LES MISES EN PROSE EN LITTERATURE
Publié le 26/11/2018
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MISES EN PROSE. On désigne ainsi le résultat d’une activité traductrice qui, à partir de 1440 et jusque vers 1530, s’attache à translater en prose des poèmes relevant des domaines épique [voir Geste (chanson de)] et romanesque. Il s’agit d’un phénomène spécifique, issu de la volonté politique de certains princes qui souhaitent, en faisant procéder au rajeunissement d’épopées et de textes narratifs, disposer d’un miroir chevaleresque dont les valeurs serviront d'idéal et de justification à la chevalerie nouvelle qu’ils prétendent incarner. Né dans le duché de Bourgogne, sous l’impulsion de Philippe le Bon, le mouvement des mises en prose s’est étendu à d’autres cours, comme celles de Jacques de Nemours, de Charles VIII et de Louis XII; il s’est poursuivi en dehors du milieu de la noblesse, et certains prosateurs, au début du xvie siècle, paraissent avoir travaillé pour des éditeurs. Les conditions d’élaboration de ces œuvres répondent au caractère aristocratique de leurs destinataires : réalisées à la demande d’un grand seigneur, dans des ateliers où collaborent écrivains, copistes et enlumineurs, elles sont parfois conservées dans de splendides manuscrits, comme la rédaction amplifiée de Renaut de Montauban (Arsenal, 5072-75, Munich Gall. 7) ou le Roman d'Alexandre, de J. Wauquelin (B.N., fr. 9342); certaines éditions anciennes sont des joyaux de l’art du livre, comme le Roman d'Ogier le Danois, imprimé sur parchemin et richement enluminé, que A. Vérard présente à Louis XII en 1498; mais plusieurs de ces textes, notamment des récits épiques, ont été si largement diffusés par l’imprimerie, en particulier dans les éditions de colportage, qu’ils sont devenus de véritables livres populaires.
Les proses translatant un modèle épique sont les plus nombreuses (quarante-cinq œuvres ou versions distinctes); elles partent d’une chanson de geste ancienne (Beu-ves de Hamtone), tardive (Ciperis de Vignevaux) ou remaniée {Journal de Blaives), ou d’un cycle d’épopées (Roman de Guillaume d'Orange), ou regroupent dans une compilation des textes de provenance diverse (Cro-niques et Conquestes de Charlemaine, de D. Aubert). Certaines proses ne sont connues que par les imprimés, et certaines éditions, comme celle de Valentin et Orson, nous permettent de remonter à un poème perdu. Les proses épiques les plus célèbres parviendront, à travers les éditions successives de la Bibliothèque bleue, jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle; il s’agit, entre autres, de Renaut de Montauban, devenu les Quatre Fils Aymon, qui immortalise la lutte menée contre Charlemagne par les quatre frères et leur cousin Maugis; de Huon de Bordeaux, fertile en aventures fantastiques; de Fierabras, devenu les Conquestes du grand roy Charlemagne des Espagnes, qui doit son succès non seulement au géant converti, mais aussi au récit de la bataille de Roncevaux; de Galien Réthoré, fils d'Olivier, roman d’aventures et d’amour dont le centre reste également Roncevaux; enfin de Valentin et Orson, véritable pot-pourri de situations épico-romanesques, construit avec un sens consommé de l’intrigue.
«
à
la demande d'un grand seigneur, dans des ateliers où
collaborent écrivains, copistes et enlumineurs, elles sont
parfois conservées dans de splendides manuscrits,
comme la rédaction amplifiée de Renaut de Montauban
(Arsenal, 5072-75, Munich Gall.
7) ou le Roman
d'Alexandre, de J.
Wauquelin (B.N., fr.
9342); certaines
éditions anciennes sont des joyaux de l'art du livre,
comme le Roman d'Ogier le Danois, imprimé sur par
chemin et richement enluminé, que A.
