don Quichotte sont toutes extraites de la traduction d?Aline Schulman. 30 Sujet 1 Corrigé affirme ainsi que « Stendhal n?est guère que mouvement » et que dans les dernières pages de La Chartreuse de Parme, « la bousculade rocambolesque des événements, la rapidité du récit tournent au vertige ». 3. Évasions romanesques Le roman permet alors au lecteur de s?évader et de vivre au rythme d?une existence romanesque. Le personnage de Bardamu dans Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline accomplit un voyage qui l?emmène en Afrique puis à New York. Le lecteur l?accompagne dans ce long périple qui lui permet d?évoluer et de se construire. Le roman de Céline s?inscrit alors dans la lignée des plus grands romans picaresques. Certains lecteurs peuvent aussi attendre d?un roman qu?il soit animé par un véritable souffle romanesque. Nous pouvons par exemple songer au succès des romans de cape et d?épée comme Les Trois Mousquetaires d?Alexandre Dumas. Le plaisir de la lecture tient alors aux nombreuses manigances, aux multiples rebondissements ou aux innombrables combats... C?est l?action qui porte le récit et emporte le lecteur. La lecture devient une forme de divertissement au sens pascalien du terme : elle ne permet pas de méditer sur des questions métaphysiques mais de se détourner de l?ennui et des ennuis. Nous ne pouvons donc pas nous contenter de résumer les personnages à leurs pensées. Ils peuvent également marquer les lecteurs par leur apparence, leurs gestes ou leurs aventures. Mais, plus encore, certains lecteurs pourront chercher à dépasser cette approche du roman qui lie nécessairement l??uvre au personnage. III. Déjouer les attentes 1. Le refus du personnage type Le XIXe siècle a donné tout son prestige au genre romanesque grâce à des auteurs comme Stendhal, Balzac, Flaubert ou Zola. Des personnages types se sont même installés dans l?esprit des lecteurs. Rastignac, personnage central de La Comédie humaine, est par exemple devenu un modèle d?ambitieux. Sa soif de pouvoir est manifeste dès la fin du Père Goriot, lorsqu?il lance un véritable défi à la société : « Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : ?À nous deux maintenant !? » Seulement, de nombreux romanciers, au XXe siècle, vont remettre en question cette conception du personnage. Alain Robbe-Grillet, l?un des précurseurs du nouveau roman, s?en prend ainsi violemment à ces modèles qu?il juge dépassés. Dans Pour un nouveau roman, il écrit : « C?est une momie à présent. [...] Les créateurs de personnages, au sens traditionnel, ne réussissent plus à nous proposer que des fantoches auxquels eux-mêmes ont cessé de croire. Le roman de personnages appartient bel et bien au passé, il caractérise une époque : celle qui marqua l?apogée de l?individu. » Dès lors, il ne s?agit plus de plonger dans les pensées de personnages clairement définis mais de réinventer ces « êtres de papier ». 31 Sujet 1 Corrigé 2. De nouveaux modes de pensée Le lecteur peut alors découvrir de nouveaux modes de pensée. De nouvelles expériences romanesques s?offrent en effet à lui. La Route des Flandres, de Claude Simon, nous emporte par exemple dans l?esprit de Georges, le protagoniste du roman. Or, pour le lecteur, tout semble se mélanger et les époques se confondent. En effet, comme l?écrit Claude Simon, « dans la mémoire, tout se situe sur le même plan : le dialogue, l?émotion, la vision coexistent. » Si nous plongeons dans les souvenirs du personnage, ce n?est plus pour en avoir une vision claire, mais pour nous y perdre, voire pour nous y noyer. Le romancier mélange en effet volontairement différentes époques de la vie du personnage, parfois de manière brutale, et il multiplie les phrases démesurément longues pour mieux brouiller nos repères. De même, au XXe siècle, James Joyce a librement réécrit les aventures d?Ulysse. Loin de suivre un chemin balisé, le lecteur peut alors se perdre dans une forme de dédale. Le monologue intérieur a également été utilisé avec talent par des auteurs comme Virginia Woolf ou encore William Faulkner. Certes, il s?agit toujours de découvrir les pensées des personnages. Mais l?expérience est pourtant bien différente de celle que l?on trouve dans les romans romantiques ou réalistes. Elle pourra même dérouter certains lecteurs, précisément parce qu?elle bouscule leurs habitudes. En effet, les pensées et les émotions n?ont plus de contours clairement dessinés. Il faut sans cesse les reconstruire, travail qui se révèle à la fois fastidieux et passionnant. 3. Une réflexion qui dépasse le personnage Ces innovations ont le mérite de nous rappeler que, si les romans reposent en grande partie sur les personnages, ils n?ont pas pour seul but de nous faire vibrer ou de nous émouvoir. C?est notamment pour cette raison que les romanciers tentent, au XXe siècle, d?inventer de nouveaux modèles. Dans Le Procès de Kafka, le personnage s?appelle Joseph K. Dans La Jalousie, d?Alain RobbeGrillet, le personnage n?a même plus de prénom puisqu?il est désigné par un simple « A. » ! Les romanciers nous proposent donc aussi une réflexion sur la place de l?individu dans les sociétés modernes. Comment parvenir à exister en tant qu?individu à l?époque des masses et des foules ? Alain Robbe-Grillet écrit justement à ce sujet : « Peut-être n?est-ce pas un progrès, mais il est certain que l?époque actuelle est plutôt celle du numéro matricule. Le destin du monde a cessé, pour nous, de s?identifier à l?ascension ou à la chute de quelques hommes, de quelques familles. » Le personnage pourra même permettre une réflexion sur la littérature elle-même. Cette fonction du personnage n?est pas nouvelle. Dès 1615, dans la deuxième partie de son roman, Cervantès propose une forme de mise en abyme lorsque le personnage de Don Quichotte est confronté au récit de ses propres aventures. Les romanciers modernes ont souvent poussé cette mise en abyme jusqu?à ses dernières limites afin de mieux interroger les pouvoirs de la littérature et de l?imagination. Pour reprendre une formule de Jean Ricardou, le roman n?est alors plus « l?écriture d?une aventure, mais l?aventure d?une écriture. » 32 Sujet 1 Corrigé Conclusion Le lecteur peut donc bien attendre d?un roman qu?il le plonge dans les pensées d?un personnage afin de vivre des expériences riches et variées. Seulement, il serait pour le moins réducteur de s?en tenir à cette seule attente. De nombreux lecteurs apprécient également les personnages qui, loin de se contenter de penser, agissent et apportent un souffle romanesque au récit. Certains lecteurs pourront aussi se tourner vers des romans qui refusent les personnages trop bien dessinés et remettent précisément en question leurs attentes. La lecture d?un roman reste, en somme, une expérience à la fois universelle et personnelle. Il est même possible d?ouvrir un roman sans attente particulière. En effet, pour Pascal Quignard, « il y a dans lire une attente qui ne cherche pas à aboutir. Lire c?est errer. La lecture est l?errance ». Travaux d?écriture : écriture d?invention Je me suis levé juste avant le soleil, le corps engourdi et le moral en berne. La cuisine de l?appartement est déserte, comme les chambres ou le salon. C?est la première fois depuis notre divorce que je reviens à la montagne, dans l?appartement de mes parents. Nous y avons passé toutes nos vacances avec Louise et les filles. Ce matin, il n?y a plus de cris d?enfants, plus de sourires au saut du lit, plus de joues à embrasser ou de cheveux à ébouriffer. Je crois que même les disputes pour préparer le petit-déjeuner ou choisir une chaîne de télévision me manquent. La cafetière pousse un cri rauque. Quelques gouttes commencent à tomber, mécaniquement. Je m?installe dans le salon, sur le fauteuil qui fait face à la fenêtre. Les rues du village sont désertes. Le monde dort encore, ou tous les habitants sont partis durant la nuit pour me laisser encore plus seul. Qui sait ? Au loin, tout de même, la chaîne de montagnes s?