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Au Pakistan, l'armée a renversé le gouvernement de Nawaz Sharif

Publié le 17/01/2022

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12 octobre 1999 C'est à trois heures du matin, heure locale, que le général Pervez Moucharraf est apparu à la télévision pakistanaise pour annoncer que l'armée avait pris le pouvoir "en dernier ressort" pour mettre fin à un gouvernement qui "détruisait systématiquement" toutes les institutions de l'Etat et conduisait le pays à l'effondrement. En uniforme et devant un portrait d'Ali Jinnah, le fondateur du Pakistan, le général Moucharraf s'est adressé, en anglais, à ses 140 millions de concitoyens, se gardant d'annoncer ses intentions à plus long terme. "Vous connaissez parfaitement le désordre et l'incertitude qui règne dans le pays", a-t-il dit avant d'expliquer que "les politiques égoïstes" suivies par le gouvernement de Nawaz Sharif avaient ébranlé "les fondations même du Pakistan". Le général Moucharraf a justifié l'intervention de l'armée en affirmant qu'elle avait répondu "à la clameur publique incessante venant de tous les côtés de l'échiquier politique pour remédier à la situation de déclin rapide". Le général Moucharraf a aussi affirmé que tous ses mises en garde au gouvernement étaient restées lettre morte. "En dépit de mes conseils, ils ont tenté d'interférer avec les forces armées, la seule institution restée viable", a-t-il dit avant d'accuser Nawaz Sharif d'avoir cherché à "politiser et déstabiliser l'armée en voulant créér des dissensions en son sein ". Dix heures après les premiers mouvements de troupes qui avaient ébranlé le pays, les Pakistanais savaient à quoi s'en tenir, même si leur avenir reste flou. L'affaire avait commencé peu après l'annonce faite à la télévision pakistanaise du limogeage du général Moucharraf et de son remplacement par le chef des services secrets, le général Ziauddin. Cette annonce était intervenue alors que le général Moucharraf était dans l'avion qui le ramenait de Colombo où il avait assisté au cinquantenaire de la création de l'armée sri-lankaise. Quelques minutes après l'annonce officielle du renvoi du général Moucharraf, des troupes étaient vues autour des bâtiments de la télévision pakistanaise qui cessait bientôt d'émettre. La chronologie des événements laisse penser que le coup, qui, selon des sources informées, était prêt depuis une à deux semaines, a été déclenché par les proches du général Moucharraf qui sont intervenus immédiatement pour occuper toutes les installations vitales du pays. Accueilli à son retour à Karachi, capitale économique du Pakistan, par un groupe de soldats alors que le coup était en cours, le général Moucharraf s'est immédiatement réuni avec ses subordonnés. L'armée a agi très rapidement dans toutes les grandes villes du pays pour "éviter des incidents regrettables", selon un porte-parole. PETITES MANIFESTATIONS Le premier ministre Nawaz Sharif et les principales personnalités de son gouvernement ainsi que l'ancien chef des services secrets, nommé à la place du général Moucharraf, sont pour l'instant en état d'arrestation, leurs maisons étant encerclées par les militaires qui ne laissent personne rentrer ou sortir. Les aéroports, dont l'armée avait rapidement pris le contrôle, notamment à Karachi, pour permettre l'atterrissage de l'avion qui ramenait le général Moucharraf, demeuraient fermés en début de matinée et des troupes étaient visibles autour de la plupart des bâtiments officiels. De petites manifestations d'appui au renversement de Nawaz Sharif ont eu lieu dans la nuit à Islamabad où des jeunes porteurs de drapeaux ont circulé dans la rue pour exprimer leur joie. Elu démocratiquement le 3 février 1997 par une très forte majorité, M. Sharif était devenu extrêmement impopulaire au fil des mois et une grande partie de l'opposition s'était récemment unie sur le seul slogan de son départ. Reste à savoir maintenant ce que va faire le général Moucharraf, qui s'est contenté d'annoncer qu'il ferait une déclaration politique plus tard. Les chances d'un retour aux élections apparaissent toutefois minces. Alors que les rumeurs de coup d'Etat circulaient il y a un mois, la solution la plus souvent avancée était que les militaires feraient appel à un gouvernement de technocrates, et on citait même alors pour le diriger le nom de Moin Kureshi, qui avait assuré l'intérim gouvernemental lors du premier renvoi de Benazir Bhutto en 1990. M. Kureshi vit à Washington. Depuis l'avertissement des Etats-Unis mettant implicitement en garde l'armée contre un coup d'Etat, celle-ci sait qu'elle ne bénéficiera pas des faveurs de Wahington à un moment où le Pakistan a un besoin urgent de l'argent frais du Fonds monétaire international (FMI). Mercredi, Michel Camdessus, directeur-général du FMI, a indiqué sur Europe 1 qu'Islamabad pourrait ne plus recevoir d'aides si la démocratie n'était pas rétablie. Le choix de technocrates cadrerait avec les inquiétudes exprimées depuis plusieurs mois par l'armée sur la nécessité de mettre de l'ordre dans les finances du pays. Il est toutefois trop tôt pour connaître les intentions réelles du général Moucharraf et les éventuelles réactions des technocrates qui seraient sollicités. Que va faire l'armée face aux demandes pressantes de Washington sur le CTBT (Traité d'interdiction des armes nucléaires) et sur la reprise du dialogue avec l'Inde ? On peut penser que cette question ne sera pas la priorité des militaires, qui semblent vouloir avant tout réorganiser la situation intérieure. Comment enfin les militaires vont-ils se comporter face à la question afghane et son corollaire, l'expansion de l'islamisme radical au Pakistan ? Un an et demi après les essais nucléaires pakistanais, cette situation ne manque pas d'inquiéter et le général Moucharraf a sans doute intérêt à lever au plus vite les incertitudes à ce sujet. NOUVEAU REVERS Le fait demeure toutefois que la démocratie, onze ans après son rétablissement, a subi un nouveau revers. La faute en incombe principalement à tous les dirigeants politiques successifs, qui l'ont vidée de sens, incapables qu'ils ont été de répondre aux besoins du pays. L'ancien premier ministre Benazir Bhutto porte, tout autant que Nawaz Sharif, la responsabilité de cet échec, et l'on voit mal aujourd'hui ce qui pourrait sortir d'improbables élections. Si le gouvernement est discrédité, l'opposition l'est tout autant, et l'armée avait depuis longtemps pris conscience que, pour beaucoup, elle n'était plus un épouvantail inacceptable. FRANCOISE CHIPAUX Le Monde du 14 octobre 1999

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