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CHAPITRE SEPT LE BÛCHER DE DENETHOR

Publié le 29/03/2014

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CHAPITRE SEPT LE BÛCHER DE DENETHOR

Quand l’ombre noire se retira à la Porte, Gandalf resta encore assis immobile. Mais Pippin se leva, comme débarrassé d’un grand poids, il resta à écouter les cors, et il eut l’impression qu’ils allaient lui briser le coeur de joie. Et jamais par la suite il ne put entendre un cor au loin sans que les larmes lui montassent aux yeux. Mais alors sa mission lui revint soudain à la mémoire, et il courut en avant. À ce moment, Gandalf remua et parla à Gripoil, il allait franchir la Porte.

« Gandalf, Gandalf ! « cria Pippin, et Gripoil s’arrêta.

« Que faites-vous ici ? demanda Gandalf. N’y a-t-il pas dans la Cité une loi qui oblige ceux qui portent le noir et argent à rester dans la Citadelle, sauf permission du roi ? «

« Il me l’a donnée, dit Pippin. C’est lui qui m’a renvoyé. Mais j’ai peur. Il peut se passer là-bas quelque chose de terrible. Le seigneur a perdu l’esprit, je crois. J’ai peur qu’il ne se tue et qu’il ne tue aussi Faramir. Ne pouvez-vous faire quelque chose ? «

Gandalf regarda par la Porte béante, et il entendit déjà dans les champs le son croissant de la bataille. Il serra le poing. « Je dois aller, dit-il. Le Cavalier Noir est sorti et il va encore apporter sur nous la ruine. Je n’ai pas le temps. «

« Mais Faramir ! cria Pippin. Il n’est pas mort, et ils vont le brûler vif si personne ne les arrête. «

« Le brûler vif ? dit Gandalf. Qu’est-ce que cette histoire ? Dites vite. «

« Denethor s’est rendu aux Tombeaux, répondit Pippin, il a pris Faramir, et il dit que nous devons tous brûler, qu’il ne veut pas attendre, qu’on doit édifier un bûcher et le brûler dessus, et Faramir aussi. Il a envoyé des hommes chercher du bois et de l’huile. Je l’ai dit à Beregond, mais je crains qu’il n’ose pas quitter son poste : il est de garde. Et que pourrait-il faire, de toute façon ? « Pippin déversa ainsi son récit, tout en se dressant pour toucher le genou de Gandalf de ses mains tremblantes. « Ne pouvez-vous sauver Faramir ? «

« Peut-être que si, dit Gandalf, mais dans ce cas, d’autres mourront, je le crains. Enfin… il me faut bien y aller puisqu’aucune aide ne peut l’atteindre. Mais il sortira de tout ceci du mal et de l’affliction. Même au coeur de notre place forte, l’Ennemi a le pouvoir de nous frapper : car c’est sa volonté qui est à l’oeuvre. «

Alors, ayant pris sa décision, il agit rapidement : il saisit Pippin et l’assit devant lui, puis il fit tourner Gripoil d’un mot. Ils remontèrent les rues de Minas Tirith dans une battue de sabots, tandis que le bruit de la guerre s’élevait derrière eux. Partout, des hommes, tirés de leur désespoir et de leur peur, saisissaient leurs armes et se criaient mutuellement : « Rohan est arrivé ! « Des capitaines hurlaient, des compagnies s’assemblaient, bon nombre descendaient déjà vers la Porte.

Ils rencontrèrent le prince Imrahil, qui leur cria : « Où allez-vous ainsi, Mithrandir ? Les Rohirrim se battent dans les champs de Gondor ! Nous devons rassembler toute la force que nous pouvons trouver. «

« Vous aurez besoin de chaque homme et davantage, dit Gandalf. Faites toute hâte. Je viendrai dès que je le pourrai. Mais j’ai une course à faire auprès du seigneur Denethor, qui ne souffre pas de délai. Prenez le commandement en l’absence du Seigneur ! «

Ils poursuivirent leur chemin, tandis qu’ils grimpaient et approchaient de la Citadelle, ils sentaient le vent souffler sur leur visage, et ils apercevaient au loin la lueur du matin, croissante dans le ciel du sud. Mais elle leur apportait peu d’espoir, car ils ne savaient quel mal les attendait, et ils craignaient d’arriver trop tard.

