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Daniel Foe, dit Defoe : ROBINSON CRUSOÉ

Publié le 16/03/2010

Extrait du document

[...] J'étais alors à terre et en sûreté sur la rive ; je commençai à regarder le ciel et à remercier Dieu de ce que ma vie était sauvée, dans un cas où, quelques minutes auparavant, il y avait à peine lieu d'espérer. Je crois qu'il serait impossible d'exprimer au vif ce que sont les extases et les transports d'une âme arrachée, pour ainsi dire, du plus profond de la tombe. Aussi ne suis-je pas étonné de la coutume d'amener un chirurgien pour tirer du sang au criminel à qui on apporte des lettres de surséance juste au moment où, la corde serrée au cou, il est près de recevoir la mort, afin que la surprise ne chasse point les esprits vitaux de son coeur, et ne le tue point.    Car le premier effet des joies et des afflictions soudaines est d'anéantir.    Absorbé dans la contemplation de ma délivrance, je me promenais çà et là sur le rivage, levant les mains vers le ciel, faisant mille gestes et mille mouvements que je ne saurais décrire ; songeant à tous mes compagnons qui étaient noyés, et que pas une âme n'avait dû être sauvée excepté moi ; car je ne les revis jamais, ni eux, ni aucun vestige d'eux, si ce n'est trois chapeaux, un bonnet et deux souliers dépareillés.    Alors je jetai les yeux sur le navire échoué ; mais il était si éloigné, et les brisants et l'écume de la lame étaient si forts, qu'à peine pouvais-je le distinguer ; et je considérai, ô mon Dieu ! comment il avait été possible que j'eusse atteint le rivage.    Après avoir soulagé mon esprit par tout ce qu'il y avait de consolant dans ma situation, je commençai à regarder à l'entour de moi, pour voir en quelle sorte de lieu j'étais, et ce que j'avais à faire. Je sentis bientôt mon contentement diminuer, et qu'en un mot ma délivrance était affreuse, car j'étais trempé et n'avais pas de vêtements pour me changer, ni rien à manger ou à boire pour me réconforter. Je n'avais non plus d'autre perspective que celle de mourir de faim ou d'être dévoré par les bêtes féroces. Ce qui m'affligeait particulièrement, c'était de ne point avoir d'arme pour chasser et tuer quelques animaux pour ma subsistance, ou pour me défendre contre n'importe quelles créatures qui voudraient me tuer pour la leur. Bref, je n'avais rien sur moi, qu'un couteau, une pipe à tabac, et un peu de tabac dans une boîte. C'était là toute ma provision ; aussi tombai-je dans une si terrible désolation d'esprit, que pendant quelque temps je courus çà et là comme un insensé. À la tombée du jour, le coeur plein de tristesse, je commençai à considérer quel serait mon sort s'il y avait en cette contrée des bêtes dévorantes, car je n'ignorais pas qu'elles sortent à la nuit pour rôder et chercher leur proie.    La seule ressource qui s'offrit alors à ma pensée fut de monter à un arbre épais et touffu, semblable à un sapin, mais épineux, qui croissait près de là, et où je résolus de m'établir pour toute la nuit, laissant au lendemain à considérer de quelle mort il me faudrait mourir ; car je n'entrevoyais encore nul moyen d'existence. Je m'éloignai d'environ un demi-quart de mille du rivage, afin de voir si je ne trouverais point d'eau douce pour étancher ma soif : à ma grande joie, j'en rencontrai. Après avoir bu, ayant mis un peu de tabac dans ma bouche pour prévenir la faim, j'allai à l'arbre, je montai dedans, et je tâchai de m'y placer de manière à ne pas tomber si je venais à m'endormir ; et, pour ma défense, ayant coupé un bâton court, semblable à un gourdin, je pris possession de mon logement. Comme j'étais extrêmement fatigué, je tombai dans un profond sommeil, et je dormis confortablement comme peu de personnes, je pense, l'eussent pu faire en ma situation, et je m'en trouvai plus soulagé que je crois l'avoir jamais été dans une occasion de ce genre. [...] 

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