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Quatre-vingt-treize L'Imânus éclata.

Publié le 12/04/2014

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Quatre-vingt-treize L'Imânus éclata. Tu n'es pas seulement scélérat, tu es fou. Ah çà, pourquoi viens-tu nous déranger? Qui est-ce qui te prie de venir nous parler? Nous, livrer monseigneur! Qu'est-ce que tu veux? Sa tête. Et je vous offre... Ta peau. Car nous t'écorcherions comme un chien, curé Cimourdain. Eh bien, non, ta peau ne vaut pas sa tête. Va-t'en. Cela va être horrible. Une dernière fois, réfléchissez. La nuit venait pendant ces paroles sombres qu'on entendait au dedans de la tour comme au dehors. Le marquis de Lantenac se taisait et laissait faire. Les chefs ont de ces sinistres égoïsmes. C'est un des droits de la responsabilité. L'Imânus jeta sa voix par-dessus Cimourdain, et cria: Hommes qui nous attaquez, nous vous avons dit nos propositions, elles sont faites, et nous n'avons rien à y changer. Acceptez-les, sinon, malheur! Consentez-vous? Nous vous rendrons les trois enfants qui sont là, et vous nous donnerez la sortie libre et la vie sauve, à tous. A tous, oui, répondit Cimourdain, excepté un. Lequel? Lantenac. Monseigneur! livrer monseigneur! Jamais. Il nous faut Lantenac. Jamais. Nous ne pouvons traiter qu'à cette condition. Alors commencez. Le silence se fit. L'Imânus, après avoir sonné avec sa trompe le coup de signal, redescendit ; le marquis mit l'épée à la main ; les dix-neuf assiégés se groupèrent en silence dans la salle basse, en arrière de la retirade, et se mirent à genoux ; ils entendaient le pas mesuré de la colonne d'attaque qui avançait vers la tour dans l'obscurité ; ce bruit se rapprochait ; tout à coup ils le sentirent tout près d'eux, à la bouche même de la brèche. Alors tous, agenouillés, épaulèrent à travers les fentes de la retirade leurs fusils et leurs espingoles, et l'un d'eux, Grand-Francoeur, qui était le prêtre Turmeau, se leva, et, un sabre nu dans la main droite, un crucifix dans la main gauche, dit d'une voix grave: Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit! Tous firent feu à la fois, et la lutte s'engagea. VIII. LE VERBE ET LE RUGISSEMENT 198 Quatre-vingt-treize IX. TITANS CONTRE GEANTS Cela fut en effet épouvantable. Ce corps à corps dépassa tout ce qu'on avait pu rêver. Pour trouver quelque chose de pareil, il faudrait remonter aux grands duels d'Eschyle ou aux antiques tueries féodales ; à ces " attaques à armes courtes " qui ont duré jusqu'au dix-septième siècle, quand on pénétrait dans les places fortes par les fausses brayes, assauts tragiques, où, dit le vieux sergent de la province d'Alentejo, " les fourneaux ayant fait leur effet, les assiégeants s'avanceront portant des planches couvertes de lames de fer-blanc, armés de rondaches et de mantelets, et fournis de quantité de grenades, faisant abandonner les retranchements ou retirades à ceux de la place, et s'en rendront maîtres, poussant vigoureusement les assiégés ". Le lieu d'attaque était horrible ; c'était une de ces brèches qu'on appelle en langue du métier brèches sans voûte, c'est-à-dire, on se le rappelle, une crevasse traversant le mur de part en part et non une fracture évasée à ciel ouvert. La poudre avait agi comme une vrille. L'effet de la mine avait été si violent que la tour avait été fendue par l'explosion à plus de quarante pieds au-dessus du fourneau, mais ce n'était qu'une lézarde, et la déchirure praticable qui servait de brèche et donnait entrée dans la salle basse ressemblait plutôt au coup de lance qui perce qu'au coup de hache qui entaille. C'était une ponction au flanc de la tour, une longue fracture pénétrante, quelque chose comme un puits couché à terre, un couloir serpentant et montant comme un intestin à travers une muraille de quinze pieds d'épaisseur, on ne sait quel informe cylindre encombré d'obstacles, de pièges, d'explosions, où l'on se heurtait le front aux granits, les pieds aux gravats, les yeux aux ténèbres. Les assaillants avaient devant eux ce porche noir, bouche de gouffre ayant pour mâchoires, en bas et en haut, toutes les pierres de la muraille déchiquetée ; une gueule de requin n'a pas plus de dents que cet arrachement effroyable. Il fallait entrer dans ce trou et en sortir. Dedans éclatait la mitraille, dehors se dressait la retirade. Dehors, c'est-à-dire dans la salle basse du rez-de-chaussée. Les rencontres de sapeurs dans les galeries couvertes quand la contre-mine vient couper la mine, les boucheries à la hache sous les entreponts des vaisseaux qui s'abordent dans les batailles navales, ont seules cette férocité. Se battre au fond d'une fosse, c'est le dernier degré de l'horreur. Il est affreux de s'entretuer avec un plafond sur la tête. Au moment où le premier flot des assiégeants entra, toute la retirade se couvrit d'éclairs, et ce fut quelque chose comme la foudre éclatant sous terre. Le tonnerre assaillant répliqua au tonnerre embusqué. Les détonations se ripostèrent ; le cri de Gauvain s'éleva: Fonçons! puis le cri de Lantenac: Faites ferme contre l'ennemi! puis le cri de l'Imânus: A moi les Mainiaux! puis des cliquetis, sabres contre sabres, et, coup sur coup, d'effroyables décharges tuant tout. La torche accrochée au mur éclairait vaguement toute cette épouvante. Impossible de rien distinguer ; on était dans une noirceur rougeâtre ; qui entrait là était subitement sourd et aveugle, sourd du bruit, aveugle de la fumée. Les hommes mis hors de combat gisaient parmi les décombres. On marchait sur des cadavres, on écrasait des plaies, on broyait des membres cassés d'où sortaient des hurlements, on avait les pieds mordus par des mourants ; par instants, il y avait des silences plus hideux que le bruit. On se colletait, on entendait l'effrayant souffle des bouches, puis des grincements, des râles, des imprécations, et le tonnerre recommençait. Un ruisseau de sang sortait de la tour par la brèche, et se répandait dans l'ombre. Cette flaque sombre fumait dehors dans l'herbe. On eût dit que c'était la tour elle-même qui saignait et que la géante était blessée. IX. TITANS CONTRE GEANTS 199

« IX.

TITANS CONTRE GEANTS Cela fut en effet épouvantable.

Ce corps à corps dépassa tout ce qu'on avait pu rêver.

Pour trouver quelque chose de pareil, il faudrait remonter aux grands duels d'Eschyle ou aux antiques tueries féodales ; à ces " attaques à armes courtes " qui ont duré jusqu'au dix-septième siècle, quand on pénétrait dans les places fortes par les fausses brayes, assauts tragiques, où, dit le vieux sergent de la province d'Alentejo, " les fourneaux ayant fait leur effet, les assiégeants s'avanceront portant des planches couvertes de lames de fer-blanc, armés de rondaches et de mantelets, et fournis de quantité de grenades, faisant abandonner les retranchements ou retirades à ceux de la place, et s'en rendront maîtres, poussant vigoureusement les assiégés ".

Le lieu d'attaque était horrible ; c'était une de ces brèches qu'on appelle en langue du métier brèches sans voûte, c'est-à-dire, on se le rappelle, une crevasse traversant le mur de part en part et non une fracture évasée à ciel ouvert.

La poudre avait agi comme une vrille.

L'effet de la mine avait été si violent que la tour avait été fendue par l'explosion à plus de quarante pieds au-dessus du fourneau, mais ce n'était qu'une lézarde, et la déchirure praticable qui servait de brèche et donnait entrée dans la salle basse ressemblait plutôt au coup de lance qui perce qu'au coup de hache qui entaille.

C'était une ponction au flanc de la tour, une longue fracture pénétrante, quelque chose comme un puits couché à terre, un couloir serpentant et montant comme un intestin à travers une muraille de quinze pieds d'épaisseur, on ne sait quel informe cylindre encombré d'obstacles, de pièges, d'explosions, où l'on se heurtait le front aux granits, les pieds aux gravats, les yeux aux ténèbres.

Les assaillants avaient devant eux ce porche noir, bouche de gouffre ayant pour mâchoires, en bas et en haut, toutes les pierres de la muraille déchiquetée ; une gueule de requin n'a pas plus de dents que cet arrachement effroyable.

Il fallait entrer dans ce trou et en sortir.

Dedans éclatait la mitraille, dehors se dressait la retirade.

Dehors, c'est-à-dire dans la salle basse du rez-de-chaussée.

Les rencontres de sapeurs dans les galeries couvertes quand la contre-mine vient couper la mine, les boucheries à la hache sous les entreponts des vaisseaux qui s'abordent dans les batailles navales, ont seules cette férocité.

Se battre au fond d'une fosse, c'est le dernier degré de l'horreur.

Il est affreux de s'entretuer avec un plafond sur la tête.

Au moment où le premier flot des assiégeants entra, toute la retirade se couvrit d'éclairs, et ce fut quelque chose comme la foudre éclatant sous terre.

Le tonnerre assaillant répliqua au tonnerre embusqué.

Les détonations se ripostèrent ; le cri de Gauvain s'éleva: Fonçons! puis le cri de Lantenac: Faites ferme contre l'ennemi! puis le cri de l'Imânus: A moi les Mainiaux! puis des cliquetis, sabres contre sabres, et, coup sur coup, d'effroyables décharges tuant tout.

La torche accrochée au mur éclairait vaguement toute cette épouvante.

Impossible de rien distinguer ; on était dans une noirceur rougeâtre ; qui entrait là était subitement sourd et aveugle, sourd du bruit, aveugle de la fumée.

Les hommes mis hors de combat gisaient parmi les décombres.

On marchait sur des cadavres, on écrasait des plaies, on broyait des membres cassés d'où sortaient des hurlements, on avait les pieds mordus par des mourants ; par instants, il y avait des silences plus hideux que le bruit.

On se colletait, on entendait l'effrayant souffle des bouches, puis des grincements, des râles, des imprécations, et le tonnerre recommençait.

Un ruisseau de sang sortait de la tour par la brèche, et se répandait dans l'ombre.

Cette flaque sombre fumait dehors dans l'herbe.

On eût dit que c'était la tour elle-même qui saignait et que la géante était blessée.

Quatre-vingt-treize IX.

TITANS CONTRE GEANTS 199. »

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