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Sensiblerie ou sensibilité.

Publié le 27/04/2011

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   Ils sont vingt et un millions qui vivent à nos côtés, parmi nous. Leur nombre a presque doublé en vingt ans et il ne cesse, d'une année à l'autre, d'augmenter encore malgré les massacres, les brutalités, les négligences dont nous nous rendons coupables, malgré les précautions, les mesures parfois cruelles, les campagnes et les règlements que nous mettons en œuvre pour limiter leur nombre. Dans notre économie, ils assurent des milliers d'emplois et leur seule nourriture représente un chiffre d'affaires de 700 millions de francs par an, 70 milliards d'anciens francs.    Ce sont nos animaux familiers : 7,7 millions de chiens, 5,7 millions de chats, 7,6 millions d'oiseaux en cage. La France, dans ce domaine, bat tous les records européens. En Angleterre, par exemple, on dénombre 6 millions seulement de chiens et en Allemagne un peu moins. Un triste record, ajoutent aussitôt les experts, car c'est beaucoup trop : la moitié au moins des chiens ne sont pas heureux...    L'animal, en particulier l'animal domestique, est donc en voie d'occuper dans la vie quotidienne de millions de familles françaises une place plus considérable qu'elle ne le fut jamais. Surtout, une sensibilité nouvelle se fait jour qui se manifeste de mille façons et qui constitue un signe des temps, un phénomène de société.    Car les mauvais traitements, les coups, les abandons, ont toujours existé. Simplement, on ne s'en préoccupait guère et rares étaient ceux qui s'en indignaient. Le vieux cheval qui tirait à quelques centaines de mètres sous terre les chariots de la mine, le chien de garde enchaîné et affamé, dressé à aboyer et à mordre, qui s'en souciait? Voici qu'aujourd'hui une vague d'attendrissement et de compassion bouscule l'indifférence et, chez les jeunes en particulier, pose une foule de questions.    La chasse, qui fait si étroitement partie de la tradition française que, là encore, notre pays bat pour le nombre de fusils le record d'Europe et peut-être du monde, est désormais mise en question. Cela ne s'était jamais produit, en tout cas pas avec cette ampleur. Des associations se forment pour combattre la chasse, des manifestants se rassemblent pour s'opposer aux battues et aux tirées, pour empêcher les laisser-courre. Sur les murs, on lit « chasse = tuerie « ou « chasse = assassins ! «. La télévision, la presse, même celle qui compte sans doute parmi ses lecteurs plus de chasseurs que d'adversaires de la chasse, font écho à ces protestations. Tant bien que mal, malgré le poids électoral des Nemrods, malgré l'importance économique des industries de la chasse, le législateur emboîte le pas et, en resserrant la réglementation, en aggravant les sanctions, en multipliant les conditions, tient compte de la pression d'une partie de l'opinion.    Manifestations, indignation aussi contre les courses de taureaux, à un moindre degré les courses de lévriers et les combats de coqs, contre la vivisection, contre les pratiques des abattoirs qui ont si fort ému Brigitte Bardot, avocate aussi des bébés phoques, contre toutes les brutalités à l'égard des animaux et même contre la castration, la stérilisation des chiennes et des chattes, contre la liquidation de leurs portées. Dans les publications lues par les jeunes, nombreuses sont les petites annonces qui proposent des chiots et des chatons en termes aussi attendrissants que pressants. Une presse spécialisée qui s'adresse aux jeunes amis des animaux est apparue et s'est rapidement développée tandis que foisonnaient, à côté de la vieille Société protectrice des animaux, les associations et organisations nouvelles, que la télévision multipliait les émissions sur la vie des bêtes.    On pourrait poursuivre l'énumération des indices qui témoignent d'une attention toute récente et très nouvelle envers les animaux, d'une prise de conscience qui entraîne une foule de conséquences très diverses dans les habitudes et dans les esprits, dans l'économie et dans la loi.    Sensiblerie ridicule, proclament à l'envi les uns. Gardez donc votre pitié et votre compréhension, vos égards et vos apitoiements pour les milhons d'êtres humains qui, dans un monde dur et aveugle, subissent la violence, la misère, la faim. Consacrez plutôt votre énergie à lutter pour changer ce monde, transformer cette société. Et pour les animaux domestiques, c'est simple : qu'on les empêche de se reproduire, il y aura moins de chiens et de chats, et ils seront plus heureux.    Aimer les animaux, les protéger, n'empêche nullement d'être attentif aux hommes, de lutter de son mieux contre le malheur et l'injustice, de défendre chaque fois qu'on le peut les plus misérables, les plus défavorisés de nos semblables, répliquent les autres. Au contraire : celui qui plaint et soigne les bêtes sera aussi le plus attentif, le plus généreux vis-à-vis des hommes. L'indifférent, la brute, le sadique, ne se soucient pas plus de l'animal qu'ils font souffrir que des êtres qui souffrent. Pourquoi l'amour des hommes devrait-il passer par l'indifférence à l'égard des bêtes qui, elles, ne peuvent se plaindre ?    Pierre Viansson-Ponté, Le monde, 20-21 août 1978.    Vous ferez d'abord de ce texte, à votre gré, un résumé (en suivant le fil du développement) ou une analyse (en mettant en relief la structure logique de la pensée).    Dans une seconde partie, que vous intitulerez discussion, vous dégagerez du texte un problème qui offre une réelle consistance et qui vous aura intéressé. Vous en préciserez les éléments et vous exposerez vos vues personnelles sous la forme d'une argumentation ordonnée menant à une conclusion.

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