Devoir de Philosophie

Bismarck, Pensées et souvenirs (extrait 1)

Publié le 19/02/2013

Extrait du document

En 1899, neuf ans après avoir quitté le pouvoir, Bismarck publie ses Pensées et Souvenirs. Il y revient sur l’affaire de la dépêche d’Ems, l’une des causes du déclenchement de la guerre franco-allemande de 1870-1871. Avec le ton usuellement serein et sûr de lui qui transparaît de ses Mémoires, l’ancien chancelier explique que la guerre contre le « Gaulois «, ennemi traditionnel, était une nécessité pour faire aboutir l’unité allemande. La provocation de la dépêche n’était dès lors qu’un moyen radical et rapide d’en venir aux armes et de galvaniser le patriotisme allemand.

La dépêche d’Ems de 1870

 

En présence de l’attitude de la France, le sentiment de l’honneur national, à mon avis, nous forçait à la guerre. Si nous n’écoutions pas les exigences de ce sentiment, nous perdions pour achever notre évolution nationale toute l’avance gagnée en 1866. Nous verrions nécessairement se refroidir de nouveau au sud du Mein le sentiment national allemand. Nos succès militaires de 1866 l’avaient ranimé, comme l’avait prouvé l’empressement des États du Sud à entrer dans les alliances. Dans les États de l’Allemagne du Sud, jusqu’en 1866, le germanisme, resté vivant à côté du sentiment particulariste et dynastique, avait endormi en quelque sorte la conscience politique en lui présentant la fiction d’une Allemagne unie sous la direction de l’Autriche. Soit préférence du Sud pour le vieil État impérial, soit croyance à sa supériorité militaire sur la Prusse, la fiction était populaire. Les événements avaient ensuite montré que cette appréciation était erronée. L’Autriche avait abandonné les États du Sud lors de la conclusion de la paix. Ce fait seul suffit à expliquer la conversion politique qui séparait l’ancien Væ victis de Varnbüler de l’empressement à accepter l’alliance défensive et offensive avec la Prusse. Ils avaient été gagnés par la confiance dans la force germanique qu’avait déployée la Prusse et par l’attrait qu’exerce une politique résolue et vaillante quand elle a le succès pour elle et qu’elle prend ensuite pour règles de conduite la raison et la loyauté. Cette auréole, la Prusse l’avait conquise. Elle était perdue irrévocablement, ou du moins pour un long temps si, dans une question d’honneur national, l’idée se répandait dans le peuple que l’insulte de la France : « La Prusse cane «, était réellement fondée.

 

 

Mon point de vue psychologique était le même qu’en 1864. Dans la guerre contre le Danemark, pour des raisons politiques, j’avais désiré qu’on laissât le premier rang non pas aux bataillons de la Vieille-Prusse, mais à ceux de Westphalie qui, jusqu’alors, n’avaient eu aucune occasion de montrer leur bravoure, sous la conduite de la Prusse ; et je regrettai que le prince Frédéric-Charles n’eût pas agi suivant mon désir. Me plaçant au même point de vue, j’étais convaincu que l’abîme qu’avaient creusé au cours de l’histoire, entre le sud et le nord de la patrie, la divergence des sentiments de race et de dynastie et la différence du genre de vie, ne pouvait pas être plus heureusement comblé que par une guerre nationale contre le peuple voisin, qui était notre séculaire agresseur. Je me souvenais que déjà, dans la courte période de 1813 à 1815, depuis Leipzig et Hanau jusqu’à Belle-Alliance, c’était la lutte livrée en commun et avec succès contre la France qui avait permis de faire disparaître une antinomie, je veux dire l’antithèse qui existait entre une politique docile d’États vassaux de la France de par la Confédération du Rhin et l’élan national.

 

 

[…]

 

 

Dans cette conviction j’usai de l’autorisation du roi, transmise par Abeken, de publier le contenu de la dépêche. En présence de mes deux hôtes, sans ajouter ni changer un mot, je fis quelques suppressions.

 

 

Je lus à mes deux hôtes la rédaction qui condensait la dépêche. Moltke fit alors la remarque : « Voilà qui sonne tout autrement maintenant ; auparavant on eût cru entendre battre la chamade, à présent c’est comme une fanfare en réponse à une provocation. « Je crus devoir ajouter ceci :

 

 

« Il est essentiel que nous soyons les attaqués : la présomption et la susceptibilité gauloises nous donneront ce rôle, si nous annonçons publiquement à l’Europe, autant que possible sans l’intermédiaire du Reichstag, que nous acceptons sans crainte les menaces publiques de la France. «

 

 

Source : Bismarck (prince Otto von), Pensées et souvenirs, tome 2, trad. par Jaeglé (E.), Paris, H. Le Soudier, 1899.

 

Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

Liens utiles