étend, droite et massive, comme pour me rappeler que certaines choses, très rares, ne s?évanouissent pas. Au-dessus, je distingue quelques nuages encore assoupis, immobiles dans un ciel éteint. La cafetière s?est tue. Je me lève, je verse un peu de café dans une tasse et je retourne m?asseoir. Caché dans les creux de la roche, le soleil sort mollement de sa nuit. Il étire paresseusement ses rayons qui réveillent le ciel. Le contour des nuages se dessine doucement. La ligne des montagnes s?affine. Je connais bien cette heure où le jour est encore un peu la nuit, où la nuit n?est pas encore tout à fait le jour. L?été, nous partions à l?aube, avec Louise et les enfants. Nous marchions dans la fraîcheur du matin, grimpions ces pentes que les filles dévalaient ensuite en riant. Nous mangions à l?ombre, fatigués mais heureux. Aujourd?hui, il n?y a plus que moi au c?ur de cet hiver qui refuse de rendre les armes, moi qui ne sais pas quoi faire de cette journée et des autres. J?ouvre la fenêtre pour sentir l?air glacé contre ma peau, pour que le monde me rappelle que je suis encore vivant. Autour, peu à peu, les arbres sortent de l?ombre. Dispersés sur les pentes, ils se tiennent debout malgré la neige qui les recouvre et le froid qui les étreint. La rue se réveille à son tour. Quelques courageux partent travailler. D?autres se pressent vers la boulangerie en quête de pain frais ou de viennoiseries encore chaudes. 33 Sujet 1 Corrigé Au bout du village, j?aperçois le petit sentier qu?il faut emprunter pour prendre de l?altitude, fine veine qui irrigue la montagne et lui apporte chaque jour son lot de randonneurs. Il serpente et s?évanouit pour réapparaître quelques mètres plus haut. Entouré d?arbres nus, couvert d?une neige qui ne fond pas, lui aussi semble attendre que d?autres viennent le retrouver pour reprendre vie. Je n?ose pas regarder la pendule du salon, mon portable est éteint et j?ai plus ou moins volontairement oublié ma montre à Paris. De longues heures m?ouvrent leur bras et je ne sais toujours pas quoi leur répondre. Au pied de l?immeuble, des rires surgissent soudain, grimpent les étages et s?engouffrent par la fenêtre. Je me penche. Deux enfants roulent des boules de neige. Ils s?enfuient dans la rue en poussant des cris amusés. Une jeune femme les surveille, à quelques mètres, assise sur le banc qui longe l?église. De longs cheveux bruns coulent sur ses épaules, frôlant une épaisse écharpe en laine blanche. Elle se lève, appelle les garçons qui sont déjà loin. Le paysage hivernal les aspire, comme pour mettre un terme à ces bruits qui brisent sa quiétude. Ma tasse est vide. Coincé entre deux pics rocheux, le soleil hésite encore à avancer. Et s?il revenait sur ses pas et décidait de se recoucher, nous laissant finalement aux mains de la nuit ? Et s?il désertait, fatigué de tourner sans cesse en rond ? J?hésite à retourner dans la chambre, à retrouver mon lit et à tirer un trait sur cette journée. J?entends à nouveau les rires des deux garçons. La femme continue à les suivre, promenant ses longs cheveux bruns. Le sourire que je devine ou que j?imagine sur ses fines lèvres me réchauffe un peu. Je devrais peut-être fermer cette fenêtre, m?habiller et descendre. Je devrais peut-être me secouer, m?ébrouer pour chasser les souvenirs et faire fuir les regrets. À présent, la lumière du soleil est plus claire et plus vive. Pour la montagne, la nuit n?est plus qu?un lointain souvenir. Quelques promeneurs grimpent déjà sur le sentier, progressant à petits pas sur la neige qui reflète cette lumière pure. Même les arbres privés de feuilles paraissent frémir. Le vent les prend par la main et les fait danser. Ils s?agitent et me font signe. Tout semble me murmurer : « Approche, il y a encore de la douceur dans ce monde et de nouveaux chemins à emprunter ». Comme de la boue qui collerait aux chaussures après une longue marche, il me reste encore, au fond du c?ur et de la mémoire, un peu de cette mélancolie qui m?a saisi au réveil. Pourtant, l?air est moins lourd et la neige, tout là-haut, me tend une page blanche pour écrire l?histoire de nouvelles journées. Je contemple une dernière fois ce paysage sublime. Du haut de l?immeuble, au bord de la fenêtre, j?ai l?impression d?être à la hauteur de ces grands arbres et de ces montagnes immenses. Il est temps, comme eux, de me redresser. 34 Sujet 2 Sujet national, juin 2014, séries technologiques Objet d?étude : Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours Corpus : Honoré de Balzac, Victor Hugo, Albert Cohen, Marc Dugain › Texte 1 Félix Grandet (le père Grandet) est un tonnelier devenu extrêmement riche grâce à sa grande avarice ; il fait travailler chez lui comme servante « la Grande Nanon ». 5 10 15 À l?âge de vingt-deux ans, la pauvre fille n?avait pu se placer 1 chez personne, tant sa figure semblait repoussante ; et certes ce sentiment était bien injuste : sa figure eût été fort admirée sur les épaules d?un grenadier de la garde 2 ; mais en tout il faut, dit-on, l?à-propos. Forcée de quitter une ferme incendiée où elle gardait les vaches, elle vint à Saumur, où elle chercha du service, animée de ce robuste courage qui ne se refuse à rien. Le père Grandet pensait alors à se marier, et voulait déjà monter son ménage 3 . Il avisa cette fille rebutée 4 de porte en porte. Juge de la force corporelle en sa qualité de tonnelier 5 , il devina le parti qu?on pouvait tirer d?une créature femelle taillée en Hercule, plantée sur ses pieds comme un chêne de soixante ans sur ses racines, forte des hanches, carrée du dos, ayant des mains de charretier et une probité 6 vigoureuse comme l?était son intacte vertu. Ni les verrues qui ornaient ce visage martial 7 ni le teint de brique, ni les bras nerveux, ni les haillons de la Nanon n?épouvantèrent le tonnelier, qui se trouvait encore dans l?âge où le c?ur tressaille. Il vêtit alors, chaussa, nourrit la pauvre fille, lui donna des gages 8 , et l?employa sans trop la rudoyer. En se voyant ainsi accueillie, la Grande Nanon pleura secrètement de joie, et s?attacha sincèrement au tonnelier, qui d?ailleurs l?exploita féodalement 9 . Honoré de Balzac, Eugénie Grandet, 1834. 1. Se placer : entrer au service de quelqu?un comme domestique. 2. Grenadier de la garde : soldat d?élite de la garde royale ou impériale. 3. Monter son ménage : acquérir tous les objets divers nécessaires dans une maison. 4. Rebutée : rejetée avec mépris. 5. Tonnelier : il fabrique et répare des tonneaux. 6. Probité : honnêteté. 7. Martial : qui dénote ou rappelle la guerre, l?armée. 8. Gages : somme versée pour payer les services d?un domestique. 9. Féodalement : à la manière d?un seigneur du Moyen Âge qui domine et exploite les serfs de son fief. 35 Sujet 2 Énoncé › Texte 2 Enfant d?origine noble, Gwynplaine a été enlevé par des voleurs qui en ont fait un monstre de foire. Le narrateur présente au lecteur ce personnage singulier. 