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Bertrand Delanoë, maire de Paris

Publié le 17/01/2022

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18 mars 2001 ON ne l'appellera plus jamais « Mickey », promis, et c'est bien dommage. Ce surnom affectueux lui avait été donné, à Bizerte, quand il était petit. « L'espiègle qui n'a pas peur des gros » lui va comme un gant, pourtant, victoire acquise. A 50 ans, Bertrand Delanoë n'est plus, ne peut plus être le fripon qu'il fut. Adieu Mickey, place à monsieur le maire de Paris ! Jusqu'à sa désignation comme chef de file des socialistes dans la capitale, Bertrand Delanoë était, malgré l'âge, considéré par ses rivaux, qui le connaissaient mal ou le sous- estimaient, comme un gamin vite monté en graine, turbulent, ambitieux, impatient, cabochard, sûr de lui au point d'exaspérer ses meilleurs amis. Il ne parviendrait jamais à se hisser parmi les gros bras de la politique. Encore un peu tendre, disait-on, devenu diaphane avec l'âge, insipide, couleur muraille. A Paris, il n'était à leurs yeux qu'un quidam parmi deux millions de quidams. « Un p'tit mec », disaient les plus méchants, face aux superstars Dominique Strauss-Kahn ou Jack Lang dans son camp, puis Philippe Séguin dans l'autre. C'était, sous le portrait, un contresens dans l'analyse du combat politique parisien. Tendre, diaphane ? La bataille, entre jospinistes, fut brutale, tordue par quelques coups bas. Bertrand Delanoë est à la manoeuvre d'appareil. Dominique Strauss-Kahn, éliminé de lui-même parce qu'il était mis en cause dans les affaires de la MNEF, Jack Lang évacué in extremis du combat préliminaire par son retour au gouvernement, Bertrand Delanoë a retourné en qualités ses plus gros défauts. Cet homme narcissique qui, c'est vrai, possède un ego plus grand que lui l'a mis au service de sa volonté de gagner, de prouver à ses détracteurs, encore une fois, qu'il pouvait exister par et pour lui-même. Quant à son absence de notoriété, l'inconnu Delanoë l'a transformée en une stratégie politique. Puisqu'on ne connaissait pas Delanoë, Delanoë allait mener une campagne de terrain, une campagne de militant, labourer Paris, travailler la « proximité » avec les électeurs. Champion, dans sa jeunesse, de la porte qui claque et du « moi-je-sais-tout », il l'a jouée modeste, mettant ainsi en pratique ce que son ami Lionel Jospin a théorisé sans toujours parvenir à l'appliquer. A Jack Lang, qui, pendant la primaire inaboutie pour la conduite de la campagne socialiste, plaçait en avant sa connaissance de la « gestion de l'Etat » et le réduisait volontiers au rôle de « chef de l'opposition parisienne », il répondait « engagement parisien », parité, immeubles insalubres, écoles, représentation des étrangers dans des conseils de quartier, face à un palais de la Mutualité où ne se pressaient pas que des militants parisiens. Daniel Vaillant, pour mieux assurer la victoire de Bertrand Delanoë, en avait fait venir d'autres, par cars entiers, de Seine-et-Marne, de la Somme... Delanoë se rebellait aussi d'une autre manière, avouable cette fois. Modeste, puisque c'est de bonne politique, mais pas le nez à ras du bitume : « Arrêtons de dire qu'il y a les ambitieux et ceux qui ne le seraient pas. J'ai beaucoup d'ambition, je ne manque ni d'orgueil ni de fierté. Ne vous inquiétez pas. » On ne s'inquiétait certainement pas. Et, comme s'il fallait encore en remontrer, il prenait plaisir, bien avant sa victoire, à remarquer, sur la seule base d'une campagne bien menée : « Je crois que j'ai bluffé Jospin », sa référence, fidélité réciproque, comme pour souligner l'ampleur de l'exploit en cours. Quant à Philippe Séguin, plus tard, il l'a pris, lui aussi, sur un terrain strictement municipal. Témoin ce débat télévisé au cours duquel il s'est strictement appliqué à montrer qu'il connaissait Paris et ses dossiers sur le bout des doigts, quand son adversaire venu d'ailleurs s'y perdait. Bertrand Delanoë a certes bénéficié d'une conjonction astrale favorable. Un