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VALLÈS Jules : sa vie et son oeuvre

Publié le 11/11/2018

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VALLÈS Jules (1832-1885). Quand il n’était pas ignoré ou maudit, Jules Vallès était, dans les manuels de littérature, relégué dans le coin des « écrivains réalistes ». La moindre lecture révèle pourtant que ses œuvres sont avant tout une littérature du sujet et dérivent de l’autobiographie la plus passionnée. En vérité, la force unique de l’œuvre paraît être dans la « couture » (l’image est de Vallès) de l’histoire d’un homme avec l'histoire du siècle, effectuée par un style unique, sans doute trop moderne pour son temps.

De la province sans histoire à l'histoire qui se fait à Paris

La Haute-Loire, d’où partit Vallès, fut, sous sa plume, la référence sociale dont on parle toujours et le « pays » où l’on ne revient jamais : les deux se tiennent. Sa famille, déjà, tente de s’évader : en Haute-Loire la parcelle paysanne est une des plus petites de France. Comment s’évade-t-on? Par le séminaire et la prêtrise : ce fut la voie de l’oncle (le grand-oncle, qui devint curé de Chaudeyrolles); ce faillit être la voie du père, Louis Valiez, qui, lui, parvint à être professeur.

On se libère aussi, on entre en (petite-)bourgeoisie en se libérant du service militaire : Louis Valiez acheta, en 1826, pour 2 000 F, « un homme », un remplaçant (c’est le mot noble — le mot courant est « cochon vendu » : Vallès en fera un titre célèbre). On enseigne à l’enfant — la mère y veille dès le plus jeune âge — à mettre toutes ses « économies » dans une tirelire : pour « acheter un homme », à vingt ans. Tyrannie de la conscription. On est à la frontière des classes, entre la paysannerie et la petite-bourgeoisie. Le père, lui, a décroché et vit dans le monde culturel de l'Antiquité, que dominent l’autorité et le culte des pères; la mère, mal acculturée, est hantée par la volonté de paraître bourgeoise, mais conserve, tenace coquetterie, des morceaux de parler auvergnat et l’amour des bourrées, qu’elle exhibe hors de propos. Le fils reproche à ses parents de l’avoir poussé hors du monde paysan, en l’étouffant de vêtements, de culture et de bonnes manières. Il y aura toujours en Vallès une sorte d’angoisse des origines : se disant vellave (un peu), cévenol (plus souvent), « auverpin » (surtout), il sc veut, envers et contre tout, naturalisé Parisien. Naturalisé par l’histoire (car elle est histoire des villes), par le journalisme, par la Révolution, par l’écriture. Toujours il revendiquera farouchement les sols volcaniques du Massif central, en affirmant que leur plus grand mérite, historique, aura été de chasser ses fils vers la Ville pour qu’ils y surgissent, lave réveillée et chaude, en grands révoltés. Il écrit dès 1864 : « Pays curieux que ce Velay, où les torrents ont fait les chemins et où les volcans grondent sous la neige! Race étrange dont les fils portent au cœur un besoin terrible de liberté. [...] Je raconterai un jour l’histoire obscure et terrible de quelques-uns » (le Progrès de Lyon).

