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Anouilh, Antigone (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Anouilh, Antigone (extrait). À la mort d'OEdipe, roi de Thèbes, le gouvernement de la cité est laissé en héritage à ses deux fils, Étéocle et Polynice, qui alternativement y exerceront leur autorité. Étéocle refuse de céder le pouvoir à son frère une fois son tour venu ; s'ensuit une lutte à l'issue de laquelle les deux frères meurent, chacun de la main de l'autre. Créon, nouveau roi de Thèbes, interdit d'accorder une sépulture à Polynice ; bravant l'interdiction, Antigone, soeur des deux combattants, a recouvert de terre le corps de Polynice selon les traditions immémoriales. Face à Créon, Antigone interroge la perspective d'une vie heureuse, conforme à ses exigences d'enfant intransigeant. Antigone de Jean Anouilh ANTIGONE, murmure, le regard perdu. -- Le bonheur... CRÉON, a un peu honte soudain. -- Un pauvre mot, hein ? ANTIGONE, doucement. -- Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone ? Quelles pauvretés faudra-t-il qu'elle fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents son petit lambeau de bonheur ? Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui sourire, à qui se vendre ? Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant le regard ? CRÉON, hausse les épaules. -- Tu es folle, tais-toi. ANTIGONE. -- Non, je ne me tairai pas ! Je veux savoir comment je m'y prendrai, moi aussi, pour être heureuse. Tout de suite, puisque c'est tout de suite qu'il faut choisir. Vous dites que c'est si beau la vie. Je veux savoir comment je m'y prendrai pour vivre. CRÉON. -- Tu aimes Hémon ? ANTIGONE. -- Oui, j'aime Hémon. J'aime un Hémon dur et jeune ; un Hémon exigeant et fidèle, comme moi. Mais si votre vie, votre bonheur doivent passer sur lui avec leur usure, si Hémon ne doit plus pâlir quand je pâlis, s'il ne doit plus me croire morte quand je suis en retard de cinq minutes, s'il ne doit plus se sentir seul au monde et me détester quand je ris sans qu'il sache pourquoi, s'il doit devenir près de moi le monsieur Hémon, s'il doit apprendre à dire « oui «, lui aussi, alors je n'aime plus Hémon ! CRÉON. -- Tu ne sais plus ce que tu dis. Tais-toi. ANTIGONE. -- Si, je sais ce que je dis, mais c'est vous qui ne m'entendez plus. Je vous parle de trop loin maintenant, d'un royaume où vous ne pouvez plus entrer avec vos rides, votre sagesse, votre ventre. (Elle rit.) Ah ! je ris, Créon, je ris parce que je te vois à quinze ans, tout d'un coup ! C'est le même air d'impuissance et de croire qu'on peut tout. La vie t'a seulement ajouté tous ces petits plis sur le visage et cette graisse autour de toi. CRÉON, la secoue.-- Te tairas-tu, enfin ? ANTIGONE. -- Pourquoi veux-tu me faire taire ? Parce que tu sais que j'ai raison ? Tu crois que je ne lis pas dans tes yeux que tu le sais ? Tu sais que j'ai raison, mais tu ne l'avoueras jamais parce que tu es en train de défendre ton bonheur en ce moment comme un os. CRÉON. -- Le tien et le mien, oui, imbécile ! ANTIGONE. -- Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu'il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu'ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n'est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, -- et que ce soit entier -- ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d'un petit morceau si j'ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd'hui et que cela soit aussi beau que quand j'étais petite -- ou mourir. Source : Anouilh (Jean), Antigone, Paris, Éditions de la Table Ronde, 1947. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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