Dictionnaire en ligne: ensevelir ENSEVELIR, verbe transitif. I.— Emploi transitif. A.— [Le procès est volontaire; le complément d'objet désigne un être animé qui a perdu la vie] 1. Envelopper (un cadavre) dans un linceul. Parions que vous n'avez pas chez vous un drap pour l'ensevelir? C'est pitié de voir ici comme ils font la toilette des morts (GEORGES BERNANOS, Nouvelle histoire de Mouchette, 1937, page 1332 ). 2. Mettre dans une sépulture. Synonymes : enterrer, inhumer. Les projets les plus bizarres avaient eu le temps de naître et de se développer : (...); de déterrer François de chez les pestiférés, pendant la nuit, et de l'ensevelir en tombe chrétienne (HENRI QUEFFÉLEC, Un Recteur de l'île de Sein, 1944, page 219) : Ø 1. Mon avis est que ni l'un ni l'autre des deux seigneurs que nous représentons ne peut décemment (...) quitter le terrain avant que l'un ou l'autre y soit enseveli. — Enseveli? dit Jose. Comment entendez-vous enseveli? — Mais enterré, monsieur. OCTAVE FEUILLET, Onesta, 1848, page 353. — Par métaphore ou au figuré. [Le complément désigne des choses concrètes ou abstraites que l'on abandonne définitivement] Les tribuns proclament que le luxe licencieux des tyrans est à jamais enseveli et que l'on doit saluer avec respect l'avènement de la simplicité (MARC STÉPHANE, L'Art de la coiffure féminine, 1932, page 152) : Ø 2.... j'abaissai les yeux sur mon modeste jardin, comme un homme qui perd une espérance. Sterne a, le premier, observé ce mouvement funèbre chez les hommes obligés d'ensevelir leurs illusions. HONORÉ DE BALZAC, Théorie de la démarche, 1833, page 639. B.— Par extension. [Le procès est volontaire; le sujet désigne un animé, le complément d'objet un inanimé] 1. Vieilli. [Le complément d'objet désigne une chose abstraite] a) [Généralement avec un locatif métaphorique : dans le silence, la nuit; dans son coeur...] Tenir caché, ne pas révéler. Ensevelir un secret dans son coeur. Pas une indiscrétion, pas un traître. Des femmes ont enseveli nos secrets dans leur sein (NÉPOMUCÈNE LEMERCIER, Pinto, 1800, IV, 12, page 139 ). Cette scène étouffée, ces propos ensevelis aussitôt dans un silence chagrin, je me sentis oppressé d'un grand malaise (GEORGES DUHAMEL, Le Jardin des bêtes sauvages, 1934, page 184) : Ø 3. Monsieur, me dit-elle en changeant de ton et prenant sa plus persuasive inflexion de voix, un hasard malheureux vous a livré des secrets jusqu'ici soigneusement gardés, promettez-moi d'ensevelir dans votre coeur le souvenir de cette scène. HONORÉ DE BALZAC, Le Lys dans la vallée, 1836, page 80. b) [Le complément prépositionnel désigne un lieu] Soustraire aux regards du monde. Je voulois fuir, ensevelir ma honte au fond des déserts (RENÉ-CHARLES GUILBERT DE PIXÉRÉCOURT, Victor ou l'Enfant de la forêt, 1798, III, 6, page 44 ). Elle est allée ensevelir sa douleur au fond d'un château de province (PIERRE-ALEXIS, VICOMTE PONSON DU TERRAIL, Rocambole, les drames de Paris, tome 1, 1859, page 420 ). 2. Faire disparaître sous une couche de terre. Synonymes : enfouir, enterrer. Le chien se retourne, gratte frénétiquement le sol avec ses pattes de derrière, et ensevelit la touffe sous le sable (ROGER MARTIN DU GARD, Vieille France, 1933, page 1092 ). — Par extension. Faire disparaître dans quelque chose. Je le vois dans sa chambre de jeune homme, (...) tout d'un coup, ouvrant son tiroir, ensevelissant son manuscrit, et se mettant à sa table pour se tracer un « nouvel ordre systématique d'études... » (PAUL BOURGET, Pages de critique et de doctrine, tome 1, 1912, page 22 ). C.— [Le procès est involontaire; le sujet désigne un inanimé] 1. Recouvrir entièrement. (Quasi-)synonyme : engloutir. Il était arrivé plus d'une fois que le sol sans consistance s'effondrât, ensevelissant les femmes et les enfants qui travaillaient au fond du trou (ANDRÉ GIDE, Voyage au Congo, 1927, page 739) : Ø 4. Alexis allait aussi du côté de Fourvière, en dessous de la colline, d'où, voilà douze ans, avaient glissé de grands immeubles, s'écroulant en bas de la pente, ensevelissant leurs habitants sous les décombres de leur chez-soi. ELSA TRIOLET, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, page 176. — Au passif. Toutes ces reliques des temps quaternaires ont été ensevelies progressivement sous les dépôts de remplissage (MARCELLIN BOULE, Conférences de géologie, 1907, page 184 ). 