Y érard présente à
Louis XII en 1498; mais plusieurs de ces textes, notam
ment des récits épiques, ont été si largement diffusés par
l'imprimerie, en particulier dans les éditions de colpor
tage, qu'ils sont devenus de véritables livres populaires.
Les proses translatant un modèle épique sont les plus
nombreuses (quarante-cinq œuvres ou versions distinc
tes); elles partent d'une chanson de geste ancienne (Beu
ves de Hamtone), tardive (Ciperis de Vignevaux) ou
remaniée (Journal de Blaives), ou d'un cycle d'épopées
(Roman de Guillaume d'Orange), ou regroupent dans
une compilation des textes de provenance diverse (Cro
niques et Conquestes de Charlemaine, de D.
Aubert).
Certaines proses ne sont connues que par les imprimés,
et certaines éditions, comme celle de Valentin et Orsan,
nous permettent de remonter à un poème perdu.
Les
proses épiques les plus célèbres parviendront, à travers
les éditions successives de la Bibliothèque bleue, jusqu'à
la seconde moitié du XIXe siècle; il s'agit, entre autres,
de Renaut de Montauban, devenu les Quatre Fils Aymon,
qui immortalise la lutte menée contre Charlemagne par
les quatre frères et leur cousin Maugis; de Huon de Bor
deaux, fertile en aventures fantastiques; de Fierabras,
devenu les Conquestes du grand roy Charlemagne des
Espagnes, qui doit son succès non seulement au géant
converti, mais aussi au récit de la bataille de Roncevaux;
de Galien Réthoré, fils d'Olivier, roman d'aventures et
d'amour dont le centre reste également Roncevaux; enfin
de Valentin et Orsan, véritable pot-pourri de situations
épico-romanesques, construit avec un sens consommé de
l'intrigue.
Difficiles parfois à distinguer des proses romanes
ques, dont ils adoptent la complexité narrative et le goût
pour les épisodes amoureux, ces textes reprennent les
thèmes favoris de la chanson de geste : combats livrés
contre les Sarrasins, expéditions outre-mer; bien qu'ils
soient œuvres de fiction, ils prétendent à la dignité de
l'ouvrage d'histoire, dont ils ne récusent pas la techni
que; ils explorent une mémoire collective qui a pour
points de repère des figures royales (Charlemagne,
Dagobert, Pépin) ou héroïques (Roland, Ogier, Renaud)
et proposent au lecteur la généalogie imaginaire du cou
rage et de la noblesse d'âme : ainsi peut s'expliquer le
fait que ces «miroirs >> du prince, répudiés par l'aristo
cratie après 1540 au profit des Amadis [voir AMADIS DE
GAULE), aient pu devenir le bien propre des plus humbles
liseurs.
Les translations romanesques sont moins nombreuses
(quarante œuvres ou versions distinctes).
Elles concer
nent très peu le récit arthurien, mais il faut tenir compte
du fait que les cycles en prose de Lancelot et de Tristan
continuent d'être copiés, avant d'être édités; on mention
nera les mises en prose d'Érec et de Cligès, ainsi que
celle de Perceval, imprimée en 1530; Giglan, pour sa
part, associe Je Bel Inconnu et Jaufré.
Le roman antique
a donné des œuvres plus variées et plus répandues :
Thèbes est représenté par trois versions différentes, Troie
n'a produit directement que deux proses, mais diverses
sources «troyennes» (Darès, Guido, Boccace) ont ins
piré plus de douze versions ou compilations, parmi les
quelles deux œuvres de R.
Lefèvre, Jason et Médée et le
Recueil des troyennes histoires, ont fait l'objet de plu
sieurs éditions au xvi e siècle.
La catégorie la plus abon
dante est, comme pour la période ancienne, celle des romans
d'aventures.
On y relève des récits proches, à
certains égards, des proses épiques et contenant comme
elles des récits relatifs aux croisades : ainsi Baudouin de
Flandres, où la Généalogie de Godefroy de Bouillon,
prose épique, a peut-être recueilli la légende de Jehan
Tristan, et Gillian de Trazegnies.
