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Publié le 28/02/2019

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LYCEE FRANCAIS JEAN MERMOZ DE DAKAR, SENEGAL Epreuve anticipée de français Baccalauréat 2019 Descriptif des classes de première S4 sur l’ensemble des séquences de l’année Le professeur : Didier OLINGA Le Proviseur : Lycée français Jean Mermoz, Dakar, Sénégal Séquences Epreuve anticipée de français Baccalauréat 2019 Descriptif de la classe de première S4 sur l'ensemble des séquences Objets d'étude Problématiques et lectures analytiques 1 : Le personnage comme Le personnage de roman, du XVIIè Problématique : Dans quelle mesure le personnage de reflet du monde siècle à nos jours roman est-il le reflet du monde dans lequel il vit et exprime en même temps la vision du monde de l'auteur ? Lectures analytiques : 1- Paul Scarron, Le Roman comique, « Incipit », 1651. 2- Marivaux, Le Paysan parvenu, 1734-1735. ( extrait). 3- Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857 (extrait). 2 : Dire l'amour en jouant Ecriture poétique et quête du sens, du Problématique : Comment le poète donne-t-il une forme sur les formes fixes Moyen-Âge à nos jours. poétique au sentiment amoureux ? Lectures analytiques : 1- Christine de Pisan, « Je ne sais comment je dure », orthographe modernisée, Rondeaux, 1390-1400. 2- Clément Marot, « D'Anne qui lui jeta de la neige », Epigrammes, I, 24, 1538. 4- Paul Eluard, « La courbe de tes yeux ... », Capitale de la douleur, Poésie, Gallimard, 1926. 3 : Alcools- Guillaume Ecriture poétique et quête du sens, du Problématique : En quoi Alcools joue-t-il un rôle Apollinaire- 1913, Oeuvre Moyen-Âge à nos jours. fondateur dans la naissance de la poésie moderne ? intégrale ( Gallimard, 1920) . Lectures analytiques : 1- « Zone », (extraits) , Alcools, Guillaume Apollinaire. 2- « Le Pont Mirabeau », Alcools, Guillaume Apollinaire . 3- « Automne malade », Alcools, Apollinaire. 4 : Les découvertes des La question de l'homme dans les Problématique : Le voyage permet-il aux écrivains de voyageurs : la rencontre du genres de l'argumentation, du XVIè comprendre l'Homme ? « sauvage » siècle à nos jours. Lectures analytiques : 1- Michel de Montaigne, Les Essais, Livre I, chap. XXXI, « Sur les Cannibales », 1595. 2- Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 1772. 3- Voltaire, L'Ingénu, (extrait), 1767. 5: L'évolution du Le texte théâtral et sa représentation, Problématique : comment le héros tragique a-t-il évolué tragique : des héros aux du XVIIè siècle à nos jours . vers le personnage ordinaire ? personnages ordinaires . Lectures analytiques : 1- Jean Racine, Phèdre, Acte V, scène 7, 1677. 2- Victor Hugo, Ruy Blas, Acte V, scène 4, 1838. 3- Jean Anouilh, Antigone, 1944 ( extrait). 6 : Le Mariage de Figaro, Le texte théâtral et sa représentation, Problématique : Dans quelle mesure Cette œuvre permetBeaumarchais, Oeuvre du XVIIè s. à nos jours. elle au dramaturge de dénoncer les vices de son temps par intégrale 2 le rire ? Lectures analytiques : 1- Extrait 1 : La scène d'exposition ( Acte I, scène 1 : Figaro et Suzanne) : du début à « … mille sots coquins l'ont fait » l.1 à l. 72. 2- Extrait 2 : Acte III, scène 16 ( en entier). 3- Extrait 3 : Acte V, scène 3 : Monologue de Figaro, de « Non monsieur vous ne l'aurez pas » à « … il n'y a que des petits hommes qui redoutent les petits écrits. » Manuel en usage, Français première, L'Ecume des lettres, Hachette, 2011. - L'élève dispose d'un dossier personnel avec photocopies de certains textes complémentaires, sans notes manuscrites + deux exemplaires des œuvres intégrales étudiées en classe ( sans notes manuscrites). Le professeur : Didier OLINGA L'élève : Le Proviseur : Séquence N° : I Titre de la séquence : Le personnage comme reflet du monde. Problématique : Dans quelle mesure le personnage de roman est-il le reflet du monde dans lequel il vit et exprime en même temps la vision du monde de l'auteur ? Objet d'étude : Le personnage de roman, du XVIIè siècle à nos jours Pour l'exposé : Lectures analytiques retenues pour l'épreuve orale : 1- Paul Scarron, Le Roman comique, « Incipit », 1651. 2- Marivaux, Le Paysan parvenu, 1734-1735. ( extrait). 3- Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857 (extrait). Pour l'entretien - Lectures complémentaires : extraits . 1- Denis Diderot, Jacques le fataliste, 1796. 2- Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, 1963. 3- Sylvie-Germain, Les personnages, 2004. 4- Mauriac, Le Romancier et ses personnages, 1933 - Etude d'ensemble ou question de synthèse : * Question d'ensemble : Les objets décrits dans le roman n'ont-ils pour seule fonction que de représenter le réel ? ( abordé sous la forme d'une initiation à la dissertation dialectique) * Histoire littéraire - évolution du personnage de roman : en quoi le personnage et la notion même de personnage est-elle devenue de plus en plus instable, insaisissable ? * Notions littéraires : personnages... Auteur ; narrateur ; personnage ; Points de vue narratifs ; la parole des - Activités personnelles : Conseil de lecture cursive : Madame Bovary, Gustave Flaubert, 1857, Edition Pocket 2006. LECTURES ANALYTIQUES Texte de lecture analytique 1 de la séquence I Paul Scarron, Le Roman comique, 1651. Le Roman comique conte les aventures d'une troupe de comédiens ( d'où l'emploi du mot « comique »). Cette fiction mêle passages satiriques, nouvelles galantes, scènes burlesques, dans une langue vive et alerte. La page qui suit est l'incipit du roman. Chapitre premier : Une troupe de comédiens arrive dans la ville du Mans (incipit du roman) Le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course et son char, ayant attrapé le penchant du monde (1), roulait plus vite qu'il ne voulait. Si ses chevaux eussent voulu profiter de la pente du chemin, ils eussent achevé ce qui restait du jour en moins d'un demi-quart d'heure ; mais, au lieu de tirer de toute leur force ils ne s'amusaient qu'à faire des courbettes, respirant un air marin qui les faisait hennir et les avertissait que la mer était proche, où l'on dit que leur maître se couche toutes les nuits. Pour parler plus humainement et plus intelligiblement, il était entre cinq et six quand une charrette entra dans les halles du Mans. Cette charrette était attelée de quatre boeufs fort maigres, conduits par une jument poulinière dont le poulain allait et venait à l'entour de la charrette comme un petit fou qu'il était. La charrette était pleine de coffres, de malles et de gros paquets de toiles peintes qui faisaient comme une pyramide au haut de laquelle paraissait une demoiselle habillée moitié ville, moitié campagne. Un jeune homme, aussi pauvre d'habits que riche de mine, marchait à côté de la charrette. Il avait un grand emplâtre sur le visage (2), qui lui couvrait un oeil et la moitié de la joue, et portait un grand fusil sur son épaule, dont il avait assassiné plusieurs pies, geais et corneilles, qui lui faisaient comme une bandoulière au bas de laquelle pendaient par les pieds une poule et un oison qui avaient bien la mine d'avoir été pris à la petite guerre (3). Au lieu de chapeau, il n'avait qu'un bonnet de nuit entortillé de jarretières de différentes couleurs, et cet habillement de tête était une manière de turban qui n'était encore qu'ébauché et auquel on n'avait pas encore donné la dernière main. Son pourpoint (4) était une casaque de grisette (5) ceinte avec une courroie, laquelle lui servait aussi à soutenir une épée qui était aussi longue qu'on ne s'en pouvait aider adroitement sans fourchette (6). Il portait des chausses troussées à bas d'attache, comme celles des comédiens quand ils représentent un héros de l'Antiquité, et il avait, au lieu de souliers, des brodequins à l'antique (7) que les boues avaient gâtés jusqu'à la cheville du pied. Un vieillard vêtu plus régulièrement, quoique très mal, marchait à côté de lui. Il portait sur ses épaules une basse de viole (8) et, parce qu'il se courbait un peu en marchant, on l'eût pris de loin pour une grosse tortue qui marchait sur les jambes de derrière. Quelque critique murmurera de la comparaison, à cause du peu de proportion qu'il y a d'une tortue à un homme ; mais j'entends parler des grandes tortues qui se trouvent dans les Indes et, de plus, je m'en sers de ma seule autorité. revenons à notre caravane. Elle passa devant le tripot (9) de la Biche, à la porte duquel étaient assemblés quantité des plus gros bourgeois de la ville. La nouveauté de l'attirail et le bruit de la canaille qui s'était assemblée autour de la charrette furent la cause que tous ces honorables bourgmestres (10) jetèrent les yeux sur nos inconnus. Un lieutenant de prévôt (11), entre autres, nommé La Rappinière, les vint accoster et leur demanda avec une autorité de magistrat quelles gens ils étaient. Le jeune homme dont je viens de parler prit la parole et, sans mettre les mains au turban, parce que de l'une il tenait son fusil et de l'autre la garde de son épée, de peur qu'elle ne lui battît les jambes, lui dit qu'ils étaient français de naissance, comédiens de profession ; que son nom de théâtre était Le Destin, celui de son vieux camarade, La Rancune, et celui de la demoiselle qui était juchée comme une poule au haut de leur bagage, La Caverne. Ce nom bizarre fit rire quelques-uns de la compagnie (...) Paul Scarron, Le Roman comique, 1651 • 1) Image précieuse pour signifier que le soleil se couche • 2) Pansement qui sert ici à masquer une partie du visage • 3) Chapardés, volés • 4) Partie de l'habillement qui recouvre le buste • 5) Etoffe commune de teinte grise • 6) Bâton ferré terminé par une fourche, sur laquelle on pose normalement le canon d'une arme à feu • 7) Chaussure couvrant le pied dans le costume des personnages de comédie 8) Instrument de musique • 9) Maison de jeu, lieu où l'on s'amuse. • 10) Bourgeois qui assure les fonctions de maire • 11) Officier de justice Texte de lecture analytique 2 de la séquence I Marivaux, Le Paysan parvenu, 1734-1735 Un jeune paysan, Jacob, Monte à Paris. Picaro d'un nouveau genre, il porte un regard critique sur les mœurs, avant d'endosser lui-même l'habit de l'honnête homme. Au hasard des rencontres, Jacob est accueilli et hébergé, notamment par deux dévotes, les sœurs Habert et leur servante Catherine. Revenons à Catherine, à l’occasion de qui j’ai dit tout cela. Catherine donc avait un trousseau de clefs à sa ceinture, comme une tourière de couvent. Apportez des œufs frais à ma sœur, qui est à jeun à l’heure qu’il est, lui dit Mlle Habert, sœur aînée de celle avec qui j’étais venu ; et menez ce garçon dans votre cuisine pour lui faire boire un coup. Un coup ? répondit Catherine d’un ton brusque et pourtant de bonne humeur, il en boira bien deux à cause de sa taille. Et tous les deux à votre santé, madame Catherine, lui dis-je. Bon, reprit-elle, tant que je me porterai bien, ils ne me feront pas de mal. Allons, venez, vous m’aiderez à faire cuire mes œufs. Eh ! non, Catherine, ce n’est pas la peine, dit Mlle Habert la cadette ; donnez-moi le pot de confiture, ce sera assez. Mais, ma sœur, cela ne nourrit point, dit l’aînée. Les œufs me gonfleraient, dit la cadette ; et puis ma sœur par-ci, ma sœur par-là. Catherine, d’un geste sans appel, décida pour les œufs en s’en allant ; à cause, dit-elle, qu’un déjeuner n’était pas un dessert. Pour moi, je la suivis dans sa cuisine, où elle me mit aux mains avec un reste de ragoût de la veille et des volailles froides, une bouteille de vin presque pleine, et du pain à discrétion. Ah ! le bon pain ! Je n’en ai jamais mangé de meilleur, de plus blanc, de plus ragoûtant ; il faut bien des attentions pour faire un pain comme celui-là ; il n’y avait qu’une main dévote qui pût l’avoir pétri ; aussi était-il de la façon de Catherine. Oh ! l’excellent repas que je fis ! La vue seule de la cuisine donnait appétit de manger ; tout y faisait entrer en goût. Mangez, me dit Catherine, en se mettant après ses œufs frais, Dieu veut qu’on vive. Voilà de quoi faire sa volonté, lui dis-je, et par-dessus le marché j’ai grande faim. Tant mieux, reprit-elle ; mais dites-moi, êtes-vous retenu ? Restez-vous avec nous ? Je l’espère ainsi, répondis-je, et je serais bien fâché que cela ne fût pas ; car je m’imagine qu’il fait bon sous votre direction, madame Catherine ; vous avez l’air si avenant, si raisonnable ! [...] Je suis bien aise que nos demoiselles vous prennent, car vous me paraissez de bonne amitié. Hélas ! tenez, vous ressemblez comme deux gouttes d’eau à défunt Baptiste, que j’ai pensé épouser, qui était bien le meilleur enfant, et beau garçon comme vous ; mais ce n’est pas là ce que j’y regardais, quoique cela fasse toujours plaisir. Dieu nous l’a ôté, il est le maître, il n’y a point à le contrôler ; mais vous avez toute son apparence ; vous parlez tout comme lui : mon Dieu, qu’il m’aimait ! Je suis bien changée depuis, sans ce que je changerai encore ; je m’appelle toujours Catherine, mais ce n’est plus de même. Ma foi ! lui dis-je, si Baptiste n’était pas mort, il vous aimerait encore ; car moi qui lui ressemble, je n’en ferais pas à deux fois4. Bon ! bon ! me dit-elle en riant, je suis encore un bel objet ; mangez, mon fils, mangez ; vous direz mieux quand vous m’aurez regardée de plus près ; je ne vaux plus rien qu’à faire mon salut, et c’est bien de la besogne : Dieu veuille que je l’achève !En disant ces mots, elle tira5 ses œufs, que je voulus porter en haut : Non, non, me dit-elle ; déjeunez en repos, afin que cela vous profite ; je vais voir un peu ce qu’on pense de vous là-haut ; je crois que vous êtes notre fait6, et j’en dirai mon avis : nos demoiselles ordinairement sont dix ans à savoir ce qu’elles veulent, et c’est moi qui ai la peine de vouloir pour elles. Mais ne vous embarrassez pas, j’aurai soin de tout ; je me plais à servir mon prochain, et c’est ce qu’on nous recommande au prône. Pierre CARLET DECHAMBLAIN DE MARIVAUX, Le Paysan parvenu, 1734-1735. 1.Personnage d’aventurier marginal et cynique des romans espagnols du XVIIe siècle, repris en France au XVIII e siècle. 2.Religieuse chargée de parler avec les gens extérieurs au couvent, à une ouverture percée dans un mur qu’on appelle « tour » 3.Qui plaît par son bon air, agréable. 4.Je n’hésiterais pas. 5.Retira. 6.L’objet du débat entre les deux sœurs qui doivent décider si elles emploient Jacob. 7.Discours moralisateur tenu par le prêtre lors d’une messe. Texte de lecture analytique 3 de la séquence I Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857 Madame Bovary, publié en 1857, provoque le scandale et l’incompréhension à tel point que le livre fait l’objet d’un procès public. Le roman peint le désenchantement qu’éprouve une jeune femme,Emma, mariée à un médecin de la campagne rouennaise un peu fruste. Elle 1 songeait quelquefois que c’étaient là pourtant les plus beaux jours de sa vie, la lune de miel2 comme on disait. Pour en goûter la douceur, il eût fallu, sans doute, s’en aller vers ces pays à noms sonores où les lendemains de mariage ont de plus suaves paresses ! Dans des chaises de poste, sous des stores de soie bleue, on monte au pas des routes escarpées, écoutant la chanson du postillon, qui se répète dans la montagne avec les clochettes des chèvres et le bruit sourd de la cascade. Quand le soleil se couche, on respire au bord des golfes le parfum des citronniers ; puis, le soir, sur la terrasse des villas, seuls et les doigts confondus, on regarde les étoiles en faisant des projets. Il lui semblait que certains lieux sur la terre devaient produire du bonheur, comme une plante particulière au sol et qui pousse mal tout autre part. Que ne pouvait-elle s’accouder sur le balcon des chalets suisses ou enfermer sa tristesse dans un cottage écossais, avec un mari vêtu d’un habit de velours noir à longues basques, et qui porte des bottes molles, un chapeau pointu et des manchettes ! Peut-être aurait-elle souhaité faire à quelqu’un la confidence de toutes ces choses. Mais comment dire un insaisissable malaise, qui change d’aspect comme les nuées, qui tourbillonne comme le vent ? Les mots lui manquaient donc, l’occasion, la hardiesse. Si Charles l’avait voulu cependant, s’il s’en fût douté, si son regard, une seule fois, fût venu à la rencontre de sa pensée, il lui semblait qu’une abondance subite se serait détachée de son cœur, comme tombe la récolte d’un espalier3quand on y porte la main. Mais, à mesure que se serrait davantage l’intimité de leur vie, un détachement intérieur se faisait qui la déliait de lui. La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire ou de rêverie. Il n’avait jamais été curieux, disait-il, pendant qu’il habitait Rouen, d’aller voir au théâtre les acteurs de Paris. Il ne savait ni nager, ni faire des armes, ni tirer le pistolet, et il ne put, un jour, lui expliquer un terme d’équitation qu’elle avait rencontré dans un roman. Un homme, au contraire, ne devait-il pas, tout connaître, exceller en des activités multiples, vous initier aux énergies de la passion, aux raffinements de la vie, à tous les mystères ? Mais il n’enseignait rien, celui-là, ne savait rien, ne souhaitait rien. Il la croyait heureuse ; et elle lui en voulait de ce calme si bien assis, de cette pesanteur sereine, du bonheur même qu’elle lui donnait. Elle dessinait quelquefois ; et c’était pour Charles un grand amusement que de rester là, tout debout, à la regarder penchée sur son carton, clignant des yeux afin de mieux voir son ouvrage, ou arrondissant, sur son pouce, des boulettes de mie de pain. Quant au piano, plus les doigts y couraient vite, plus il s’émerveillait. Elle frappait sur les touches avec aplomb, et parcourait du haut en bas tout le clavier sans s’interrompre. Ainsi secoué par elle, le vieil instrument, dont les cordes fusaient, s’entendait jusqu’au bout du village si la fenêtre était ouverte, et souvent le clerc de l’huissier4 qui passait sur la grande route, nu-tête et en chaussons, s’arrêtait à l’écouter, sa feuille de papier à la main. [...] Charles finissait par s’estimer davantage de ce qu’il possédait une pareille femme. Il montrait avec orgueil, dans la salle5, deux petits croquis d’elle, à la mine de plomb, qu’il avait fait encadrer de cadres très larges et suspendus contre le papier de la muraille à de longs cordons verts. Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, 1857. 1.Il s’agit d’Emma Bovary. 2.Période qui suit le mariage. 3.Arbre fruitier taillé et fixé contre un mur. 4.Employé de l’huissier, chargé de mettre à exécution certaines décisions de justice. 5.Salle à manger. TEXTES ET AUTRES DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES Texte complémentaire 1 de la séquence I Denis Diderot, Jacques le fataliste et son maître, 1796 S’inspirant du romancier anglais Sterne, Diderot invente un roman qui renouvelle en profondeur les codes du genre. Aux longueurs de l’analyse psychologique, l’auteur préfère le dialogue et l’action. Dès l’incipit, le lecteur vit une expérience de lecture surprenante. Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. LE MAÎTRE. − C’est un grand mot que cela. JACQUES. −Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d’un fusil avait son billet1. LEMAÎTRE. −Et il avait raison... Après une courte pause, Jacques s’écria : Que le diable emporte le cabaretier et son cabaret ! LE MAÎTRE. −Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n’est pas chrétien. JACQUES. −C’est que, tandis que je m’enivre de son mauvais vin, j’oublie de mener nos chevaux à l’abreuvoir. Mon père s’en aperçoit ; il se fâche. Je hoche de la tête ; il prend un bâton et m’en frotte un peu durement les épaules. Un régiment passait pour aller au camp devant Fontenoy2; de dépit je m’enrôle. Nous arrivons ; la bataille se donne. LE MAÎTRE. − Et tu reçois la balle à ton adresse. JACQUES. − Vous l’avez deviné ; un coup de feu au genou ; et Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures amenées par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chaînons d’une gourmette 3. Sans ce coup de feu, par exemple, je crois que je n’aurais été amoureux de ma vie, ni boiteux. LE MAÎTRE. − Tu as donc été amoureux ? JACQUES. − Si je l’ai été ! LE MAÎTRE. − Et cela par un coup de feu ? JACQUES. − Par un coup de feu. LE MAÎTRE. − Tu ne m’en as jamais dit un mot. JACQUES. − Je le crois bien. LEMAÎTRE. − Et pourquoi cela ? JACQUES. − C’est que cela ne pouvait être dit ni plus tôt ni plus tard. LE MAÎTRE. − Et le moment d’apprendre ces amours est-il venu ? JACQUES. − Qui le sait ? LEMAÎTRE. − À tout hasard, commence toujours… Jacques commença l’histoire de ses amours. C’était l’après-dîner : il faisait un temps lourd ; son maître s’endormit. La nuit les surprit au milieu des champs ; les voilà fourvoyés 4. Voilà le maître dans une colère terrible et tombant à grands coups de fouet sur son valet, et le pauvre diable disant à chaque coup : « Celui-là était apparemment encore écrit là-haut... » Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu’il ne tiendrait qu’à moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le récit des amours de Jacques, en le séparant de son maître et en leur faisant courir à chacun tous les hasards qu’il me plairait. Qu’est-ce qui m’empêcherait de marier le maître et de le faire cocu ? d’embarquer Jacques pour les îles ? d’y conduire son maître ? de les ramener tous les deux en France sur le même vaisseau ? Qu’il est facile de faire des contes ! Denis DIDEROT, Jacques le fataliste et son maître, 1796. Texte complémentaire 2 de la séquence I Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, 1963. Dans Pour un nouveau roman (ensemble d'études écrites entre 1956 et 1963), Robbe-Grillet dénonce les notions, qu'il juge "périmées", de personnage, d'histoire ou d'engagement. Reconnaissant sa dette à l'égard de Sartre ou de Camus, il définit néanmoins le nouveau roman comme une recherche qui ne propose pas de signification toute faite et ne reconnaît pour l'écrivain qu'un engagement : la littérature. Nous en a-t-on assez parlé du « personnage » ! Et ça ne semble, hélas, pas près de finir. Cinquante années de maladie, le constat de son décès enregistré à maintes reprises par les plus sérieux essayistes, rien n'a encore réussi à le faire tomber du piédestal où l'avait placé le XIXe siècle. C'est une momie à présent, mais qui trône toujours avec la même majesté quoique postiche au milieu des valeurs que révère la critique traditionnelle. C'est même là qu'elle reconnaît le « vrai » romancier : « il crée des personnages »… Pour justifier le bien-fondé de ce point de vue, on utilise le raisonnement habituel : Balzac nous a laissé Le Père Goriot, Dostoïesvski a donné le jour aux Karamazov, écrire des romans ne peut plus donc être que cela : ajouter quelques figures modernes à la galerie de portraits que constitue notre histoire littéraire. Un personnage, tout le monde sait ce que le mot signifie. Ce n'est pas un il quelconque, anonyme et translucide, simple sujet de l'action exprimée par le verbe. Un personnage doit avoir un nom propre, double si possible : nom de famille et prénom. Il doit avoir des parents, une hérédité. Il doit avoir une profession. S'il a des biens, cela n'en vaudra que mieux. Enfin il doit posséder un « caractère », un visage qui le reflète, un passé qui a modelé celui-ci et celui-là. Son caractère dicte ses actions, le fait réagir de façon déterminée à chaque événement. Son caractère permet au lecteur de le juger, de l'aimer, de le haïr. C'est grâce à ce caractère qu'il léguera un jour son nom à un type humain, qui attendait, dirait-on, la consécration de ce baptême. Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, 1963. Texte complémentaire 3 de la séquence I Sylvie Germain Les Personnages, 2004 Un jour, ils sont là. Un jour, sans aucun souci de l'heure. On ne sait pas d'où ils viennent, ni pourquoi ni comment ils sont entrés. Ils entrent toujours ainsi, à l'improviste et par effraction. Et cela sans faire de bruit, sans dégâts apparents. Ils ont une stupéfiante discrétion de passe-muraille. Ils : les personnages. On ignore tout d'eux, mais d'emblée on sent qu'ils vont durablement imposer leur présence. Et on aura beau feindre n'avoir rien remarqué, tenter de les décourager en les négligeant, voire en se moquant d'eux, ils resteront là. Là, en nous, derrière l'os du front, ainsi qu'une peinture rupestre au fond d'une grotte, nimbée d'obscurité. Une peinture en grisaille, mais bientôt obsédante. Là, à la frontière entre le rêve et la veille, au seuil de la conscience. Et ils brouillent cette mince frontière, la traversent continuellement avec l'agilité d'un contrebandier, la déplaçant, la distordant. Là, plantés sur ce seuil mouvant avec la violence immobile et mutique d'un mendiant qui a jeté sur vous son dévolu et qui ne partira pas avant d'avoir obtenu ce qu'il veut. Sylvie Germain, Les Personnages, ©Editions Gallimard, 2004. Texte complémentaire 4 de la séquence I MAURIAC, Le Romancier et ses personnages, 1933. Dans son essai Le Romancier et ses personnages (1933), Mauriac interroge la notion même de personnage. Il souligne son artificialité et, ainsi, met au jour la différence entre la littérature et le réel. Acceptons humblement que les personnages romanesques forment une humanité qui n'est pas une humanité de chair et d'os, mais qui en est une image transposée et stylisée. Acceptons de n'y atteindre le vrai que par réfraction. Il faut se résigner aux conventions et aux mensonges de notre art. On ne pense pas assez que le roman qui serre la réalité du plus près possible est déjà tout de même menteur par cela seulement que les héros s'expliquent et se racontent. Car, dans les vies les plus tourmentées, les paroles comptent peu. Le drame d'un être vivant se poursuit presque toujours et se dénoue dans le silence. L'essentiel, dans la vie, n'est jamais exprimé. Dans la vie, Tristan et Yseult parlent du temps qu'il fait, de la dame qu'ils ont rencontrée le matin, et Yseult s'inquiète de savoir si Tristan trouve le café assez fort. Un roman tout à fait pareil à la vie ne serait finalement composé que de points de suspension. Car, de toutes les passions, l'amour, qui est le fond de presque tous nos livres, nous paraît être celle qui s'exprime le moins. Le monde des héros de roman vit, si j'ose dire, dans une autre étoile, l'étoile où les êtres humains s'expliquent, se confient, s'analysent la plume à la main, recherchent les scènes au lieu de les éviter, cernent leurs sentiments confus et indistincts d'un trait appuyé, les isolent de l'immense contexte vivant et les observent au microscope. MAURIAC, Le Romancier et ses personnages, 1933. Séquence N° : II Titre de la séquence : Dire l'amour en jouant sur les formes fixes Problématique : Comment le poète donne-t-il une forme poétique au sentiment amoureux ? Eventuelles explications de la problématique : Objet d'étude : Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen-Âge à nos jours. Pour l'exposé : Lectures analytiques retenues pour l'épreuve orale : 1- Christine de Pisan, « Je ne sais comment je dure », orthographe modernisée, Rondeaux, 13901400. 2- Clément Marot, « D'Anne qui lui jeta de la neige », Epigrammes, I, 24, 1538. 3- Paul Eluard, « La courbe de tes yeux ... », Capitale de la douleur, Poésie, Gallimard, 1926. Pour l'entretien - Lectures complémentaires : Poèmes de la laideur 1- Pierre de Ronsard, « Derniers vers », Derniers vers, 1586. 2- Charles Baudelaire, « Les aveugles », Les Fleurs du mal, 1857. - Etude d'ensemble ou question de synthèse : * Question d'ensemble et sujet de dissertation de fin de séquence : la poésie amoureuse exprime-telle l'amour de la femme ou l'amour des mots ? * Histoire littéraire : le lyrisme dans la poésie et dans la musique ( page 223- 224 du manuel de référence) . * Notions littéraires : le rondeau , le blason, le sonnet, épigramme, lyrisme, notions de versification , les figures de style, forme fixe, registre pathétique. ... - Autres travaux et activités: * Lecture d'image et lien avec l'histoire des arts: Nicolas Poussin, Renaud et Armide, vers 1625 ( entrée dans la séquence avec pour problématique : l'expression picturale du sentiment amoureux) - Activités personnelles : LECTURES ANALYTIQUES Texte de lecture analytique 1 de la séquence II Christine de Pisan, Rondeaux, 1390-1400 Le rondeau, poème à forme fixe comportant deux rimes, repose sur la répétition d'un vers, dès lors mis en valeur. Ainsi s'exprime la lancinante plainte amoureuse, que R. Barthes commente en ces termes : « il n'y a plus de place pour moi nulle part, même pas dans la mort. » ( Fragments d'un discours amoureux). « Je ne sais comment je dure » Je ne sais comment je dure, Car mon dolent1 coeur fond d'ire2 Et plaindre n'ose , ni dire Ma doleureuse3 aventure, 5 Ma dolente vie obscure4. Rien, hors la mort ne désire : Je ne sais comment je dure. Et me faut, par couverture5, Chanter que6 mon coeur soupire 10 Et faire semblant de rire ; Mais dieu sait ce que j'endure. Je ne sais comment je dure. Christine de PISAN , « Je ne sais comment je dure », orthographe modernisée, Rondeaux, 1390-1400 . 1 2 3 4 5 6 Dolent : souffrant. Ire : chagrin. Doleureuse : douloureuse ( du latin dolor = douleur). Obscure : Triste, sombre. Par couverture : pour faire semblant, pour donner le change. Chanter que = chanter ce que . Texte de lecture analytique 2 de la séquence II Clément Marot, Epigrammes, 1538 A l'origine, une épigramme est une inscription sur un monument avant de devenir, au III° siècle av. J.C., un genre poétique à part entière. Constituée de huit à dix vers, elle s'achève sur une « pointe », un « effet », tendre parfois, piquant souvent. Marot dédie cette épigramme à Anne d'Alençon, qu'il aime. Macrino d'Alba d'Alençon, vers ( Santuaro (vers 1460-1520) Portrait d'Anne 1520, tempera sur panneau, 15 x 19 cm dell'Assunta, Guardia Sanframondi). D'Anne qui lui jeta de la neige 1 5 10 Anne ( par jeu) me jeta de la neige, Que je cuidois7 froide certainement Mais c'était feu ; l'expérience en ai-je, Car embrasé je fus soudainement. Puisque le feu loge secrètement Dedans la neige, où trouverai-je place Pour n'ardre8 point ? Anne, ta seule grâce Eteindre peut le feu que je sens bien, Non point par eau, par neige, ni par glace, Mais par sentir un feu pareil au mien. Clément MAROT, Epigrammes, I, 24, 1538. 7 8 Cuidois : croyais. Ardre : brûler. Texte de lecture analytique 3 de la séquence II Paul ELUARD, Capitale de la douleur, 1926 Au XVI° siècle, le blason, poème rimé célébrant une partie du corps aimé, devient très à la mode. Ce jeu littéraire et amoureux peut être élogieux, érotique ou humoristique. Quand il se fait moqueur, il devient contre-blason. Eluard le réinvente pour évoquer sa muse, sa femme, Helena Diakonova, qu'il surnomme Gala. Paul ELUARD, 1895 – 1952. La courbe de tes yeux… 1 5 La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur, Un rond de danse et de douceur, Auréole du temps, berceau nocturne et sûr, Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu. 10 Feuilles de jour et mousse de rosée, Roseaux du vent, sourires parfumés, Ailes couvrant le monde de lumière, Bateaux chargés du ciel et de la mer, Chasseurs des bruits et sources des couleurs 15 Parfums éclos d'une couvée d'aurores Qui gît toujours sur la paille des astres, Comme le jour dépend de l'innocence Le monde entier dépend de tes yeux purs Et tout mon sang coule dans leurs regards. Paul ELUARD, « La courbe de tes yeux », Capitale de la douleur, © Editions Gallimard, 1926. TEXTES ET AUTRES DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES Texte complémentaire 1 de la séquence II Je n’ai plus que les os 1 Je n’ai plus que les os, un squelette je semble, Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé9, Que le trait10 de la mort sans pardon a frappé, Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble. 5 Apollon et son fils11, deux grands maîtres ensemble, Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé ; Adieu, plaisant Soleil, mon oeil est étoupé12, Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble. Quel ami me voyant en ce point dépouillé 10 Ne remporte au logis un oeil triste et mouillé, Me consolant au lit et me baisant le face, En essuyant mes yeux par la mort endormis ? Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis, Je m’en vais le premier vous préparer la place. Pierre de Ronsard, Derniers vers, 1586. 9 10 11 12 Dépoulpé : dont on a enlevé la pulpe, la chair. Le trait : la flèche. Apollon est un dieu de la poésie, mais aussi de la guérison ; son fils, Esculape, est le dieu de la médecine. Etoupé : aveugle, atteint de cataracte. Texte complémentaire 2 de la séquence II Les aveugles 1 Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux ! Pareils aux mannequins, vaguement ridicules ; Terribles, singuliers comme les somnambules, Dardant13 on ne sait où leurs globes ténébreux. 5 Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie, Comme s'ils regardaient au loin, restent levés Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés Pencher rêveusement leur tête appesantie. Ils traversent ainsi le noir illimité, 10 Ce frère du silence éternel. Ô cité ! Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles, Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité, Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété, Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ? Charles BAUDELAIRE, « Les aveugles », Les Fleurs du mal, 1857 13 Dardant : lançant, dirigeant. Document complémentaire 3 de la séquence II Pendant les croisades, Armide, la sorcière sarrasine, s'est juré de tuer Renaud. Elle trouve le chevalier chrétien endormi. « La perfide magicienne s'élance alors de sa retraite et fond sur lui. » (Le Tasse). Tout sera fini dans une seconde. A moins que tout ne commence ? Nicolas POUSSIN ( 1594- 1665) Renaud et Armide, vers 1625, huile sur toile, 82 x 109 cm (Dulwich Picture Gallery, Londres). Séquence N° : III Titre de la séquence : Alcools- Guillaume Apollinaire- 1913, Oeuvre intégrale ( Gallimard, 1920) Problématique : En quoi Alcools joue-t-il un rôle fondateur dans la naissance de la poésie moderne ? Objet d'étude : Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen-Âge à nos jours. Pour l'exposé : Lectures analytiques retenues pour l'épreuve orale : 1- « Zone », (extraits) , Alcools, Guillaume Apollinaire. 2- « Le Pont Mirabeau », Alcools, Guillaume Apollinaire . 3- « Automne malade », Alcools, Apollinaire . Pour l'entretien - Lectures complémentaires : 1- « Les Pâques à New- York », Blaise Cendrars, 1912, Du monde entier. 2- « Ma morte vivante », Paul Eluard, Le temps déborde, 1947. - Etude d'ensemble ou question de synthèse : * Question d'ensemble : En quoi Alcools se situe-t-il entre tradition et modernité ? * Histoire littéraire : La poésie moderne et contemporaine- - Vie et œuvre d'Apollinaire. * Notions littéraires : le cubisme, lyrisme, registre élégiaque , le surréalisme , thème de la fuite du temps, carpe diem, rôle de la déponctuation, vers libre, poème en prose, calligramme. - Autres travaux et activités: * Lecture d'image et lien avec l'histoire des arts : Champ de Mars, La Tour Rouge, 1911, Robert Delaunay- Activités personnelles : exposés faits par les élèves : LECTURES ANALYTIQUES Texte de lecture analytique 1 de la séquence III « Zone » a été écrit en 1912, après tous les autres poèmes du recueil Alcools. Très marqué par la lecture des « Pâques à New York » de Blaise Cendrars, ce texte annonce les thèmes de l'ensemble de l'oeuvre. Aussi Apollinaire le place-t-il en tête du recueil. Zone A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô Tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes La religion seule est restée toute neuve la religion Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X14 Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policières Portraits des grands hommes et mille titres divers J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes15 Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J'aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'aventure des Termes [...] Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d'autobus mugissants près de toi roulent L'angoisse de l'amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un 14 Pie X : Pape de 1903 à 1914. 15 Sténo-dactylographes : secrétaires. monastère Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière […] Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants ils emplissent de leur odeur le hall de la gare SaintLazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre cœur […] Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant […] Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée […] Adieu Adieu Soleil cou coupé Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, 1913. Texte de lecture analytique 2 de la séquence III Le Pont Mirabeau 1 Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu’il m’en souvienne La joie venait toujours après la peine. 5 Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe 10 Des éternels regards l’onde si lasse Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure L’amour s’en va comme cette eau courante L’amour s’en va 15 Comme la vie est lente Et comme l’Espérance est violente Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines 20 Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913 Texte de lecture analytique 3 de la séquence III Automne malade 1 Automne malade et adoré Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies Quand il aura neigé Dans les vergers 5 Pauvre automne Meurs en blancheur et en richesse De neige et de fruits mûrs Au fond du ciel Des éperviers planent 10 Sur les nixes16 nicettes17 aux cheveux verts et naines Qui n’ont jamais aimé Aux lisières lointaines Les cerfs ont bramé Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs 15 Les fruits tombant sans qu’on les cueille Le vent et la forêt qui pleurent Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille Les feuilles Qu’on foule 20 Un train Qui roule La vie S’écoule Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913 16Nixe, nix : (en allemand), neck ou necker (en néerlandais et en anglais) désignent plusieurs génies et nymphes des eaux dans les mythologies germanique et nordique. Ils sont apparentés aux ondines et connus en France, notamment en Alsace et en Moselle. 17 Nicettes : adj f vieilli simplettes, niaises, Naïves. TEXTES ET AUTRES DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES Texte complémentaire 1 de la séquence III Blaise Cendrars, Du monde entier, 1912. Grand voyageur, fasciné par la vitesse et les machines, Blaise Cendrars fait de ses aventures la source de sa poésie.Conscient de l'importance des formes de communication récemment mises au point, comme le télégramme et le cinéma, et de la transformation du monde liée aux mouvements migratoires de on époque, il tente de renouveler les formes de l'écriture poétique et ses thèmes. « Les Pâques à New-York » livre une évocation de New-York, la ville moderne par excellence, vue par un voyageur venu d'Europe. Les Pâques à New York Seigneur, c’est aujourd’hui le jour de votre Nom, J’ai lu dans un vieux livre la geste18 de votre Passion, Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles Qui pleurent dans le livre, doucement monotones. Un moine d’un vieux temps me parle de votre mort. Il traçait votre histoire avec des lettres d’or [...] Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice Est ici, parquée, tassée, comme du bétail, dans les hospices19. D’immenses bateaux noirs viennent des horizons Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons. Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols, Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols. Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens20. On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens. C’est leur bonheur à eux que cette sale pitance 21. Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance. [...] J’aurais voulu entrer, Seigneur, dans une église; Mais il n’y a pas de cloches, Seigneur, dans cette ville. Je pense aux cloches tues: — où sont les cloches anciennes? Où sont les litanies22 et les douces antiennes23? [...] Seigneur, l’aube a glissé froide comme un suaire 24 Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs. Déjà un bruit immense retentit sur la ville. Déjà les trains bondissent, grondent et défilent. Les métropolitains roulent et tonnent sous terre. Les ponts sont secoués par les chemins de fer. La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées, Des sirènes à vapeur rauques comme des huées. [...] Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne … Ma chambre est nue comme un tombeau … Seigneur, je suis tout seul et j’ai la fièvre … Mon lit est froid comme un cercueil … Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents … Je suis trop seul. J’ai froid. Je vous appelle … Cent mille toupies tournoient devant mes yeux … Non, cent mille femmes … Non, cent mille violoncelles … Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses … Je pense, Seigneur, à mes heures en allées … Je ne pense plus à vous. Je ne pense plus à vous. New York, avril 1912 18 19 20 21 22 23 24 Blaise Cendrars, « Les Pâques à New-York », Du monde entier, 1912. Geste : récit épique Hospices : établissements destinés à recevoir des pauvres. Méridiens : cercles imaginaires reliant les deux pôles. Pitance : ration de nourriture. Litanies : prières. Antiennes : refrains repris entre les versets d'un psaume. Suaire : linceul. Texte complémentaire 2 de la séquence III Paul ELUARD, Le Temps déborde, 1947. Après la mort brutale de sa compagne Nush en 1946, Paul Eluard (1895-1952), tenté par le suicide, écrit le recueil Le Temps déborde dans lequel il exprime la douleur de la perte et la façon dont elle affecte toute la conscience et, en particulier, la perception du corps et du temps. Ma morte vivante Dans mon chagrin, rien n’est en mouvement J’attends, personne ne viendra Ni de jour, ni de nuit Ni jamais plus de ce qui fut moi-même Mes yeux se sont séparés de tes yeux Ils perdent leur confiance, ils perdent leur lumière Ma bouche s’est séparée de ta bouche Ma bouche s’est séparée du plaisir Et du sens de l’amour, et du sens de la vie Mes mains se sont séparées de tes mains Mes mains laissent tout échapper Mes pieds se sont séparés de tes pieds Ils n’avanceront plus, il n’y a plus de route Ils ne connaîtront plus mon poids, ni le repos Il m’est donné de voir ma vie finir Avec la tienne Ma vie en ton pouvoir Que j’ai crue infinie Et l’avenir mon seul espoir c’est mon tombeau Pareil au tien, cerné d’un monde indifférent J’étais si près de toi que j’ai froid près des autres. Paul Eluard Document complémentaire 3 de la séquence III Robert DELAUNAY, Champ de Mars. La Tour Rouge, 1911, huile sur toile (Art Institute of Chicago).

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