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Victor Hugo, Les Contemplations, Livre IV.

Publié le 08/04/2011

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hugo

Oh ! je fus comme fou dans le premier moment, Hélas ! et je pleural trois jours amèrement. Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance, Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance, Tout ce que j'éprouvais, Pavez-vous éprouvé ? Je voulais me briser le front sur le pavé ; Puis je me révoltais, et, par moments, terrible, Je fixais mes regards sur cette chose horrible, Et je n'y croyais pas, et je m'écriais : « Non ! — Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom Qui font que dans le cœur le désespoir se lève ? — « Il me semblait que tout n'était qu'un affreux rêve, Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté, Que je l'entendais rire en la chambre à coté, Que c'était impossible enfin qu'elle fût morte, Et que j'allais la voir entrer par cette porte ! Oh ! Que de fois j'ai dit : « Silence ! Elle a parlé ! Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé ! Attendez ! elle vient ! laissez-moi, que j'écoute ! Car elle est quelque part dans la maison sans doute ! « Victor Hugo, Les Contemplations, Livre IV. Victor Hugo écrit ce poème après la noyade accidentelle de Léopoldine, sa fille. SUJET Vous étudierez, dans un commentaire composé, les différents visages du désespoir d'un père, ainsi que les procédés par lesquels le poète transmet au lecteur sa profonde émotion.

Le livre IV des Contemplations, Pauca Meae, est entièrement consacré à Léopoldine, la fille de Hugo. En 1843, celle-ci se noie accidentellement avec son mari, Charles Vacquerie, près de Villequier. Le poète est brutalement confronté à l'existence du mal, de la mort. Le recueil exprime cette épreuve : « c'est une âme qui se raconte dans ces deux volumes. Autrefois, Aujourd'hui. Un abîme les sépare, le tombeau «, écrit-il dans la préface. Ainsi l'homme est-il, une fois de plus, exposé au scandale de la mort. Mais si la douleur est profondément ressentie par Hugo, son authenticité n'exclut pas la maîtrise du poète. L'écrivain évoque trois moments de son expérience, trois visages que prit le désespoir d'un père : la souffrance, la révolte, le rêve où il tente de se réfugier.

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« Je fixais mes regards sur cette chose horrible.

» L'adjectif « terrible » doit être pris ici au sens le plus fort de : qui cause la terreur.

Le rejet le met nettement en valeur.

Ainsi Hugo est-il, à ce moment, un homme effrayant parcequ'en lutte contre la fatalité. Cette opposition se dirige tout d'abord contre Dieu mais elle reste nuancée.

Certes c'est Dieu qui « prit votre chèreespérance » mais le reproche est formulé comme une interrogation : « Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom ? » Le mystère de la source du mal demeure entier.L'incompréhensible contradiction d'un Dieu infiniment bon qui « permet » et donc accepte le malheur de l'homme,Hugo ne l'a pas résolue. Bien plus forte est la révolte du poète contre l'existence même du mal.

Hugo exprime par avance la célèbre phrasede Camus : « Qu'est-ce qu'un homme révolté ? Un homme qui dit non ».

Ainsi nie-t-il en bloc la réalité del'événement : « Et je n'y croyais pas, et je m'écriais : Non ! » Le faux parallélisme des hémistiches (6/5+1) accentuefortement la négation.

Un déséquilibre est créé dans le vers, témoignage d'un homme qui se dresse contre l'ordre dumonde. Hugo en est ainsi amené à réduire même la responsabilité divine dans le mal : « Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté ».

comme si la volonté de l'être humain pouvait s'opposer à celle deDieu, comme si Léopoldine avait eu la possibilité de refuser sa mort.

Cette négation de la réalité de la mort voilàl'entreprise de Hugo : la disparition devient alors cette chose horrible (le substantif est vague, seuls lesdéterminants sont porteurs de sens), « ces malheurs sans nom », dans cette expression aussi ce qui prime c'estl'impossibilité de nommer l'événement, c'est l'échec du verbe au moment pourtant où Hugo en écrivant parvient àexprimer sa douleur.

Si l'épreuve ne peut être délimitée par le langage, elle est pourtant très présente commel'indique la répétition des démonstratifs. Cette précision n'empêche pas Hugo de refuser la réalité, il affirme « que c'était impossible enfin qu'elle fût morte ».Dès lors la noyade de sa fille devient « un affreux rêve ».

Certes l'antéposition de l'adjectif met l'accent sur «affreux » mais le « rêve » à la rime offre à ce père une nouvelle possibilité : le rejet de la mort dans le monde descauchemars lui permet de se constituer un autre rêve, heureux, celui où Léopoldine vit. * * * L'imagination de Hugo lui permet de croire à la survie de sa fille.

Cette constitution d'un monde rêvé se fait en deuxétapes assez nettes.

Dans la première, l'auteur sait qu'il ne s'agit que d'une impression : « il me semblait » gouvernela période des quartes complétives où alternent la négation de la mort et la possibilité de croire en la vie de sa fille :« Qu'elle ne pouvait pas m'avoir quitté, Que je l'entendais rire en la chambre à côté, Que c'était impossible enfinqu'elle fût morte, Et que j'allais la voir entrer par cette porte ! » Déjà, dans ce dernier vers, s'annonce le deuxièmemouvement : le futur proche, le démonstratif « cette » marquent l'intensité de l'émotion et permettent ledéveloppement de l'hallucination où Hugo croit sentir la présence de sa fille. Le rêve devient réalité et là aussi Hugo a besoin de prendre les autres à témoin : « Tenez », « attendez ».

Sansdoute espère-t-il l'approbation d'autrui et la confirmation de la vérité des signes qu'il croit percevoir.

Dans cetteévocation il faut remarquer les nombreuses exclamations signes d'une intense émotion.

Le style direct accentueencore cette impression.

Pour marquer son opposition : « Je m'écriais : Non ! » — Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom Qui font que dans le cœur le désespoir se lève ? » Hugo avait déjà employé ce style direct, mais les coupes des alexandrins (mis à part celle qui précède « non» ) yétaient beaucoup moins marquées. L'émotion de Hugo trouve son origine dans la perception auditive.

C'est par les sons que se manifeste la présencesupposée de Léopoldine : le « rire » qui contraste avec la tragique réalité, « elle a parlé ! », « le bruit de sa main surla clé ».

Le poète est tendu vers le moindre signe : « laissez-moi, que j'écoute » La certitude du poète est alors si forte que ses vers vont s'exprimer au présent et non au passé : « elle vient », quipeut aussi avoir une valeur de futur proche — ce qui exacerberait l'effet d'attente éternellement trompée.

Dans lemême sens le présentatif « voici » actualise la sensation.

A l'affliction un peu passive du « hélas » du deuxième verssuccède l'exaltation d'une présence retrouvée.

Ainsi se trouve constitué ce monde proche de la folie que révèle lepremier vers « Oh ! Je fus comme fou dans le premier moment ».

Dans ce vers une légère distance est établie entrele sujet et son attribut.

« Comme », en marquant la comparaison, maintient la distinction des deux termes, c'est. »

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