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L’érosion du politique au XXe siècle

Publié le 12/02/2022

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Durant tout le siècle, c’est donc un problème central — structurant le champ de la philosophie politique du xxe siècle autour de nombreuses contradictions — de savoir ce que représente ce peuple qui sert d’instance normative à tant de théories politiques et fonde les mobilisations du siècle. On voit bien que selon la réalité — le processus d’individuation et le rapport politique modernes ancrés dans la confrontation des citoyens — et selon les représentations que l’on s’en fait, les conclusions philosophiques et politiques divergent. Transformé en « masses », le peuple, déjà soumis aux canons de la nation, peut être effacé totalement au profit des organisations de masses. Il peut aussi être propulsé dans la soumission (Élias Canetti, Masse et Puissance, 1960). Métamorphosé en « masse », il peut présider aux destinées de la « démocratie de masse », à raison de risquer toujours la manipulation au travers des mass media (Hannah Arendt, La Crise de la culture, 1960). Identifié à un public, il devient presque spectateur d’une histoire dont personne ne cerne plus le sujet.

L’intelligence des États totalitaires : l’école de Francfort

Sans doute, les Etats totalitaires, et leurs philosophies politiques fondatrices, ont-ils largement participé à la disqualification de la fonction du peuple en politique — mais en était-il un ? — en imposant l’idée selon laquelle le parti reste le seul détenteur de la connaissance des fins légitimes de la cité. A contrario, la construction d’une philosophie politique antitotalitaire ne peut se passer de réfléchir sur la formation et la forme de ces États, sur l’existence d’un monde commun que suppose une cité vivante et sur la place essentielle du peuple en politique. Pour des raisons différentes, qui empêchent par la suite de proroger la comparaison entre les différents États totalitaires, ces derniers ont contourné le peuple (engendré par ses actes), ont fini par interdire ses actions, ont dénié sa part à ses aspirations, quand ils n’ont pas aboli tout avenir en proclamant l’existence présente de l’harmonie sociale réalisée dans l’État-parti existant. Ainsi ont-ils voulu gommer les contradictions de la modernité : viser l’unité en affirmant le principe d’une vie sociale tissée du différend. C’est pourquoi le maintien de la fiction du peuple-un et transparent à soi n’y a été efficace qu’à raison de pratiquer exclusions et anéantissements hors de toutes fautes ou délits. Assurément, la première leçon à tirer de l’examen de ces régimes

« L'érosion du politique au xx• siècle Ce que le xx• siècle, encore inachevé, oblige à cràindre plus que tout, c'est l'usurpation qui concourt à étouffer les voix dominées ou fragiles.

Si le zèle des grands récits philosophiques du XIX" siècfe attise le souffle d'enthousiasme qui parcourt la première moitié du siècle, les formules des espérances radicales, l'image d'une huma­ nité définitivement délivrée (Ernst Bloch, L'Esprit de l'utopie, 1918) cèdent rapidement le pas à l'analyse de systèmes d'autorité et de destruction spécifiques à ce siècle.

Puis, en sa fin (mais pas « à cause» d'elle), les cris des victimes ne cessent de s'amplifier, obligeant les philosophes à penser la politique sans la confondre avec le seul champ du pouvoir. Pour le xx• siècle, le corpus de la philosophie politique antérieure constitue un héritage (intellectuel) sans testament au sein duquel plusieurs orientations demeurent permises pour un philosophe qui n'a cependant plus rien du héros sauvant le monde.

Cet héritage recèle des catégories sans cesse interrogées par des événements qui font irruption et imposent la révision complète des instruments d'analyse.

Les polémiques attisées par là même indiquent que les concepts élaborés dans le passé ne possèdent de légitimité ni en soi ni pour les activités intellectuelles présentes.

Il n'empêche; cet héri­ tage existe.

Si l'idée d'une pérennité des concepts n'est plus cré­ dible-les plus pertinents restent liés à des problématiques -, rien n'empêche toutefois de se rapporter à eux afin de mesurer des écarts et mieux comprendre ce qui s'entreprend. La relecture des ouvrages philosophiques publiés depuis la Pre­ mière Guerre mondiale témoigne, au reste, d'une érosion progres­ sive du statut de l'action politique et de l'appréhension du sujet de la politique.

Cette érosion, d'ailleurs, ne concerne pas la seule on. »

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