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      Le mythe de Sisyphe.

Publié le 04/11/2013

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sisyphe
      Le mythe de Sisyphe. Essai sur l'absurde. (1942)   L'homme absurde   LE DON JUANISME         etour à la table des matières S'il suffisait d'aimer, les choses seraient trop simples. Plus on aime et plus l'absurde se consolide. Ce 'est point par manque d'amour que Don Juan va de femme en femme. Il est ridicule de le représenter omme un illuminé en quête de l'amour total. Mais c'est bien parce qu'il les aime avec un égal emportement et chaque fois avec tout lui-même, qu'il lui faut répéter ce don et cet approfondissement. De là que chacune espère lui apporter ce que personne ne lui a jamais donné. Chaque fois, elles se trompent profondément et réussissent seulement à lui faire sentir le besoin de cette répétition. « Enfin, s'écrie l'une d'elles, je t'ai donné l'amour. « S'étonnera-t-on que Don Juan en rie : « Enfin ? non, dit-il, mais une fois de plus. « Pourquoi faudrait-il aimer rarement pour aimer beaucoup ?   * Don Juan est-il triste ? Cela n'est pas vraisemblable. À peine ferais-je appel à la chronique. Ce rire, l'insolence victorieuse, ce bondissement et le goût du théâtre, cela est clair et joyeux. Tout être sain tend à se multiplier. Ainsi de Don Juan. Mais de plus, les tristes ont deux raisons de l'être, ils ignorent ou ils espèrent. Don Juan sait et n'espère pas. Il fait penser à ces artistes qui connaissent leurs limites, ne les excèdent jamais, et dans cet intervalle précaire où leur esprit s'installe, ont toute la merveilleuse aisance des maîtres. Et c'est bien là le génie : l'intelligence qui connaît ses frontières. Jusqu'à la frontière de la mort physique, Don Juan ignore la tristesse. Depuis le moment où il sait, son rire éclate et fait tout pardonner. Il fut triste dans le temps où il espéra. Aujourd'hui, sur la bouche de cette femme, il retrouve le goût amer et réconfortant de la science unique. Amer ? À peine : cette nécessaire imperfection qui rend sensible le bonheur ! C'est une grande duperie que d'essayer de voir en Don Juan un homme nourri de l'Ecclésiaste. Car plus rien pour lui n'est vanité, sinon l'espoir d'une autre vie. Il le prouve, puisqu'il la joue contre le ciel luimême. Le regret du désir perdu dans la jouissance, ce lieu commun de l'impuissance ne lui appartient pas. Cela va bien pour Faust qui crut assez à Dieu pour se vendre au diable. Pour Don Juan, la chose est plus simple. Le « Burlador « de Molina, aux menaces de, l'enfer, répond toujours : « Que tu me donnes un long délai ! « Ce qui vient après la mort est futile et quelle longue suite de jours pour qui sait être vivant ! Faust réclamait les biens de ce monde : le malheureux n'avait qu'à tendre la main. C'était déjà vendre son âme que de ne pas savoir la réjouir. La satiété, Don Juan l'ordonne au contraire. S'il quitte une femme, ce n'est pas absolument parce qu'il ne la désire plus. Une femme belle est toujours désirable. Mais c'est qu'il en désire une autre et non, ce n'est pas la même chose. Cette vie le comble, rien n'est pire que de la perdre. Ce fou est un grand sage. Mais les hommes qui ivent d'espoir s'accommodent mal de cet univers où la bonté cède la place à la générosité, la tendresse au silence viril, la communion au courage solitaire. Et tous de dire : « C'était un faible, un idéaliste ou un saint. « Il faut bien ravaler la grandeur qui insulte. * S'indigne-t-on assez (ou ce rire complice qui dégrade ce qu'il admire) des discours de Don Juan et de cette même phrase qui sert pour toutes les femmes. Mais pour qui cherche la quantité des joies, seule l'efficacité compte. Les mots de passe qui ont fait leurs preuves, à quoi bon les compliquer ? Personne, ni la femme, ni l'homme, ne les écoute, mais bien plutôt