Corpus l'argumentation
Publié le 19/11/2012
Extrait du document
«
Le texte reprend souvent l’adjectif démonstratif « ce » parfois placé en tête de phrase, en anaphore : "cette maison", "cette province", "ces multitudes".
Voltaire
oppose fortement l’inconsistance des prétentions à la focalisation sur ce lieu et ces gens.
Ce lieu oublié accède à l’existen ce et à la notoriété par la convoitise
dévoyée du prince.
Les événements s’enchaînent dès lors de façon inéluctable.
L’ asyndète (absence de subordination comme de coordination), notamment
dans le premier paragraphe avec les ":", renforce cette accélération mécanique des événements.
Voltaire utilise donc l’exagération pour attirer l’attention du lecteur sur ses intentions.
Il vide de sa substance le conte classique : ce n’est pas une belle histoire,
mais au contraire une aventure absurde, dérisoire et sanguinaire.
C’est même une mécanique infernale.
Nous passons insensible ment d’un récit anodin à une
dénonciation de la guerre.
B.Un conte philosophique
La guerre
Le champ lexical de la guerre devient plus présent : « marche à la gloire », « équipée », « mercenaires », « se battre », « s’acharnent les unes contre les
autres », « puissances belligérantes », « s’attaquant tour à tour », « drapeaux », « exterminer ».
Mais la guerre n’apparaît pas comme une activité ordonnée, aucune stratégie guerrière n’est réellement évoquée.
Le vocabulaire guerrier se réduit à un jeu de
guerre enfantin.
Ils s’agit ici de «se battre», les peuples sont répartis en "bandes" ; ils se lancent sans réfléchir dans une "équipée".
Tout se mesure en termes de
gain : il s’agit de "gagner" la guerre comme on gagne un jeu.
Ce langage enfantin intrigue le lecteur.
La dérision de la guerre : la guerre est vue comme un jeu puéril
Il s’agit d’abord d’une parade : chaque participant revêt quelques attributs militaires comme un chapeau ou un habit de drap, ensuite ont lieu les manœuvres ,
« tourner à droite et à gauche et marche à la gloire ».
Chaque prince veut être "de la partie", co mme dans un jeu.
On ne sait même pas pourquoi on se bat.
D’ailleurs qui sont les soldats ? : "les autres princes" […] "des peuples" […] "ces multitudes" […] D’où viennent -ils ? Que veulent -ils ? Ils vont simplement "vendre
leurs services à quiconque veut l es employer".
Voltaire utilise une poétique du vague qui dans de telles circonstances ne peut manquer d’alerter le lecteur car la guerre es t très fortement associée à un jeu
d’enfant : les guerriers sont de petits soldats de plomb destinés à tomber.
Il en va de même pour la comparaison « ils se divisent aussitôt en deux bandes comme
des moissonneurs ».
Notons le détournement de l’image car il s’agit ici de faucher des êtres vivants.
La guerre est mercantile, criminelle et déraisonnable
Voltaire montre les g uerriers comme des marionnettes, voire des personnages de bandes dessinées.
Dans la parade initiale les soldats vont « tourner à droite et
à gauche ».
Ce sont plus tard des groupes sans individualité envoyés dans le tourbillon des combats.
Voltaire désigne les guerriers comme des meurtriers (le terme est employé à deux reprises).
D’ailleurs les allitérations en "r" soulignent la guerre dans "meurtriers
mercenaires" ou "se battre", comme encore les gutturales inscrites dans les noms de guerriers du deuxième paragraphe.
Voltaire juge les soldats comme des êtres déraisonnables : ceux -ci "s’acharnent", "sans savoir même de quoi il s’agit".
De plus, il souligne que tous se détestent
(terme enfantin par excellence).
Leur seul but semble être "celui de faire tout l e mal possible".
Nous pouvons y voir une pointe contre la philosophie de Leibniz
illustrée par le docteur Pangloss de Candide : « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».
Ainsi Voltaire dépasse le conte narratif classique en écrivant un conte philosophique.
Comme chacun sait, un conte philosophique a une visée argumentative.
Ici
comme ce texte s’inscrit dans le Dictionnaire philosophique et se définit comme un article, le lecteur est invité à lire ce texte comme un apologue.
Un apo logue
Rappel de la définition de l’apologue
L’apologue est souvent une fable .
Ici, la spécificité de cet apologue réside dans l’enseignement caché que nous délivre Voltaire : il f aut découvrir son sens en
analysant les procédés de l’ironie.
L’ironie comme procédé de la dénonciation
L’ironie repose sur trois procédés présents dans ce texte :
D’abord il s’agit de l’ antiphrase comme à la fin de la deuxième phrase déjà citée pour sa valeur absurde et provocatrice.
Ensuite on retrouve une parodie de l’épopée qui est proche du style burlesque et qui culmine dans l’emphase ternaire : « se détestant toutes éga lement les unes
les autres, s’unissant et s’attaquant tour à tour » ; ce rythme indique une construction, un projet dans cet apparent désordre "celui de faire tout le mal possible".
L’adjectif qualificatif « possible » est bien évidemment une reprise à con tresens d’une expression du philosophe Leibniz.
Voltaire, comme dans Candide ,
dénonce ici un optimisme hors de propos.
Enfin Voltaire insiste tellement sur l’engouement des peuples, que cette adhésion spontanée engendre le soupçon : les princes sont en fai t des tyrans infernaux
qui abusent du pouvoir en se l’appropriant de façon illégitime.
Il revient au lecteur de déchiffrer le message et de tirer un enseignement de ce petit conte qui
dénonce la tyrannie, fautrice de troubles.
Le ridicule poussé à l’odieux
La conclusion est introduite par un paradoxe destiné à bouleverser nos habitudes de pensée à l’égard de la guerre : « Le merveilleux de cette entreprise
infernale… » où « merveilleux » (dans cette expression Voltaire joue sur le sens d’admirable et en mêm e temps de surnaturel) se heurte à « infernale » puis à
« meurtriers ».
Ces tyrans se disent pleins de ferveur religieuse.
En effet, ils font « bénir » leurs drapeaux et « invoque[nt] Dieu solennellement ».
Dans Candide ,
ils entonnent un Te Deum chacun de leur côté.
On relève ici le champ lexical du religieux, mais Voltaire stigmatise un dévoiement.
Lorsque l’Église bénit la.
»
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