Le journaliste

D’autres écrivains du xixe siècle ont été journalistes avant d’être écrivains; certains, une fois devenus écrivains, ont voulu faire oublier leur apprentissage et leur exercice journalistiques de l’écriture. Vallès, lui, non seulement n’a jamais renié sa première destinée de journaliste, mais l’a suivie et confirmée pendant tout le temps où il fut écrivain et romancier, jusqu'à sa mort. Sa « vocation » de journaliste se détermine à partir de l’échec universitaire : échec, en ce sens, salutaire. Mais il y a là plus qu’une revanche professionnelle : l’échec de la carrière universitaire — celle du père — l’aida à substituer au beau langage appris, culturel, « classique », une écriture neuve qui rompt en visière avec un style dont il connaissait parfaitement les rythmes, les figures et les tropes : écriture capable de jouer avec le sacré convenu, filtré par l’institution scolaire, de juxtaposer autant que de coordonner, de se fonder sur des ruptures et des discontinuités. Or, la rapidité des notations, le goût de paragraphes courts, le sens aigu du présent d’écriture et de lecture, tout cela venait du journalisme et de son tempo propre. Le premier ouvrage (1857), non signé, de Vallès, l’Argent, est de l’ordre du pamphlet; l’auteur brandit un titre parabalzacien et pré-zolien pour encadrer les pages d’un manuel technique du bon boursier avec une introduction et une conclusion déjà très « vallésiennes »; apologie fracassante de l’argent, qui permet la puissance, l’aisance et le rire; sarcasmes contre la pauvreté qui humilie, avilit et mortifie. Lyrisme si provocant en faveur de l’argent, qu’on est peut-être en face d’une immense antiphrase. De 1861 à 1866, Vallès écrivit sous la houlette, entre autres, de Villemessant (au Figaro) et de Girardin (de la Liberté) : mais le Figaro fut son véritable banc d’essai, Villemessant était un « gaillard » tandis que Girardin n’était qu’un « triste ». En 1867, Vallès parvint à fonder son propre journal, au nom cher entre tous, la Rue : il vécut à peine un an, et mourut sous les menaces judiciaires et politiques. Entre 1857 et 1870, on lut « du Vallès » dans une vingtaine de journaux : du Figaro à la Marseillaise de Rochefort, à travers le Nain jaune, le Progrès de Lyon et le Peuple. Il est symptomatique qu’avant la Commune de Paris les deux seuls livres signés Jules Vallès aient été les Réfractaires (1865) et la Rue (1866). Tous deux sont faits entièrement d’articles de journaux récents, taillés mais non remaniés, regroupés en chapitres et en ensembles thématiques : longs articles du Figaro surtout, repris tels quels dans les Réfractaires; petits articles événementiels, regroupés dans la Rue. Même dans l’éparpillement des chroniques de la Rue, on retrouve sans peine des constantes : éléments autobiographiques à peine déguisés (enfance, famille, école), tension plus ou moins dramatique entre la Ville, Paris, foyer social, juridique, politique et littéraire, et la province, espace respiratoire, terrien, pétri de traditions et de souvenirs, focalisé par la Haute-Loire. C’est aussi le journal qui, avant 1870, publie la première ébauche de l'Enfant : le feuilleton le Testament d'un blagueur (dans le journal la Parodie d’André Gill, 1869). Après la Commune de Paris, qui fut pour Vallès un creuset social, politique et littéraire, le long exil anglais représente la maturation des chefs-d’œuvre : il n’est aussi qu’une série de tentatives pour écrire, de Londres, dans les journaux de Paris; parfois pour créer des journaux. Jusqu’à l’amnistie de 1881, l’essentiel — deux parties sur trois — de la trilogie romanesque de Jacques Vingtras passa effectivement par l’épreuve du journal, par l’écriture de feuilleton, avant de se faire livre. Enfin, outre les collaborations à de grands journaux comme le Voltaire (« le Figaro des républicains ») de 1881 à 1883, outre les collaborations parallèles de 1883-1885, Vallès fut, jusqu’à sa mort, rédacteur en chef du journal le Cri du peuple : grand journal socialiste, le plus vivant, sans doute, de l’époque; Vallès laissa l’idéologie à Jules Guesde et prit pour lui la chronique des événements politiques et littéraires — dualité et complémentarité qui firent la force du journal.

Il y a plus qu’une solidarité de fait entre le journaliste et le romancier Vallès; Vallès a cherché et trouvé dans le journalisme l'échange le plus immédiat, le plus affectif, entre l’écriture et la lecture d’un texte : l’opposé du rapport froid, différé, lointain et anonyme qui lui paraissait être celui du livre avec son lecteur. Plus : il a cherché dans le journalisme la complicité chaude avec un public large, populaire, parfois même avec tout « un peuple ». Pour Vallès, le journalisme pouvait être le signe et le porteur d’une immense fraternité, suppléant largement aux carences affectives de l’enfance et de la famille. Vallès a donc été passionnément journaliste, sans chercher à faire carrière; le journalisme était la chronique de la rue : rue pittoresque, rue combattante, selon les temps. Dans le journalisme il a aimé plutôt la typographie et les typographes que la grande machinerie qu’il devenait déjà. Michelet ugeait que son enfance avait manqué de fêtes; pour Vallès, le journalisme était une sorte de fête de la plume, qui rachetait toute une enfance; son triomphe — et le triomphe de la fête — devait être la rencontre avec la Révolution, cette révolution spécifiquement parisienne que fut la Commune de Paris.