la voix qui les prononce. Ils sont la règle, la convention et la politesse. On les dit, après quoi le plus important reste à faire. Don Juan s'y prépare déjà. Pourquoi se poserait-il un problème de morale ? Ce n'est pas comme le Mañara de Milosz par désir d'être un saint qu'il se damne. L'enfer pour lui est chose qu'on provoque. A la colère divine, il n'a qu'une réponse et c'est l'honneur humain : « J'ai de l'honneur, dit-il au Commandeur, et je remplis ma promesse parce que je suis chevalier. « Mais l'erreur serait aussi grande d'en faire un immoraliste. Il est à cet égard « comme tout le monde « : il a la morale de sa sympathie ou de son antipathie. On ne comprend bien Don Juan qu'en se référant toujours à ce qu'il symbolise vulgairement : le séducteur ordinaire et l'homme à femmes. Il est un séducteur ordinaire  [15] . À cette différence près qu'il est conscient et c'est par là qu'il est absurde. Un séducteur devenu lucide ne changera pas pour autant. Séduire est son état. Il n'y a que dans les romans qu'on change d'état ou qu'on devient meilleur. Mais on peut dire qu'à la fois rien n'est changé et tout est transformé. Ce que Don Juan met en acte, c'est une éthique de la quantité, au contraire du saint qui tend vers la qualité. Ne pas croire au sens profond des choses, c'est le propre de l'homme absurde. Ces visages chaleureux ou merveillés, il les parcourt, les engrange et les brûle. Le temps marche avec lui. L'homme absurde est celui qui ne se sépare pas du temps. Don Juan ne pense pas à « collectionner « les femmes. Il en épuise le nombre et avec elles ses chances de vie. Collectionner, c'est être capable de vivre de son passé. Mais lui refuse le regret, cette autre forme de l'espoir. Il ne sait pas regarder les portraits. * Est-il pour autant égoïste ? A sa façon sans doute. Mais là encore, il s'agit de s'entendre. Il y a ceux qui sont faits pour vivre et ceux qui sont faits pour aimer. Don Juan du moins le dirait volontiers. Mais ce serait par un raccourci comme il peut en choisir. Car l'amour dont on parle ici est paré des illusions de l'éternel. Tous les spécialistes de la passion nous l'apprennent, il n'y a d'amour éternel que contrarié. Il n'est guère de passion sans lutte. Un pareil amour ne trouve de fin que dans l'ultime contradiction qui est la mort. Il faut être Werther ou rien. Là encore, il y a plusieurs façons de se suicider dont l'une est le don total et l'oubli de sa propre personne. Don Juan, autant qu'un autre, sait que cela peut être émouvant. Mais il est un des seuls à savoir que l'important n'est pas là. Il le sait aussi bien : ceux qu'un grand amour détourne de toute vie personnelle s'enrichissent peut-être, mais appauvrissent à coup sûr ceux que leur amour a choisis. Une mère, une femme passionnée, ont nécessairement le coeur sec, car il est détourné du monde. Un seul sentiment, un seul être, un seul visage, mais tout est dévoré. C'est un autre amour qui ébranle Don Juan, et celui-là est libérateur. Il apporte avec lui tous les visages du monde et son frémissement vient de ce qu'il se connaît périssable. Don Juan a choisi d'être rien. Il s'agit pour lui de voir clair. Nous n'appelons amour ce qui nous lie à certains êtres que par référence à une façon de voir collective et dont les livres et les légendes sont responsables. Mais de l'amour, je ne connais que ce mélange de désir, de tendresse et d'intelligence qui me lie à tel être. Ce composé n'est pas le même pour tel autre. Je n'ai pas le droit de recouvrir toutes ces expériences du même nom. Cela ispense de les mener des mêmes gestes. L'homme absurde multiplie encore ici ce qu'il ne peut unifier. insi découvre-t-il une nouvelle façon d'être qui le libère au moins autant qu'elle libère ceux qui
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« Cette vielecomble, rienn'est pirequedelaperdre.

