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- Copperfield, dit M.

Publié le 15/12/2013

Extrait du document

- Copperfield, dit M. Micawber, adieu ! que le bonheur et la prospérité vous accompagnent ! Si dans la suite des années qui s'écouleront je pouvais croire que mon sort infortuné vous a servi de leçon, je sentirais que je n'ai pas occupé inutilement la place d'un autre homme ici-bas. En cas qu'une bonne chance se rencontre (et j'y compte un peu), je serai extrêmement heureux s'il est jamais en mon pouvoir de vous venir en aide dans vos perspectives d'avenir. » Je pense que mistress Micawber qui était assise sur l'impériale avec les enfants, et qui me vit debout sur le chemin, les regardant tristement, s'avisa tout d'un coup que j'étais réellement bien petit et bien faible. Je le crois parce qu'elle me fit signe de monter près d'elle avec une expression d'affection maternelle, et qu'elle me prit dans ses bras et m'embrassa comme elle aurait pu embrasser son fils. Je n'eus que le temps de redescendre avant le départ de la diligence, et je pouvais à peine distinguer mes amis au milieu des mouchoirs qu'ils agitaient. En une minute tout disparut. Nous restions au milieu de la route, l'orpheline et moi, nous regardant tristement, puis après une poignée de mains, elle prit le chemin de l'hôpital de Saint-Luc ; et moi, j'allai commencer ma journée chez Murdstone et Grinby. Mais je n'avais pas l'intention de continuer à mener une vie si pénible. J'étais décidé à m'enfuir, à aller, d'une manière ou d'une autre, trouver à la campagne la seule parente que j'eusse au monde, et à raconter mon histoire à miss Betsy. J'ai déjà fait observer que je ne savais pas comment ce projet désespéré avait pris naissance dans mon esprit, mais une fois là, ce fut fini, et ma détermination resta aussi inébranlable que tous les partis que j'ai pu contracter depuis dans ma vie. Je ne suis pas sûr que mes espérances fussent très vives, mais j'étais décidé à mettre mon projet à exécution. Cent fois depuis la nuit où j'avais conçu cette idée, j'avais roulé dans mon esprit l'histoire de ma naissance que j'aimais tant autrefois à me faire raconter par ma pauvre mère, et que je savais si bien par coeur. Ma tante y faisait une apparition rapide, elle ne faisait qu'entrer et sortir d'un air terrible et impitoyable, mais il y avait dans ses manières une petite particularité que j'aimais à me rappeler et qui me donnait quelque lueur d'espérance. Je ne pouvais oublier que ma mère avait cru lui sentir caresser doucement ses beaux cheveux, et quoique ce fût peut-être une idée sans aucun fondement, je me faisais un joli petit tableau du moment où ma farouche tante avait été un peu attendrie en face de cette beauté enfantine que je me rappelais si bien et qui m'était si chère ; et ce petit épisode éclairait doucement tout le tableau. Peut-être était-ce là le germe qui, après avoir couvé longtemps dans mon esprit, y avait graduellement engendré ma résolution. Je ne savais pas même où demeurait miss Betsy. J'écrivis une longue lettre à Peggotty, où je lui demandais d'une manière incidente si elle se souvenait du lieu de sa résidence, supposant que j'avais entendu parler d'une dame qui habitait un endroit que je nommai au hasard, et que j'étais curieux de savoir si ce n'était pas elle. Dans le courant de la lettre, je disais à Peggotty que j'avais particulièrement besoin d'une demi-guinée, et que, si elle pouvait me la prêter, je lui serais très obligé, me réservant de lui dire plus tard, en la lui rendant, ce qui m'avait forcé de lui emprunter cette petite somme. La réponse de Peggotty arriva bientôt, pleine comme à l'ordinaire du dévouement le plus tendre ; elle m'envoyait une demi-guinée (j'ai peur qu'elle n'ait eu bien de la peine à la faire sortir du coffre de Barkis) ; elle me disait que miss Betsy demeurait près de Douvres, mais qu'elle ne savait pas si c'était à Douvres même, ou à Sandgate, Hythe ou Folkstone. Un des ouvriers du magasin me dit en réponse à mes questions que toutes ces petites villes étaient près les unes des autres ; et sur ce renseignement qui me parut suffisant, je pris le parti de m'en aller à la fin de la semaine. J'étais une très honnête petite créature, et je ne voulus pas souiller la réputation que je laissais chez Murdstone et Grinby : je me croyais donc obligé de rester jusqu'au samedi soir, et comme j'avais reçu d'avance les gages d'une semaine en entrant, j'avais décidé de ne pas me présenter au bureau à l'heure de la paye pour toucher mon salaire ; c'était dans ce dessein que j'avais