5 10 15 La nature avait été prodigue 10 de ses bienfaits envers Gwynplaine. Elle lui avait donné une bouche s?ouvrant jusqu?aux oreilles, des oreilles se repliant jusque sur les yeux, un nez informe fait pour l?oscillation des lunettes de grimacier, et un visage qu?on ne pouvait regarder sans rire. Nous venons de le dire, la nature avait comblé Gwynplaine de ses dons. Mais était-ce la nature ? Ne l?avait-on pas aidée ? Deux yeux pareils à des jours de souffrance, un hiatus 11 pour bouche, une protubérance camuse 12 avec deux trous qui étaient les narines, pour face un écrasement, et tout cela ayant pour résultante le rire, il est certain que la nature ne produit pas toute seule de tels chefsd??uvre. Seulement, le rire est-il synonyme de la joie ? Si, en présence de ce bateleur 13 , ? car c?était un bateleur, ? on laissait se dissiper la première impression de gaieté, et si l?on observait cet homme avec attention, on y reconnaissait la trace de l?art 14 . Un pareil visage n?est pas fortuit 15 , mais voulu. Être à ce point complet n?est pas dans la nature. L?homme ne peut rien sur sa beauté, mais peut tout sur sa laideur. Victor Hugo, L?Homme qui rit, IIe partie, livre II, chapitre I, 1869. › Texte 3 Le roman raconte la vie de six compères et cousins juifs, sur l?île de Céphalonie, en Grèce. 5 Le premier qui arriva fut Pinhas Solal, dit Mangeclous. C?était un ardent, maigre et long phtisique 16 à la barbe fourchue, au visage décharné et tourmenté, aux pommettes rouges, aux immenses pieds nus, tannés, fort sales, osseux, poilus et veineux, et dont les orteils étaient effrayamment écartés. Il ne portait jamais de chaussures, prétendant que ses extrémités étaient « de grande délicatesse ». Par contre, il était, comme d?habitude, coiffé d?un haut-de-forme et revêtu d?une redingote crasseuse ? et ce, pour honorer sa profession de faux avocat qu?il appelait « mon apostolat » 17 . 10. Prodigue : généreuse. 11. Hiatus : ouverture étroite et allongée. 12. Protubérance camuse : bosse de chair courte et aplatie. 13. Bateleur : personne exécutant des tours dans les foires et sur les places publiques. 14. Art : habile intervention de l?homme. 15. Fortuit : dû au hasard. 16. Phtisique : malade atteint de tuberculose. 17. Apostolat : mission qui demande beaucoup d?efforts et de dévouement. 36 Sujet 2 Énoncé 10 15 Mangeclous était surnommé aussi Capitaine des Vents à cause d?une particularité physiologique 18 dont il était vain 19 . Un de ses autres surnoms était Parole d?Honneur ? expression dont il émaillait ses discours peu véridiques. Tuberculeux depuis un quart de siècle mais fort gaillard, il était doté d?une toux si vibrante qu?elle avait fait tomber un soir le lampadaire de la synagogue 20 . Son appétit était célèbre dans tout l?Orient non moins que son éloquence et son amour immodéré de l?argent. Presque toujours il se promenait en traînant une voiturette qui contenait des boissons glacées et des victuailles à lui seul destinées. On l?appelait Mangeclous parce que, prétendait-il avec le sourire sardonique 21 qui lui était coutumier, il avait en son enfance dévoré une douzaine de vis pour calmer son inexorable 22 faim. Une profonde rigole 23 médiane traversait son crâne hâlé et chauve auquel elle donnait l?aspect d?une selle. Il déposait en cette dépression 24 divers objets tels que cigarettes ou crayons. Albert Cohen, Mangeclous, chapitre I, 1938. › Texte 4 Adrien Fournier, à peine mobilisé en 1914, se retrouve défiguré par un éclat d?obus. On le conduit dans la chambre des officiers de l?hôpital du Val-de-Grâce, où sont soignés les « gueules cassées ». 5 10 15 Le matin suivant, je me lève pour la première fois. Ma démarche est hésitante. Je longe les fers de lits comme les premiers marins explorateurs longeaient les côtes. À chaque pas je crains de m?effondrer, mais la curiosité est plus forte que l?appréhension 25 . Lorsque enfin j?atteins mon but, je me penche sur l?un des deux nouveaux arrivants. Mon compagnon de chambre gît sur le dos, un petit crucifix dans la main droite, serré contre sa poitrine. Sa face est à l?air libre, sans aucun bandage. Un obus, certainement, lui a enlevé le menton. La mâchoire a cédé comme une digue sous l?effet d?un raz de marée. Sa pommette gauche est enfoncée et la cavité de son ?il est comme un nid d?oiseau pillé. Il respire doucement. Je reprends mon chemin, faisant halte à chaque lit vide jusqu?au troisième occupant de la salle. Sa peau mate et ses cheveux noirs contrastent avec la blancheur de son oreiller. Son profil est plat. Le projectile lui a soufflé le nez, lui laissant les sinus béants. L?absence de lèvre supérieure lui donne un rictus inquisiteur 26 . Je comprends pourquoi notre salle se remplit si lentement, pourquoi nous sommes au dernier étage. Dans cette grande salle sans glaces, chacun d?entre nous devient le miroir des autres. Marc Dugain, La Chambre des officiers, 1998. 18. Physiologique : physique, corporelle. 19. Dont il était vain : dont il tirait orgueil. 20. Synagogue : lieu de culte de la religion juive. 21. Sardonique : moqueur, teinté de méchanceté. 22. Inexorable : auquel on ne peut se soustraire. 23. Rigole : sillon ou creux, long et étroit. 24. Dépression : creux, enfoncement. 25. Appréhension : crainte. 26. Rictus inquisiteur : grimace menaçante, qui semble exprimer une question insistante. 37 Sujet 2 Énoncé I. Questions Après avoir lu attentivement les documents du corpus, vous répondrez aux questions suivantes, de façon organisée et synthétique. 1 Qu?est-ce qui permet de rapprocher ces portraits de personnages ? 2 Quels effets ces portraits cherchent-ils à produire selon vous sur le lecteur ? „Comprendre les questions La première question vous demande de déterminer vous-même la cohérence et l?unité de ce corpus. Vous devez donc chercher des points communs entre ces extraits. Pour construire votre comparaison, appuyez-vous sur le terme « portraits ». Tous ces textes décrivent en effet des personnages : expliquez ce qui permet de rapprocher ces derniers. La seconde question interroge les « effets » de ces portraits ainsi que leur réception. Vous devez donc réfléchir aux motivations de l?auteur mais également aux impressions ressenties par le lecteur. Il vous faut, en somme, analyser les différentes fonctions de ces descriptions. „Mobiliser ses connaissances Le portrait d?un personnage se révèle souvent précieux pour le lecteur. Il nous renseigne tout d?abord sur l?apparence du personnage grâce aux nombreux outils de la description. Dans les extraits de ce corpus, tous les romanciers cherchent ainsi à représenter des êtres victimes de différentes difformités. Seulement, à travers le portrait physique se cache souvent un portrait moral. La description pourra en effet nous en apprendre davantage sur le caractère des personnages. Dans le texte d?Albert Cohen, par exemple, l?excentricité de Mangeclous est à la fois physique et morale. Le registre pathétique a pour but de faire compatir le lecteur c?est-à-dire, étymologiquement, de le faire souffrir avec un personnage. Le terme « pathétique » vient en effet du grec pathos qui évoque une forme de souffrance. Dans ce corpus, l?utilisation du registre pathétique permet de dépasser la simple réaction de rejet ou de dégoût. Des liens pourront ainsi se créer entre le personnage et le lecteur. Ces portraits visent également à susciter une forme de compassion. Le narrateur d?Eugénie Grandet se montre parfois distant voire ironique, mais il nous présente aussi une « pauvre fille » dont les larmes et le malheur pourront émouvoir les lecteurs. „Procéder par étapes Après avoir présenté le corpus dans l?introduction, organisez votre première réponse en fonction des points communs que vous aurez identifiés. Chaque élément de rapprochement pourra ainsi faire l?objet d?un paragraphe. La seconde question vous invite à analyser « différents effets » : le pluriel est ici important. Vous pouvez donc consacrer un paragraphe à chaque effet relevé. Vous serez également amené à observer certaines différences : soyez sensible à la singularité de chaque texte. N?oubliez pas d?