« Les ténèbres passent, dit Gandalf, mais elles pèsent encore lourdement sur cette Cité. «

À la porte de la Citadelle, ils ne trouvèrent pas de garde. « Beregond est donc parti «, dit Pippin avec un peu plus d’espoir. Ils se détournèrent et suivirent vivement la route de la Porte Close. Celle-ci était grande ouverte, et le portier gisait devant. Il avait été tué et sa clef avait été volée.

«OEuvre de l’Ennemi ! dit Gandalf. Il affectionne pareils faits, l’ami en guerre contre l’ami, la loyauté divisée dans la confusion des coeurs. « Il mit pied à terre et dit à Gripoil de regagner son écurie. « Car, mon ami, dit-il, il y a longtemps que toi et moi aurions dû rejoindre le champ de bataille, mais d’autres affaires me retiennent. Toutefois, reviens au plus vite si je t’appelle ! «

Ils franchirent la Porte et descendirent le long de la route en lacet. La lumière croissait, et les hautes colonnes et figures taillées défilaient lentement comme des spectres gris.

Le silence fut soudain rompu, et ils entendirent en contrebas des cris et un cliquetis d’épées : pareils sons n’avaient pas retenti dans les lieux sacrés depuis la construction de la Cité. Ils finirent par arriver à Rath Dinen, et ils se dirigèrent vivement vers la Maison des Intendants, qui se dressait dans le demi-jour sous son grand

dôme.

« Arrêtez ! Arrêtez ! cria Gandalf, s’élançant vers l’escalier de pierre qui précédait la porte. Arrêtez cette folie ! «

Car là étaient les serviteurs de Denethor, leurs épées et des torches à la main, mais, sous le portique, se tenait seul sur la dernière marche.

Beregond, vêtu du noir et argent de la Garde, et il tenait la porte contre eux. Deux étaient déjà tombés sous son épée, souillant le mausolée de leur sang, et les autres le maudissaient, le qualifiant de hors-la-loi et de traître à son maître.

Au moment où Gandalf et Pippin accouraient, ils entendirent la voix de Denethor, criant de l’intérieur de la maison des morts : « Vite, vite ! Faites ce que je vous ai ordonné ! Tuez ce renégat ! Ou devrai-je le faire moi-même ? « Là-dessus, la porte que Beregond tenait fermée de sa main gauche fut violemment ouverte, et, derrière lui, dans l’encadrement, se dressa le Seigneur de la Cité, grand et terrible, ses yeux flamboyaient, et il tenait une épée nue.

Mais Gandalf bondit au haut de l’escalier et les hommes s’écartèrent, se couvrant les yeux, car sa venue était comme l’irruption d’une lumière blanche en un lieu sombre, et il venait avec grande colère. Il leva la main et, dans son coup même, l’épée de Denethor jaillit en l’air, échappant à sa prise, et elle alla retomber derrière lui dans les ombres de la maison, et Denethor recula devant Gandalf, comme un homme confondu.

« Qu’est ceci, mon Seigneur ? dit le magicien. Les maisons des morts ne sont pas faites pour les vivants. Et pourquoi des hommes se battent-ils ici dans les Mausolées, alors qu’il y a suffisamment de combat devant la Porte ? Ou notre Ennemi serait-il même venu jusqu’à Rath Dinen ? «

« Depuis quand le Seigneur de Gondor est-il comptable devant vous ? s’écria Denethor. Ou ne puis-je commander à mes propres serviteurs ? «

« Vous le pouvez, dit Gandalf. Mais d’autres peuvent contester votre volonté, quand elle tourne à la démence et au mal. Où est votre fils, Faramir ? «

« Il gît à l’intérieur, dit Denethor, il brûle, il brûle déjà. Ils ont mis le feu dans sa chair. Mais bientôt tous seront brûlés. L’Ouest a failli. Il s’en ira tout entier dans un grand feu, et tout sera fini. Des cendres ! Des cendres et de la fumée emportées par le vent ! «

