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-- Et à quoi cela t'avançait-il ?

Publié le 31/10/2013

Extrait du document

-- Et à quoi cela t'avançait-il ? -- À rien, parce que quelques minutes plus tard j'ai jeté le papier. Mais aujourd'hui, si le cas se reproduisait, e garderais le papier. -- Eh bien, pas moi, répondit Julia. Je suis prête à courir des risques, mais pour quelque chose qui en vaut la peine, pas pour des bouts de vieux journaux. Qu'en aurais-tu fait, même si tu l'avais gardé ? -- Pas grand-chose, peut-être, mais c'était une preuve. Elle aurait pu implanter quelques doutes çà et là si j'avais osé la montrer. Je ne pense pas que nous puissions changer quoi que ce soit pendant notre existence. Mais on peut imaginer que de petits noeuds de résistance puissent jaillir çà et là, de petits groupes de gens qui se ligueraient et dont le nombre augmenterait peu à peu. Ils pourraient même laisser après eux quelques documents pour que la génération suivante reprenne leur action au point où ils l'auraient laissée. -- La prochaine génération ne m'intéresse pas, chéri. Ce qui m'intéresse, c'est nous. -- De la taille aux orteils, tu n'es qu'une rebelle, chérie. Elle trouva la phrase très spirituelle et, ravie, jeta ses bras autour de lui. Elle ne prêtait pas le moindre intérêt aux ramifications de la doctrine du Parti. Quand il se mettait à parler des principes de l'Angsoc, de la double-pensée, de la mutabilité du passé, de la négation de la réalité objective, et qu'il employait des mots novlangue, elle était ennuyée et confuse et disait qu'elle n'avait jamais fait attention à ces choses. On savait que tout cela n'était que balivernes, alors pourquoi s'en préoccuper ? Elle savait à quel moment applaudir, à quel moment pousser des huées et c'est tout ce qu'il était nécessaire de savoir. Quand il persistait à parler sur de tels sujets, elle avait la déconcertante habitude de s'endormir. Elle était de ces gens qui peuvent s'endormir à n'importe quelle heure et dans n'importe quelle position. En causant avec elle, Winston se rendit compte à quel point il était facile de présenter l'apparence de l'orthodoxie sans avoir la moindre notion de ce que signifiait l'orthodoxie. Dans un sens, c'est sur les gens incapables de la comprendre que la vision du monde qu'avait le Parti s'imposait avec le plus de succès. On pouvait leur faire accepter les violations les plus flagrantes de la réalité parce qu'ils ne saisissaient jamais entièrement l'énormité de ce qui leur était demandé et n'étaient pas suffisamment intéressés par les événements publics pour remarquer ce qui se passait. Par manque de compréhension, ils restaient sains. Ils avalaient simplement tout, et ce qu'ils avalaient ne leur faisait aucun mal, car cela ne laissait en eux aucun résidu, exactement comme un grain de blé, qui passe dans le corps d'un oiseau sans être digéré.   CHAPITRE VI C'était enfin arrivé. Le message attendu était venu. Il semblait à Winston qu'il avait toute sa vie attendu ce oment. Il longeait le couloir du ministère et il était presque à l'endroit où Julia lui avait glissé le mot dans la main, uand il s'aperçut que quelqu'un plus corpulent que lui marchait juste derrière lui. La personne, qu'il 'identifiait pas encore, fit entendre une petite toux, prélude évident de ce qu'elle allait dire. Winston s'arrêta rusquement et se retourna. C'était O'Brien. Ils étaient enfin face à face et il semblait à Winston que son seul désir était de s'enfuir. Son coeur battait à se rompre. Il aurait été incapable de parler. O'Brien, cependant, continuait à marcher du même pas, sa main un moment posée sur le bras de Winston d'un geste amical, de sorte que tous deux marchèrent côte à côte. Il se mit à parler avec la courtoisie grave et particulière qui le différenciait de la plupart des membres du Parti intérieur. -- J'attendais une occasion de vous parler, dit-il. J'ai lu l'autre jour un de vos articles novlangue dans le Times. Vous vous intéressez en érudit au novlangue, je crois ? Winston avait recouvré une partie de son sang-froid. -- Érudit ? Oh ! À peine, dit-il. Je ne suis qu'un amateur. Ce n'est pas ma partie. Je n'ai jamais rien eu à faire avec l'actuelle construction du langage. -- Mais vous écrivez très élégamment, dit O'Brien. Je ne suis pas seul à le penser. Je parlais récemment à un de vos amis qui est un expert. Son nom m'échappe pour l'instant. Le coeur de Winston battit de nouveau douloureusement. Il était inconcevable que cette phrase ne se rapportât point à Syme. Mais Syme n'était pas seulement mort, il était aboli, il était un nonêtre. Toute évidente référence à lui était mortellement dangereuse. La remarque d'O'Brien devait certainement être comprise comme un signal, un mot de code. En partageant avec Winston un petit crime par la pensée, il avait fait de tous deux des complices. Ils avaient continué à marcher lentement dans le corridor, mais O'Brien s'arrêta. Avec cette curieuse, désarmante amitié qu'il s'arrangeait pour mettre dans son geste, il équilibra ses lunettes sur son nez. Puis il poursuivit : -- Ce que je voulais surtout vous dire, c'est que, dans votre article, vous avez employé deux mots qui sont périmés. Mais ils ne le sont que depuis peu. Avez-vous vu la dixième édition du dictionnaire novlangue ? -- Non, répondit Winston. Je ne pensais pas qu'elle eût déjà paru. Nous nous servons encore, au Département des Archives, de la neuvième édition. -- La dixième édition ne paraîtra pas avant quelques mois, je crois. Mais quelques exemplaires ont déjà été mis en circulation. J'en ai moi-même un. Peut-être vous intéresserait-il de le voir ? -- Très certainement, répondit Winston qui comprit immédiatement à quoi tendait O'Brien. -- Quelques-unes des nouvelles trouvailles sont très ingénieuses. La réduction du nombre de verbes. C'est cette partie qui vous plaira, je pense. Voyons, vous l'enverrai-je par un messager ? Mais j'oublie invariablement, je crois, toutes les choses de ce genre. Peut-être pourriez-vous passer à mon appartement ? Quand cela vous conviendra. Attendez. Laissez-moi vous donner mon adresse. Ils étaient debout devant un télécran. D'un geste désinvolte, O'Brien fouilla ses poches et en sortit un petit carnet couvert de cuir et un crayon à encre en or. Immédiatement sous le télécran, dans une posture telle que n'importe qui, à l'autre bout de l'instrument, pouvait lire ce qu'il écrivait, il griffonna une adresse, déchira la page et la tendit à Winston. -- Je suis d'habitude chez moi dans la soirée, dit-il. Si je n'y étais pas, mon domestique vous remettrait le dictionnaire. Il partit, laissant Winston avec le bout de papier entre les mains. Il n'était pas besoin, cette fois, de le cacher. Néanmoins, Winston étudia soigneusement ce qui y était écrit et, quelques heures plus tard, le jeta, avec un tas d'autres papiers, dans le trou de mémoire. Ils ne s'étaient parlé que pendant deux minutes au plus. L'épisode ne pouvait avoir qu'une signification. Il n'avait été machiné que pour faire connaître à Winston l'adresse d'O'Brien. C'était nécessaire, car il n'était jamais possible, si on ne le lui demandait directement, de découvrir où vivait quelqu'un. Il n'y avait, en cette matière, de fil d'Ariane d'aucune sorte. -- Si jamais vous vouliez me voir, c'est là que vous me trouveriez. Voilà ce que lui avait dit O'Brien. Peut-être même y aurait-il un message caché quelque part dans le dictionnaire. Mais, en tout cas, une chose était certaine. La conspiration dont il avait rêvé existait et il en avait atteint la pointe extérieure. Il savait que tôt ou tard il obéirait aux ordres d'O'Brien. Peut-être serait-ce le lendemain, peut-être serait-ce après un long délai, il l'ignorait. Ce qui arrivait n'était que le résultat d'un processus qui avait commencé depuis