évoquer les textes avec précision et ne négligez aucun des quatre textes, même si l?un d?entre eux vous semble plus complexe. 38 Sujet 2 Énoncé II. Travaux d?écriture Vous traiterez ensuite au choix l?un des trois travaux d?écriture suivants. Commentaire Vous ferez le commentaire du texte 3 en vous aidant du parcours de lecture suivant : Vous étudierez tout d?abord le portrait d?un personnage à la fois comique et repoussant. Vous montrerez ensuite comment le personnage hors norme prend une dimension mythique et légendaire. „Comprendre le texte Pour bien comprendre la singularité de ce texte, il faut être sensible au caractère paradoxal du personnage de Mangeclous. A priori, ce dernier a tout pour déplaire au lecteur car il est repoussant ou menteur. Le portrait physique et le portrait moral ne semblent guère valorisants. Pourtant, une certaine complicité s?installe rapidement entre le personnage et le lecteur. Par son style et par le regard qu?il pose sur Mangeclous, Albert Cohen parvient en effet à rendre le personnage à la fois amusant et fascinant. Comme le suggèrent les axes du sujet, le personnage est « comique » et il est même tellement singulier qu?il en devient « hors norme ». „Mobiliser ses connaissances On distingue différents types de comique selon les procédés utilisés. Le comique de situation, notamment grâce au quiproquo, plonge un ou plusieurs personnages dans une situation ambiguë. Le comique de gestes fait la part belle à la mimique ou à la grimace. Le comique de mots tire profit des ressources du langage pour faire naître le rire du spectateur. Le comique de caractère, enfin, grossit quelques traits de personnalité afin de les rendre excessifs. Dans ce texte d?Albert Cohen, le comique de caractère est central. Le personnage se distingue par ses excès, qu?ils soient physiques ou moraux, et le style d?Albert Cohen renforce cette tonalité. Les figures d?amplification sont des procédés littéraires qui amènent une forme d?exagération. Selon les textes, il pourra s?agir de gradations ou encore d?hyperboles. Ces procédés s?opposent aux figures d?atténuation comme l?euphémisme ou la litote. Dans cet extrait, Albert Cohen utilise de nombreuses hyperboles. Il évoque notamment les « immenses pieds nus » de Mangeclous ou encore « une toux si vibrante qu?elle avait fait tomber un soir le lampadaire de la synagogue ». „Procéder par étapes Les deux axes proposés permettent de construire le commentaire de ce texte. Utilisez-les pour rédiger les deux grandes parties du développement. En amont de ces grandes parties, il vous faudra néanmoins trouver un projet de lecture ou une problématique que vous énoncerez clairement dans l?introduction. En aval, vous devrez également développer ces axes en sous-parties. Appuyez-vous pour cela sur les termes importants comme « repoussant », « comique », « mythique » ou « légendaire ». Chaque sous-partie prendra la forme d?un paragraphe et reposera sur des analyses précises. Ce texte contient de nombreux procédés littéraires que vous devrez identifier et interpréter. Au brouillon, faites un relevé des citations pertinentes et classez-les dans vos sous-parties. 39 Sujet 2 Énoncé Dissertation À votre avis, la présence de personnages repoussants dans un roman nuit-elle ou contribue-t-elle à l?intérêt que l?on porte à sa lecture ? Vous appuierez votre développement sur les textes du corpus, les textes étudiés pendant l?année, ainsi que sur vos lectures personnelles. „Comprendre le sujet Il s?agit ici de s?interroger sur les « personnages repoussants ». Vous devez tout d?abord analyser cet adjectif qualificatif. Un personnage pourra ainsi être qualifié de repoussant voire de monstrueux en raison de caractéristiques physiques ou morales. En outre, il s?agit de s?interroger sur la réception de ces personnages. Dans quelle mesure peuvent-ils intéresser le lecteur ? Le sujet vous propose deux alternatives que vous pourrez développer. Certains personnages peuvent en effet rebuter le lecteur tandis que d?autres parviendront à le toucher, malgré leur difformité ou peut-être précisément grâce à cette différence. „Mobiliser ses connaissances Le réalisme et le naturalisme ont cherché à représenter la réalité sans l?idéaliser. Les auteurs appartenant à ces mouvements littéraires du XIXe siècle ont ainsi créé des personnages qui ont parfois choqué les lecteurs. Gustave Flaubert a dû affronter un procès pour Madame Bovary, roman accusé d?immoralité. Dans Thérèse Raquin, Émile Zola nous raconte quant à lui l?existence de l?héroïne du même nom, jeune femme complice de l?assassinat de son mari. Les réactions ont été particulièrement virulentes et certains critiques ont violemment attaqué cette ?uvre et son auteur. Louis Ulbach, dans un article publié le 23 janvier 1868 dans Le Figaro écrit par exemple : « Quant à Thérèse Raquin, c?est le résidu de toutes les horreurs publiées précédemment. On y a égoutté tout le sang et toutes les infamies. » Il ajoute également : « Ce livre résume trop fidèlement toutes les putridités de la littérature contemporaine pour ne pas soulever un peu de colère. » Quelques jours plus tard, Zola répond à cet article en publiant une lettre ouverte dans Le Figaro. Il défend alors l?utilité de ses personnages pour le lecteur : « Vous avez parlé de charnier, de pus, de choléra, je vais parler à mon tour des réalités humaines, des enseignements terribles de la vie. » „Procéder par étapes Le sujet vous invite à confronter différentes thèses à travers un plan dialectique. Vous pouvez ainsi commencer par chercher à comprendre pourquoi certains lecteurs pourraient éventuellement regretter la présence de ces personnages repoussants dans un roman. Cependant, il serait intéressant de dépasser cette première réaction dans la suite de votre dissertation car ces personnages peuvent également toucher les lecteurs ou nourrir leur réflexion. Veillez à proposer suffisamment d?exemples dans votre devoir. Vous pouvez bien évidemment tirer profit du corpus qui est particulièrement riche. Il vous faudra cependant évoquer des lectures plus « personnelles ». Avant de rédiger, listez toutes ces références au brouillon. 40 Sujet 2 Énoncé Écriture d?invention Dans le texte de Marc Dugain (texte 4), le héros ne s?est pas encore vu car les miroirs ont été retirés de la salle où il est soigné. Un matin, il se voit dans le reflet d?une fenêtre. Imaginez la scène, ce qu?il découvre, les émotions qu?il ressent et les pensées qui l?assaillent au fur et à mesure d?une telle révélation. Votre texte, rédigé à la première personne, comportera au moins une quarantaine de lignes. „Comprendre le sujet Même si votre texte ne constituera pas la suite directe de celui de Marc Dugain, il doit se placer dans le prolongement de l?extrait du corpus. Vous devez ainsi, comme Marc Dugain, donner la parole au soldat blessé et en faire le narrateur de votre texte. C?est une véritable « révélation » qu?il vous faut raconter. Le personnage est en effet confronté, pour la première fois, à son reflet. Il faut donc imaginer le choc de cette rencontre. Le sujet vous offre quelques pistes à suivre. Il indique par exemple le cadre spatio-temporel de votre récit. Vous devez raconter ce que vit cet homme « un matin », face au « reflet d?une fenêtre ». Pensez à décrire les lieux avant de vous attarder plus précisément sur le visage mutilé. Il vous faudra également, au sein de votre récit, accorder une large place