Devoir de Philosophie

José Cabanis, Des jardins en Espagne.

Publié le 27/04/2011

Extrait du document

cabanis

Le narrateur était prisonnier en Allemagne pendant la dernière guerre.    J'ai travaillé à la chaîne deux ans. J'étais assis à une machine en fonte, scellée au sol, d'où descendait un grand balancier au bas duquel je mettais le pied, appuyant fortement. Il en résultait un mouvement de va-et-vient, et le haut de la machine basculait, imprimant un numéro sur une petite pièce que je glissais dans une gorge, puis enlevais prestement, à raison de mille à l'heure, en ayant soin de ne pas y laisser les doigts. Par une fenêtre où je pouvais regarder en me penchant un peu, j'ai vu passer, au long des jours, les saisons. Je devinais l'approche du printemps grâce à des saules pleureurs, qui se trouvaient dans le cimetière, à quelque cent mètres de l'usine. Les premiers ils se couvraient d'une sorte de mousse verte. Les après-midi de l'été, dans la chaleur, étaient intolérables. Les femmes allemandes chantaient en chœur. Les messieurs qui nous dirigeaient entraient brusquement, tout le monde se taisait, et ils nous observaient longuement. Ils étaient élégants, parfois en tenue de ville, avec pochette et souliers vernis, parfois en blouse blanche, mais impeccables. Ils ne disaient rien et assortaient, le front soucieux, graves et importants, ou bien faisaient une colère effroyable dont je ne comprenais pas toujours la raison : j'étais arrivé sans connaître un mot d'allemand. Ils vociféraient, et le mot sabotage, je le comprenais. Il n'y avait qu'à baisser la tête, et à attendre. Jamais les heures ne m'ont paru plus longues. J'ai découvert ce que peuvent être des journées où l'on n'a rien fait que quatre gestes imbéciles, systématiquement répétés, rien vu, qu'un coin de la salle des machines, rien entendu que les cris des contremaîtres, le ronflement et le bruit soudain strident des machines, et ces mélopées tristes qu'aimaient les femmes allemandes. Et cela, comme la veille, comme le lendemain, comme toujours, pendant que s'écoule l'année et que reviennent des saisons qui ne signifient plus rien et ne peuvent rien apporter. J'étais condamné aux travaux forcés, et ce n'était pas la peine de compter les jours : cela durerait autant que la guerre, et bien après si nos vainqueurs y trouvaient leur compte, ce n'étaient pas des sentimentaux.    José Cabanis, Des jardins en Espagne.    Dans un commentaire composé, vous pourriez étudier, par exemple, la double condition de prisonnier et de travailleur du narrateur, en même temps que les moyens par lesquels il souligne l'absurdité de cette condition. Mais ces indications ne sont pas contraignantes.

Liens utiles