Devoir de Philosophie

Les petits enfants j'ai ri.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

Les petits enfants j'ai ri. A chaque Sabbat j'allais Avec mon livre de prières M'asseoir sous le petit arbre Vert, et lire au bord de la rivière. Belz, mon shtetl Belz, Mon petit foyer, où j'ai fait autrefois Tant de rêves magnifiques...   -- j'ai appris ces mots, que j'ai récemment réentendus, bizarre expérience, pour la première fois depuis la mort de mon grand-père, il y a vingt-cinq ans, lors d'une fête à thème sur les « Sixties » dans une boîte à New York, et quand j'ai demandé au DJ où il avait bien pu trouver cette chanson, il m'a tendu, sans cesser de tourner la tête au rythme de l'étrange musique, la pochette usée d'un album de 1960 d'une célèbre chanteuse pop italo-américaine, intitulé Connie Francis Sings Jewish Favorites. Par mon grand-père, j'avais aussi entendu parler du vieil homme des bois ukrainien vivant dans les montagnes au-dessus de Bolechow qui, la nuit précédant Yom Kippour, en constatant qu'un calme inhabituel et, pour lui, effrayant avait envahi les petites villes luisantes sous les collines boisées des Carpates, alors que les Juifs des shtetls se préparaient pour la redoutable fête, était descendu de la montagne pour s'installer dans la maison d'un Juif accueillant, tant cette peur de paysan ukrainien, au cours de cette nuit particulière de l'année, faisait redouter les Juifs et leur Dieu sombre. Les Ukrainiens, disait de temps à autre mon grand-père, avec un petit soupir de lassitude, pendant qu'il racontait cette histoire. Oukraiiiniens. Les Ukrainiens. Nos goyim. Il venait donc tous les étés à Long Island et je m'asseyais à ses pieds pendant qu'il parlait. Il parlait de cette soeur aînée qui était morte une semaine avant de se marier, et il parlait de la jeune soeur qui avait été mariée, à l'âge de dix-neuf ans, au fiancé de la soeur aînée, le bossu (disait mon grand-père), le cousin germain presque nain que la première, puis la seconde, de ces filles adorables avait dû épouser parce que, me racontait mon grand-père, le père de ce cousin hideux avait payé les billets de bateau pour faire venir ces deux soeurs, leurs frères et leur mère, avait fait venir toute la famille de mon grand-père aux Etats-Unis et exigé une bellefille superbe en guise de paiement. Il tenait des propos amers sur la façon dont ce même cousin, qui était aussi une sorte de beau-frère, avait poursuivi mon grand-père sur quarantedeux étages du Chrysler Building après la lecture d'un certain testament en 1947, en brandissant une paire de ciseaux ou peut-être était-ce un coupe-papier ; il parlait de cette méchante tante à lui, la femme de l'oncle qui avait payé son passage pour l'Amérique (la même tante avec qui le frère aîné de mon grand-père, le prince, avait dû vivre pendant son bref séjour aux Etats-Unis en 1913, et peut-être que c'était sa méchanceté qui l'avait décidé à retourner vivre à Bolechow, décision qui paraissait tellement juste à l'époque) ; mon grand-père parlait de cette tante, Tante, qui est, sur les quelques photos qui restent d'elle, une énorme matriarche, au teint terreux, au visage revêche, aux bras replets pendus à son torse comme d'opulentes robes de cour, une femme si formidable que, même aujourd'hui, dans ma famille - même parmi ceux qui sont nés une génération après sa mort -, il est impossible d'entendre le mot Tante sans frissonner. Et il parlait de la plaisante simplicité des bar-mitsva du Vieux Continent, comparée (vous étiez censé le sentir) à l'extravagance à la fois empesée et empressée des cérémonies d'aujourd'hui : tout d'abord, les cérémonies religieuses dans des temples glacés aux toits pentus et, ensuite, les réceptions dans les salles de restaurant et les country clubs luxueux, à l'occasion desquelles des garçons comme moi lisaient la parashah, la portion de la Torah correspondant à cette semaine-là, et chantaient sans comprendre les portions haftarah, les extraits tirés des Prophètes qui accompagnent chaque parashah, tout en rêvant à la réception suivante et à la promesse de boire furtivement des whiskey sours (c'est dans cet état que j'ai chanté la mienne : une performance qui s'était achevée avec ma voix déraillant complètement, c'en était mortifiant, au moment où je parvenais au tout dernier mot, passant d'un pur soprano au baryton qui la caractérise depuis). Nu, et alors ? disait-il. Tu te levais à cinq heures, ce matinlà, au lieu de six, tu priais une heure de plus dans la shul, et puis tu rentrais chez toi et tu mangeais des petits gâteaux avec le rabbin et ta mère, et ton père, et c'était tout. Il parlait de la façon dont il avait été malade pendant les dix jours de la traversée vers l'Amérique, du temps où, dix ans auparavant, quand il avait dû monter la garde devant une grange remplie de prisonniers de guerre russes, quand il avait seize ans, pendant la Première Guerre mondiale, ce qui expliquait pourquoi il savait le russe, une des nombreuses langues qu'il connaissait ; il parlait du groupe de vagues cousins qui venaient dans le Bronx de temps en temps et qu'on appelait, mystérieusement, « les Allemands ». Mon grand-père me racontait toutes ces histoires, toutes ces choses, mais il ne parlait jamais de son frère et de sa belle-soeur, et des quatre filles qui, pour moi, ne semblaient pas tant morts qu'égarés, disparus non seulement du monde, mais - de façon plus terrible pour moi - des histoires mêmes de mon grand-père. Ce qui explique pourquoi, de toute cette histoire, de tous ces gens, ceux dont je sais le moins sont les six qui ont été assassinés, ceux qui avaient, me semblait-il alors, l'histoire la plus étonnante de toutes, l'histoire qui méritait le plus d'être racontée. Mais, sur ce sujet, mon grand-père si loquace restait silencieux, et son silence, inhabituel et intense, irradiait le sujet de Shmiel et de sa famille, en les rendant impossibles à mentionner et, par conséquent, inconnaissables.     