« CHAPITRE VIC’était enfinarrivé.

Lemessage attenduétaitvenu.

Ilsemblait àWinston qu’ilavait toute savie attendu ce moment.

Illongeait lecouloir duministère etilétait presque àl’endroit oùJulia luiavait glissé lemot dans lamain, quand ils’aperçut quequelqu’un pluscorpulent queluimarchait justederrière lui.Lapersonne, qu’il n’identifiait pasencore, fitentendre unepetite toux,prélude évidentdecequ’elle allaitdire.Winston s’arrêta brusquement etse retourna.

C’étaitO’Brien. Ils étaient enfinfaceàface etilsemblait àWinston quesonseul désir étaitdes’enfuir.

Soncœur battait àse rompre.

Ilaurait étéincapable deparler.

O’Brien, cependant, continuaitàmarcher dumême pas,samain un moment poséesurlebras deWinston d’ungeste amical, desorte quetous deux marchèrent côteàcôte.

Ilse mit à parler aveclacourtoisie graveetparticulière quiledifférenciait delaplupart desmembres duParti intérieur. — J’attendais uneoccasion devous parler, dit-il.J’ailul’autre jourundevos articles novlangue dansle Times . Vous vousintéressez enérudit aunovlangue, jecrois ? Winston avaitrecouvré unepartie deson sang-froid. — Érudit ? Oh !Àpeine, dit-il.Jene suis qu’un amateur.

Cen’est pasmapartie.

Jen’ai jamais rieneuàfaire avec l’actuelle construction dulangage. — Mais vousécrivez trèsélégamment, ditO’Brien.

Jene suis passeul àle penser.

Jeparlais récemment àun de vos amis quiestunexpert.

Sonnom m’échappe pourl’instant. Le cœur deWinston battitdenouveau douloureusement.

Ilétait inconcevable quecette phrase nese rapportât pointàSyme.

MaisSyme n’était passeulement mort,ilétait aboli, ilétait un nonêtre . Toute évidente référence àlui était mortellement dangereuse.Laremarque d’O’Briendevaitcertainement êtrecomprise comme un signal, unmot decode.

Enpartageant avecWinston unpetit crime parlapensée, ilavait faitdetous deux des complices.

Ilsavaient continué àmarcher lentement danslecorridor, maisO’Brien s’arrêta.

Aveccette curieuse, désarmante amitiéqu’ils’arrangeait pourmettre danssongeste, iléquilibra seslunettes surson nez.

Puis il poursuivit : — Ce quejevoulais surtout vousdire,c’estque,dans votre article, vousavezemployé deuxmots quisont périmés.

Maisilsne lesont quedepuis peu.Avez-vous vuladixième éditiondudictionnaire novlangue ? — Non, répondit Winston.

Jene pensais pasqu’elle eûtdéjà paru.

Nousnousservons encore,au Département desArchives, delaneuvième édition. — La dixième éditionneparaîtra pasavant quelques mois,jecrois.

Maisquelques exemplaires ontdéjà été mis encirculation.

J’enaimoi-même un.Peut-être vousintéresserait-il delevoir ? — Très certainement, réponditWinstonquicomprit immédiatement àquoi tendait O’Brien. — Quelques-unes desnouvelles trouvailles sonttrèsingénieuses.

Laréduction dunombre deverbes.

C’est cette partie quivous plaira, jepense.

Voyons, vousl’enverrai-je parunmessager ? Maisj’oublie invariablement, je crois, toutes leschoses decegenre.

Peut-être pourriez-vous passeràmon appartement ? Quandcelavous conviendra.

Attendez.Laissez-moi vousdonner monadresse. Ils étaient debout devantuntélécran.

D’ungeste désinvolte, O’Brienfouillasespoches eten sortit unpetit carnet couvert decuir etun crayon àencre enor.

Immédiatement sousletélécran, dansuneposture telleque n’importe qui,àl’autre boutdel’instrument, pouvaitlirecequ’il écrivait, ilgriffonna uneadresse, déchirala page etlatendit àWinston. — Je suisd’habitude chezmoidans lasoirée, dit-il.Sijen’y étais pas,mon domestique vousremettrait le dictionnaire.

Ilpartit, laissant Winston aveclebout depapier entrelesmains.

Iln’était pasbesoin, cettefois,delecacher. Néanmoins, Winstonétudiasoigneusement cequi yétait écrit et,quelques heuresplustard, lejeta, avec untas d’autres papiers,dansletrou demémoire. Ils nes’étaient parléquependant deuxminutes auplus.

L’épisode nepouvait avoirqu’une signification.

Il n’avait étémachiné quepour faireconnaître àWinston l’adresse d’O’Brien.

C’étaitnécessaire, cariln’était jamais possible, sion nelelui demandait directement, dedécouvrir oùvivait quelqu’un.

Iln’y avait, encette matière, defild’Ariane d’aucune sorte. — Si jamais vousvouliez mevoir, c’estlàque vous metrouveriez. Voilà ceque luiavait ditO’Brien.

Peut-être mêmeyaurait-il unmessage cachéquelque partdans le dictionnaire.

Mais,entout cas,unechose étaitcertaine.

Laconspiration dontilavait rêvéexistait etilen avait atteint lapointe extérieure. Il savait quetôtoutard ilobéirait auxordres d’O’Brien.

Peut-êtreserait-celelendemain, peut-êtreserait-ce après unlong délai, ill’ignorait.

Cequi arrivait n’étaitquelerésultat d’unprocessus quiavait commencé depuis. »

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