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Trafalgar Square la nuit - Valéry LARBAUD, Poésies d'A.O. Barnabooth

Publié le 12/02/2011

Extrait du document

Ne sens-tu pas, jeune mendiante, qu'il est beau, Que c'est une chose précieuse, d'être là, Errant dans ce désert architectural    Au milieu de la plus grande ville du monde, sous les astres    Perpendiculaires, astres malins, clignotants,    Réverbères embués de la cité céleste?    Ne songe plus à ta faim, mais joue    A deviner les lions couchés dans le brouillard bleu,    Au bord des terrasses d'eaux noires où stagnent    Les livides reflets des globes électriques...    Viens! Je suis une fée, je t'aime, tout à l'heure    Tu auras un festin dressé pour toi seule et des fleurs dans ta voiture;    Viens seulement contempler encore quelques instants    La grande chose nocturne, plus belle    Que les déserts et que la mer, et que les fleuves des tropiques Roulant dans la splendeur lunaire; Oh, regarde en silence, te pressant contre moi, Femme dédiée à la ville!    Valéry LARBAUD, Poésies d'A.O. Barnabooth.    Vous présenterez de ce poème un commentaire composé, où, par l'analyse rigoureuse de la forme, vous pourrez, par exemple, montrer quelle vision le poète nous propose d'une grande ville moderne.   

I. Une grande ville, la nuit...    — Écho de la grande poussée citadine, début XXe s.    — Écho de l'unanimisme, vers libres et cadences régulières.    II. La femme «dédiée à la ville«...    — Vision magique.    — Imprécision «lunaire«. Images et symboles.   

« dédiée à la ville». * * * Le titre est précis : Trafalgar Square la nuit.

Non moins exacte est l'indication locale du 4e vers, vaste comme cettecité : le jardin public est « au milieu de la plus grande ville du monde».

Ce premier élément du vers — ou plutôtverset comme dans les textes de Cendrars ou de Claudel, les contemporains —, violemment séparé du reste par lacoupe, est véritablement prosaïque dans sa construction syntaxique et le vocabulaire utilisé.

On pourrait y voir unephrase du célèbre guide Baedeker.

Voici qui correspond à ce courant propre à la poésie française du début du XXes.

et que l'on appelle souvent «cosmopolite».

On découvre les cabines de paquebot, les cocktails, le lambeth-walket surtout on les transforme en sujets ou expressions poétiques, tels ces « tramways » et ces « siphons » quichoquèrent tant dans La Chanson du Mal-Aimé d'Apollinaire.

On assiste alors à une véritable intégration des termescosmopolites directement installés dans les poèmes français.

Mais Larbaud dans ce texte ne place qu'un termeétranger, et encore dans le titre.

De plus c'est un nom propre; or ceux-ci ont toujours été utilisés pour unecoloration dite exotique, en poésie.

Donc Larbaud se montre moins «nouveau», moins «choquant» qu'un Cendrars etsa poésie du Transsibérien par exemple.

C'est d'ailleurs une des caractéristiques du texte complet, ici, et de Larbauden général : à part un rythme assez déroutant, la présentation descriptive de la ville demeure dans les limites desnormes assez courantes.

Bien sûr on n'avait jamais eu coutume auparavant d'élever au niveau du vocabulairepoétique les termes «réverbères» et «globes électriques».

Mais d'autres dépasseront de beaucoup ces utilisations —somme toute assez timides.

De plus le contexte qui les complète leur apporte ce qu'ils risquaient de ne pas posséderen propre.

Pour l'un ce sont des qualificatifs précis : «perpendiculaires», «clignotants» qui correspondent aux deuxcaractéristiques de la lumière dispensée par les «réverbères» à gaz de 1900 et les «globes électriques» quicommencent peu à peu à les remplacer.

Mais en même temps une correspondance est établie avec la lumière desétoiles, si bien que l'on ne sait plus exactement si l'apposition «astres malins» se rapporte à l'éclairage humain ou auscintillement du ciel.

Un jeu de coupes assez savant, particulièrement l'enjambement : «.../ sous les astres Perpendiculaires /...» et d'appositions tantôt réalistes tantôt oniriques (surtout les vers «Réverbères embués de la cité céleste», presqueun alexandrin, où les allitérations ajoutent une curieuse correspondance auditive), ce jeu donc crée l'ambiguïté quiest celle d'une grande cité endormie.

Car il s'agit d'un véritable nocturne.

Il en est de très beaux en littérature et lanuit a souvent inspiré les poètes : c'est la somptueuse palette de Chateaubriand pour Une nuit dans les désertsd'Amérique ou l'amour de Camus pour les rivages algériens «baignés de lune» dans La Peste par exemple, ou lesfermes, précises évocations, la nuit, de la campagne provençale chez Giono, ou bourguignonne chez Colette.

On enciterait bien d'autres! Mais ici, il s'agit d'un nocturne en ville.

Pas la moindre nature, même pas mention des verdures— simulacre de fraîcheur pour citadins — du square.

Or l'apparence d'une ville la nuit est très différente de cellequ'elle offre le jour.

Elle est pratiquement «déserte» et c'est sans doute ce que Larbaud goûte le plus, lui, le poètequi «erre» volontairement dans la cité quand tout le monde dort.

Il peut ainsi «contempler...

la grande chosenocturne».

Là encore, le travail des coupes et des enjambements sur 4 vers, jusqu'à «splendeur lunaire», évoquel'ampleur que l'absence tangible des hommes — alors qu'ils sont pendant le jour l'essence même d'une ville —, les«reflets» dus à la nuit aidée du brouillard, apportent à Londres endormie.

Plus tard Desnos — «Robert le Diable»,chantera Aragon —, goûtera lui aussi les errances noctambules, lui à Paris.

Car il est normal qu'un poète soit attirépar l'aspect contradictoire et séduisant de ce «désert architectural» d'une cité devenue par la grâce de la nuit «...

plus belle que les déserts et que la mer et que les fleuves des , tropiques Roulant dans la splendeur lunaire ...» La répétition de « et que » fait rebondir la répétition presque à l'infini, tandis que les statues «des lions couchés»«devinés» seulement «dans le brouillard bleu» (c'est la couleur de la nuit, celle que la Bible nomme «Lilith»),deviennent l'image de la force tranquille.

Une cité qui dort, c'est un ensemble d'hommes qui reprennent des forcespour continuer à vivre. * * * Voilà donc pour la réalité.

Or les poètes de cette époque, sur lesquels les tentatives de l'unanimisme de J.

Romainsse font sentir, s'emploient à transmettre dans leurs œuvres l'être collectif, l'âme irrévélée des groupes humains etdes architectures construites par eux pour les accueillir.

Ils suivent aussi en cette tentative Walt Whitman, le poèteaméricain qui fut précisément le grand maître de Larbaud.

Mais ce dernier dépasse la donnée immédiate.

Les instantsd'observations se transmuent insensiblement en minutes de rêve sous l'influence conjuguée du «silence», d'une. »

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