rejet du « système Chirac » mis en place depuis l'élection du maire de Paris au suffrage universel en 1977 et incarné, même s'il s'en est défendu sur le tard, par Jean Tiberi depuis 1995. Une guerre de tranchée à droite dont les deux camps, le séguiniste et le tibériste, sont sortis également vaincus. Encore fallait-il avoir eu, pour mieux gagner, l'intelligence de ne pas se précipiter sur ces cibles trop évidentes. Elles parlaient toutes seules. Il était inutile, jugeait Delanoë, d'en rajouter. A ceux qui le pressaient d'exister vite face à un Philippe Séguin que l'on imaginait à la tête d'un escadron de chars d'assaut, il répondait : « Je ne suis pas dans le même timing que mes adversaires, il faut se garder de l'impatience. » A ceux qui s'étonnaient qu'il ne saute pas sur chaque occasion de moquer les divisions de ses adversaires, il rétorquait : « Bosser et ne pas commenter en permanence ce qui se passe ailleurs. » Et à ceux qui prenaient pour une faute son absence dans les journaux télévisés, il affirmait : « Je m'en fiche ! » Il faut bien admettre qu'il a eu raison de prétendre avoir toujours raison, cet homme qui croit en lui quoi qu'il arrive. Et puis, Paris, la France et les Français ont bien changé. Les « affaires » ont ajouté à la désacralisation de la politique. Les beaux discours lassent, les démagogues ne tiennent plus le haut du pavé. Cela, Bertrand Delanoë paraît l'avoir compris depuis longtemps, au moins depuis qu'il est devenu, en 1993, le « chef de l'opposition parisienne » en prenant la présidence du maigre groupe socialiste du Conseil de Paris. Là, il a imposé à ses amis politiques un changement radical de comportement, pratiqué « l'opposition constructive », limitée aux frontières de la capitale, de sa vie quotidienne et de ses projets. A chaque proposition du maire, une contre-proposition, réaliste de préférence, plutôt qu'une diatribe sans lendemain. La France a bien changé. Elle peut entendre sans s'émouvoir un premier ministre, Michel Rocard, lui annoncer son divorce. Puis un futur candidat à l'élection présidentielle et futur premier ministre, Lionel Jospin, lui faire connaître son nouveau mariage. Pouvait-elle écouter sans broncher un sénateur, futur maire de Paris, lui confier son homosexualité ? Eh bien, oui ! « Bien sûr, je suis homosexuel », a dit Bertrand Delanoë, le 22 novembre 1998, à M6. Cette chaîne de télévision avait contacté plusieurs hommes politiques. Bertrand Delanoë seul a accepté. Selon la meilleure de ses amies, il estimait qu'il n'avait pas à répondre à l'invitation, mais était « torturé » à l'idée de refuser, car, disait-il, « je ne pourrais plus me regarder dans la glace ». Bertrand Delanoë aussi a changé. Finis, le look dandy et les pantalons de cuir du début des années 1980, lorsqu'il était, à trente-trois ans, député de Paris, porte-parole, chargé des fédérations - poste-clé dans l'appareil du PS -, numéro 3 du parti dirigé par Lionel Jospin. Vendu, le bel appartement de Montmartre acheté à crédit pour s'adapter, en 1986, à une nouvelle vie. EXPULSÉ par les socialistes du Vaucluse, qui ne voulaient pas de lui pour les élections législatives, il avait décidé de réduire son train de vie, de vivre dans un studio de la rue de Turenne, de renouer avec une vie professionnelle privée, de créer sa petite entreprise de communication, de montrer, encore et encore, qu'il saurait exister tout seul, sans poste octroyé, sans placard doré. Moins de fêtes, comme au temps de Dalida et de sa bande. Un Delanoë calmé, moins colérique et péremptoire. A compter d'aujourd'hui, peut-être moins de « mon grand » aux messieurs et de « ma puce » aux dames. « Ça doit être l'âge » , dit- il. A Bizerte, ses parents le voyaient diplomate ou avocat. Pas franchement politique, en tout cas. Encore moins socialiste, le petit chanteur à la croix de bois, soliste soprano, élevé chez les bonnes soeurs et les curés. Et certainement pas maire de Paris. Adieu, Mickey !

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