Le romancier et la Commune

Avec l'Insurgé, Vallès est le romancier de la Commune de Paris; mais le livre, tout comme l’Enfant et le Bachelier, n’a été écrit — et n’a pu être écrit — qu’après l’événement. Tout se passe en effet comme si la Commune et sa suite, l’exil, avaient permis aux souvenirs d'une vie de se coaguler, de s'organiser en récit, en autobiographie réelle et fictive. La Commune avait été éprouvée par Vallès comme un incomparable présent, rachetant tout un passé (« toi, gamin tu seras un homme libre », écrit le Cri du peuple de 1871, formule reprise par l'Insurgé) et projetée, en dépit de la défaite, vers un avenir sans date. Vallès l’avait aussi éprouvée comme la rencontre d’un moi, qui s’était forgé dans le regret d’avoir perdu son peuple d’origine, et d’un peuple parisien, innombrable et chaude famille d'humiliés. Le sang de la Commune avait scellé cette rencontre; et, du reste, le sang parcourt toute la trilogie, qui s’ouvre et se clôt sur des images de sang. Paradoxalement, la Commune de Paris a libéré en récits d'extraordinaires et multiples scènes comiques, très fortes dans l’Enfant, plus rares, plus amères, d’un rire de dérision, et souvent autocensurées dans le Bachelier, plus rares encore dans l'Insurgé : car le récit se rapproche du présent de l’écriture et de l’événement crucial, la Commune. Mais la Commune n'a sans doute aussi réussi à libérer le livre que parce qu'au cœur du journalisme vallésien, même s’il était un contre-livre, même s’il était destiné à témoigner pour les victimes du livre, on trouvait, flottant ici ou là, au fil du journal émietté et parcellisé dans le temps, une nostalgie assez forte du livre, de sa constance et de sa pérennité. Enfin, la Commune de Paris a libéré, en récit continu et discontinu, un style. Certes, le journalisme avait déjà fait jouer des ruptures, dans une phrase qui restait souvent de structure classique. Certes, il n’y a pas d’insurrection grammaticale dans le style de Vallès. Mais l’Enfant surtout, premier volet de la trilogie romanesque, révèle un retour du mot vers le cri, une présence du corps dans la phrase, une insertion des onomatopées, une incursion des argots, une équation du mot et de la sensation, du mot et de la couleur, une force souvent nominale de l’adjectif et une fonction « essentielle » du verbe (fût-il le verbe « avoir » ou plus encore le verbe « être »), une surimpression de voix diverses, qui marquent un grand écrivain (Vallès fut d’ailleurs, historiquement, plus vite reconnu par les écrivains dits de droite, plus sensibles à la « forme », que par les républicains). Il y a plus, et le Bachelier comme l'Insurgé accentuent cette tendance : Vallès joue avec le langage — les jeux de mots, la bousculade des figures classiques, les métaphores prises à la lettre et subverties. Par-dessus tout, la force des images, la constante de certaines symboliques comme la symbolique liquide : l'eau, le vin, le lait, l’encre, le sang. En vérité, Vallès est un écrivain de l’instantané, un grand impressionniste, mais, au moins autant, un expressionniste et un symboliste du concret. C’est là sa part « sacrée » ou sacralisante (au niveau des mots); l’envers, en quelque sorte, d'une pensée farouchement désacralisante, dénudant les tabous, les « religiosismes » (le mot est de lui), les idolâtries, les mystiques ou « mystago-gies » (encore un mot de lui), qu’ils soient religieux, laïques ou révolutionnaires. En quoi encore il fut « écrivain ».

« le journalisme r échange le plus immédiat.

le plus affec­ tif, entre l'écriture et la lecture d'un texte : l'opposé du rapport froid, différé, lointain et anonyme qui lui parais­ sait être celui du livre avec son lecteur.

Plus : il a cherché dans Je journali�me la complicité chaude avec un public large, populaire, parfois même avec tout «un peuple>>.

Pour Vallès, Je journalisme pouvait être le signe et le porteur d'une immense fraternité, suppléant largement aux carences affectives de l'enfance et de la famille.

Vallès a donc été passionnément journaliste, sans cher­ cher à faire canière; le journalisme était la chronique de la rue : rue pittoresque, rue combattante, selon les temps.