A côté d'eux figurent
des romans dont l'argument principal, ou un élément
important, est fourni par un motif de type folklorique,
comme le Chaste/ain de Coucy (légende du cœur
mangé), Cleomades (le cheval fantastique), Guillaume
de Pa/erne (la métamorphose en loup-garou), la Mane
kine (la main coupée), Gérard de Nevers (la gageure).
Sont également translatés en prose des récits variés et
difficilement classables, tels Blanchandin, Florimont ou
Berinus.
Comme les proses épiques, certains textes
romanesques ont été édités dès les débuts de l'imprime
rie; toutefois, à l'exception de certains romans d'aventu
res comme Guillaume de Paterne, Gérard de Nevers,
Robert le Diable ou La Belle Helaine, qui se situent aux
confins des traditions épique et romanesque, ces œuvres
n'ont pas été éditées au-delà du xvt• siècle.
Il est vrai
semblable que le succès des Amadis a capté l'attente
romanesque du publ.ic aristocratique; les récits que nous
avons cités sont donc ressentis comme populaires : à
côté de textes écrits directement en prose, comme Jean
de Paris ou Pierre de Provence, ils seront constamment
repris par les éditions de colportage.
La prétention à la
vérité historique n'est pas absente des proses romanes
ques, mais leur attrait principal consiste dans le nombre
et la variété des aventures qu'elles proposent au lecteur,
tout autant que dans la puissance de leurs représentations
mythiques (par exemple, le fait d'avoir épousé le diable,
dans Baudouin de Flandres).
L'intérêt des mises en prose épiques ou romanesques
est certain.
Pour l'histoire littéraire, on saura gré à ces
œuvres d'avoir transmis des textes dontt les modèles en
vers n'existent plus (Meurvin, Mabrian) ou ne nous sont
parvenus qu'à l'état de fragment (Berinus); de plus, elles
ont perpétué un goût et une tradition qui avaient presque
complètement disparu de la culture officielle : elles ont
ainsi perA
mis aux modèles épiques et romanesques du
Moyen Age de se transmettre depuis le xv• jusqu'au
x1xe siècle, c'est-à-dire jusqu'au moment où la critique
érudite s'est trouvée en mesure, grâce aux découvertes
de la paléographie et de la philologie, d'étudier et de
faire connaître les textes les plus anciens.
Mais il s'agit
encore d'intérêt littéraire, car le talent des prosateurs est
réel : certains, comme D.
Aubert ou J.
Wauquelin, sont
d'abord des compilateurs à la plume féconde; mais d'au
tres ont des compétences variées : B.
de Villebresme, qui
fut au service de Charles d'Orléans, est aussi un poète;
l'historien P.
Desrey a traduit le Compendium de
R.
Gaguin et a composé de nombreUJses chroniques;
quant à Ph.
de Vigneulles, bourgeois de Metz, il est, au
début du XVI0 siècle, un véritable polygraphe; translateur
de la geste des Lorrains, il tient un journal autobiogra
phique et compose un recueil de nouvelles.
Conscients
de la dignité de leur sujet, ces prosateurs recherchent
dans l'expression oratoire un registre qui permette de
rivaliser avec le souffle de l'épopée ou la séduction du
discours romanesque.
Formés par le style curial à l' admi
ration de la période latine, ils cultivent une prose ample
et rythmée, par moments savoureuse, où se prépare déjà
l'écriture narrative du xvie siècle.
BIBLIOGRAPHIE G.
Doutrepont, la Littérature française à la cour des ducs de
Bourgogne, Champion, 1909; id., les Mises en prose des épopées
et des romans chevaleresques, Bruxelles, 1939; B.
Woledge ,
Bibliographie des romans et nouvelles en prose française anté
rieurs à 1500, Genève, Droz, réimpr.
1975; id., Supplément,
1975; Ch.
Nisard, Histoire des livres populaires, Paris, 1854,
t.
Il; J.
Frappier, Amour courtois et Table ronde, Genève, D ro z,.
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