Devoir de Philosophie

Commentaire du texte « Guerre » de Voltaire, Dictionnaire philosophique

Publié le 15/09/2006

Extrait du document

voltaire

 

LE TEXTE :

 

Un généalogiste prouve à un prince qu'il descend en droite ligne d'un comte dont les parents avaient fait un pacte de famille, il y a trois ou quatre cents ans avec une maison dont la mémoire même ne subsiste plus. Cette maison avait des prétentions éloignées sur une province dont le dernier possesseur est mort d'apoplexie : le prince et son conseil concluent sans difficulté que cette province lui appartient de droit divin. Cette province, qui est à quelques centaines de lieues de lui, a beau protester qu'elle ne le connaît pas, qu'elle n'a nulle envie d'être gouvernée par lui ; que, pour donner des lois aux gens, il faut au moins avoir leur consentement : ces discours ne parviennent pas seulement aux oreilles du prince, dont le droit est incontestable. Il trouve incontinent un grand nombre d'hommes qui n'ont rien à perdre ; il les habille d'un gros drap bleu à cent dix sous l'aune, borde leurs chapeaux avec du gros fil blanc, les fait tourner à droite et à gauche et marche à la gloire. Les autres princes qui entendent parler de cette équipée y prennent part, chacun selon son pouvoir, et couvrent une petite étendue de pays de plus de meurtriers mercenaires que Gengis Khan, Tamerlan, Bajazet n'en traînèrent à leur suite.  Des peuples assez éloignés entendent dire qu'on va se battre, et qu'il y a cinq à six sous par jour à gagner pour eux s'ils veulent être de la partie : ils se divisent aussitôt en deux bandes comme des moissonneurs, et vont vendre leurs services à quiconque veut les employer. Ces multitudes s'acharnent les unes contre les autres, non seulement sans avoir aucun intérêt au procès, mais sans savoir même de quoi il s'agit. Il se trouve à la fois cinq ou six puissances belligérantes, tantôt trois contre trois, tantôt deux contre quatre, tantôt une contre cinq, se détestant toutes également les unes les autres, s'unissant et s'attaquant tour à tour ; toutes d'accord en seul point, celui de faire tout le mal possible. Le merveilleux de cette entreprise infernale, c'est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d'aller exterminer son prochain.

 

INTRODUCTION

 

Le XVIIIème siècle est marqué par le courant des philosophes des Lumières. Dans son article « Guerre « extrait du Dictionnaire philosophique, François Marie Arouet (Voltaire),   montre l'effroi et surtout la stupidité de la guerre au travers de l’ironie. Ce texte peut être classé de texte philosophique car Voltaire va, par l'intermédiaire du prince, utiliser plusieurs techniques pour instruire son lecteur. Ainsi, nous allons étudier la façon dont est écrit ce récit qui est peu banal. Donc dans un premier temps nous observerons que cet article « Guerre « fait partie d’un conte « classique « puis nous verrons dans un deuxième temps  qu'il s'agit en réalité d'un conte renversé de ces principes habituels pour enfin y déchiffrer une invitation à la réflexion.

 

PARTIE 1

 

Nous allons étudier premièrement les marques du conte classique dans cet article « Guerre « de Voltaire. Dans la première ligne, « Un généalogiste prouve à un prince qu'il descend en droite ligne d'un comte «,Voltaire a donné à son personnage principal des caractéristiques du conte : un prince qui descend d'une grande lignée possédant des origines nobles qui ne peut que susciter le doute puisqu'ici il s'agit d'un généalogiste censé être qualifié, qui en fait démonstration. Ce prince est comme un héros, un héros de conte, noble, possédant « une province « l4, un « droit divin «l6 et le « pouvoir « l16. Mais il ne s'agit cependant pas d'un « prince charmant «, personnage "type" des contes dits populaires où celui-ci intervient en général à la fin de ce conte pour délivrer une princesse en danger et l'épouser, en ayant souvent auparavant franchi avec du courage nombre d'obstacles comme un combat contre une affreuse sorcière ou un dragon  et qui se passe sans pitié puis ensuite pénètre une forêt maléfique ou escalade des murs d’un château... La noblesse du prince de Voltaire n'est en réalité qu'un voile et celui-ci se révèle rapidement prétentieux, débordant d’envie de pouvoir et de richesses puisque celui-ci n'hésite pas à s'emparer d’« une province « qui lui appartiendrait grâce à « un pacte de famille, il y a trois ou quatre cents ans « l2. Voltaire reprend donc les marques de l'irréel. Ainsi nous pouvons nous interroger sur le véritable lieu de l'action : « une maison « l3, « une province « l4, « une petite étendue du pays « l16. Nous pouvons noter alors que rien n'est clairement explicite et que l'on reste dans l'indéfini. On peut ajouter le manque d'informations temporelles puisque nous savons seulement qu'un pacte fut effectué « il y a trois ou quatre cents ans «. On peut aussi souligner la répétition accrue de pronoms démonstratifs tels que « cette « l3 ;l5 ; l11 et « ces « l7 et l17. Cette anaphore veut souligner les événements qui s'enchaînent tour à tour de façon inévitable pour ainsi faire contraster chaque partie du texte et former, comme dans un conte, une histoire pleine d’action dans laquelle les événements sembleraient "programmés" à l'avance. Une sorte de logique s’est alors formée et le lecteur de ce fait, doit devenir méfiant. Voltaire emploie donc l'exagération avec la répétition de mots pour bouleverser certains aspects du conte.

 

PARTIE 2

 

L'auteur renonce entièrement aux notions du conte classique et érige les lignes de son histoire autrement, afin de créer une aventure sanguinaire : c'est le passage du conte anodin à la dénonciation philosophique de la guerre. La guerre est toujours présente dans le texte et le champ lexical est multiple : « mercenaire « l12, « puissances belligérantes « l19, « attaquant « l21, « exterminer « l33 et « gloire « l10. Cependant, il est à noter que la guerre n'apparaît pas comme une activité ordonnée, le vocabulaire se réduit d'ailleurs à celui d'enfants qui joueraient à la guerre. Il s'agit ici de « se battre « l15 en « bande l15 « ou en « équipe « l11 afin de « gagner « la guerre comme s'il s'agissait d'un jeu auquel on doit absolument participer. Chaque prince est de la partie.Il ne sait même pas pourquoi il se bat puisqu'il n'en tire pas même un bénéfice : « Ces multitudes s'acharnent les unes contre les autres, non seulement sans avoir aucun intérêt au procès, mais sans savoir même de quoi il s'agit «l17 et l8. En riant de ses personnages, le philosophe casse plus efficacement leurs idées pour mieux dénoncer l'absurdité de cette violence. La guerre, est vue comme un jeu entièrement puéril est donc tournée de mépris et l'on assiste à une parade grossière où des hommes revêtus d'une pièce d'habit militaire tournent « à droite et à gauche « l10 et « vendent leur services à quiconque veut les employer «. Ces soldats sont dépourvus d'esprit et agissent comme des machines, sans âme ni réflexion. On peut noter également la comparaison des soldats à une moissonneuse l15-16 destinés à « faucher « l'équipe adverse. Cependant il ne faut pas perdre de vu que ce sont des hommes qui sont destinés à mourir, la perception des événements se révèle alors horrible et la guerre devient jugée par le lecteur comme criminelle et absente de raison. En outre, les soldats se livrent à une lutte « acharnée « en ayant ainsi, un seul but borné et incompréhensible : « faire tout le mal possible «. Ainsi, Voltaire a dépassé le simple conte et a fait de son texte un conte philosophique qui vise à dénoncer l'atrocité de la guerre. Cette description de l'atrocité de la guerre et cette raillerie mène le lecteur à poursuivre sa réflexion.

 

PARTIE 3

 

Dans ce troisième temps, nous étudierons grâce à l'ironie et au ridicule de Voltaire, son invitation à mener le lecteur dans sa réflexion. Ce texte fut imprimé dans le Dictionnaire Philosophique, et se définit comme un article, le lecteur est invité par lui-même à déchiffrer le message laissé par l'auteur. Cependant, de nombreux indices sont laissés grâce, entre autre, à l'ironie s'appuyant sur de multiples procédés présents dans le texte tels que l'antiphrase avec « le droit incontestable « l8 du prince. On retrouve également le grand désir de vaincre des soldats, à vouloir s'unir « pour s'attaquer tour à tour « l20 et « faire tout le mal possible « l21. De plus, nous nous apercevons que les princes ne sont pas de vaillants chevaliers mais sont plutôt comparables à des « meurtriers sanguinaires « l12 tels que Tamerlan et Bajazet, guerriers impitoyables, ou Gengis Khan. Il en vient au lecteur de déchiffrer par lui-même le véritable contenu du texte et ainsi d'en tirer un enseignement, qui vise à faire disparaître la tyrannie, le totalitarisme et tous autres type de pouvoir semblables. Voltaire conclue son texte en poussant son ironie au plus loin : « Le merveilleux dans cette entreprise infernale, c'est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d'aller exterminer son prochain «. Le nom commun « merveilleux « vient s’opposer à « l'infernal « puis ensuite à « meurtrier « et enfin à « exterminer «. Le sens du mot merveilleux utilisé de manière ironique peut s'apparenter à la religion. D'ailleurs, ces hommes assoiffés de sang n'hésitent pas à s'accaparer l'image de la bonté divine en exerçant toute sorte de rituels tels que « bénir leurs drapeaux « et « invoquer Dieu «. Dieu, lui, est du côté de chacun mais ne peut tolérer la guerre fraternelle.. Dieu fait alors penser aux guerres de religion qui sont encore aujourd'hui d'actualité telles les guerres en Irak. Puisque l'Eglise bénit la guerre et sacrifie les enfants de Dieu, elle n'est plus universelle et devient absurde. Il est à noté que Voltaire était Déiste et s'opposait vivement à la religion. Voltaire veut donc enseigner à ses lecteurs une position réaliste à adopter face aux malheurs du monde et envisager de s'engager auprès de leurs congénères pour améliorer la société.

 

CONCLUSION

 

L'article « Guerre « de Voltaire présente donc de multiples intérêts puisque celui-ci nous expose un récit qui, à première vue ressemble à un conte classique. Cependant nous remarquons rapidement que derrière ce masque se profile une argumentation bien disposée. La stratégie argumentative de Voltaire est des plus évidentes : en se moquant des actes des personnages qui ne partagent pas sa vision du monde, il les rend ridicules et peu convaincants. Ainsi Voltaire peut critiquer avec violence le pouvoir impérial et ses liens avec la religion et, grâce à son ironie, l'écrivain parvient subtilement à entraîner le lecteur à réagir face aux guerres. Voltaire contribue de ce fait au bouleversement des mentalités qui a abouti à la Révolution.

 

Liens utiles