Dans le journalisme il a aimé plutôt la typographie et les typographes que la grande machinerie qu'il devenait déjà.

Michelet.

ugeait que son enfance avait manqué de fêtes; pour Vallès, le journalisme était une sorte de fête de la plume, qui rachetait toute une enfance; son triom­ phe- et le triomphe de la fête- devait être la rencontre avec la Révolution, cette révolution spécifiquement pari­ sienne que fut la Commune de Paris.

Le romancier et la Commune Avec l'Insurgé, Vallès est le romancier de la Com­ mune de Paris; mais le livre, tout comme l'Enfant et le Bachelier, n'a Hé écrit -et n'a pu être écrit -qu'après l'événement.

Tout se passe en effet comme si la Com­ mune et sa suite, l'exil, avaient permis aux souvenirs d'une vie de �e coaguler, de s'organiser en récit, en autobiographie réelle et fictive.

La Commune avait été éprouvée par Vallès comme un incomparable présent, rachetant tout un passé ( « toi, gamin tu seras un homme libre>> , écrit le Cri du peuple de 1871, formule reprise par l'Insurgé) et projetée, en dépit de la défaite, vers un avenir sans date.

Vallès l'avait aussi éprouvée comme la rencontre d'un moi, qui s'était forgé dans le regret d'avoir perdu 5on peuple d'origine, et d'un peuple pari­ sien, innombrable et chaude famille d'humiliés.

Le sang de la Commune avait scellé cette rencontre; et, du reste.

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de sang.

Paradoxalement, la Commune de Paris a libéré en récits d'extraordinaires et multiples VIE 1776 Naissano:e de Jean-Louis Valiez, grand-père de Jules Vallès.

1787 Naissan.;e de Thomas Valiez, frère de Jean-Louis.

scènes comiques, très fortes dans l'Enfant; plus rares, plus amères, d'un rire de dérision, et souvent autocensu­ rées dans le Bachelier; plus rares encore dans l'Insurgé : car le récit se rapproche du présent de l'écriture et de l'événement crucial, la Commune.

Mais la Commune n'a sans doute aussi réussi à libérer le livre que parce qu'au cœur du journalisme vallésien, même s'il était un contre­ livre, même s'il était destiné à témoigner pour 1es victi­ mes du livre, on trouvait, flottant ici ou là, au fil du journal émietté et parcellisé dans le temps, une nostalgie assez forte du livre, de sa constance et de sa pérennité.

Enfin, la Commune de Paris a libéré, en récit continu et discontinu, un style.

Certes, le journalisme avait déjà fait jouer des ruptures, dans une phrase qui restait souvent de structure classique.

Certes, il n'y a pas d'insurrection grammaticale dans le style de Vallès.

Mais l'Enfant sur­ tout, premier volet de la trilogie romanesque, révèle un retour du mot vers le cri, une présence du corps dans la phrase, une insertion des onomatopées, une incursion des argots, une équation du mot et de la sensation, du mot et de la couleur, une force souvent nominale de l'adjectif et une fonction «essentielle>> du verbe (fOt-il le verbe « avoir» ou plus encore le verbe «être >> ), une surim­ pression de voix diverses, qui marquent un grand écri­ vain (Vallès fut d'ailleurs.

historiquement, plus vite reconnu par les écrivains dits de droite, plus sensibles à la « forme>> , que par les républicains).

Il y a plus, et le Bachelier comme 1 'Insurgé accentuent cette tendance : Vallès joue avec le langage - les jeux de mots, la bous­ culade des figures classiques, les métaphores prises à la lettre et subverties.

Par-dessus tout, la force des images, la constante de certaines symboliques comme la symbo­ lique liquide : l'eau, le vin, le lait, l'encre, le sang.

En vérité, Vallès est un écrivain de l'instantané, un grand impressionniste, mais, au moins autant, un expression­ niste et un symboliste du concret.

C'est là sa part « sacrée >> ou sacralisante (au niveau des mots); l'envers, en quelque sorte, d'une pensée farouchement désacrali­ sante, dénudant les tabous, les « religiosismes >> (le mot est de lui), les idolâtries, les mystiques ou « mystago­ gies>> (encore un mot de lui), qu • ils soient religieux, laïques ou révolutionnaires.

En quoi encore il fut. »

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