Alors Gandalf, voyant la folie dont l’autre était saisi, craignit qu’il n’eût déjà accompli quelque action néfaste, et il poussa en avant, suivi de Beregond et de Pippin, tandis que Denethor reculait jusqu’à la table à l’intérieur. Mais là ils trouvèrent Faramir qui délirait toujours dans sa fièvre, étendu sur la table. Du bois était entassé en dessous et haut tout autour, et tout, jusqu’aux vêtements de Faramir et aux couvertures, était arrosé d’huile, mais jusqu’alors le feu n’avait pas été mis au combustible. Gandalf révéla alors la force cachée en lui, comme la lumière de son pouvoir l’était sous son manteau gris. Il bondit sur les fagots et, soulevant légèrement le malade, il sauta de nouveau à bas et l’emporta vers la porte. Mais, comme il le faisait, Faramir poussa un gémissement et appela son père dans son rêve.

Denethor tressaillit comme quelqu’un sortant d’une transe, la flamme s’éteignit dans ses yeux, et il pleura. « Ne m’enlevez pas mon fils ! dit-il. Il m’appelle. «

« Il appelle, répondit Gandalf, mais vous ne pouvez encore aller à lui. Car il lui faut chercher la guérison au seuil de la mort, et peut-être ne la trouvera-t-il pas. Alors que votre rôle est d’aller à la bataille de votre Cité, où la mort vous attend peut-être. Cela, vous le savez dans votre coeur. «

« Il ne se réveillera plus, dit Denethor. La bataille est vaine. Pourquoi désirerions-nous vivre plus longtemps ? Pourquoi n’irions-nous pas à la mort côte à côte ? «

« Vous n’avez pas autorité, Intendant de Gondor, pour ordonner l’heure de votre mort, répliqua Gandalf. Et seuls les rois païens, sous la domination de la Puissance Ténébreuse, le firent, se tuant dans leur orgueil et leur désespoir, et assassinant leurs proches pour faciliter leur propre mort. « Puis, franchissant la porte, il sortit Faramir de la maison mortelle et le déposa sur la civière qui avait servi à l’apporter et qui avait été déposée sous le portique. Denethor le suivit et se tint tremblant, couvant du regard le visage de son fils. Et pendant un moment, alors que tous étaient silencieux et immobiles, les yeux fixés sur le Seigneur dans sa douleur, il hésita.

« Allons ! dit Gandalf. On a besoin de nous. Vous pouvez encore beaucoup. «

Alors, soudain, Denethor rit. De nouveau fier, il se redressa de tout son haut et, allant vivement à la table, il y prit le coussin sur lequel sa tête avait reposé. Il revint ensuite à la porte, écarta la couverture et voilà qu’il avait entre les mains un palantir. Et comme il l’élevait, le globe parut aux assistants commencer à luire d’une flamme intérieure, de sorte que le visage émacié du seigneur était éclairé comme d’un feu rouge, il semblait taillé dans de la pierre dure, les traits soulignés par les ombres noires, noble, fier et terrible. Ses yeux étincelaient.

« Orgueil et désespoir ! s’écria-t-il. Croyais-tu donc que les yeux de la Tour Blanche étaient aveugles ? Non, j’en ai vu plus que tu ne le sais, Fou Gris. Car ton espoir n’est qu’ignorance. Va donc et peine à guérir ! Sors combattre ! Vanité. Pour un court moment tu pourras triompher sur le terrain, pour une journée. Mais contre le Pouvoir qui se lève maintenant, il n’est pas de victoire. Seul le premier doigt de la main s’est encore étendu vers cette Cité. Tout l’Est est en mouvement. Et même à présent le vent de ton espoir te trompe et pousse sur l’Anduin une flotte aux voiles noires. L’Ouest a failli. Il est temps de partir pour quiconque ne veut pas être esclave. «

« Pareils desseins rendront assurément la victoire de l’Ennemi certaine «, dit Gandalf.

Eh bien, continue d’espérer ! dit Denethor, ricanant. Ne te connais-je pas, Mithrandir ? Ton espoir devra gouverner à ma place, et se tenir derrière chaque trône, au nord, au sud et à l’ouest. J’ai lu ta pensée et sa ligne de conduite. Ne sais-je pas que tu as ordonné à ce semi-Homme là de garder le silence ? Que tu l’as amené ici comme espion dans ma chambre même ? Et pourtant, dans nos entretiens, j’ai appris les noms et les buts de tous tes compagnons. Ainsi donc, de la main gauche tu voudrais user de moi un petit moment comme bouclier contre le Mordor, et de la droite amener le Rôdeur du Nord pour me supplanter.

