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Synthèse littéraire sur les « essais » (I, 31 et III, 6)

Publié le 02/08/2014

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I - UNE LITTÉRATURE CRITIQUE

Le rôle critique de ces deux « essais « peut se mesurer en fonction de la vision du pouvoir que nous propose Montaigne ; en fonction aussi de son attitude vis-à-vis des usages et de la dénonciation du caractère mercantile de notre civilisation.

Montaigne rappelle le statut des princes qui nous gouvernent en précisant qu'« un roi n'a rien proprement sien ; il se doit soi-même à autrui « (III, 6, p. 161). Il en découle un renversement de perspective qu'avaient déjà souligné Platon et Cicéron. Le gouvernant doit se borner finalement à se tenir hors du jeu des intérêts et du système de l'avoir pour parvenir précisément à les régler : « nulla ars in se versatur « (ibid., p. 162). On sait d'ailleurs que dans l'état de nature, tel que le vivent les Indiens (« Des Cannibales «, p. 305) le pouvoir politique est minimal.

Montaigne, d'autre part, dénonce la valeur des usages des nations, lesquels ne sont que l'expression de nos limites car notre jugement est partiel, partial, et n'at¬teint jamais à la vérité : « nous concluons aujourd'hui l'inclination et la décrépi¬tude du monde par les arguments que nous tirons de notre propre faiblesse et déca¬dence « (III, 6, p. 168). Le renversement ironique qu'il fait subir à la notion de barbarie va aussi dans ce sens (I, 31, pp. 304-310).

C'est enfin le rôle du commerce (de l'avoir et du gain), symbolisé par l'or, l'ar¬gent et les épices qui est critiqué car, à cause de lui, nous avons commis les pires atrocités dans le Nouveau Monde : « Tant de villes rasées, tant de nations extermi¬nées, tant de millions de peuples passés au fil de l'épée, et la plus riche et belle par¬tie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre ! mécaniques victoires « (III, 6, p. 171).

« certain nombre de valeurs morales qui auraient été essentielles pour se comporter noblement : « Que n'est tombée sous Alexandre ou sous ces Anciens Grecs et Romains une si noble conquête, et une si grande mutation et altération de tant d'empires et de peuples, sous des mains qui eussent conforté [fortifié] et promu les bonnes semences que Nature y avait produites mêlant( ...

) les vertus grecques et romaines aux originelles du pays » (Ill, 6, p.

171 ).

Montaigne Joue tantôt la toute-puissante mère Nature qui gouverne les sauvages du Nouveau Monde, tantôt il s'émerveille des grandes réalisations de ces civilisa­ tions : « ni Grèce, ni Rome, ni Égypte ne peut, soit en utilité, ou difficulté, ou no­ blesse, comparer aucun de ses ouvrages au chemin qui se voit au Pérou, dressé par les rois du pays, depuis la ville de Quito jusques à celle de Cusco » (III, 6, p.

176).

Re­ marquable et paradoxal ce chemin qui n'est fait pour aucun coche -dont les Indiens ignorent le principe - et qui (comme l'or) possède une valeur essentiellement ludique et/ou symbolique.

À ce titre, il est un pur signe de la grandeur des hommes, peut-être même un chant sacré dédié à la nature, tant il parvient à s'harmoniser avec elle .

.,., Ill -MONTAIGNE ET LES RELATIONS DE POUVOIR Les deux textes au programme (I, 31 et III) sont à envisager à travers la répéti­ tion à l' œuvre dans les Essais ( « j'ajoute, mais je ne corrige pas » dit Montaigne) puisqu'ils abordent, à plusieurs années de distance, l'un et l'autre, le même thème, à savoir la découverte du Nouveau Monde et sa destruction.

En dépit des ajouts continuels qui métamorphosent les Essais de l'intérieur, les Essais sont Join d'être dénués de cohérence ; la persistance du thème du Nouveau Monde, d'un livre à l'autre, en est une preuve évidente.

Mais c'est sur le projet global des Essais qu'il faut s'interroger, en rapport avec Je thème du Nouveau Monde et de sa significa­ tion.

Or, l'adresse au lecteur est claire sur ce point: «Ainsi, lecteur, je suis moi­ même la matière de mon livre » ; les Essais, malgré leur métamorphose interne, ne parleraient donc que de celui qui écrit.

Comment, dès lors, comprendre le projet de se « peindre soi-même » face à la réflexion de type politique qui gouverne nos deux « essais » ? C'est que, pour Montaigne, l'individu est d'emblée engagé dans des relations de pouvoir qui fon­ dent notre rapport à l'autre: la simple conversation installe une relation de pou­ voir, soit une relation ludique où je tente de convaincre l'autre et où l'autre tente de m'imposer son point de vue; tout est« en jeu», en mouvement, tout est réversible, - à l'essai: le sujet se sent libre.

Montaigne s'engage toujours dans ce type de rela­ tion de pouvoir lorsqu'il entre, par exemple, en conversation avec les Anciens, qu'il les discute, les critique ou les approuve.

Attitude qui explique aussi pourquoi la disparition de son ami La Boétie l'a engagé à écrire les Essais - comme pour continuer avec lui une conversation au-delà de l'absence et maintenir cette« rela­ tion à autrui » : « Luy seul jouissait de ma vraie image, et !'emporta » (III, 9, éd.

de 1588).

On remarquera que c'est aussi une relation fondée sur l'ouverture et l'échange qu'offrent les Indiens de Rouen : «ils ont une façon de langage telle, qu'ils nom­ ment les hommes moitié les uns des autres» (I, 31, p.

314).

Même leur guerre qui inclut pourtant la barbarie du cannibalisme, participe de ce type de rapport lu­ dique : on apprête Je festin pour dévorer les prisonniers, non par goût de la chair ou à cause d'une dépravation du comportement, mais pour les mettre à l'épreuve et on les laisse libre de leur réponse et de leur choix : «Tout cela se fait pour cette seule fin d'arracher de leur bouche quelque parole molle ou rabaissée, ou de leur donner. »

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