aux « émotions » et aux « pensées » du personnage. Faites ressentir la détresse et les doutes de cet homme qui ne sait plus très bien qui il est. „Mobiliser ses connaissances Un anachronisme est une confusion importante dans un devoir d?invention. Il s?agit d?un détail qui va contre le cours du temps, d?un fait qui n?est pas cohérent par rapport à une époque donnée. Dans votre devoir, il faudra donc veiller à ce que tout ce que vous avancez soit bien en accord avec les dates de la Première Guerre mondiale. Évitez par exemple de faire référence aux nouvelles technologies ou à des événements historiques qui n?ont pas encore eu lieu... Dans cet extrait de La Chambre des officiers, Marc Dugain utilise de nombreuses comparaisons. Il évoque par exemple cette mâchoire qui « a cédé comme une digue sous l?effet d?un raz de marée ». La comparaison permet de rapprocher deux éléments distincts grâce à un outil de comparaison. Il s?agit d?une analogie explicite. Ce procédé littéraire pourra se révéler utile pour décrire le visage de ce blessé. Les images traduiront alors le choc de cette « révélation ». „Procéder par étapes Ce sujet se présente comme un exercice de lecture, d?imagination et d?écriture. Commencez par lire attentivement le texte de Marc Dugain afin de comprendre ce qui fait la spécificité de ce personnage. Analysez également le style de l?écrivain et la manière de s?exprimer du narrateur. Au brouillon, cherchez des idées riches et pertinentes. Il s?agit bien, pour reprendre un verbe présent dans le sujet, d?« imaginer » cette découverte. Attention cependant : votre imagination ne doit pas vous entraîner hors du cadre fixé par le sujet. Organisez ensuite ces idées. Votre texte devra suivre une progression logique. Vous pouvez commencer par une description des lieux et du visage, avant de mettre en lumière les émotions du personnage. Soignez enfin la qualité de votre expression. Vous pouvez également utiliser des procédés littéraires pour enrichir votre devoir. 41 Sujet 2 Corrigé Question 1 En apparence, les extraits de corpus pourraient paraître très différents. Balzac, auteur réaliste, se distingue ainsi de Victor Hugo, considéré comme le chef de file du romantisme. Les deux autres romanciers ont, quant à eux, écrit durant le XXe siècle. Albert Cohen nous propose en 1938 Mangeclous tandis que Marc Dugain, en 1998, nous invite à partir à la rencontre des victimes de la Première Guerre mondiale dans La Chambre des officiers. Cependant, chacun de ces auteurs nous propose ici la description d?un personnage. Mais, plus précisément, qu?est-ce qui permet de rapprocher ces différents portraits ? Pour répondre à cette question, nous commencerons par noter que ces personnages paraissent singuliers voire monstrueux. Nous analyserons ensuite la place de ces derniers dans la société. Chaque portrait se présente tout d?abord comme la description d?un personnage difforme. Différentes parties du corps sont ainsi évoquées et les adjectifs qualificatifs sont particulièrement péjoratifs. Dans le texte de Balzac, la « figure » du personnage est « repoussante ». Le narrateur évoque également des « verrues » et des « bras nerveux ». Le « nez » de Gwynplaine, dans le texte de Victor Hugo est « informe », ce qui pousse le narrateur à parler de « laideur ». Albert Cohen décrit pour sa part un « visage décharné et tourmenté » ainsi que des « pieds nus, tannés, fort sales, osseux, poilus et veineux ». Pour décrire les « gueules cassées », Marc Dugain a recours à des comparaisons, comme lorsqu?il écrit : « sa pommette gauche est enfoncée et la cavité de son ?il est comme un nid d?oiseau pillé ». Victor Hugo décrit pour sa part des « yeux pareils à des jours de souffrance ». D?autres procédés stylistiques permettent de renforcer ces différences et de les amplifier. L?hyperbole est utilisée par Balzac, comme le prouve la présence de l?adverbe « tant ». Albert Cohen qualifie également les pieds de Mangeclous d?« immenses », tandis que la description de L?Homme qui rit est faite de contrastes forts. L?énumération traduit aussi l?ampleur de ces défauts. En somme, ces portraits nous présentent des personnages qui pourront être qualifiés par la société de monstrueux. Ces difformités rendent en effet certains personnages marginaux. « La Grande Nanon » est notamment « rebutée de porte en porte ». Le personnage de Victor Hugo suscite la moquerie à cause de ce « visage qu?on ne pouvait regarder sans rire ». Les personnages de Marc Dugain sont également isolés : le narrateur nous rappelle ainsi qu?ils sont « au dernier étage ». Privés de regards et de reflets, les personnages sont à distance d?eux-mêmes. Placés ainsi au ban de la société, ils semblent même déshumanisés. De même, le personnage imaginé par Balzac n?est plus vraiment une femme mais « une créature femelle taillée en Hercule, plantée sur ses pieds comme un chêne de soixante ans sur ses racines ». Mangeclous se présente également comme un personnage marginal et excentrique, en raison d?une « particularité physiologique » mais aussi de son caractère. Pour autant, l?amusement que peut susciter le personnage semble plus léger et moins grave que le rire qui touche Gwynplaine ou le dégoût qu?inspirent « la Grande Nanon » ou les mutilés de la Grande Guerre. Ses multiples surnoms en font aussi un être hors norme, presque légendaire. La place de ces personnages dans la société permet donc de lier ces portraits, même si le personnage d?Albert Cohen semble ici se différencier tant il met lui-même en scène sa différence. Ce corpus possède en somme une réelle unité. Le rapprochement de ces portraits physiques permet 42 Sujet 2 Corrigé de confronter différents personnages victimes de difformités et bien souvent marginalisés en raison de ces différences. 2 Dans Eugénie Grandet, L?Homme qui rit, Mangeclous et La Chambre des officiers, Balzac, Victor Hugo, Albert Cohen et Marc Dugain représentent tous des personnages difformes. Mais dans quel but ? Nous pouvons ainsi nous demander quels effets ces personnages cherchent à produire sur le lecteur. Certes, ces difformités peuvent occasionner une forme de dégoût, comme nous le remarquerons dans une première partie. Seulement, les romanciers peuvent aussi créer des liens forts entre ces personnages et les lecteurs. Ces descriptions sont susceptibles tout d?abord d?entraîner une certaine distance entre les personnages et les lecteurs. Dans le texte de Balzac, la description peut susciter une forme de dégoût, d?autant que l?énumération renforce l?ampleur de ces défauts. Balzac évoque ainsi des « verrues », un « teint de brique » ou encore des « bras nerveux ». Le personnage décrit par Hugo peut également perturber le lecteur en raison de son étrange visage ou du décalage entre sa « laideur » et le « rire » qui lui est attaché. Victor Hugo, qui affirme dans la préface de Cromwell que « que tout dans la création n?est pas humainement beau, que le laid y existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime », crée ici un personnage étrange, à la fois moqué et fascinant. Albert Cohen évoque quant à lui des orteils « effrayamment écartés » et offerts à la vue de tous. Dans le dernier texte du corpus, le choix d?un narrateur interne se révèle intéressant. Nous sommes ainsi à la place du personnage, si bien que nous partageons sa « curiosité » mais aussi son « appréhension ». Sans aller toujours jusqu?