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Antigone de Albert SAMAIN

Publié le 17/02/2012

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antigone

Albert SAMAIN (1858-1900) (Recueil : Symphonie héroïque) - Antigone L'Homme, puni des dieux parce qu'il a trouvé, Pareil en sa misère à l'époux de Jocaste, Marche de siècle en siècle et, las du ciel néfaste, Demande chaque soir s'il n'est pas arrivé. Mais, guidant son bâton qui se heurte aux pavés, Sa fille près de lui glisse, voilée et chaste, Et, fidèle, accompagne, ainsi qu'un pur constraste, L'antique désespoir dont les yeux sont crevés. Par les villes de pierre et par les longs faubourgs Ils vont ; tendant la main, le soir, aux carrefours, La vierge aux cils blonds chante, et demande l'aumône ; Et rien n'est plus sacré que le vieux roi sans yeux, Qui vient à nous du fond des temps mystérieux, Dont l'âme peut souffrir encore et s'en étonne, Et que soutient toujours la divine Antigone.

Samain compte parmi les poètes intimes autour desquels la Renommée tapageuse n'a point fait entendre ses fanfares de trompettes. On le lit, le soir, à la lampe, plutôt qu'en plein midi. Ses beaux symboles, chargés de pensée et de sentiment, d'un coloris discret, d'une exquise tonalité, sont le régal des délicats. Il reprend ici, en le renouvelant de la plus originale façon, un thème qu'on eût pu croire épuisé. Il évoque l'émouvante image du malheureux OEdipe et la virginale figure de sa fille Antigone. Que de fois, depuis Sophocle, ces deux personnages avaient surgi dans les livres ou sur la scène !...

antigone

« trois le soir? ) - « C'est l'homme, repliqua aussitot CEdipe : dans son en- fance it se traine sur les pieds et sur les mains; dans son age mar, it marche sur deux pieds; dans sa vieillesse, it s'appuie sur un baton.

) De rage, le monstre alla se jeter dans les flots.

Alors s'accomplit sur Edipe l'antique malediction, déjà connue de Ca- dmus, fondateur de Thebes et trisaieul du nouveau roi...

Pour se punir, it s'est creve les yeux.

Banni, it quitte son royaume ou ses deux fils - freres ennemis qu'il a maudits - et sa fille Ismene - retenue de force par eux - sont demeures.

Seule Antigone accompagne son pere aveugle sur la terre etrangere, oa ils errent, a l'aventure.

L'CEdipe a Colone, de Sophocle, a immortalise ce sublime devouement filial.

Pour lui, elle s'est condamnee A une vie sans joie, elle a renonce au mariage, elle a consenti a la pauvrete, elle a chants aux carrefours, elle a tendu la main, elle la fille du roi; elle a illumine et rechauffe des rayons de sa pure jeunesse l'Ame du vieillard plonge dans les tenebres... * * Et void qu'apres des millenaires, sa figure reprend vie dans le poeme d'un « moderne ».

Mais Edipe n'est plus CEdipe; it est devenu l'image de l'Humanite, de- solee par les maux qui l'accablent, ecrasee sous le poids de la colere di- vine, lasse du del nefaste, et contrainte, comme le juif errant, de marcher devant elle, sans savoir oil elle dirige ses pas, jusqu'a la fin des temps, jusqu'a ce que la Terre s'entr'ouvre pour la recevoir, comme CEdipe, dans son sein maternel.

Elle aussi, elle est punie parce qu'elle a trouve! II semble, en depit d'enormes differences, que le mythe paten rejoigne ici le dogme chretien, an moins dans la pensee de Samain.

Ne s'est-il pas souvenu, en ecrivant ces vers, du paradis terrestre, de l'arbre plante au milieu du jardin? N'a-t-il pas entendu les propos du tentateur : « Dieu sait que le jour oa vous en mangerez vos yeux s'ouvriront, vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal? ) Et ne s'est-il pas rappels l'ironique propos de Yahweh : « Void que Phomme est devenu comme l'un de nous, pour la connaissance du bien et du mal!...

» et l'expulsion de 1'Eden, et les Cherubins aux epees flamboyantes? N'est-ce point parce que Adam et Eve ont trouve ce qu'ils devaient ignorer, que leur descendance est punie? C'est d'ailleurs un lieu commun dans les 'literatures anciennes que cette jalousie des dieux, et que les terribles vengeances exercees par eux sur les mortels qui derobent leurs biens et leurs secrets.

Tantale, fils de Jupiter, fut autant puni pour avoir derobe aux Immortels le nectar et l'ambroisie, pour avoir revele leurs secrets aux hommes, que pour avoir servi dans un monstrueux festin la chair de son propre fils, Pelops.

Promethee, jalouse par Jupiter dont it avait assure le triomphe, est precipite du ciel en terre. Emule hardi de la divinite, inventeur et createur, it faconne Phomme, lui communique l'intelligence et, a son profit, vole une etincelle du « feu divin ), source de l'industrie a venir.

Ce larcin est cause de tous les maux, de tons les crimes qui enveloppent notre planete comme d'une brume epaisse.

Et Promethee enchains expie le crime d'avoir trouve, au sommet du Caucase oit un vautour, durant trente mille ans, lui rongera le foie. Est-ce donc vraiment pour avoir trouve que l'homme est puni, en proie a la souffrance .physique et morale? Non, c'est pour avoir abuse de sa liberte, pour avoir refuse de plier sa raison et sa volonte sous des lois justes et sages, pour avoir scouts un orgueil fou qui pretend s'egaler a Dieu : Je monterai et je servi semblable au Tres-Haut...

2,, pour avoir obei a ses has instincts qui le ravalent au-dessous de la bete, et s'etre procure des satisfactions iniques qui trainent a leur suite d'epouvantables perturba- tions. Dieu, qui nous donne une intelligence dont le pouvoir sur l'univers ne nous est pas encore entierement connu, ne peut etre jaloux de ceux qui trouvent; tout progres de la science, toute decouverte nous doit etre une occasion nouvelle d'admirer son intelligence et son pouvoir infinis.

Et quand l'homme abuse de ses trouvailles, gaspille les tresors mis a sa disposition, materialise son existence, ce sont les choses qui, en vertu de lois supe- rieures peine entrevues, se vengent d'elles-memes.

Au fond des crises pas- sageres qui font hurler l'Humanite, des maux permanents qui la font Oink, ne faut pas chercher la vengeance despotique d'un ciel nefaste, mais les trois le soir? » — « C'est l'homme, répliqua aussitôt Œdipe : dans son en­ fance il se traîne sur les pieds et sur les mains ; dans son âge mûr, il marche sur deux pieds; dans sa vieillesse, il s'appuie sur un bâton.

» De rage, le monstre alla se jeter dans les flots.

Alors s'accomplit sur Œdipe l'antique malédiction, déjà connue de Ca¬ dmus, fondateur de Thèbes et trisaïeul du nouveau roi... Pour se punir, il s'est crevé les yeux. Banni, il quitte son royaume où ses deux fils — frères ennemis qu'il a maudits — et sa fille Ismène — retenue de force par eux — sont demeurés. Seule Antigone accompagne son père aveugle sur la terre étrangère, où ils errent, à l'aventure. L'Œdipe a Colone, de Sophocle, a immortalisé ce sublime dévouement filial. Pour lui, elle s'est condamnée à une vie sans joie, elle a renoncé au mariage, elle a consenti à la pauvreté, elle a chanté aux carrefours, elle a tendu la main, elle la fille du roi; elle a illuminé et réchauffé des rayons de sa pure jeunesse l'âme du vieillard plongé dans les ténèbres...

* * * Et voici qu'après des millénaires, sa figure reprend vie dans le poème d'un « moderne ».

Mais Œdipe n'est plus Œdipe; il est devenu l'image de l'Humanité, dé­ solée par les maux qui l'accablent, écrasée sous le poids de la colère di­ vine, lasse du ciel néfaste, et contrainte, comme le juif errant, de marcher devant elle, sans savoir où elle dirige ses pas, jusqu'à la fin des temps, jusqu'à ce que la Terre s'entr'ouvre pour la recevoir, comme Œdipe, dans son sein maternel. Elle aussi, elle est punie parce qu'elle a trouvé! Il semble, en dépit d'énormes différences, que le mythe païen rejoigne ici le dogme chrétien, au moins dans la pensée de Samain. Ne s'est-il pas souvenu, en écrivant ces vers, du paradis terrestre, de l'arbre planté au milieu du jardin? N'a-t-il pas entendu les propos du tentateur : « Dieu sait que le jour où vous en mangerez vos yeux s'ouvriront, vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal? » Et ne s'est-il pas rappelé l'ironique propos de Yahweh : « Voici que l'homme est devenu comme l'un de nous, pour la connaissance du bien et du mal!... » et l'expulsion de l'Eden, et les Chérubins aux épées flamboyantes? N'est-ce point parce que Adam et Eve ont trouvé ce qu'ils devaient ignorer, que leur descendance est punie? C'est d'ailleurs un lieu commun dans les littératures anciennes que cette jalousie des dieux, et que les terribles vengeances exercées par eux sur les mortels qui dérobent leurs biens et leurs secrets.

Tantale, fils de Jupiter, fut autant puni çour avoir dérobé aux Immortels le nectar et l'ambroisie, pour avoir révèle leurs secrets aux hommes, que pour avoir servi dans un monstrueux festin la chair de son propre fils, Pelops. Prométhée, jalousé par Jupiter dont il avait assuré le triomphe, est précipité du ciel en terre.

Emule hardi de la divinité, inventeur et créateur, il façonne l'homme, lui communique l'intelligence et, à son profit, vole une étincelle du « feu divin », source de l'industrie à venir. Ce larcin est cause de tous les maux, de tous les crimes qui enveloppent notre planète comme d'une brume épaisse.

Et Prométhée enchaîné expie le crime d'avoir trouvé, au sommet du Caucase où un vautour, durant trente mille ans, lui rongera le foie.

Est-ce donc vraiment pour avoir trouvé que l'homme est puni, en proie à la souffrance physique et morale? Non, c'est pour avoir abusé de sa liberté, pour avoir refusé de plier sa raison et sa volonté sous des lois justes et sages, pour avoir écouté un orgueil fou qui prétend s'égaler à Dieu : «Je monterai et je serai semblable au Très-Haut...

», pour avoir obéi à ses bas instincts qui le ravalent au-dessous de la bête, et s'être procuré des satisfactions iniques qui traînent à leur suite d'épouvantables perturba­ tions.

Dieu, qui nous donne une intelligence dont le pouvoir sur l'univers ne nous est pas encore entièrement connu, ne peut être jaloux de ceux qui trouvent; tout progrès de la science, toute découverte nous doit être une occasion nouvelle d'admirer son intelligence et son pouvoir infinis. Et quand l'homme abuse de ses trouvailles, gaspille les trésors mis à sa disposition, matérialise son existence, ce sont les choses qui, en vertu de lois supé­ rieures à peine entrevues, se vengent d'elles-mêmes.

Au fond des crises pas­ sagères qui font hurler l'Humanité, des maux permanents qui la font gémir, il ne faut pas chercher la vengeance despotique d'un ciel néfaste, mais les. »

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