2. Par exagération. a) Recouvrir. Il dormait, la bouche ouverte, enseveli sous les couvertures (GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, La Confession, 1884, page 461 ). Ces arbres, dont quelques-uns sont de dimensions colossales, ensevelissent la maison de Clodius sous leurs frondaisons. On ne la voit plus (HENRI BOSCO, Le Mas Théotime, 1945, page 60 ). b) [Généralement au passif; le complément prépositionnel est introduit par dans] Être complètement enveloppé (dans quelque chose). Ce personnage était un vieil officier décoré, (...) enseveli dans une ample redingote bleue comme une tortue sous sa carapace (HONORÉ DE BALZAC, Les Illusions perdues, 1843, page 252 ). Des nourrissons ensevelis du crâne aux épaules dans des capuchons cylindriques (SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, page 431 ). c) Au figuré. [Le sujet désigne une chose abstraite; le complément prépositionnel est souvent introduit par sous] Engloutir, accabler. Il est étouffé [l'héroïsme] par la vie courante, enseveli sous les lâchetés quotidiennes (MARCEL ARLAND, L'Ordre, 1929, page 73 ). La solitude coloniale énorme (...) va les ensevelir bientôt eux et leur destin (LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, page 146 ). 3. Par analogie. Faire disparaître du regard. Un paysage enseveli sous la pluie (FRANÇOIS MAURIAC, Thérèse Desqueyroux, 1927, page 195 ). Il essaie de voir le visage de Schneider, mais la nuit ensevelit la cour; on ne voit plus rien du tout (JEAN-PAUL SARTRE, La Mort dans l'âme, 1949, page 218 ). 4. Au figuré. [Au passif; le complément prépositionnel introduit par dans désigne un état de conscience ou une activité intellectuelle] Être plongé (dans quelque chose), absorbé (par quelque chose). Le malheureux Ogier, enseveli dans les plus tristes réflexions, garda un morne silence pendant toute la route (STÉPHANIE FÉLICITÉ DUCREST DE SAINT-AUBIN, COMTESSE DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, tome 3, 1795, page 163 ). Je restais ensevelie dans les réflexions que soulevait en moi ce double problème (AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 3, 1855, page 402 ). II.— Emploi pronominal. A.— Vieux. Disparaître en s'enfonçant (dans quelque chose). La pesante artillerie s'ensevelit dans des marais (FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Les Natchez, 1826, page 269 ). — Au figuré. La cravate (...) à plis nombreux où le menton s'ensevelit (HONORÉ DE BALZAC, Les Petits bourgeois, 1850, page 15 ). B.— Vieilli. 1. [Sens réfléchi, avec un complément locatif] Se retirer. Il disparut et alla s'ensevelir dans un couvent de chartreux (AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Lélia, 1839, page 534 ). Je ne suis pas sans inquiétudes ni sans regrets d'être venue, à la suite d'un coup de tête, m'ensevelir dans ce fond perdu de province (OCTAVE MIRBEAU, Le Journal d'une femme de chambre, 1900, page 14 ). · Expression. S'ensevelir vivant dans un tombeau. Se retirer en un endroit très isolé. 2. [Le complément prépositionnel désigne un état de conscience ou une activité intellectuelle] S'absorber dans : S'ensevelir dans son chagrin, dans l'étude, dans une rêverie. Synonymes : s'abîmer, se plonger. Le Comité des travailleurs s'ensevelit dans les enquêtes, les rapports, les discussions, les projets (PIERRE-JOSEPH PROUDHON, Les Confessions d'un révolutionnaire pour servir à l'histoire de la Révolution de février, 1849, page 158 ). Cette « Revue des Deux Mondes », lecture commode, peut-être n'était-il pas très aimable, ni très bien élevé, de s'y ensevelir (JOSEPH MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, tome 2, 1933, page 93) : Ø 5.... il posa avec dépit la bouteille sur la table. — Tu ferais mieux de ne pas t'ensevelir dans le passé et de vivre un peu plus dans le présent, dit-il. — Oh! tu sais, le présent! elle jeta sur la table un regard aveugle. SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, page 282. C.— Sens réfléchi. S'ensevelir sous les murs d'une place. La défendre jusqu'à la mort. Les voilà déterminés à s'ensevelir sous leurs murs, et mettant l'honneur d'une mort glorieuse bien au-dessus de la honte d'une longue vie (MADAME COTTIN, Mathilde, tome 2, 1805, page 13 ). STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 1 587. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 3 287, b) 2 206; XXe. siècle : a) 2 168, b) 1 453.