à l?horreur, ces portraits marquent l?imagination des lecteurs. Ainsi, la présence de ce creux, dans le crâne de Mangeclous, « profonde rigole médiane » permettant même de ranger différents objets, ne peut que rester dans les mémoires ! Par les excès de son personnage et par la richesse de son style, Albert Cohen ne semble pas véritablement rechercher une forme d?identification. Pour autant, il ne faut pas considérer ces portraits comme de simples moqueries ou comme des satires. Certes, le texte de Balzac n?est pas exempt d?ironie. Mais le romancier cherche également à toucher le lecteur, comme lorsqu?il décrit, à deux reprises, son personnage comme « une pauvre fille ». Les larmes peuvent aussi émouvoir : le portrait physique du personnage nous ouvre alors les portes de son intériorité. Les romanciers peuvent donc utiliser le registre pathétique afin de renforcer la compassion du lecteur. Balzac dénonce également l?attitude de ceux qui entourent « la Grande Nanon », et même de cet homme qui l?accueille mais qui « l?exploit[e] féodalement »... De même, Victor Hugo et Marc Dugain s?interrogent sur les causes de cette laideur et pointent la responsabilité des autres hommes. Les personnages se présentent donc également comme des victimes et il s?agit aussi, pour le romancier, de faire réfléchir le lecteur. Le texte d?Albert Cohen se distingue à nouveau des autres extraits par sa tonalité comique. Le caractère excentrique du personnage amuse et peut même faire naître une forme de complicité entre le personnage et le lecteur. Le plus souvent, ces portraits permettent par conséquent de dépasser une première réaction de rejet ou de dégoût. Les auteurs cherchent même parfois à toucher le lecteur et à le faire réfléchir. 43 Sujet 2 Corrigé Travaux d?écriture : commentaire Introduction En 1968, Albert Cohen a marqué les esprits avec Belle du Seigneur, magistral roman qui raconte l?histoire d?amour unissant Ariane et Solal. Mais les racines de cette ?uvre plongent dans Solal, roman publié en 1930 ainsi que dans Mangeclous, que les lecteurs ont pu découvrir dès 1938. Mangeclous raconte les aventures de quelques cousins juifs. Ces personnages, surnommés « les Valeureux », vivent sur l?île de Céphalonie, en Grèce. Parmi eux, Pinhas Solal, qui possède de nombreux surnoms dont celui de Mangeclous, ne peut qu?attirer l?attention du lecteur. Le portrait qu?en fait le narrateur dans cet extrait intrigue : Mangeclous, qui pourrait sembler repoussant, se révèle particulièrement étonnant. Nous chercherons donc à comprendre comment Albert Cohen transforme Mangeclous en un personnage fascinant pour le lecteur. Dans une première partie, nous étudierions la complexité de ce personnage à la fois comique et repoussant. Dans un second temps, nous montrerons que nous sommes confrontés à un personnage hors norme. I. Un personnage complexe 1. À la fois repoussant... Une certaine distance pourrait tout d?abord s?établir entre Mangeclous et le lecteur. En effet, la description que le narrateur fait du personnage n?est guère valorisante. Non seulement le portrait physique accorde une place importante aux pieds, mais le narrateur donne à ces « extrémités » une allure repoussante. Nous découvrons ainsi une description détaillée de ces « immenses pieds nus, tannés, fort sales, osseux, poilus et veineux, et dont les orteils étaient effrayamment écartés ». L?adverbe « effrayamment » place même le personnage à la frontière entre l?étrange et le monstrueux. Albert Cohen renforce cette impression en qualifiant, à la fin du texte, le sourire de « sardonique ». Dès ses origines, le terme « sardonique » évoque un rire malfaisant et inquiétant. En outre, l?adjectif « fourchu » utilisé pour décrire la barbe n?est pas anodin. Il peut rappeler les pieds fourchus de certains animaux, comme le bouc, mais il est aussi souvent employé pour évoquer le diable. L?expression « avoir le pied fourchu » signifie par ailleurs être dangereux ou malfaisant... Certes, Albert Cohen reste ici subtil, mais ces sous-entendus peuvent être perçus par le lecteur. L?auteur insiste également sur la maladie qui touche ce personnage ayant un « visage décharné et tourmenté ». De plus, les défauts de Mangeclous ne sont pas uniquement physiques, ils tiennent aussi à son caractère. Ce dernier semble ainsi cupide, vantard ou menteur. Le narrateur évoque notamment « ses discours peu véridiques ». 2. ... et comique Cependant, ces nombreux défauts font aussi sourire le lecteur. L?évocation des pieds, qui renvoie au bas corporel, nous entraîne également dans l?univers de la farce. Son « appétit célèbre dans tout l?Orient » peut amuser, d?autant que le personnage a une allure étonnante, lui qui promène 44 Sujet 2 Corrigé « une voiturette » contenant « des boissons glacées et des victuailles à lui seul destinées ». Le surnom « Capitaine des Vents » semble en outre particulièrement grotesque car il est lié à une « particularité physique » peu reluisante, dont le personnage est pourtant très fier... Albert Cohen, par ces nombreuses exagérations, utilise ici les ressources du comique de caractère. Les décalages peuvent également amuser le lecteur et le narrateur ne manque pas d?attirer son attention sur certains détails intrigants. Il évoque par exemple avec ironie le surnom « Parole d?Honneur », cette « expression dont il émaillait ses discours peu véridiques ». Mangeclous évoque en outre ses pieds « fort sales » comme des « extrémités [...] de grande délicatesse ». Les vêtements du personnage semblent également en décalage avec son discours. Son haut-de-forme tranche avec ses pieds nus tandis que sa « redingote crasseuse » est associée à « sa profession de faux avocat ». En somme, nous assistons bien à une forme de retournement. Les défauts du personnage sont tels qu?ils en deviennent comiques. C?est bien cette complexité qui donne à ce personnage tout son intérêt. Seulement, Albert Cohen va encore plus loin en accordant à Mangeclous des caractéristiques extraordinaires, qui en font un être hors norme. II. Un personnage hors norme 1. Un personnage fait d?excès et de contrastes Les excès du personnage ne sont pas seulement comiques, ils en font également un être exceptionnel. Ainsi, les remarques sur la santé de Mangeclous sont particulièrement étonnantes. Ce dernier est tout à la fois décrit comme un personnage maladif et en pleine santé. D?une part, c?est un « maigre et long phtisique », ayant un « visage décharné et tourmenté », qui est même « tuberculeux depuis un quart de siècle ». D?autre part, comme l?illustre l?utilisation de la conjonction de coordination « mais », Mangeclous se révèle « fort gaillard », fait preuve d?un grand appétit et d?une indéniable vigueur. En outre, le narrateur multiplie les hyperboles pour donner à ce personnage une dimension extraordinaire. Il a notamment plusieurs fois recours à l?adverbe « fort ». Il exagère aussi la toux du personnage, une toux « si vibrante qu?elle avait fait tomber un soir le lampadaire de la synagogue » ! L?amour que Mangeclous porte à l?argent est également « immodéré » et son appétit est « inexorable ». La description du crâne peut elle aussi surprendre le lecteur puisque le personnage peut même ranger « divers objets tels que cigarettes ou crayons » dans cette « dépression » ! L?analogie avec la « selle » est pour le moins étonnante. Albert Cohen n?est donc absolument pas guidé par une quelconque exigence réaliste. Au contraire, son style ne fait que renforcer les excès de son personnage. 2. Une existence qui se transforme en légende « Mangeclous », « Capitaine des Vents », « Parole d?honneur » : comme les plus grands héros, Pinhas Solal se voit gratifier de multiples surnoms. Certes, ces surnoms sont ici davantage grotesques, mais ils illustrent tout de même l?aura du personnage d?Albert Cohen. « On l?appelait » indique une forme de renommée. En outre, l?anecdote ramenant à l?enfance du personnage tient lieu d?aventure extraordinaire, même si elle semble peu vraisemblable. Comme Hercule triom45 Sujet 2 Corrigé phant des serpents envoyés dans son berceau, le jeune héros résiste à l?