Cefou estungrand sage.Maisleshommes qui vivent d'espoir s'accommodent maldecet univers oùlabonté cèdelaplace àla générosité, latendresse au silence viril,lacommunion aucourage solitaire.

Ettous dedire : « C'était unfaible, unidéaliste ouun saint. » Ilfaut bienravaler lagrandeur quiinsulte. * S'indigne-t-on assez(oucerire complice quidégrade cequ'il admire) desdiscours deDon Juan etde cette même phrase quisert pour toutes lesfemmes.

Maispourquicherche laquantité desjoies, seule l'efficacité compte.Lesmots depasse quiont fait leurs preuves, àquoi bonlescompliquer ? Personne,ni la femme, nil'homme, neles écoute, maisbienplutôt lavoix quilesprononce.

Ilssont larègle, la convention etlapolitesse.

Onlesdit, après quoileplus important resteàfaire.

DonJuan s'yprépare déjà.

Pourquoi seposerait-il unproblème demorale ? Cen'est pascomme leMañara deMilosz pardésir d'être unsaint qu'ilsedamne.

L'enfer pourluiest chose qu'onprovoque.

Ala colère divine, iln'a qu'une réponse etc'est l'honneur humain :« J'aidel'honneur, dit-ilauCommandeur, etjeremplis mapromesse parce quejesuis chevalier. » Maisl'erreur seraitaussigrande d'enfaire unimmoraliste.

Ilest àcet égard « comme toutlemonde » : ilala morale desasympathie oude son antipathie.

Onnecomprend bien Don Juan qu'en seréférant toujoursàce qu'il symbolise vulgairement : leséducteur ordinaireetl'homme à femmes.

Ilest unséducteur ordinaire  [15] . À cette différence prèsqu'ilestconscient etc'est parlàqu'il estabsurde.

Unséducteur devenu lucide nechangera paspour autant.

Séduire estson état.

Iln'y aque dans lesromans qu'onchange d'état ou qu'on devient meilleur.

Maisonpeut direqu'à lafois rien n'est changé ettout esttransformé.

Ceque Don Juan metenacte, c'est uneéthique delaquantité, aucontraire dusaint quitend verslaqualité.

Ne pas croire ausens profond deschoses, c'estlepropre del'homme absurde.

Cesvisages chaleureux ou émerveillés, illes parcourt, lesengrange etles brûle.

Letemps marche aveclui.L'homme absurdeestcelui qui nesesépare pasdutemps.

DonJuan nepense pasà« collectionner » lesfemmes.

Ilen épuise le nombre etavec elles seschances devie.

Collectionner, c'estêtrecapable devivre deson passé.

Maislui refuse leregret, cetteautreforme del'espoir.

Ilne sait pasregarder lesportraits. * Est-il pourautant égoïste ? Asa façon sansdoute.

Maislàencore, ils'agit des'entendre.

Ilyaceux qui sont faits pourvivre etceux quisont faits pouraimer.

DonJuan dumoins ledirait volontiers.

Maisce serait parunraccourci commeilpeut enchoisir.

Carl'amour dontonparle iciest paré desillusions de l'éternel.

Touslesspécialistes delapassion nousl'apprennent, iln'y ad'amour éternelquecontrarié.

Il n'est guère depassion sanslutte.

Unpareil amour netrouve defin que dans l'ultime contradiction quiest la mort.

Ilfaut être Werther ourien.

Làencore, ilyaplusieurs façonsdesesuicider dontl'une estledon total etl'oubli desapropre personne.

DonJuan, autant qu'unautre, saitquecela peut êtreémouvant. Mais ilest undes seuls àsavoir quel'important n'estpaslà.Ille sait aussi bien : ceuxqu'un grand amour détourne detoute viepersonnelle s'enrichissent peut-être,maisappauvrissent àcoup sûrceux queleur amour achoisis.

Unemère, unefemme passionnée, ontnécessairement lecœur sec,carilest détourné du monde.

Unseul sentiment, unseul être, unseul visage, maistoutestdévoré.

C'estunautre amour qui ébranle DonJuan, etcelui-là estlibérateur.

Ilapporte avecluitous lesvisages dumonde etson frémissement vientdecequ'il seconnaît périssable.

DonJuan achoisi d'être rien. Il s'agit pourluide voir clair.

Nous n'appelons amourcequi nous lieàcertains êtresqueparréférence à une façon devoir collective etdont leslivres etles légendes sontresponsables.

Maisdel'amour, jene connais quecemélange dedésir, detendresse etd'intelligence quime lieàtel être.

Cecomposé n'estpas le même pourtelautre.

Jen'ai pasledroit derecouvrir toutescesexpériences dumême nom.Cela dispense deles mener desmêmes gestes.

L'homme absurdemultiplie encoreicicequ'il nepeut unifier. Ainsi découvre-t-il unenouvelle façond'être quilelibère aumoins autant qu'elle libèreceuxqui. »

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