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JEAN GIRAUDOUX: La Guerre de Troie n'aura pas lieu (fiche de lecture)

Publié le 22/02/2012

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La situation est empruntée à celle suivie par Homère dans L 'Iliade : Pâris, Troyen, a séduit et enlevé Hélène, femme du roi grec Ménélas. Mais elle est surtout exemplaire de toute situation de négociation entre des peuples qui voient s'avancer une crise, de quelque époque et de quelque pays qu'ils soient. La pièce nous détaille les efforts d'un homme, Hector, et de la communauté qui l'entoure, sa femme, ses frères et soeurs, son père, Priam, au moment où sa ville, Troie, est en face d'une situation de guerre. L'action d'Hector est tendue à tout prix vers la volonté d'éviter le conflit et de préserver la paix. Mais ses proches et lui sont saisis dans un réseau complexe de raisons contradictoires qui nous feront voir comment une communauté peut à la fois vouloir la paix et glisser vers la guerre. A chaque étape, il pourra avoir l'impression d'avoir fait ce qu'il fallait pour éloigner la menace de guerre, et d'avoir avancé un peu plus près vers et contre ce qui risque le plus de causer la guerre.

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« le Pâris antique est en germe dans chaque gigolo (du Pâris moderne), et non pour réduire la grandeur par lapetitesse.

Il cherche à indiquer qu'il y a Racine derrière Feydeau, et non Feydeau derrière Racine.Si donc La Guerre de Troie n'aura pas lieu prend les apparences d'un drame bourgeois, ce n'est pas pour rabaisser lamajesté de la Grèce antique ou du théâtre classique français vers la petitesse du quotidien, c'est l'inverse, pareffort de montrer que sous la quotidienneté et la petitesse contemporaine, c'est le tragique qui se cache.

Et letragique de la situation de l'homme contemporain est peut-être justement de ne pas savoirreconnaître la grandeur au fond du quotidien, l'universel au coeur du particulier.Et du reste, même chez les classiques, une tragédie a d'abord pour socle un drame qui pourrait n'être qu'un dramebourgeois.

La longue suite noire de drames des Atrides, qui nourrit le théâtre grec, ou les situations reprises del'Antiquité par Racine sont aussi d'abord de simples « affaires de famille ».Qu'est-ce qui sépare donc le drame bourgeois de la tragédie? C'est le fonctionnement de leurs langages, celui dudrame bourgeois ne fait que décrire simplement et platement des choses qu'on n'approfondit pas et qu'au contraireon amenuise, faute de les nommer à fond.

La tragédie a pour caractéristique le fait que le langage approfondit cequi se vit, et ainsi tout à la fois révèle cette profondeur et l'augmente.

Ce n'est pas parce qu'elle est en vers que latragédie est plus intense que le drame : c'est pour être plus intense qu'elle est en vers.

Mais cette intensité doittout à fait pouvoir être tendue aussi par la prose.Giraudoux le pense, et se propose la gageure d'appliquer les mécanismes du langage tragique aux mots « simples» dela prose, pour montrer que le tragique n'est pas dans l'aspect des phrases, mais dans leur mouvement : poursignaler que la tragédie, c'est avant tout ce mécanisme où les mots tentent de sonder le mouvement du drame pourle maîtriser, et ce faisant, provoquent eux-mêmes un mouvement dramatique qui déborde les mots.Ce parti pris est celui d'un homme cultivé qui s'est demandé comment transmettre sa culture et la partager avecson public sans être cuistre.

Cette discrétion est le critère de son élégance, celle qu'on doit admirer plutôt que de lalui reprocher.

Derrière la fantaisie, voulue, lucide, Giraudoux a rassemblé, avec la politesse et la discrétion desauteurs vraiment subtils, toute la gravité d'une réflexion rigoureuse et nourrie.

Sa prose n'est simple qu'enapparence, pour conduire ses auditeurs vers la langue la plus élaborée et la plus chargée de tragique de toute laculture française.Derrière chaque réplique, c'est le souvenir de Racine qui rôde.

La prose de Giraudoux cherche à fonctionner commeles vers chez Racine.

Essayons de le montrer. Les Racine de Giraudoux Comparons la façon dont Giraudoux commence sa pièce, avec une ouverture racinienne.

La filiation saute aux yeux. LE DÉBUT D'ANDROMAQUERegardons comment fonctionne le mécanisme du langage tragique dans le théâtre classique français le plus pur.Remontons quelques instants vers Racine, vers Andromaque, et pas seulement parce qu'Andromaque est un despersonnages de la guerre de Troie : afin de regarder parallèlement les deux mouvements respectifs des écritures.Relisons ou découvrons les deux vers qui ouvrent Andromaque.« Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle Ma fortune va prendre une face nouvelle »La pièce nous apprendra que celui qui ouvre la pièce en parlant ainsi, Oreste, mourra fou.

Oreste est celui qui neparviendra pas à prendre le contrôle des faits qui l'accablent par des paroles : la folie, c'est l'impuissance à donneraux choses un nom qui les contienne, et qui les contrôle en les nommant.

Oreste sera disloqué par des événementscontre lesquels sa parole n'est pas assez puissante parce qu'il sera incapable de faire face aux événements avec saraison, avec son langage.

Or, une fois cela connu, si l'on revient vers les deux premiers vers de la pièce, on peutvoir que Racine en a choisi et pesé chaque mot de telle sorte que la façon dont Oreste énonce ce qu'il dit metd'emblée en marche le mouvement où nous le verrons se perdre.Cette phrase qui s'ouvre sur une réponse : « Oui» ; cette réponse qui est la réaction à une parole antérieure, qui nevient pas d'Oreste, et non une action : tout cela nous signale qu'Oreste réagit, plutôt et plus souvent qu'il n'agit.Sa seule place comme sujet dans sa phrase est celle de sujet d'une proposition subordonnée («puisque je»).

Orestene parle pas, il est parlé.

Il est agi par les événements, et cela nous le savons par lui, mais sans qu'il sache qu'ilnous le dit ; ce qui nous l'apprend, c'est la grammaire de sa parole qui le révèle à sa place.Le mouvement de la phrase parle plus que lui-même, et nous dit autre chose que ce que lui-même sait.

Orestepense dire : « Désormais, je vais agir autrement», mais la phrase dit pour lui : « Puisque les circonstances quipèsent sur moi le font de telle et telle façon, sans que j'y aie ni part ni contrôle, mon destin va changer de direction», et jusque dans le couple de rimes, féminines, ce «fidèle» qui rime avec «nouvelle », où il éclate que la nouvelleconduite d'Oreste est liée à sa passivité de « fidèle».

Chacun des mots choisi par Racine pour Oreste est d'unirresponsable qui accomplit son destin à chacun de ses mots.Le mouvement qui a lieu via les mots prononcés par les personnages les précipite plus loin et ailleurs que ce qu'ilsont voulu dire et voulu maîtriser par les mots.

Les mots des personnages tragiques en disent plus qu'ils ne le savent,les entraînent plus loin et ailleurs que leur propre volonté — non pas sans que le personnage en ait conscience, maissans qu'il y puisse rien, même s'il en a conscience (à cet égard, comment ne pas considérer le recours aux outilsmodernes d'analyse par l'inconscient comme sans objet, et hors de propos ?).

L'inconscient d'un personnagetragique, c'est le mouvement de sa parole.

Et cette parole est aussi ce qui entraîne l'action, entraîne lespersonnages dans une action qu'ils créent par leurs mots, et qu'ils subissent dès qu'ils la créent.Revenons à présent à Giraudoux et aux premiers mots de La Guerre de Troie n'aura pas lieu.

Tout prosaïques qu'ilssont, ils fonctionnent exactement sur le principe des vers de Racine : de façon que le mouvement de la phraseprenne un sens qui fasse déborder son contenu, et qui nous livre, en même temps qu'une information par le sens,. »

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