épreuve des clous... Le verbe « dévorer » renforce le caractère mythique de l?anecdote. Mangeclous se présente ainsi comme un antihéros évoqué de manière héroïque. Mais c?est également le personnage lui-même qui célèbre sa propre légende. C?est lui qui évoque cette anecdote et le narrateur ne manque pas de rappeler que « l?éloquence » de Mangeclous est à la hauteur de son appétit et de sa cupidité, ce qui n?est pas rien ! La proposition incise « prétendait-il » jette certes le doute sur ces propos, mais elle nous montre que Mangeclous renforce l?éclat de ses aventures. À la fois comédien et metteur en scène, le personnage participe donc pleinement à cette dimension mythique et légendaire. Conclusion Dans cet extrait, Albert Cohen démontre donc tout son talent. Par la force de son style, il parvient à métamorphoser son personnage. Mangeclous apparaît comme un être insaisissable, à la fois repoussant et sympathique, fragile et gaillard, amusant et fascinant... L?auteur prouve en outre qu?il manie parfaitement le registre comique. Seulement, la légèreté peut aussi, dans le reste de ce roman, s?accompagner d?une forme de gravité. Albert Cohen ne cherche pas seulement à intriguer le lecteur grâce à la bouffonnerie et à l?outrance de son personnage. Avant même le début de la Seconde Guerre mondiale, il évoque également la montée au pouvoir d?Hitler et les menaces qui planent, déjà, sur le peuple juif et sur les personnages comme Mangeclous. Travaux d?écriture : dissertation Introduction Étymologiquement, le « héros » est un « demi-dieu », un être possédant des qualités qui le distinguent des autres hommes. Quelques héros de roman correspondent encore à ces caractéristiques : ils peuvent alors faire figure de modèles pour les lecteurs. Seulement, d?autres personnages semblent beaucoup plus ambigus. Certains pourront même se révéler repoussants ou monstrueux. Mais la présence de tels personnages nuit-elle ou contribue-t-elle à l?intérêt que l?on porte à la lecture d?un roman ? Cette question interroge les rapports souvent complexes qui unissent le lecteur aux personnages d?un roman. Pouvons-nous être intéressés par ces personnages qui ont, a priori, tout pour nous déplaire ? Pour mieux comprendre l?intérêt de ces personnages, nous commencerons par montrer qu?ils peuvent être particulièrement variés. Seulement, comme nous le noterons dans un deuxième temps, tous ces êtres repoussants sont susceptibles de se révéler dérangeants pour certains lecteurs. Il importe néanmoins de dépasser cette réaction car ces personnages ont beaucoup à nous apprendre, comme nous le verrons pour finir. 46 Sujet 2 Corrigé I. Des personnages particulièrement variés 1. Des personnages physiquement repoussants Les textes du corpus montrent tout d?abord que la difformité peut être physique et prendre de nombreuses formes. Le romancier, à l?occasion d?une description, s?attardera alors sur différentes parties du corps. Dans Eugénie Grandet, Balzac décrit par exemple « la Grande Nanon », qui marque les esprits avec sa figure « repoussante », ses « verrues » et son « teint de brique ». Dans L?Homme qui rit, la description de Gwynplaine se révèle à la fois grotesque, effrayante et fascinante. Albert Cohen s?attache également, avec la grandiloquence qui caractérise son style, à amplifier le caractère repoussant de son personnage en décrivant minutieusement ses pieds. La laideur des personnages marque donc l?esprit du lecteur. Certains peuvent même être qualifiés de monstres tant ils se révèlent répugnants, comme la créature du célèbre Frankenstein. Ces individus semblent alors, en apparence, n?avoir plus rien d?humain. Dès les récits d?Homère, nous sommes confrontés à des créatures au physique effrayant comme Scylla. Plus récemment, les romans de fantasy s?inscrivent dans cette lignée, comme les ouvrages composant Le Seigneur des anneaux de Tolkien. Ces figures nourrissent alors l?imagination des lecteurs. 2. Des personnages moralement repoussants Mais les personnages peuvent aussi se révéler repoussants sur le plan moral. Ils brillent alors moins par leurs qualités que par leurs défauts. Dans Mangeclous, le personnage est ainsi cupide ou menteur. Le roman épistolaire Les Liaisons dangereuses, écrit par Laclos, nous offre également des héros manipulateurs comme la marquise de Merteuil qui n?hésite pas à jouer avec la réputation, les sentiments ou la vie des autres personnages. Dans Monsieur le Commandant, roman publié en 2011, Romain Slocombe imagine une longue lettre rédigée par un écrivain qui est aussi collaborateur. Cet homme va être amené à écrire des textes particulièrement violents pour attaquer le peuple juif. Il ira même jusqu?à dénoncer sa propre belle-fille. En outre, les meurtriers ne manquent pas dans l?histoire de la littérature. Dans Thérèse Raquin de Zola, Thérèse participe, avec son amant, à l?assassinat de son mari. Dans Manon Lescaut de l?abbé Prévost, le chevalier Des Grieux, emporté par le tourbillon de la passion amoureuse, se met à mentir ou à tricher au jeu et il en vient même à tuer froidement un homme en s?évadant de prison. En somme, la littérature ne manque pas de personnages qui se distinguent par leurs défauts et par leur manque de vertu. La monstruosité peut donc être physique ou morale. Chaque individu se révèle sur ce plan unique, ce qui pourra intéresser le lecteur curieux de découvrir des êtres singuliers. Chaque récit nous propose ainsi des rencontres et des situations différentes. Seulement, ces personnages pourront parfois se révéler dérangeants. II. Des personnages dérangeants 1. Entre dégoût... Ces personnages rebuteront tout d?abord certains lecteurs. Une certaine distance peut alors s?installer, d?autant que les auteurs n?hésitent pas, bien souvent, à amplifier les défauts de leurs per47 Sujet 2 Corrigé sonnages. Le portrait de Quasimodo, dans Notre-Dame de Paris, indique par exemple une laideur qui n?a rien de banale. Le narrateur décrit ainsi une « bouche en fer à cheval », un « petit ?il gauche obstrué d?un sourcil roux en broussailles », un « ?il droit [disparaissant] entièrement sous une énorme verrue », et des « dents désordonnées, ébréchées çà et là, comme les créneaux d?une forteresse ». Le romancier pourra donc, selon les textes et les contextes, choisir d?exagérer ces difformités au point d?éloigner le personnage du lecteur. Pour souligner et grossir ces traits, il aura par exemple recours aux hyperboles ou aux analogies. Il est alors difficile d?imaginer une quelconque identification. Nous sommes également loin des modèles hérités de l?épopée ou des romans de chevalerie. Les personnages ne suscitent plus l?admiration. Ils ne sont plus des modèles mais des antihéros. 2. ... et condamnation morale Lorsque le personnage est moralement repoussant, la distance semble encore plus grande, et ce dernier pourra même être critiqué ou condamné. Le jugement de Montesquieu à l?égard des personnages de l?abbé Prévost est par exemple sévère puisqu?il considère le chevalier Des Grieux comme un « fripon » et Manon Lescaut comme une « catin ». De même, certains lecteurs ont été choqués par les héros naturalistes. C?est le cas de Louis Ulbach qui s?en prend violemment à Thérèse Raquin dans un texte publié dans Le Figaro, allant jusqu?