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ALEXANDRE DUMAS PÈRE (1803-1870) : Le pont du diable

Publié le 21/05/2011

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dumas

Il faudrait plusieurs pages pour énumérer les romans d'Alex. Dumas. Celui-ci, d'ailleurs, est moins un romancier qu'un prodigieux conteur. Son ouvrage le plus populaire est : les Trois Mousquetaires (5844), où d'Artagnan, Athos, Porthos et Aramis représentent, d'une façon assez sommaire mais assez juste, quatre tempéraments différents; leurs valets, appropriés chacun à son maître, les complètent. Les quatre amis sont mêlés à l'histoire de Richelieu et de Mazarin, histoire aussi peu exacte que possible, mais vive et pittoresque. — Dans Vingt ans après (1845), Dumas nous promène, avec les mêmes personnages, en Angleterre, où nous assistons à la mort de Charles I"; puis il nous ramène à Paris, en pleine Fronde. — Le succès des Mousquetaires n'étant pas encore épuisé, Dumas en publie la suite dans le Vicomte de Bragelonne (1847), où apparaît la figure mélancolique de Mlle de la Vallière. — Citons encore Monte-Cristo (1845), le Chevalier de Maison-Rouge (1848), etc. — A la condition de ne chercher dans Alex. Dumas ni histoire, ni psychologie, et de le lire pour « passer le temps «, on est vraiment amusé par cette verve intarissable, qui rappelle celle de La Calprenède au XVIIe siècle. Dumas père a aussi laissé plusieurs volumes d'Impressions de voyage où l'on trouve en abondance de charmants contes, tels que celui-ci.

Le pont du diable (1850).

Cette légende est des plus connues. Dumas père, en la contant, n'est original que par un ton de bonhomie à la fois simple et narquoise. Tout y est amusant, et rien n'y est forcé. Dumas ne cherche pas à nous faire peur, comme s'il disait une histoire d'ogre à des petits enfants, ni à nous éblouir par un pittoresque romantique. Il s'installe tranquillement dans la légende, et son diable a tout l'air d'un personnage naturel. — Quand on y regarde bien, on s'aperçoit que le charme de ce conte vient de l'art avec lequel Dumas sait éliminer tout ce que nous pouvons trouver par nous-mêmes : il se contente de nous le suggérer. Il ne développe que ce qui est vraiment original, inattendu. — Quant à la composition, elle est dramatique; on attend avec curiosité le dénouement; et voyez combien le détail du lingot d'or, qui paraissait d'abord superflu, lui fournit une conclusion piquante. La Reuss, qui coule dans un lit creusé à soixante pieds de profondeur, entre des rochers coupés à pic, interceptait toute communication entre les Grisons et les gens d'Uri (2). Plusieurs ponts furent bâtis à frais communs, mais jamais assez solides pour qu'ils résistassent plus d'un an à la tempête, à la crue des eaux ou à la chute des avalanches. Une dernière tentative de ce genre avait été faite vers la fin du XIVe siècle, et l'hiver presque fini donnait l'espoir que le pont, cette fois, résisterait à toutes les attaques, lorsqu'un matin on vint dire au bailli de Goschenen que le passage était de nouveau intercepté. « Il n'y a que le diable, s'écria le bailli, qui puisse nous en bâtir un. « Il n'avait pas achevé ces paroles, qu'un domestique annonça : Messire Satan ! « Faites entrer, « dit le bailli. Le domestique se retira et fit place à un homme d'environ trente-cinq ans, vêtu à la manière allemande, portant un pantalon de couleur rouge, un justaucorps noir, fendu aux articulations, dont les crevés laissaient voir une doublure couleur de feu. Sa tête était couverte d'une toque noire, coiffure à laquelle une grande plume rouge donnait par ses ondulations une grâce toute particulière. Quant à ses souliers, ils étaient arrondis du bout, et un grand ergot, pareil à celui d'un coq, semblait destiné à lui servir d'éperon, lorsque son bon plaisir était de voyager à cheval. Après les compliments d'usage, le bailli s'assit dans un fauteuil et le diable dans un autre; le bailli mit ses pieds sur les chenets, le diable posa tout bonnement les siens sur la braise. « Hé bien ! mon brave ami, dit Satan, vous avez donc besoin de moi? — J'avoue, monseigneur, répondit le bailli, que votre aide ne nous serait pas inutile. — Pour ce maudit pont, n'est-ce pas? I1 vous est bien nécessaire? — Nous ne pouvons nous en passer. Tenez, soyez bon diable; faites-nous-en un. — Je venais vous le proposer. — Hé bien! il ne s'agit donc que de nous entendre... sur... « Le bailli hésita. « Sur le prix, continua Satan, en regardant son interlocuteur avec une singulière expression de malice. — Oui, répondit le bailli, sentant que c'était là que l'affaire allait s'embrouiller. — Oh! d'abord, reprit Satan, en se balançant sur les pieds de derrière de sa chaise et en affilant ses griffes avec le canif du bailli, je serai de bonne composition sur ce point. — Cela me rassure, dit le bailli. Le dernier nous a coûté soixante marcs d'or; nous doublerons cette somme pour le nouveau, mais c'est tout ce que nous pouvons faire. — Et quel besoin ai-je de votre or? reprit Satan; j'en fais quand je veux. Tenez. «.Il prit un charbon tout rouge au milieu du feu, comme il eût pris une praline dans une bonbonnière. « Tendez la main, « dit-il au bailli qui hésitait, et il lui mit entre les doigts un lingot d'or le plus pur et aussi froid que s'il fût sorti de la mine. Le bailli le tourna et le retourna en tous sens; puis il voulut le lui rendre. « Non, non, gardez, reprit Satan; c'est un cadeau que je vous fais. — Je comprends, dit le bailli, en mettant le lingot dans son escarcelle, que, si l'or ne vous coûte pas plus de peine à faire, vous aimez autant qu'on vous paye avec une autre monnaie; mais, comme je ne sais pas celle qui peut vous être agréable, je vous prierai de faire vos conditions vous-même. « Satan réfléchit un instant. « Je désire que l'âme du premier individu qui passera sur ce pont m'appartienne, répondit-il. —Soit, dit le bailli. — Rédigeons l'acte, continua Satan. — Dictez vous-même. « Le bailli se prépara à écrire. Cinq minutes après, un sous-seing privé, en bonne forme, était signé par Satan en son propre nom, et par le bailli, comme fondé de pouvoir de ses paroissiens. Le diable s'engageait formellement par cet acte à bâtir dans la nuit un pont assez solide pour durer cinq cents ans; le magistrat de son côté concédait, en paiement de ce pont, l'âme du premier individu qui passerait. Le lendemain, au point du jour, le pont était bâti. Le bailli, de bon matin, vint vérifier si le diable avait accompli sa promesse. Il vit le pont, qu'il trouva fort convenable, et, à l'extrémité opposée, il aperçut Satan assis sur une borne, attendant le prix de son travail nocturne. « Vous voyez que je suis homme de parole, dit Satan. — Et moi aussi, répondit le bailli. — Comment! reprit le diable stupéfait, vous dévoueriez-vous pour le salut de vos administrés? — Pas précisément «, continua le bailli en déposant à l'entrée du pont un sac qu'il avait apporté sur son épaule, et dont il se mit à dénouer les cordons.... Un chien, traînant une poêle à sa queue, en sortit tout épouvanté, et, traversant le pont, alla passer en hurlant aux pieds de Satan. « Eh! dit le bailli, voilà votre âme qui se sauve; courez donc après, monseigneur. « Satan était furieux ; il avait compté sur l'âme d'un homme, et il était forcé de se contenter de celle d'un chien. Il y aurait eu de quoi se damner, si la chose n'eût pas été faite. Au moment où, pour se venger, il se préparait à lancer sur son oeuvre un rocher aussi gros que les tours de Notre-Dame, il aperçut le clergé de Goschenen qui venait, croix en tête et bannière déployée, consacrer à Dieu le pont du diable. Quant au bailli, il n'entendit jamais reparler de l'architecte infernal; seulement, la première fois qu'il fouilla à son escarcelle, il se brûla vigoureusement les doigts.

(Voyage en Suisse, Calmann-Lévy, éditeur).

QUESTIONS D'EXAMEN I. — L'ensemble. — Nature du morceau : une narration.,— Narration pleine d'intérêt : le récit de la légende du Pont du Diable. — En quoi consiste l'action ? (son unité, sa rapidité, ses phases); Montrez que l'intérêt ne faiblit pas un seul instant, — et dites pourquoi; Quels sont les deux personnages mis en présence? Essayez de dégager les traits dominants du caractère de chacun d'eux; Montrez, dans la légende du Pont du Diable, la part du réel et la part du merveilleux.

II. — L'analyse du morceau. — Quel plan a suivi l'auteur? (a, l'exposition; b, l'action (ses phases); c, le dénouement); Distinguez ces différentes parties; A quoi faut-il surtout attribuer la rapidité de l'action et l'intérêt du récit? (emploi de la forme dialoguée; absence de toute description ou digression; — insister sur ces deux points); Pourquoi les ponts bâtis jusqu'alors n'avaient-ils pu résister ? A quelle condition le diable accepte-t-il de construire le pont? Comment fut-il joué par le bailli? Sur quel ton ce dernier lui dit-il « Eh! voilà votre âme qui se sauve; courez donc après, monseigneur « ? Comment se vengea le diable ?

