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Trois ans après la représentation du Cid, Corneille qui habitait Rouen, dédia au Cardinal sa nouvelle tragédie, Horace. On supposera que Richelieu répond à l'épître du poète.

Publié le 15/02/2012

Extrait du document

corneille

 

Monsieur,

J'accepte très volontiers le dédicace de votre Horace. Vous m'y exprimez votre gratitude et votre dévouement; venant d'un homme si estimable par sa vie; si éminent par son génie, ces protestations ne pouvaient me laisser insensible. Vous m'y attribuez aussi «ce changement visible qu'on remarque en vos ouvrages « : encore que cette assertion ne me paraisse pas tout à fait exacte, elle n'a pas manqué de me flatter, car j'ai au moins conscience d'avoir encouragé vos débuts....

corneille

« Les beautés qui vous appartiennent en propre ne sont d'ailleurs pas re.'i­ treintes à cet acte : elles apparaissent, il chaque page, toujours neuves.

V oos complimenterai-je, après tant d'habiles, pour le «Qu'il mourût!», pour les imprécations de Camill!l, et pour cent autres traits ~egénie?...

.

.

~:· Quand vous im1tez, vous.

savez encore demeurer vous-même;: tmit lecteur averti, s'il compare le discours du dictateur et le plaidoyer du vieil Horace avec leurs originaux, vous rendra cette justice.

J'irai jusqu'à dire qu'en maint endroit, et dans l'ensemble de votre œuvre, vous apparaissez plu'.> romain que l'auteur latin.

Chez lui.

l'autorité paternelle, toute-puissante à Rome cependant, n'intervient qu'à la fin : la famille disparaît derrière la patrie.

Chez vous, l'auguste figure d'Horace le père domine toute l'action; Ja famille à la discipline forte, cellule de la patriè, est constamment évoquée.

En d'autres temps, Rome comme à Montaigne, vous eût conféré le titre de citoyen romain.

Votre «portrait d'Horace »,loin donc d'être «mauvais», est excellent, et les « muses de province », vous en fournissez la preuve, sont de force à riva­ liser avec celles de Paris.

Toutefois, j'estime avec vous que.

le séjour de la capitale est favorable aux beaux esprits.

Souvent le goût y est plus affiné et plus sûr; les juges, en tout cas, y sont plus nombreux.

Puisque vous avez bien voulu me compter parmi eux; puisque vous semblez attacher tant .d'importance à mon avis, ~ n'allez-vous pas jusqu'à dire avec quelque exagé­ ration, que vous lisez sur mon visage la valeur d'une œuvre? - puisque vous avez tant à cœur de connaître «ce qu'il faut suivre et ce qu'il faut éviter», et que vos fonctions vous retiennent à Rouen, permettez~moi de vous exprimer ici, en toute sincérité, mon opinion sur vos deux dernières pièces.

Le Cid- j'ose à peine écrire ce mot - est une belle œuvre.

Quoi qu'on en puisse penser, je n'ai pas été insensible au mérite de cette comédie.

Ai-je besoin de· vous rappèler qu'elle a été représentée deux fois en mon hôtel? -J'ai dlabord été séduit, je lé confesse, par les beautés neuves et charmantes, par Ies vers tantôt vigoureux, tantôt délicats, par les grâces de la jeunesse, répanduS dans toute la pièce.

Oui, j'ai participé momentanémeirt" à l'enthou­ siasme ·universel; j'ai été le complice de Rodrigue et de Chimène, et M.

de ·Boisrobert pourra vous redire que, moi aussi, j'emploie encore l'expression devenue courante : c beau comme le Cid ».

Mais, à la réflexion, les défauts relevés par l'Académie m'ont paru fondés, Ce qui fàit le charme du Cid fait aussi sa faiblesse : c'est une œuvre de jeunesse, et la jeunesse, vous l'avez ·compris, n'a qu'un temps.

Pouvais-je, d'autre part, voir d'un œil impassible.

ces enragés duellistes : Don Gormas, don Rodrigue, don Sanche?- Je soupçonne même don Diègue : d'avoir ferraillé jadis! Pouvais-je,· sans frémir en mon .âme de ministre, en mon cœur d'évêque, les entendre énoncer leurs.sophismessur le point d'hon­ neur? Croyez-vous qu'il fût bien opportun d'exalter pareilles maximes en un temps où la mode ressusèite la plus barbare· des coutumes? Et Je spectacle de l'Espagne du moyen.

:âge, morcelée, toujours en lutte contre elle-même; est-il celui qui convient à tant de jeunes seigneurs impà­ •tïents sous le joug de :l'autorité royale? Pensez-vous que don Sanche et don Gormas ·.les portent à plus de respect p'our leur Souverain? Ne .croyez pas routéfois que des raisons d'Etat aièl1f;déterminé mon attitude, Ni vous, ni moi n'atH1èhons ·tant- d'importance a'une,·comédie.

• C.es·.: considérations vous feront mieux comprendre pourquoi j'applaudis sans résèr:ve.

à votre dernière ·création.

Mes.

raisons ne sont pas, en effet, ex"Elüsivêment d'drdre littéraire.

Vous vous.

êtes proposé, dans Horace, un sujet plus digne de vous.

La Rome.

des-' rois ·et.

des empereurs offre aux Fran-. »

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