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1995: Politique française

Publié le 06/12/2018

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DE LA « FRACTURE » À LA RIGUEUR

 

Dans la vie politique française, il n'y a pas de moment plus important que celui de l'élection présidentielle. Une fois tous les sept ans, le pays choisit son destin et celui qu'il charge de l'incarner. À une époque où le citoyen a de plus en plus de mal à faire le lien entre le bulletin de vote qu'il dépose dans l'urne et les conditions de sa vie quotidienne, ce temps fort où tout un chacun est à même de dire son mot sur l'essentiel revêt une importance plus grande encore que par le passé. Le scrutin de 1995 a donc bénéficié de ce contexte, auquel il faut ajouter une donnée primordiale : le départ du président François Mitterrand après deux mandats successifs correspondait très exactement au cinquantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et marquait on ne peut plus fortement la fin, pour la France, de la période de l'après-guerre. Il ne suffisait pas de constater que les équilibres géopolitiques étaient en complet bouleversement, que le mode de production sur lequel vivaient les pays développés était en voie de transformation, que les points de repère idéologiques tendaient à s'effacer, encore fallait-il que quelqu'un puisse incarner l'élaboration d'un nouvel ordre politique, économique et social : c'est ce choix-là qu'a solennisé l'élection présidentielle du mois de mai 1995.

 

LE RETOUR

 

Jacques Chirac est donc devenu à ce moment-là de l'histoire de la France le chef de l'Etat. Ce fut pour lui un intense bonheur, dont le pays fut témoin à travers une soirée de liesse populaire, place de la Concorde, à Paris. Bonheur d'autant plus précieux que Jacques Chirac avait commencé en 1976 sa longue marche vers le palais présidentiel : à l'époque, il avait démissionné avec fracas de son poste de Premier ministre du président Giscard d'Estaing, avant

d'être celui qui, à partir de 1981, préparerait patiemment le retour des gaullistes au sommet de l'État. Deux tentatives, l'une en 1981 et l'autre en 1988, avaient été infructueuses. La première avait fait du maire de Paris l'opposant principal de François Mitterrand ; la seconde avait paru sonner le glas de son ambition tant était grand l'écart qui, dans l'esprit des Français, le séparait du titulaire de la charge. Puis, dans ce qui paraissait être la dernière ligne droite, c'est-à-dire les deux ans de gouvernement de cohabitation conduit par le RPR, après une défaite historique des socialistes aux élections législatives de mars 1993, un homme s'était dressé en travers de son chemin, celui-là même qu'il avait entraîné dans le jeu politique au point de lui permettre de devenir Premier ministre après avoir été son ministre des Finances : Edouard Balladur. Le parcours presque sans faute de ce dernier, tout au long d'une cohabitation presque exemplaire avec le président Mitterrand, paraissait conduire inéluctablement à une victoire présidentielle. Il avait donc fallu déployer beaucoup d'énergie et faire beauco

« de promesses your obtenir que les Français se détournent d'Edouard Balladur pour revenir à Jacques Chirac.

Le résultat avait été d'une parfaite clarté.

Il sanctionnait l'incontestable domination de la droite face à une gauche encore mal remise d'une fin de septennat particulièrement difficile et d'un bilan vigoureusement contesté par les Français.

Face à Lionel Jospin, candidat de la gauche au second tour, Jacques Chirac avait pris place parmi les présidents les mieux élus, nommant dans la foulée celui que tout le monde attendait au poste de Premier ministre son fidè­ le adjoint et conseiller, Alain Juppé, bientôt maire de Bordeaux et président du RPR.

Tout allait si bien que le nouveau président, visible­ ment heureux, n'hésitait pas à expliquer qu'il avait à ses côtés « un nouveau Georges Pompi­ dou ».

L'opposition, tout occupée à panser ses plaies et à forger de nouveaux outils intellec­ tuels et politiques, ne s'opposait pas.

Le parti communiste et la CGT paraissaient vouloir donner la main au nouveau pouvoir qui avait fait campagne contre « la fracture sociale » qu'il se promettait de réduire, et l'autre grande cen­ trale syndicale, anticommuniste celle-là, Force ouvrière, avait à sa tête un secrétaire général, Marc Blondel, qui avait ouvertement pris place parmi les grands électeurs du président Chirac.

Et, tandis qu'Édouard Balladur avait joué loya­ lement le jeu du désistement, les deux autres grandes figures de la droite, l'ancien président Giscard d'Estaing et l'ancien Premier ministre Raymond Barre, multipliaient les bonnes paroles.

LA RÉVOLTE À la fin de l'année 1995, pourtant, ces images ont tout à coup paru bien lointaines.

Alors que l'hiver s'installait, la France connut l'un des plus importants mouvements sociaux de son histoire récente.

À partir de grèves déclenchées dans les transports publics, une partie importante du pays se mit en mouvement, soutenant les grévistes et manifestant son mécontentement, surtout en province où les cortèges furent puissants.

Dans l'intervalle, le couple exécutif avait vu sa popularité fondre comme neige au soleil.

Pour la première fois dans l'histoire de la V' République, le président et son Premier ministre connaissaient une impopularité record.

L'opposition de gauche sortait de sa torpeur et marquait des points dans toutes les consultations partielles, tandis que les intentions de vote dans la perspective des légis­ latives, mesurées par sondages, s'inversaient à son profit pour la première fois depuis 1991.

Les ténors de la droite manifestaient à leur tour un certain agacement, Giscard d'Estaing allant jusqu'à dénoncer « l'absence de perspective ».

LES RAISONS D'UNE DÉCEPTION L'origine de ce retournement de l'opinion doit certainement être recherchée dans la cam­ pagne présidentielle elle-même.

Le Premier ministre d'alors, Édouard Balladur, avait fait campagne sur le mode raisonnable et gestion­ naire, plaidant pour un processus de réformes de la société française « sans fracture ».

Pour convaincre, Jacques Chirac avait pris des posi­ tions plus radicales, n'hésitant pas à laisser entendre que la priorité pour l'emploi qu'il propo­ sait allait de pair avec un changement de politique économique et sociale, sou­ lignant que « la feuille de paie » n'était pas à ses yeux « l'ennemie de l'emploi ».

Pour mieux vaincre, Jacques Chirac avait fait reproche à Édouard Balladur d'avoir freiné le rythme de la repri­ se économique en alourdis­ sant à tort le poids des pré­ lèvements obligatoires.

Le pays attendait donc, au lendemain de l'élection présidentielle, un nouvel élan, voire une relance de l'activité par des moyens appropriés, et notamment par un effort en faveur de la deman­ de et donc du pouvoir d'achat des salariés.

Or, à l'automne, le président de la République, lors d'une intervention à la télévision, prit le pays à témoin de la nécessité dans laquelle il se trou­ vait de réduire de façon significative les déficits publics, et donc d'alourdir à nouveau les prélèvements obligatoires.

Demandant un effort pour les deux années à venir, le président confia à son Premier ministre le soin de rétablir l'équilibre des comptes, notamment ceux de la Sécurité sociale, lourdement déficitaire.

Cette rapidité avec laquelle les Français ont vu revenir une politique de rigueur, que certains croyaient avoir écartée par leur vote, a sans aucun doute favorisé l'apparition d'un fort mécontentement.

À cela se sont ajoutées une conjoncture écono­ mique peu encourageante, une crainte diffuse du chômage, qui a cessé de refluer, l'angoisse du lendemain pour les milliers d'étudiants qui craignent que leurs diplômes ne leur offrent peu ou pas de débouchés, la peur plus générale en Euro­ pe des conséquences de la mondialisation de l'activité économique.

Au poste qu'il occupe, Jacques Chirac a le temps.

C'est-à-dire six ans devant lui pendant lesquels il peut, en cas de difficulté majeu­ re, changer de Premier ministre, infléchir la poli­ tique économique, dis­ soudre l'Assemblée natio­ nale au moment qu'il juge opportun.

Son calen­ drier, celui de l'échéance législative de 1998, l'a conduit à hâter les mesures impopulaires pour être à même, à l'approche du scrutin, de mettre ses partisans en position de l'emporter et de lui éviter quatre années de cohabitation avec la gauche.

C'est ce pari qu'il a d'ores et déjà enga­ gé et dont la réussite dépend de la rapidité avec laquelle les finances publiques retrouveront un équilibre compatible avec de nouvelles pro­ messes électorales.

JEAN-MARIE COLOMBAN! DIRECTEUR DU MONDE 9 1 - REVENANT SUR LES ENGAGEMENTS ÉLECTORAUX DU CANDIDAT JACQUES CHIRAC, LE GOUVERNEMENT JUPPÉ SE FIXE COMME PRIORITÉ LA RÉSORPTION DES DÉFICITS SOCIAUX ET PROVOQUE UN VASTE MOUVEMENT DE PROTESTATION.

DURANT PLUSIEURS SEMAINES, LA CAPITALE EST PARALYSÉE.

MAIS LES PARISIENS, PLUTÔT FAVORABLES AUX REVENDICATIONS DES GRÉVISTES, CHOISISSENT, AVEC BONHOMIE OU RÉSIGNATION, LE > POUR SE RENDRE SUR LEUR LIEU DE TRAVAJL.

APRÈS DES HÉSITATIONS, MARC BLONDEL, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE FORCE OUVRIÈRE, DÉCIDE DE SOUTENIR LE MOUVEMENT DE GRÈVE ET S'AFFIRME COMME LE PLUS INTRANSIGEANT DES OPPOSANTS AU PLAN DE RÉFORME DE LA SÉCURITÉ SOCIALE.. »

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