Inconnaissables.    Chaque mot du Pentateuque de Moïse, le coeur de la Bible hébraïque, a été analysé, examiné, interprété et soumis au regard scrutateur d'érudits rigoureux pendant des siècles. Il est généralement admis que le plus grand de tous les commentateurs bibliques était l'érudit français du XIe siècle, le rabbin Chlomo ben Isaac, mieux connu sous le nom de Rachi, qui n'est rien d'autre que l'acronyme formé par les initiales de son titre, de son prénom et de son patronyme : Ra(bbin) Ch(lomo ben) I(saac) - Rachi. Né à Troyes en 1040, Rachi a survécu aux terribles bouleversements de son temps, dont les massacres de Juifs, lesquels étaient, pour ainsi dire, un effet dérivé de la première croisade. Eduqué à Mayence, où il fut l'étudiant de l'homme qui avait été lui-même le meilleur étudiant du célèbre Gershom de Mayence (parce que j'ai toujours eu de bons professeurs, j'adore l'idée de ces généalogies intellectuelles), Rachi a fondé sa propre académie à l'âge de vingt-cinq ans et a vécu assez longtemps pour se voir reconnu comme le plus grand érudit de son temps. Son attention pour chaque mot du texte qu'il étudiait n'avait d'égal que le laconisme radical de son propre style ; c'est peut-être à cause de cela que le commentaire de Rachi sur la Bible a fait l'objet de quelque deux cents autres commentaires. Pour se faire une idée de l'importance de Rachi, il faut savoir que la première bible imprimée en hébreu contenait son commentaire... Il est intéressant, pour moi, de noter que Rachi, tout comme mon grand-oncle Shmiel, n'a eu que des filles, ce qui était, pour autant qu'on sache, une responsabilité plus grande pour un homme d'une certaine ambition en 1040 qu'elle n'était en 1940. Toutefois, les enfants de ces filles de Rachi ont fait fructifier le magnifique héritage de leur grand-père et, pour cette raison, ont été connus sous le nom de baalei tosafot, « Ceux Qui Ont Etendu ». Même si Rachi fait figure de commentateur prééminent de la Torah - et, par conséquent, de la première parashah dans la Torah, la lecture par laquelle la Torah commence, et qui commence elle-même par non pas un, mais, mystérieusement, deux récits de la Création, et inclut l'histoire d'Adam et Eve et de l'Arbre de la Connaissance, raison pour laquelle c'est une histoire qui a provoqué un commentaire particulièrement rigoureux au cours des millénaires -, il est important d'examiner les interprétations des commentateurs modernes, telles que la traduction récente et le commentaire du rabbin Richard Elliot Friedman qui, dans ses tentatives sincères et pénétrantes pour connecter le texte ancien à la vie contemporaine, est aussi ouvert et sympathique que Rachi est dense et abstrus. Par exemple, tout au long de son analyse du premier chapitre de la Genèse -- dont le nom en hébreu, bereishit, signifie littéralement « au commencement » --, Rachi est attentif à de minuscules détails de sens et de choix des mots que le rabbin Friedman est prêt à laisser passer sans commentaire, alors que Friedman (qui, reconnaît-on, écrit pour un public plus large) se soucie d'élucider des questions plus vastes. Un exemple : les deux érudits reconnaissent tous deux les difficultés fameuses de traduction de la première phrase de Bereishit -- bereishit bara Elohim et-hashamayim v'et-ha'aretz.   Contrairement à la croyance des millions de gens qui ont la Bible dans la version King James, cette phrase ne signifie pas «Au commencement, Dieu a créé le ciel et la terre », mais doit signifier plutôt quelque chose comme «Au commencement de la création de Dieu du ciel et de la terre... ». Friedman admet à peine le « problème classique » de traduction, sans s'y attarder ; tandis que Rachi dépense une grande quantité d'encre pour dire simplement ce qu'est le problème. Et le problème, en un mot, est que ce que dit littéralement l'hébreu, c'est : «Au commencement de, Dieu a créé le ciel et la terre. » Car le premier mot, bereishit, « au commencement » (b' « au » + reishit, « commencement »), est normalement suivi d'un autre nom, mais à la première ligne de parashat Bereishit -- quand nous nous référons à une parashah comme nom, nous employons la forme « parashat » -- ce qui suit le mot bereishit est un verbe : bara, « créé ». Après une longue discussion des questions linguistiques, Rachi finit par résoudre le problème en invoquant certains parallèles tirés d'autres textes où bereishit est suivi d'un verbe plutôt que d'un nom, et c'est cela qui nous permet de traduire ces premiers mots cruciaux comme suit :   Au commencement de la création de Dieu des cieux et du Ciel -- quand la terre avait été sans contour et saris forme, et que l'obscurité était sur la face du profond, et que l'esprit de Dieu planait sur la face de l'eau - Dieu a dit : « Que la lumière soit. »

