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UNE SATIRE DE BOILEAU. Le mauvais et le bon écrivain.

Publié le 03/07/2011

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boileau

Boileau écrit dans la Satire II (1664), (A Molière) :

Bienheureux Scudéry, dont la fertile plume Peut tous les mois sans peine enfanter un volume ! Tes écrits, il est vrai, sans art et languissants, Semblent être formés en dépit du bon sens ; Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire, Un marchand pour les vendre et des sots pour les lire ; Et quand la rime enfin se trouve au bout des vers, Qu'importe que le reste y soit mis de travers ? Malheureux mille fois celui dont la manie Veut aux règles de l'art asservir son génie ! Un sot, en écrivant, fait tout avec plaisir, Il n'a point en ses vers l'embarras de choisir, Et, toujours amoureux de ce qu'il vient d'écrire, Ravi d'étonnement, en soi-même il s'admire. Mais un esprit sublime en vain veut s'élever A ce degré parfait qu'il tâche de trouver, Et, toujours mécontent de ce qu'il vient de faire, Il plait à tout le monde et ne saurait se plaire ; Et tel, dont en tous lieux chacun vante l'esprit, Voudrait, pour son repos, n'avoir jamais écrit.

(Vers 76-96)

1° Ces vers vous paraissent-ils rentrer dans le titre, généralement donné par les éditeurs à la Satire : « La Rime et la Raison « ? Ou ce titre vous semble-t-il insuffisant ?  2° Quels sont les défauts que blâme le satirique, et les qualités qu'il recommande?  3° Est-il vrai que la doctrine ainsi exposée soit étroite, et étouffe le génie?  4° Que pensez-vous de la composition de ce morceau et du style de Boileau dans ce passage? Est-ce un style poétique ?  5° Est-il vrai d'autre part que ces vers soient monotones par leur régularité de facture?  6° Vous terminerez en vous demandant s'ils vérifient le mot de La Bruyère disant des vers de Boileau qu'ils sont « faits de génie, quoique travaillés avec art «.  Conseils pratiques. — Voilà une matière « complaisante « et par laquelle on est fortement soutenu. Appliquons-nous à la suivre exactement. Il serait, sans doute, dangereux d'en changer l'ordre.

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« donnant pour titre à cette satire : « La Rime et la Raison », les éditeurs en restreignent trop la portée.

Assurément,elle serait déjà très importante, si elle donnait uniquement des conseils sur la rime raisonnable, celle qui sert lapensée au lieu de la trahir, celle qui est constituée par des mots de valeur et non de remplissage.

Accorder lanature et la rime est, pour le poète, un point essentiel.

Mais en s'adressant à Molière pour se plaindre de la difficultéqu'il éprouve à rimer, Boileau ne saurait lui dire que la rime seule est asservie à la raison ; s'il cherche le mot devaleur, s'il évite le remplissage, s'il se consume en d'incessantes retouches, c'est pour accorder la nature et le verstout entier.

De là, des conseils bien plus généraux ; de là, une conception de l'art et de la poésie, conception quis'affirme dans ce passage.

Quand le public sera assez éclairé pour la comprendre, le terrain sera déblayé, la placesera faite à ceux qui auront à cœur de s'y conformer. II Déblayons donc le terrain de tous les auteurs prolixes et négligés, des poètes dont la facilité banale inonde Paris etla province de productions qui corrompent le goût public.

Scudéry servira de type.

Les auteurs de ce genremanquent de vérité parce qu'ils manquent d'art, ils choquent le bon sens parce qu'ils composent et écrivent à brideabattue.

Ils sont doublement heureux à l'heure présente : on les vend et on les lit, ce qui est un premier avantage ;ils n'ont aucun souci, aucune peine, ils alignent des rimes, et le reste est laissé au hasard des remplissages et deschevilles, ce qui est évidemment très commode.

Mais Molière et son jeune ami sont en train de faire la besognesalutaire : ils apprendront aux lecteurs qu'il n'y a pas d'inspiration, pas de génie même, qui dispense du métier : sansle métier, on a eu des Scudéry; avec le métier, on aura un Racine.Il n'y a pas de chef-d'œuvre sans un labeur patient et pénible.

Le génie (sens latin : les qualités naturelles) nedispense pas d'efforts, et même d'efforts douloureux; lui aussi doit être un esclave et obéir « aux règles de l'art »,qui sont celles de la nature et de la raison.

Il faut, pour cela, des qualités morales et littéraires de premier ordre :une volonté, un oubli de soi- même, une défiance probe envers ses qualités, qu'un sot n'aura jamais.

Au contraire,un véritable écrivain se reconnaît aux luttes incessantes qu'il soutient, même contre ses dons naturels, pour serapprocher de la perfection ; il sent toujours ce qui lui manque pour l'atteindre, et ne se laisse même pas abuser parla louange universelle; on le félicite de ses heureuses trouvailles, il sait ce qu'elles lui ont coûté, et pense, commeBoileau lui-même, que la poésie est fatale à la tranquillité de l'existence.Doctrine étroite, objectera-t-on.

Boileau, poète industrieux, érige en théorie les laborieux procédés de son talent.Pourquoi les imposer à ceux qui, mieux doués que lui, ont besoin de n'être jamais esclaves, et de laisser un librecours à leur imagination et à leur sensibilité ? Ces « règles de l'art » sévères, immuables, étouffent l'originalité dupoète; quel idéal que celui qui propose à l'écrivain de lutter sans relâche contre des difficultés sans cesserenaissantes?La réponse est aisée.

Boileau n'a jamais nié que le génie fût nécessaire, et il a proclamé ailleurs que les donsnaturels étaient indispensables.

Peut-être ne l'a-t-il pas dit assez souvent et assez longuement : nous n'avons pasà l'envisager ici.

Mais d'abord, Boileau est un poète didactique, il veut « enseigner », et on n'enseigne pas le génie.On apprend le métier, et Boileau aura l'ambition de l'apprendre.

Il commence donc par montrer que cette étude estindispensable.

Ceux qui ont cru pouvoir s'en passer, comme Scudéry, avaient peut- être plus de dons brillants queBoileau ; leur exemple nous prouve surabondamment qu'on est incapable de composer un chef-d'œuvre, sans cetteforte discipline à laquelle les grands écrivains se sont soumis, et que sans « les règles de l'art » on gaspille le talentle plus remarquable.

Scudéry s'est fourvoyé, Boileau a marché droit; Scudéry n'est plus lu, Boileau est immortel.Il est faux, d'autre part, que l'originalité soit menacée par cette doctrine, j'entends l'originalité qui vient de l'étudesérieuse de la nature, vue et sentie par les yeux et par le cœur de celui qui veut la peindre.

La théorie de Boileau,réalisée par les classiques, a-t-elle empêché que nous soyons ravis de trouver l'homme là où nous attendrionsl'écrivain? Et quant à l'idéal proposé par Boileau, nous ne pouvons le juger à sa valeur qu'en le comparant à laconception des Scudérys.

Ces derniers considéraient la poésie comme un pur divertissement, comme un jeu del'esprit pour lequel on devrait avoir toutes les indulgences.

Boileau veut les ramener au respect de l'art.

C'est parcequ'il est quelque chose de très sérieux et de très grand que Part exige tant d'efforts et de peines, et qu'on doit luisacrifier non pas quelques heures de loisir, mais le repos de son existence entière.

Que Boileau ait eu de lalittérature la magnifique idée qu'on en a eue après lui, on ne saurait le soutenir.

Mais, d'après les vertus qu'il imposeà l'écrivain, on voit bien ce qui le sépare de ceux qu'on a appelés ses victimes : leur conception de l'art manquait degrandeur, et Boileau le leur reprochait en les blâmant de manquer de scrupules. III Le plan est donc facile à dégager : 1° voilà ce qu'il ne faut pas faire (partie négative) ; 2° voici ce qu'il faut faire(partie positive).La première partie compte huit vers ; la seconde douze ; mais celle-ci a quatre vers dans lesquels l'idée de lapremière est reprise (11-14), afin que l'idée de la seconde apparaisse plus vigoureusement : la béate satisfaction du« sot » est volontairement rapprochée de l'inquiet mécontentement du bon écrivain.Cela seul nous fait sentir que Boileau écrit, cette fois, de verve.

Son plan est clair, ses divisions sont bien marquées: Bienheureux...

Malheureux...

annoncent les deux développements parallèles.

Mais, quand il arrive au second, lespectacle irritant delà suffisance tranquille des Scudéry s se présente avec insistance à ses yeux, et il la raille unefois de plus.

La symétrie y a perdu ; la vie, le mouvement y ont gagné.. »

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