« Mais, je te le dis, Gandalf Mithrandir, je ne serai pas ton instrument ! Je suis Intendant de la Maison d’Anarion. Je ne vais pas descendre jusqu’à n’être que le chambellan gâteux d’un parvenu. Même si sa revendication m’était prouvée juste, il ne vient jamais que de la lignée d’Isildur. Je ne me courberai pas devant un tel homme, dernier d’une maison loqueteuse, depuis longtemps dénuée de seigneurie et de dignité. «

« Que voudriez-vous donc, dit Gandalf, si vous pouviez appliquer votre volonté à votre guise ? «

« Je maintiendrais les choses dans l’état où elles ont été durant toute ma vie, répondit Denethor, et du temps de mes ancêtres avant moi : être le Seigneur de la Cité en paix et laisser après moi mon siège à mon fils, qui serait son propre maître et non élève d’aucun magicien. Mais si le destin me le refuse, je ne voudrai rien : ni vie diminuée, ni amour divisé, ni honneur abaissé. «

« Il ne me semblerait pas qu’un Intendant qui remet fidèlement sa charge ait à perdre en amour ou en honneur, répliqua Gandalf. Et au moins vous ne dépouillerez pas votre fils de son choix alors que sa mort est encore incertaine. «

À ces mots, les yeux de Denier flamboyèrent derechef, et, prenant la Pierre sous son bras, il tira un poignard et se dirigea à grands pas vers la civière. Mais Beregond bondit en avant et se plaça devant Faramir.

« Voilà donc ! s’écria Denethor. Tu m’avais déjà volé la moitié de l’amour de mon fils. Et maintenant tu voles aussi le coeur de mes chevaliers, si bien qu’ils me dépouillent totalement de mon fils en fin de compte. Mais en une chose au moins tu ne défieras pas ma volonté : je déciderai de ma propre fin.

« Venez ici ! cria-t-il à ses serviteurs, si vous n’êtes pas tous des traîtres ! « Deux montèrent les marches en courant. Il saisit vivement la torche des mains de l’un d’eux et s’élança à l’intérieur de la maison. Avant que Gandalf n’eût pu le retenir, il jeta le brandon parmi le combustible, qui crépita aussitôt et éclata en flammes ronflantes.

Denethor bondit alors sur la table et, se dressant là au milieu du feu et de la fumée, il ramassa le bâton de sa charge qui gisait à ses pieds et le brisa sur un genou. Il jeta les morceaux dans les flammes, puis il se courba et s’étendit sur la table, serrant des deux mains le palantir sur sa poitrine. Et l’on dit qu’à jamais après cela, si un homme regardait dans cette Pierre, à moins d’avoir une grande force de volonté pour la tourner vers d’autres buts, il n’y voyait autre chose que deux mains de vieillard se desséchant dans la flamme.

Gandalf, saisi de chagrin et d’horreur, détourna la tête et ferma la porte. Il resta un moment sur le seuil, plongé dans la réflexion et silencieux, tandis que ceux qui étaient dehors entendaient le ronflement avide du feu à l’intérieur. Et alors Denethor poussa un grand cri, puis il ne dit plus rien, et jamais plus il ne devait être vu d’aucun mortel.

« Ainsi disparaît Denethor, fils d’Ecthelion «, dit Gandalf. Puis il se tourna vers Beregond et les serviteurs du Seigneur qui restaient pétrifiés. « Et ainsi disparaissent aussi les jours du Gondor que vous avez connus, pour le bien ou pour le mal, ils sont terminés. De mauvaises actions ont été commises ici, mais que toute inimitié qui vous divise soit écartée, car elle a été ourdie par l’Ennemi et elle sert sa volonté. Vous avez été pris dans un filet de devoirs contraires que vous n’avez pas tissé. Mais pensez, vous, serviteurs du Seigneur, aveugles dans votre obéissance, que, sans la trahison de Beregond, Faramir, Capitaine de la Tour Blanche, serait également brûlé à présent. «