à parler des « putridités de la littérature contemporaine ». Seulement, le personnage créé par Zola conserve une certaine forme d?humanité, d?autant que l?auteur, fidèle à ses principes naturalistes, en fait aussi la victime de son hérédité et de son milieu. Le malaise ressenti par le lecteur pourra être encore plus fort lorsque le romancier l?emportera au plus près des pensées d?un véritable criminel. Le point de vue choisi par l?auteur peut renforcer ce trouble. Toute l?horreur de Monsieur le Commandant, de Romain Slocombe, vient aussi du fait que c?est le personnage, écrivain et collaborateur, qui raconte sa propre histoire à travers une longue lettre. Dans Les Bienveillantes, roman qui a reçu en 2006 le prix Goncourt, Jonathan Littell imagine quant à lui les mémoires d?un officier SS qui a directement participé aux massacres des nazis. Le lecteur est alors plongé dans l?horreur et la lecture du roman pourra s?avérer difficile. La présence de ces personnages repoussants pourra donc, chez certains lecteurs, occasionner une forme de distance ou de malaise. Pour autant, il est bien souvent nécessaire de dépasser cette première réaction. Ces personnages ont en effet beaucoup à nous apprendre. III. Des personnages riches 1. Toucher le lecteur Ces difformités peuvent tout d?abord émouvoir le lecteur. Les romanciers savent en effet utiliser toutes les ressources du registre pathétique pour nous faire partager une partie de la souffrance du personnage. Dans Eugénie Grandet, Balzac évoque ainsi une « pauvre fille » versant des larmes. Le personnage de Gwynplaine peut de même émouvoir le lecteur par sa souffrance, mais aussi grâce ses qualités. Paradoxalement, la déshumanisation dont est victime le héros pourra le rendre, aux yeux du lecteur, encore plus humain... Le point de vue interne se révèle en outre précieux 48 Sujet 2 Corrigé pour pousser le lecteur à compatir. Dans La Chambre des officiers, Marc Dugain confie même la narration à une victime de la Première Guerre mondiale. Le narrateur est une « gueule cassée » qui tremble de voir son visage défiguré et qui découvre, avec un mélange de « curiosité » et d?« appréhension », celui des autres blessés. Le lecteur est d?autant plus touché par cette condition que le personnage n?est pas responsable de son état. Il est victime de la violence des combats. En somme, les romanciers cherchent aussi à briser la distance qui sépare le personnage du lecteur afin de mieux toucher ce dernier. Loin d?être des monstres dont nous observons froidement l?existence, les personnages repoussants redeviennent des êtres humains. Certes, ils restent des « êtres de papier » mais, le temps de la lecture, leur souffrance, leur honte ou leur gêne deviennent aussi les nôtres. 2. Faire réfléchir le lecteur Mais les auteurs ne cherchent pas seulement à nous émouvoir. Ces personnages nous poussent tout d?abord à réfléchir à la question de l?altérité et de la tolérance : les réactions de la société vis-à-vis de ces êtres difformes ne sont que rarement positives et elles peuvent, elles aussi, être considérées comme monstrueuses... Ces personnages permettent également de mettre en lumière la complexité de la nature humaine. Comme Gwynplaine, chaque homme est ainsi « grotesque » et « sublime », pour reprendre des termes chers à Victor Hugo. Loin des héros idéalisés et stéréotypés, les personnages romanesques sont donc des êtres humains avec leurs défauts physiques et moraux. En outre, les romanciers critiquent parfois les responsables de cette souffrance. Victor Hugo nous rappelle ainsi que derrière l?étrange rire de Gwynplaine se cache la main de l?homme. Les « gueules cassées » que l?on trouve notamment dans le roman de Marc Dugain sont elles aussi les victimes d?un conflit qui les dépasse. De plus, les menteurs, les manipulateurs ou les meurtriers qui peuplent de nombreux romans sont autant de prétextes à une réflexion sur le mal et sur l?homme. Or, comme le rappelle notamment Émile Zola, ce n?est pas en occultant cette part sombre que ce dernier peut espérer devenir meilleur : c?est en l?examinant et en l?affrontant. Il ne faut donc pas sombrer dans une vision moralisatrice qui viserait à mettre au ban de la littérature les « méchants » que nous croisons dans les romans. Non seulement ces personnages sont utiles au récit, qu?ils dynamisent et enrichissent grâce à leurs méfaits, mais ils mettent aussi en lumière la part d?ombre...

« Sujet 1 | Énoncé › Texte 2 Emma a épousé Charles Bovary, un officier de santé.

Elle mène une vie plate et médiocre, bien différente du bonheur que lui faisaient imaginer ses lectures romanesques au couvent où elle a fait ses études.

Elle sombre peu à peu dans l’ennui et la mélancolie. Un soir que la fenêtre était ouverte, et que, assise au bord, elle venait de regarder Lestiboudois, le bedeau 2, qui taillait le buis, elle entendit tout à coup sonner l’angélus 3. On était au commencement d’avril, quand les primevères sont écloses ; un vent tiède se roule sur les plates-bandes labourées, et les jardins, comme des femmes, semblent faire leur toilette pour les fêtes de l’été.

Par les barreaux de la tonnelle et au-delà tout alentour, on voyait la 5 rivière dans la prairie, où elle dessinait sur l’herbe des sinuosités vagabondes.

La vapeur du soir passait entre les peupliers sans feuilles, estompant leurs contours d’une teinte violette, plus pâle et plus transparente qu’une gaze subtile arrêtée sur leurs branchages.

Au loin, des bestiaux marchaient ; on n’entendait ni leurs pas, ni leurs mugissements ; et la cloche, sonnant toujours, continuait dans les airs sa lamentation pacifique. 10 À ce tintement répété, la pensée de la jeune femme s’égarait dans ses vieux souvenirs de jeunesse et de pension.

Elle se rappela les grands chandeliers, qui dépassaient sur l’autel les vases pleins de fleurs et le tabernacle 4à colonnettes.

Elle aurait voulu, comme autrefois, être encore confondue dans la longue ligne des voiles blancs, que marquaient de noir çà et là les capuchons raides des bonnes sœurs inclinées sur leur prie-Dieu ; le dimanche, à la messe, 15 quand elle relevait sa tête, elle apercevait le doux visage de la Vierge parmi les tourbillons bleuâtres de l’encens qui montait.

Alors un attendrissement la saisit ; elle se sentit molle et tout abandonnée, comme un duvet d’oiseau qui tournoie dans la tempête ; et ce fut sans en avoir conscience qu’elle s’achemina vers l’église, disposée à n’importe quelle dévotion, pourvu qu’elle y absorbât son âme et que l’existence entière y disparût. 20 Gustave Flaubert, Madame Bovary , partie II, chapitre VI, extrait, 1857. › Texte 3 Gervaise Macquart, une jeune provinciale, a suivi Lantier, son amant, à Paris.

Vers cinq heures du matin, tandis que ses deux enfants dorment paisiblement, Gervaise, accoudée à la fenêtre de sa chambre d’hôtel, s’inquiète de l’absence de Lantier qui n’est pas rentré de la nuit. L’hôtel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle 5, à gauche de la barrière Poissonnière. C’était une masure 6de deux étages, peinte en rouge lie de vin jusqu’au second, avec des persiennes pourries par la pluie.

Au-dessus d’une lanterne aux vitres étoilées, on parvenait à lire, entre les deux fenêtres : Hôtel Boncœur, tenu par Marsoullier , en grandes lettres jaunes, 2.Bedeau : employé d’une église préposé au service matériel. 3.Angélus : sonnerie de cloche qui annonce l’heure de la prière. 4.Tabernacle : petite armoire qui renferme les hosties. 5.La Chapelle : quartier misérable du Paris du XIX esiècle. 6.Masure : petite habitation délabrée. 16. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles