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Clindor en prison

Publié le 22/10/2013

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prison
INTRODUCTION Le XVIIe siècle est un siècle majeur pour la littérature française, en particulier pour les oeuvres du théâtre classique avec les comédies de Molière et les tragédies de Corneille. De plus à cette époque le monologue intervient le plus souvent au moment critique pour le personnage en question: il souligne la gravité du moment et attire l'attention sur le désarroi du personnage. L'illusion comique, pièce du dramaturge Corneille, est à la rencontre de plusieurs genres théâtraux. En réalité cette pièce relève plus de la tragi-comédie. Dans cette pièce, la scène 7 de l'Acte IV constitue un monologue du personnage de Clindor qui est en prison condamné à mort à cause de la mort d'Adraste. Ce dernier est désespéré, la mort est présente dans son esprit tout comme Isabelle. I) Monologue méditatif a) Les différents interlocuteurs - S'adresse à ses souvenirs « aimables souvenirs « - Apostrophe Isabelle. Il emploi le registre lyrique pour évoquer de façon noble et sublime son amour pour elle « beaux yeux « « amour « « je meurs pour vous «. - Associe l'épique au lyrisme en évoquant avec un combat contre le prétendant Adraste : « les coups « « trop glorieux « « mille assassins «. Clindor se rêve en héros épique : illusion b) L'évocation d'un passé heureux Clindor évoque ses « aimables souvenirs «. Emploi du passé simple « je fus heureux « donc analepse donc monologue méditatif. Ce passé simple en marque la brièveté. Ce souvenir est évoqué à l'aide d'un vocabulaire mélioratif « chères délices « « douceurs « « charmes « « heureux «. Ce souvenir est personnifié « vous avez de douceur pour moi « « ne m'abandonnez point «. c) un avenir funeste qui s'oppose à ce passé heureux Emploi du registre pathétique et d'hyperbole « infâme supplices « « les horreurs « « les plus noirs couleurs « à l'aide desquels il évoque son arrêt de mort ce qui suscite la compassion du spectateur. Les phrases exclamatives et interjection « je meurs « « hélas « marque l'apogée de l'émotion. L'emploi du futur proche « on va bientôt « fait référence au dénouement proche et à l'événement funeste. Mais Clindor considère son exécuition comme un crime « impunité «. Il se place en victime d'un destin injuste : héros tragique. Un monologue baroque les hallucinations Clindor imagine déjà la scène de sa mort. « je vois, j'ai devant les yeux «. L'emploi du présent d'énonciation montre qu'il considère cet événement inévitable. Il est victime d'allucination visuelle mais également auditive. Ses sens sont donc perturbés par l'idée de la mort. L'emploi du présent rend la scène plus vivante, plus émotive ce qui permet la catharsis. Manifestation de la folie « mon esprit se trouve et ma raison s'égare « La polyptote du verbe mourir marque une anticipation et redouble la tension dramatique. Le combat de l'amour et de la mort Clindor tutoie désormais isabelle « isabelle toi seule «. La mort décuple ses sentiments et fait tomber les barrières. La pensée d'Isabelle le rassure « dissipe « « rassure «. Le combat de l'amour et de la mort est marqué par l'antithèse « tes divins attraits ces infâmes portraits « Le monologue de Clindor, acte IV scène 7, vers 1241 à 1282 : ''Quel bonheur .... et je croirai revivre'' Le monologue est une forme caractéristique du texte dramatique, on le rencontre abondamment dans le théâtre cornélien, La place royale par exemple en contient quinze. Dans ce monologue situé dans l'acte 4 scènes 7, le héros est en prison depuis quatre jours, à la veille de son exécution. C'est un moment fort où Clindor va prendre conscience de lui- même après s'être illusionné sur lui, c'est la seule fonction de ce monologue puisque le spectateur est informé dès la scène 2 du même acte que le héros va être libéré. Nous verrons dans une première partie l'évolution du mensonge à la vérité, dans une seconde le responsable de la mort de Clindor, personnage à dimension tragique et pour finir nous étudierons la fonction lyrique de ce monologue. Ce monologue procède en cinq étapes : Vers 1241 à 1244 : la mort d'un chevalier servant Vers 1245 à 1248 : les regrets de la vie Vers 1249 à 1264 : une mort injuste Vers 1265 à 1276 : la peur de la mort Vers 1277 à 1282 : prise de conscience de la place d'Isabelle On évolue donc du mensonge sur soi à la vérité de soi, celui qui se prenait dans les quatre premiers vers pour un héros se découvre progressivement un homme effrayé par sa propre mort et découvre l'importance vitale d'Isabelle après avoir été tenté par Lyse. Les huit premiers vers rendent bien compte de cette évolution du mensonge à la vérité : Dans les quatre premiers le ton est grandiloquent, Clindor s'y tient le discours du Chevalier qui meurt pour sa Dame (Isabelle est d'abord vouvoyée et idéalisée à la différence de la fin du passage) comme dans la tradition courtoise comme s'il voulait se persuader qu'une mort glorieuse est une mort heureuse ''bonheur'' renforcé par le point d'exclamation ouvre le passage, ''glorieux'' valorisé par la diérèse est à la césure du vers 1244. Ainsi, la mort évoquée trois fois en quatre vers ''je meurs'' est justifiée dans sa cause ''pour vous avoir servie'' et dans sa finalité ''pour vous'', elle acquiert donc un sens élevé et n'est pas absurde. Les quatre vers suivants n'ont pas du tout le même ton : on est passé de l'euphorie à l'amertume, l'interjection ''hélas'' amorce un registre élégiaque et le discours met en évidence le caractère mensonger du précédent où Clindor se donnait l'illusion d'être un héros. On note le développement d'un champ lexical du travestissement ''flatte, artifice, dissimuler''. Ce nouveau discours est celui de la vérité et dire la vérité, c'est souligner l'horreur de la mise à mort par le terme ''supplice'' et l'interrogation oratoire ''en est-il de plus grand que de quitter ces yeux ?''. La mort n'apparaît donc plus si enviable qu'au début. Dans les seize vers suivants, c'est son caractère injuste qui sera souligné par le paradoxe ''Demain de mon courage on doit faire un grand crime''; dans les douze vers qui suivent, c'est son caractère effrayant exprimé par un champ lexical de la crainte ''Je frémis, suis à la torture''. Il aura fallu au personnage ce cheminement en lui-même pour trouver sa vérité : le héros est devenu un homme. Clindor est pathétique mais le spectateur peut-il compatir? On est dans un cas d'ironie dramatique où le spectateur en sait plus que le personnage. Clindor pourrait avoir une dimension tragique mais ce tragique. Des vers 1249 à 1264, Clindor désigne les responsables de sa mort prochaine. Le premier est Adraste pas nommé mais désigné par des synecdoques qui rappellent son rang social ''son nom'', ''son sang'' soulignent qu'il est aristocrate alors que Clindor n'est que bourgeois. ''Son bras'' mentionne qu'il est l'agresseur et pose le problème de la légitime défense. Les périphrases péjoratives ''l'ombre d'un meurtrier'', ''le déloyal'' contribue à noircir Adraste et à lui ôter cette exemplarité que suppose son rang. Le chiasme frappant ''il succomba vivant, et mort, il m'assassine'' achève de le culpabiliser et d'innocent Clindor dont la condamnation à mort paraît d'autant plus injuste qu'Adraste est relayé par ses pairs. Le deuxième responsable est en effet la société du XVIIe siècle. La récurrence de ''contre moi'' renforcée par les hyperboles ''mille'' au vers 1252, ''tous'' vers 1259, donne l'impression d'une coalition, d'une réaction de classe : aristocrates contre bourgeois. On a ce thème d'un sang noble versé qu'il faut venger par un autre sang, de façon exemplaire : à ''son sang'' au vers 1253 répond ''meurtre public'' et ''donner ma tête'' au vers 1258. L'efficacité de cette coalition sociale est soulignée par le champ lexical de l'agression ''s'élever, s'armant'' mais à chaque fois c'est sa barbarie qui est dénoncé ''assassins, meurtre, crime'' et son iniquité grâce aux antithèses ''meurtre / impunité'', ''crime / courage''. L'impression d'acharnement contre Clindor ne s'arrête pas là car le Destin lui-même semble s'être joué de lui et c'est en cela qu'il revêt une stature tragique, le vers 1261 ''Ainsi, de tous côtés, ma perte était certaine'', par l'hyperbole fait de lui une victime toute désignée, prédestinée à mourir et dont les efforts pour échapper à son destin étaient vains comme le confirme l'antithèse du vers suivant ''J'ai repoussé la mort, je la reçois pour peine''. Ce monologue témoigne donc de la dextérité de Corneille dans le registre tragique où il va exceller mais confirme le baroque de l'illusion comique, foisonnement de registres (Pridamant d'abord pathétique, Matamore héroï-comique ....). Clindor donne ici un bel exemple de lyrisme cornélien notamment à la fin du passage. Le lyrisme est en effet vérifié ici par l'omniprésence du ''moi'' : une quarantaine d'occurrences en 42 vers. C'est le régime élégiaque du lyrisme qui est ici exploitée : ce monologue est une plainte face à la mort imminente comme le confirment les verbes utilisés : ''Je frémis'' (vers 1265), ''se trouble, s'égare'' et le vers 1276 ''Et la peur de la mort me fait déjà mourir''. Clindor exprime une souffrance mentale dont les hyperboles donnent bien la mesure ''torture'' (vers 1266), ''terreurs'' (vers 1278). Cette souffrance intense est provoquée par le spectacle de sa propre mort dont il a l'hallucination comme le signale la reprise anaphorique de ''Je vois'' (vers 1268, 1273). Le spectacle funèbre est l'un des thèmes chers aux baroques. Ici la mort est mise en scène grâce à l'hypotypose, on pourrait pasticher Hugo et parler des dernières heures de Clindor le condamné puisque son évocation est chronologique. D'abord il se donne à voir les exécutants ''honteux appareils'', ''ministres'' d'une justice expéditive ''on me lit ... '' puis envisage sa propre montée au supplice pour un châtiment public ''je sors'' (vers 1271), ''peuple'' (vers 1272). C'est une véritable hallucination visuelle et auditive comme le confirme l'association des verbes voir et entendre : ''j'ai devant les yeux'' (vers 1269) et le vers 1271 ''les fers aux pieds, j'entends''. A ce moment, Clindor devient le symbole de la condition humaine condamnée à mourir et préférant s'illusionner pour l'oublier avant de s'indigner et s'effrayer quand elle survient. C'est le thème du ''memento mori'' (je me souviens que je suis mortel). En conclusion, ce monologue de Clindor est à nouveau un exemple flagrant du jeu cornélien dans L'Illusion comique : au premier degré c'est un discours tragique qui exploite toutes les ressources du pathétique mais comme le spectateur sait que Clindor va être libéré ce tragique est désamorcé. Il n'a pas de fonction dramatique mais c'est une stase lyrique qui permet à Clindor de se trouver.

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