III. — Le style; — les expressions. — Montrez la rapidité du style, dans cette narration (porter surtout l'attention sur les deux dialogues), — sa concision (pas de termes inutiles), sa parfaite clarté (rien n'est, obscur); Quel est le sens de ces deux expressions : des rochers coupés à pic, — un passage intercepté? Donnez la signification des mots suivants : bailli, justaucorps, ergot, escarcelle.

IV. — La grammaire — Indiquez quelques mots de la même famille que pont, — que diable; Quelle est l'étymologie du mot chenets ? A quel temps est chacun des verbes employés dans la deuxième phrase du morceau ? (Plusieurs- ponts furent bâtis...); Distinguez les propositions contenues dans cette phrase; — nature de chacune d'elles. Rédaction. — Qu'est-ce qu'une légende ? — un conte ? — Marquez, avec des exemples à l'appui, la différence qui existe entre une légende et un conte.   

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« pont assez solide pour durer cinq cents ans; le magistrat de son côté concédait, en paiement de ce pont, l'âme dupremier individu qui passerait.Le lendemain, au point du jour, le pont était bâti.

Le bailli, de bon matin, vint vérifier si le diable avait accompli sapromesse.

Il vit le pont, qu'il trouva fort convenable, et, à l'extrémité opposée, il aperçut Satan assis sur une borne,attendant le prix de son travail nocturne.« Vous voyez que je suis homme de parole, dit Satan.

— Et moi aussi, répondit le bailli.

— Comment! reprit le diablestupéfait, vous dévoueriez-vous pour le salut de vos administrés? — Pas précisément », continua le bailli endéposant à l'entrée du pont un sac qu'il avait apporté sur son épaule, et dont il se mit à dénouer les cordons....

Unchien, traînant une poêle à sa queue, en sortit tout épouvanté, et, traversant le pont, alla passer en hurlant auxpieds de Satan.« Eh! dit le bailli, voilà votre âme qui se sauve; courez donc après, monseigneur.

»Satan était furieux ; il avait compté sur l'âme d'un homme, et il était forcé de se contenter de celle d'un chien.

Il yaurait eu de quoi se damner, si la chose n'eût pas été faite.

Au moment où, pour se venger, il se préparait à lancersur son oeuvre un rocher aussi gros que les tours de Notre-Dame, il aperçut le clergé de Goschenen qui venait, croixen tête et bannière déployée, consacrer à Dieu le pont du diable.

Quant au bailli, il n'entendit jamais reparler del'architecte infernal; seulement, la première fois qu'il fouilla à son escarcelle, il se brûla vigoureusement les doigts. (Voyage en Suisse, Calmann-Lévy, éditeur). QUESTIONS D'EXAMENI.

— L'ensemble.

— Nature du morceau : une narration.,— Narration pleine d'intérêt : le récit de la légende du Pontdu Diable.

— En quoi consiste l'action ? (son unité, sa rapidité, ses phases); Montrez que l'intérêt ne faiblit pas unseul instant, — et dites pourquoi; Quels sont les deux personnages mis en présence? Essayez de dégager les traitsdominants du caractère de chacun d'eux; Montrez, dans la légende du Pont du Diable, la part du réel et la part dumerveilleux. II.

— L'analyse du morceau.

— Quel plan a suivi l'auteur? (a, l'exposition; b, l'action (ses phases); c, ledénouement); Distinguez ces différentes parties; A quoi faut-il surtout attribuer la rapidité de l'action et l'intérêt durécit? (emploi de la forme dialoguée; absence de toute description ou digression; — insister sur ces deux points);Pourquoi les ponts bâtis jusqu'alors n'avaient-ils pu résister ? A quelle condition le diable accepte-t-il de construirele pont? Comment fut-il joué par le bailli? Sur quel ton ce dernier lui dit-il « Eh! voilà votre âme qui se sauve; courezdonc après, monseigneur » ? Comment se vengea le diable ? III.

— Le style; — les expressions.

— Montrez la rapidité du style, dans cette narration (porter surtout l'attentionsur les deux dialogues), — sa concision (pas de termes inutiles), sa parfaite clarté (rien n'est, obscur); Quel est lesens de ces deux expressions : des rochers coupés à pic, — un passage intercepté? Donnez la signification desmots suivants : bailli, justaucorps, ergot, escarcelle. IV.

— La grammaire — Indiquez quelques mots de la même famille que pont, — que diable; Quelle est l'étymologie dumot chenets ? A quel temps est chacun des verbes employés dans la deuxième phrase du morceau ? (Plusieurs-ponts furent bâtis...); Distinguez les propositions contenues dans cette phrase; — nature de chacune d'elles.Rédaction.

— Qu'est-ce qu'une légende ? — un conte ? — Marquez, avec des exemples à l'appui, la différence quiexiste entre une légende et un conte.. »

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