emprunté ma demi-guinée, afin de pouvoir faire face aux dépenses du voyage. En conséquence, le samedi soir, quand nous fûmes tous réunis dans le magasin pour attendre notre solde, Fipp, le charretier, qui passait toujours le premier, entra dans le bureau ; je donnai alors une poignée de main à Mick Walter en le priant, quand ce serait mon tour, de passer à la caisse, de dire à M. Quinion que j'étais allé porter ma malle chez Fipp ; je dis adieu à Fécule-de-pommes-de-terre, et je partis. Mon bagage était resté à mon ancien logement de l'autre côté de l'eau ; j'avais préparé pour ma malle une adresse écrite sur le dos d'une des cartes d'expédition que nous clouions sur nos caisses : « M. David, bureau restant, aux Messageries ; Douvres. » J'avais cette carte dans ma poche, et je comptais la fixer sur ma malle dès que je l'aurais retirée de la maison ; chemin faisant, je regardais autour de moi pour voir si je ne trouverais pas quelqu'un qui pût m'aider à porter mon bagage au bureau de la diligence. J'aperçus un jeune homme avec de longues jambes, et une très petite charrette attelée d'un âne, qui se tenait près de l'obélisque sur la route de Blackfriars ; je rencontrai son regard en passant, et il me demanda si je le reconnaîtrais bien une autre fois, faisant probablement allusion à la manière dont je l'avais examiné ; je me hâtai de l'assurer que ce n'était pas une impolitesse, mais que je me demandais s'il ne voudrait pas se charger d'une commission. « Quelle commission ? demanda le jeune homme. - De porter une malle, répondis-je. - Quelle malle ? - La mienne. J'expliquai qu'elle était dans une maison au bout de la rue, et que je serais enchanté qu'il voulût bien la porter pour six pence au bureau de la diligence de Douvres. - Va pour six pence ! » dit mon compagnon aux longues jambes, et il monta à l'instant même dans sa charrette qui se composait de trois planches posées sur des roues, et partit si vite dans la direction indiquée que c'était tout ce que je pouvais faire que de suivre l'âne. Le jeune homme avait un air insolent qui me déplaisait ; je n'aimais pas non plus la manière dont il mâchait un brin de paille tout en parlant, mais le marché était fait ; je le fis donc monter dans la chambre que je quittais, il prit la malle, la descendit et la mit dans sa charrette. Je ne me souciais pas de mettre encore l'adresse, de peur que quelque membre de la famille de mon propriétaire ne devinât mes desseins ; je priai donc le jeune homme de s'arrêter quand il serait arrivé devant le grand mur de la prison du Banc-du-Roi. À peine avais-je prononcé ces paroles qu'il partit comme si lui, ma malle, la charrette et l'âne étaient tous également piqués de la tarentule, et j'étais hors d'haleine à force de courir et de l'appeler quand je le rejoignis à l'endroit indiqué. J'étais rouge et agité, et je fis tomber ma demi-guinée de ma poche en prenant la carte : je la mis dans ma bouche pour plus de sûreté, et, en dépit de mes mains tremblantes, j'avais réussi à attacher la carte, à ma satisfaction, quand je reçus un coup sous le menton, du jeune homme aux longues jambes, et je vis ma demi-guinée passer de ma bouche dans sa main. « Allons ! dit le jeune homme en me saisissant par le collet de ma veste, avec une affreuse grimace, affaire de police n'est-ce pas ? vous allez vous sauver, n'est-ce pas ? Venez à la police, petit misérable, venez à la police. - Rendez-moi mon argent, dis-je très effrayé, et laissez-moi tranquille. - Venez à la police, répéta le jeune homme, vous prouverez à la police que c'est à vous. - Rendez-moi ma malle et mon argent ! » m'écriai-je en fondant en larmes. Le jeune homme répétait toujours : « Venez à la police », et il me traînait avec violence près de l'âne comme s'il y avait eu quelque rapport entre cet animal et un magistrat, puis il changea tout à coup d'avis, sauta dans sa charrette, s'assit sur ma malle, et déclarant qu'il allait droit à la police, partit plus vite que jamais. Je courais après lui de toutes mes forces, mais j'étais hors d'haleine, et je n'aurais pas osé l'appeler quand même je ne l'aurais pas perdu de vue. Je fus vingt fois sur le point d'être écrasé en un quart d'heure. Tantôt j'apercevais mon voleur, tantôt il disparaissait à mes yeux ; puis je le revoyais, puis je recevais un coup de fouet de quelque charretier, puis on m'injuriait, je tombais dans la boue, je me relevais pour courir me heurter contre un passant ou pour me précipiter contre un poteau. Enfin, troublé par la chaleur et l'effroi, craignant de voir Londres tout entier se mettre bientôt à ma poursuite, je laissai le jeune homme emporter ma malle et mon argent où il voudrait, et tout essoufflé et pleurant encore, je pris sans m'arrêter le chemin de Greenwich, qui était sur la route de Douvres, à ce que j'avais entendu dire, emportant chez ma tante, miss Betsy, une portion des biens de ce monde presque aussi petite que celle que j'avais apportée, dix ans auparavant, la nuit où ma naissance l'avait si fort courroucée. XIII J'exécute ma résolution Je crois que j'avais quelque vague idée de courir tout le long du chemin jusqu'à Douvres, quand je renonçai à la poursuite du jeune homme, de la charrette et de l'âne pour prendre le chemin de Greenwich. En tous cas, mes illusions s'évanouirent bientôt, et je fus obligé de m'arrêter sur la route de Kent, près d'une terrasse qui était ornée d'une pièce d'eau avec une grande statue assise au milieu et soufflant dans une conque desséchée. Là, je m'assis sur le pas d'une porte, tout épuisé par les efforts que je venais de faire, et si essoufflé que j'avais à peine la force de pleurer ma malle et ma demi-guinée. Il faisait nuit ; pendant que j'étais là à me reposer, j'entendis les horloges sonner dix heures. Mais on était en été et il faisait chaud. Quand j'eus repris haleine, et que je fus débarrassé de la suffocation que j'éprouvais un moment auparavant, je me levai et je repris le chemin de Greenwich. Je n'eus pas un moment l'idée de retourner sur mes pas. Je ne sais si la pensée m'en serait venue, quand il y aurait eu une avalanche au milieu de la route. Mais l'exiguïté de mes ressources (j'avais trois sous dans ma poche, et je me demande comment ils s'y trouvaient un samedi soir), ne laissait pas que de me préoccuper en dépit de ma persévérance. Je commençais à me figurer un petit article de journal qui annoncerait qu'on m'avait trouvé mort sous une haie, et je marchais tristement, quoique de toute la vitesse de mes jambes, quand je passai près d'une échoppe qui portait un écriteau pour annoncer qu'on achetait les habits d'hommes et de femmes, et qu'on donnait un bon prix des os et des vieux chiffons. La maître de cette boutique était assis sur le seuil de sa porte en manches de chemise, la pipe à la bouche ; il y avait une quantité d'habits et de pantalons suspendus au plafond, tout cela n'était éclairé que par deux chandelles, en sorte qu'il avait l'air d'un homme altéré de vengeance, qui avait pendu là ses ennemis, et se repaissait de la vue de leurs cadavres. L'expérience que j'avais acquise chez mistress Micawber me suggéra à cette vue un moyen d'éloigner un peu le coup fatal. J'entrai dans une petite ruelle, j'ôtai mon gilet, puis le roulant soigneusement sous mon bras, je me présentai à la porte de la boutique : « Monsieur, lui dis-je, j'ai à vendre au plus juste prix ce gilet ; vous conviendrait-il ? » M. Dolloby (au moins, c'était bien le nom inscrit sur son bazar), prit le gilet, posa sa pipe contre le montant de la porte, et entra dans la boutique où je le suivis ; là, il moucha les deux chandelles avec ses doigts, puis étendit le gilet sur le comptoir et l'examina, ensuite il l'approcha de la lumière pour l'examiner encore et finit par me dire : « Quel prix comptez-vous vendre ce petit gilet ? - Oh ! vous savez cela mieux que moi, monsieur, répliquai-je modestement. - Je ne peux pas vendre et acheter, dit M. Dolloby, mettez votre prix à ce petit gilet. - Quarante sous, serait-ce... ? » dis-je timidement après quelque hésitation. M. Dolloby roula l'objet en question et me le rendit : « Ce serait faire tort à ma famille, dit-il, que d'en offrir vingt sous. » Cette manière d'envisager la question m'était désagréable ; quel droit avais-je de demander à M. Dolloby de faire tort à sa famille en faveur d'un étranger ? Mes besoins étaient si pressants pourtant que je dis que j'accepterais vingt sous si cela lui convenait. M. Dolloby y consentit en grommelant. Je lui souhaitai le bonsoir, et je sortis de la boutique avec vingt sous de plus et mon gilet de moins. Mais, bah ! en boutonnant ma veste, cela ne se voyait pas. À la vérité, je prévoyais bien que la veste devrait suivre le gilet, et que je serais bien heureux d'aller jusqu'à Douvres avec mon pantalon et ma chemise. Mais je n'étais pas aussi préoccupé de cette perspective qu'on aurait pu le croire. Sauf une impression générale que la route était longue et que le propriétaire de l'âne avait eu des torts envers moi, je crois que je n'avais pas un sentiment bien vif de la difficulté de mon entreprise quand je me fus une fois remis en route avec mes vingt sous en poche.

« bien uneautre fois,faisant probablement allusionàla manière dontjel’avais examiné ; jeme hâtai del’assurer quece n’était pasune impolitesse, maisquejeme demandais s’ilnevoudrait passecharger d’unecommission. « Quelle commission ? demandalejeune homme. – De porter unemalle, répondis-je. – Quelle malle ? – La mienne.

J’expliquai qu’elleétaitdans unemaison aubout delarue, etque jeserais enchanté qu’ilvoulût bien la porter poursixpence aubureau deladiligence deDouvres. – Va pour sixpence ! » ditmon compagnon auxlongues jambes, etilmonta àl’instant mêmedanssacharrette qui se composait detrois planches poséessurdes roues, etpartit sivite dans ladirection indiquéequec’était toutceque je pouvais fairequedesuivre l’âne. Le jeune homme avaitunair insolent quime déplaisait ; jen’aimais pasnon plus lamanière dontilmâchait unbrin de paille toutenparlant, maislemarché étaitfait ;jelefis donc monter danslachambre quejequittais, ilprit lamalle, la descendit etlamit dans sacharrette.

Jene me souciais pasdemettre encore l’adresse, depeur quequelque membre de lafamille demon propriétaire nedevinât mesdesseins ; jepriai donc lejeune homme des’arrêter quandilserait arrivé devant legrand murdelaprison duBanc-du-Roi.

Àpeine avais-je prononcé cesparoles qu’ilpartit comme silui, ma malle, lacharrette etl’âne étaient touségalement piquésdelatarentule, etj’étais horsd’haleine àforce decourir et de l’appeler quandjelerejoignis àl’endroit indiqué. J’étais rougeetagité, etjefis tomber mademi-guinée dema poche enprenant lacarte : jelamis dans mabouche pour plusdesûreté, et,endépit demes mains tremblantes, j’avaisréussiàattacher lacarte, àma satisfaction, quandje reçus uncoup souslementon, dujeune homme auxlongues jambes, etjevis ma demi-guinée passerdema bouche dans samain. « Allons ! ditlejeune homme enme saisissant parlecollet dema veste, avecuneaffreuse grimace, affairede police n’est-ce pas ?vousallezvous sauver, n’est-ce pas ?Venez àla police, petitmisérable, venezàla police. – Rendez-moi monargent, dis-jetrèseffrayé, etlaissez-moi tranquille. – Venez àla police, répéta lejeune homme, vousprouverez àla police quec’est àvous. – Rendez-moi mamalle etmon argent ! » m’écriai-je enfondant enlarmes. Le jeune homme répétait toujours : « Venezàla police », etilme traînait avecviolence prèsdel’âne comme s’ily avait euquelque rapportentrecetanimal etun magistrat, puisilchangea toutàcoup d’avis, sautadanssacharrette, s’assit surma malle, etdéclarant qu’ilallait droitàla police, partitplusviteque jamais. Je courais aprèsluide toutes mesforces, maisj’étais horsd’haleine, etjen’aurais pasosé l’appeler quandmême je ne l’aurais pasperdu devue.

Jefus vingt foissurlepoint d’être écrasé enun quart d’heure.

Tantôtj’apercevais mon voleur, tantôtildisparaissait àmes yeux ; puisjelerevoyais, puisjerecevais uncoup defouet dequelque charretier, puis onm’injuriait, jetombais danslaboue, jeme relevais pourcourir meheurter contreunpassant oupour me précipiter contreunpoteau.

Enfin,troublé parlachaleur etl’effroi, craignant devoir Londres toutentier semettre bientôt àma poursuite, jelaissai lejeune homme emporter mamalle etmon argent oùilvoudrait, ettout essoufflé et pleurant encore,jepris sans m’arrêter lechemin deGreenwich, quiétait surlaroute deDouvres, àce que j’avais entendu dire,emportant chezmatante, missBetsy, uneportion desbiens decemonde presque aussipetite quecelle que j’avais apportée, dixans auparavant, lanuit oùma naissance l’avaitsifort courroucée.. »

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