« Emportez de ce lieu funeste vos camarades tombés. Et nous porterons Faramir, Intendant de Gondor, à un endroit où il pourra dormir en paix, ou mourir si tel est son destin. «

Gandalf et Beregond soulevèrent alors la civière et l’emportèrent vers les Maisons de Guérison, tandis que derrière eux marchait Pippin, la tête courbée. Mais les serviteurs du Seigneur restèrent les yeux fixés sur la maison des morts, comme des hommes frappés au coeur, et au moment où Gandalf arrivait à l’extrémité de Rath Dinen, il y eut un grand bruit. Regardant en arrière, ils virent craquer le dôme de la maison, et des fumées s’échappèrent, puis, dans une précipitation et un grondement de pierres, il s’écroula au milieu d’une rafale de feu, mais les flammes dansèrent et voltigèrent toujours avec la même vigueur parmi les ruines. Alors, terrifiés, les serviteurs s’enfuirent à la suite de Gandalf.

Ils arrivèrent enfin à la Porte de l’Intendant, et Beregond regarda le portier avec chagrin. « Je regretterai éternellement cet acte, dit-il, mais j’étais emporté par une folie de hâte et, sans vouloir écouter, il a tiré l’épée contre moi. « Puis, utilisant la clef qu’il avait arrachée de la main de l’homme tué, il referma la porte. « Cette clef devrait maintenant être remise au seigneur Faramir «, dit-il.

« Le prince de Dol Amroth a le commandement en l’absence du Seigneur, dit Gandalf, mais puisqu’il n’est pas ici, je dois décider moi-même. Je vous confie la clef, que vous conserverez jusqu’à ce que l’ordre soit rétabli dans la Cité. «

Ils passèrent enfin dans les cercles hauts de la Cité, et, dans la lumière du matin, ils gagnèrent les Maisons

« dôme. « Arrêtez ! Arrêtez ! cria Gandalf, s’élançan t vers l’escalier de pierre qui précédait la porte.

Arrêtez cette folie ! » Car là étaient les serviteurs de Denethor, leurs épées et des torches à la main, mais, sous le portique, se tenait seul sur la dernière marche. Beregond, vêtu du noir et argent de la Garde, et il tenait la porte contre eux.

Deux étaient déjà tombés sous son épée, souillant le mausolée de leur sang, et les autres le maudissaient, le qualifiant de hors -la - loi et de traître à son maître. Au moment où Gandalf et Pippin accouraient, ils entendirent la voix de Denethor, criant de l’intérieur de la maison des morts : « Vite, vite ! Faites ce que je vous ai ordonné ! Tuez ce renégat ! Ou devrai - je le faire moi -même ? » Là -dessus, la porte que Beregond tenait fermée de sa main gauche fut viol emment ouverte, et, derrière lui, dans l’encadrement, se dressa le Seigneur de la Cité, grand et terrible, ses yeux flamboyaient, et il tenait une épée nue. Mais Gandalf bondit au haut de l’escalier et les hommes s’écartèrent, se couvrant les yeux, car sa venue était comme l’irruption d’une lumière blanche en un lieu sombre, et il venait avec grande colère.

Il leva la main et, dans son coup même, l’épée de Denethor jaillit en l’air, échappant à sa prise, et elle alla retomber derrière lui dans les ombres de la maison, et Denethor recula devant Gandalf, comme un homme confondu.

« Qu’est ceci, mon Seigneur ? dit le magicien.

Les maisons des morts ne sont pas faites pour les vivants.

Et pourquoi des hommes se battent -ils ici dans les Mausolées, alors qu’il y a suffisamment de combat devant la Porte ? Ou notre Ennemi serait -il même venu jusqu’à Rath Dinen ? » « Depuis quand le Seigneur de Gondor est -il comptable devant vous ? s’écria Denethor.

Ou ne puis - je commander à mes propres serviteurs ? » « Vous le pouvez, dit Gandalf.

Mais d’autres peuvent contester votre volonté, quand elle tourne à la démence et au mal.

Où est votre fils, Faramir ? » « Il gît à l’intérieur, dit Denethor, il brûle, il brûle déjà.