« Tante sans frissonner. Et ilparlait delaplaisante simplicité desbar-mitsva duVieux Continent, comparée(vousétiez censé lesentir) àl'extravagance àla fois empesée etempressée descérémonies d'aujourd'hui : tout d'abord, lescérémonies religieusesdansdestemples glacésauxtoits pentus et,ensuite, les réceptions danslessalles derestaurant etles country clubs luxueux, àl'occasion desquelles des garçons commemoilisaient la parashah, la portion delaTorah correspondant àcette semaine-là, etchantaient sanscomprendre lesportions haftarah, les extraits tirésdes Prophètes quiaccompagnent chaque parashah, tout enrêvant àla réception suivanteetàla promesse deboire furtivement des whiskey sours (c'est danscetétat quej'aichanté lamienne : une performance quis'était achevée avecmavoix déraillant complètement, c'enétait mortifiant, aumoment oùjeparvenais autout dernier mot,passant d'unpursoprano au baryton quilacaractérise depuis).

Nu, etalors ? disait-il.

Tu televais àcinq heures, cematin- là, au lieu desix, tupriais uneheure deplus dans la shul, et puis turentrais cheztoiettu mangeais despetits gâteaux aveclerabbin etta mère, etton père, etc'était tout.

Il parlait de la façon dontilavait étémalade pendant lesdix jours delatraversée versl'Amérique, dutemps où, dixans auparavant, quandilavait dûmonter lagarde devant unegrange remplie de prisonniers deguerre russes, quandilavait seize ans,pendant laPremière Guerremondiale, ce qui expliquait pourquoiilsavait lerusse, unedesnombreuses languesqu'ilconnaissait ;il parlait dugroupe devagues cousins quivenaient dansleBronx detemps entemps etqu'on appelait, mystérieusement, « lesAllemands ». Mon grand-père meracontait toutesceshistoires, toutesceschoses, maisilne parlait jamais de son frère etde sabelle-sœur, etdes quatre fillesqui,pour moi,nesemblaient pastant morts qu'égarés, disparusnonseulement dumonde, mais– defaçon plusterrible pourmoi – des histoires mêmesdemon grand-père.

Cequi explique pourquoi, detoute cettehistoire, de tous cesgens, ceuxdont jesais lemoins sontlessixqui ont étéassassinés, ceuxquiavaient, me semblait-il alors,l'histoire laplus étonnante detoutes, l'histoire quiméritait leplus d'être racontée.

Mais,surcesujet, mongrand-père siloquace restaitsilencieux, etson silence, inhabituel etintense, irradiaitlesujet deShmiel etde safamille, enles rendant impossibles à mentionner et,par conséquent, inconnaissables.

    Inconnaissables.    Chaque motduPentateuque deMoïse, lecœur delaBible hébraïque, aété analysé, examiné, interprété etsoumis auregard scrutateur d'éruditsrigoureux pendantdessiècles.

Ilest généralement admisqueleplus grand detous lescommentateurs bibliquesétaitl’érudit français duXIe siècle, lerabbin Chlomo benIsaac, mieux connu souslenom deRachi, quin'est rien d'autre quel'acronyme forméparlesinitiales deson titre, deson prénom etde son patronyme :Ra(bbin) Ch(lomoben)I(saac) -Rachi.

NéàTroyes en1040, Rachiasurvécu aux terribles bouleversements deson temps, dontlesmassacres deJuifs, lesquels étaient,pourainsi. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles