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Traits généraux (romans courtois, romans picaresques, romans d'analyse, etc.)

Publié le 23/03/2018

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dans l'imitation inlassable de ce qui est au goût du jour : banalité dans l'invrai­semblance, monotonie dans l'incohérence, manque d'invention originale, confor­misme, voilà à quoi aboutit cette liberté; ensuite, c'est nous, modernes, qui voyons dans ces œuvres le jeu souverain de l'esprit créateur s'évadant des contraintes logiques et rêvant consciemment hors du monde : tous leurs auteurs, sincèrement ou non, adroitement ou non, dans une mesure plus ou moins large, prétendaient être vrais; enfin, tout est relatif, et le faux n'est parfois que du vrai ancien ou du vrai prématuré : Gabriel Guéret expliquait l'insuccès du Roman Bourgeois par le fait qu'il ne pouvait plaire qu'à « quelques bourgeois tout au plus 1 »; au temps de Mlle de Scudéry ou pe Mme de Lafayette, une marquise était légitimement plus intéressante et même plus vraie qu'une fille de bourgeois ou de paysan. Il n'en reste pas moins que, destinés à l'aristocratie, ces romans idéalisaient la société aristocratique, masquaient l'existence des autres classes, ridiculisaient leurs mœurs, éliminaient les réalités basses, déguisaient les per­sonnages nobles en bergers, en Grecs, en Romains, en chevaliers d'un autre âge; on ne se mettait à table que pour des festins somptueux, on ne se couchait pas pour dormir, mais pour passer la nuit dans l'angoisse; chaque héros était le plus généreux et le plus brave, chaque héroïne la plus belle qu'on eût jamais vue; aventures, situations, caractères, sentiments, tout était extraordinaire. Pendant plusieurs siècles, ce que les Anglais appellent romance a répondu au besoin de merveilleux qui est dans chaque âme humaine : << Nous sommes tous d'Athène, en ce point >>

Voltaire avait raison dans Le Temple du goût de faire avouer à Fénelon x qu'il n'y a point de poème en prose n, L'octosyllabe des romans médiévaux est une étape vers la prose. Cet emploi de la prose vouait le roman au réalisme, à moins qu'on ne préfère dire que le réalisme constitutif du roman le vouait à la prose.

Le roman est un genre sans              Il doit renier successivement tous les moyens

forme préétablie                               rhétoriques d'expression qu'il se forge et

 

qui se sclérosent à l'usage au lieu de s'affiner. L'essai fait au xvis siècle pour lui trouver des règles a échoué; le roman ne peut pas s'autoriser de modèles antiques comme ceux qui ont .donné à la tragédie et aux principales formes de poésie à partir du Qe siècle beaucoup mieux que des préceptes : des titres de noblesse, le droit de pratiquer une imitation qui fût à la fois enrichissement, émulation et hommage. Avant la Révolution, faute d'œuvres antiques auxquelles il puisse demander l'idée de sa perfection, le roman ne connaît pas de chef-d'œuvre apporté par le courant d'une tradition : les chefs-d'œuvre existent, mais se détachent isolés sur la médiocrité des œuvres qui les imitent, sans rien leur communiquer de leurs vertus et sans se continuer vraiment les uns les autres '• Ils sont le fruit d'une invention chaque fois à recommencer, la notion même de chef-d'œuvre, si elle suppose chez l'auteur un souci d'équilibre, de proportions, d'harmonie, d'élégance, étant sans doute étrangère au genre; il abonde pourtant en lieux communs, plus que tout autre genre, et à toutes les époques, dans le style, les situations, l'intrigue, les personnages : lieux communs impuis­sants. Il y a eu des gaufriers, jamais d'archétype. Un inventaire, une sociologie du roman devraient tenir compte de centaines d'œuvres coulées dans ces moules à la mode, mais les romans majeurs de l'histoire littéraire ne sont qu'exception­nellement des réussites d'art, Erec et Enide, La Princesse de Clèves, Manon Lescaut; en général ils ne cherchent pas à plaire par la forme, ils sont comme dispropor­tionnés sous la poussée de leur objet qui crée sa propre expression : ainsi Pantagruel, Cleveland, Jacques le Fataliste. Entendons-nous : ces romans sont beaux, mais leur beauté ne va bien qu'à eux.

n'est pas une allégorie. Chaque détail doit d'abord être présenté pour lui-même, et faire saisir de façon immédiate la signification totale de l'ensemble auquel il appartient; chaque détail est un fragment impliquant à un moment donné de l'action la totalité de cette action, de l'individu, de la société, de la condition humaine, de l'existence universelle, qu'un enchaînement de concepts peut expli­quer en partie, mais non épuiser ni atteindre dans sa vérité hic et nunc. Aussi, ce qui sépare les romanciers « réalistes u des romanciers « sentimentaux » ou << héroïques » est moins la découverte du rôle fondamental assumé par le petit détail concret dans le roman, que la nature et le nombre de ces détails : un Richardson en Angleterre, un Diderot, un Restif en France, les multiplient en les empruntant à la vie de tous les jours sans toujours bien les trier; ils sont plus rares dans les bons romans de l'autre catégorie, moins terre à terre, moins au centre de l'intérêt romanesque, mais non moins matériels ni même moins fami­liers. C'est Des Grieux sentant mouillées de larmes ses mains dans lesquelles Manon cache son visage; Mme de Clèves troublée s'embarrassant dans sa robe et faisant un faux pas; Enide couchée sur la poitrine d'Brec endormi et pleurant la récréance de celui qu'elle aime. Les romans les plus aristocratiques, les plus idéalistes, ne sont pas les moins concrets : accumulant les récits minutieux et les énumérations exhaustives, ils s'égarent dans la description insignifiante pour avoir confondu intensité de signification et abondance d'objets. Car le problème pour le romancier est d'une part de ne pas laisser déborder dans le roman les moyens d'expression non romanesques, dissertations, effusions lyriques, allégories, qui semblent établir plus facilement la communication affective ou intellectuelle avec le lecteur, mais qui ruinent l'intérêt de curiosité infailliblement suscité par un récit objectif, même le plus -délirant; d'autre part de ne pas accabler le lecteur par un entassement de détails insipides qui lui font perdre patience.

Un roman est une fiction

« Voltaire avait raison dans Le Temple du goût de faire avouer à Fénelon « qu'il n'y a point de poème en prose », L'octosyllabe des romans médiévaux est une étape vers la prose.

Cet emploi de la prose vouait le roman au réalisme, à moins qu'on ne préfère dire que le réalisme constitutif du roman le vouait à la prose.

Le roman est un genre sans fo rme préétablie Il doit renier successivement tous les moyens rhétoriques d'expression qu'il se forge et qui se sclérosent à l'usage au lieu de s'affiner.

L'essai fait au xvue siècle pour lui trouver des règles a échoué; le roman ne peut pas s'autoriser de modèles antiques comme ceux qui ont .donné à la tragédie et aux principales formes de poésie à partir du XVIe siècle beaucoup mieux que des préceptes : des titres de noblesse, le droit de pratiquer une imitation qui fût à la fois enrichissement, émulation et hommage.

Avant la Révolution, faute d'œuvres antiques auxquelles il puisse demander l'idée de sa perfection, le roman ne connaît pas de chef-d'œuvre apporté par le courant d'une tradition : les chefs-d'œuvre existent, mais se détachent isolés sur la médiocrité des œuvres qui les imitent, sans rien leur communiquer de leurs vertus et sans se continuer vraiment les uns les autres 1• Ils sont le fruit d'une invention chaque fois à recommencer, la notion même de chef-d'œuvre, si elle suppose chez l'auteur un souci d'équilibre, de proportions, d'harmonie, d'élégance, étant sans doute étrangère au genre; il abonde pourtant en lieux communs, plus que tout autre genre, et à toutes les époques, dans le style, les situations, l'intrigue, les personnages : lieux communs impuis­ sants.

Il y a eu des gaufriers, jamais d'archétype.

Un inventaire, une sociologie du roman devraient tenir compte de centaines d'œuvres coulées dans ces moules à la mode, mais les romans majeurs de l'histoire littéraire ne sont qu'exce ption­ nellement des réussites d'art, Erec et En ide, La Princesse de Clèves, Manon Lescaut; en général ils ne cherchent pas à plaire par la forme, ils sont comme dispropor­ tionnés sous la poussée de leur objet qui crée sa propre expression : ainsi Pantagruel, Cl eveland, Jacques le Fatali ste.

Entendons-nous : ces romans sont beaux, mais leur beauté ne va bien qu'à eux.

Le roman ne montre que le concret Écrit en prose, ou du moins dans un langage direct et non transposé, libéré de toute règle de style et de composition qui avertirait le lecteur de son caractère figuratif, le roman peut inventer n'importe quoi, mais doit l'énoncer sur un ton de pur et simple constat à prendre au pied de la lettre.

Sa haute puissance d'envoûtement vient de ce que ses fictions s'appuient sur le concret qui est sa matière première; l'impossible y est fait de la même étoffe que le possible, l'incroyable présente les mêmes titres que le croyable à être accepté.

Objets et événements peuvent parfois symboliser une idée abstraite, renvoyer par allusion à une secrète vérité, à un autre monde dont celui-ci ne serait que l'apparence et l'emblème : ce n'est pas là leur légitime emploi, un roman r.

Il n'en va pas de même au xxe siècle, où Stendhal, Balzac, Flaubert, Maupassant, Zola, Proust, si personnel que soit chacun d'eux dans sa recherche, ont conscience d'être gens du même métier; chacun prend le roman où l'a laissé son prédécesseur et le porte plus loin.. »

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