Ils ont mis le feu dans sa chair.

Mais bient ôt tous seront brûlés.

L’Ouest a failli.

Il s’en ira tout entier dans un grand feu, et tout sera fini.

Des cendres ! Des cendres et de la fumée emportées par le vent ! » Alors Gandalf, voyant la folie dont l’autre était saisi, craignit qu’il n’eût déjà acc ompli quelque action néfaste, et il poussa en avant, suivi de Beregond et de Pippin, tandis que Denethor reculait jusqu’à la table à l’intérieur.

Mais là ils trouvèrent Faramir qui délirait toujours dans sa fièvre, étendu sur la table.

Du bois était entass é en dessous et haut tout autour, et tout, jusqu’aux vêtements de Faramir et aux couvertures, était arrosé d’huile, mais jusqu’alors le feu n’avait pas été mis au combustible.

Gandalf révéla alors la force cachée en lui, comme la lumière de son pouvoir l’é tait sous son manteau gris.

Il bondit sur les fagots et, soulevant légèrement le malade, il sauta de nouveau à bas et l’emporta vers la porte.

Mais, comme il le faisait, Faramir poussa un gémissement et appela son père dans son rêve. Denethor tressaillit c omme quelqu’un sortant d’une transe, la flamme s’éteignit dans ses yeux, et il pleura.

« Ne m’enlevez pas mon fils ! dit -il.

Il m’appelle.

» « Il appelle, répondit Gandalf, mais vous ne pouvez encore aller à lui.

Car il lui faut chercher la guérison au seu il de la mort, et peut- être ne la trouvera-t- il pas.

Alors que votre rôle est d’aller à la bataille de votre Cité, où la mort vous attend peut - être.

Cela, vous le savez dans votre cœur.

» « Il ne se réveillera plus, dit Denethor.

La bataille est vaine.

Pou rquoi désirerions- nous vivre plus longtemps ? Pourquoi n’irions -nous pas à la mort côte à côte ? » « Vous n’avez pas autorité, Intendant de Gondor, pour ordonner l’heure de votre mort, répliqua Gandalf.

Et seuls les rois païens, sous la domination de la Pu issance Ténébreuse, le firent, se tuant dans leur orgueil et leur désespoir, et assassinant leurs proches pour faciliter leur propre mort. » Puis, franchissant la porte, il sortit Faramir de la maison mortelle et le déposa sur la civière qui avait servi à l’apporter et qui avait été déposée sous le portique.

Denethor le suivit et se tint tremblant, couvant du regard le visage de son fils.

Et pendant un moment, alors que tous étaient silencieux et immobiles, les yeux fixés sur le Seigneur dans sa douleur, il hésita.

« Allons ! dit Gandalf.

On a besoin de nous.

Vous pouvez encore beaucoup.

» Alors, soudain, Denethor rit.

De nouveau fier, il se redressa de tout son haut et, allant vivement à la table, il y prit le coussin sur lequel sa tête avait reposé.

Il rev int ensuite à la porte, écarta la couverture et voilà qu’il avait entre les mains un palantir.

Et comme il l’élevait, le globe parut aux assistants commencer à luire d’une flamme intérieure, de sorte que le visage émacié du seigneur était éclairé comme d’u n feu rouge, il semblait taillé dans de la pierre dure, les traits soulignés par les ombres noires, noble, fier et terrible.

Ses yeux étincelaient. « Orgueil et désespoir ! s’écria -t- il.

Croyais -tu donc que les yeux de la Tour Blanche étaient aveugles ? No n, j’en ai vu plus que tu ne le sais, Fou Gris.

Car ton espoir n’est qu’ignorance.

Va donc et peine à guérir ! Sors combattre ! Vanité.

Pour un court moment tu pourras triompher sur le terrain, pour une journée.

Mais contre le Pouvoir qui se lève maintenan t, il n’est pas de victoire.

Seul le premier doigt de la main s’est encore étendu vers cette Cité.

Tout l’Est est en mouvement.

Et même à présent le vent de ton espoir te trompe et pousse sur l’Anduin une flotte aux voiles noires.

L’Ouest a failli.

Il est temps de partir pour quiconque ne veut pas être esclave. ». »

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