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Daniel GUERIN, Front populaire, révolution manquée, Paris, Maspero, 1970

Publié le 02/03/2014

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Daniel GUERIN, Front populaire, révolution manquée, Paris, Maspero, 1970 

 

Daniel Guérin, l’auteur de l’ouvrage Front populaire, révolution manquée a appartenu au milieu des années 30 au mouvement de Gauche Révolutionnaire (tendance de la SFIO) de Marceau Pivert, puis plus tard à la création de la PSOP (Parti Socialiste Ouvrier et Paysan). Dans son œuvre, il cherche une synthèse du marxisme et de l’anarchisme souhaitant ainsi trier le meilleur des deux idéologies. 

En 1920, 15 ans après la création de la SFIO, une majorité est en faveur de la scission du parti dans le but de créer la Section Française de l’Internationale Communiste, ce qui sera chose faite à l’issu du congrès de Tours. Léon Blum, partisan de la minorité et leader de la SFIO depuis 1919 défendra jusqu’au bout l’unité du parti. Selon lui, c’est le socialisme démocratique qui doit subsister afin d’empêcher la quête du pouvoir par l’action révolutionnaire. Cette phrase célèbre résume un « pacifisme « clairement revendiqué : « Nous sommes convaincus jusqu’au fond de nous-mêmes que pendant que vous irez courir à l’aventure, il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison. « 

Depuis la fin du Congrès de Tours de 1920, 68% sont en faveur de la création de la SFIC qui deviendra par la suite le PCF. Au départ, le nouveau parti communiste français a comme principe identitaire une opposition à la SFIO mais à partir de 1932 et de l’arrivée de Maurice Thorez le parti se stabilise et en 1934, le PCF change de stratégie en décidant de s’allier avec les autres partis de gauche pour faire face au fascisme grandissant suite à la victoire des nazis en Allemagne en 1933 et à la tentative de coup d’Etat des ligues factieuses d’extrêmes droites. Tout de suite après cette émeute, les forces de gauche s’unissent autour de l’antifascisme et partout en France se constituent des comités antifascistes. L’initiative ne vient pas seulement des partis politiques mais c’est toute une population qui prend conscience des risques de l’expansion du fascisme. Cette dynamique d’union démarre dès février 1934. Ainsi on se met d’accord sur un programme de réformes acceptables par toute la gauche et Marceau Pivert fait pression sur la direction de la SFIO pour accepter la main tendue des communistes. 

En quoi le cheminement jusqu’à l’Elysée de Léon Blum a-t-il été parcouru par des problèmes socio-économiques et accompagné de vives critiques au sein du Front populaire et comment ce dernier a-t-il réussi à éviter une révolution presque imminente ? Afin de répondre à ces questions, nous aborderons dans une première partie la situation socio-économique du pays à cette époque puis nous verrons dans une seconde partie quelles ont été les méthodes d’action du chef du gouvernement, Léon Blum, pour maintenir la paix civile ou éviter la révolution populaire. 

 

I- Malgré la formation du Front populaire, une situation socio-économique tendue 

A) Une situation sur le point d’exploser 

En mai 1936, ont lieu les élections législatives et le but des partis de gauche est d’empêcher la victoire de la droite et de constituer un gouvernement favorable aux classes populaires. C’est une victoire triomphante de la SFIO de Léon Blum, du parti radical d’Edouard Daladier et du parti communiste de Maurice Thorez, qui soulève dans les classes populaires un espoir d'autant plus grand que le pays est tétanisé depuis plusieurs années déjà par la crise économique dérivée du krach de Wall Street de 1929. 

Mais l’engouement, qui a conduit le parti au triomphe électoral le 3 mai 1936, se poursuit avec l’idée du troisième tour c'est-à-dire, la pression sociale. Le mouvement social explose donnant ainsi une double légitimité (par les urnes et par la rue) au gouvernement et le poussant à prendre de vraies réformes sociales rapidement. 

Les premières grèves se déclenchent en province, et ce sont toutes des grèves avec occupation, « des grèves sur le tas « (Le Havre, Toulouse…). A partir du 26 mai, une vague de grève sans précédent se met en place dans la métallurgie parisienne, c’est 35 000 ouvriers qui arrêtent le travail chez Renault. Des usines entières sont occupées. 

En souvenir de la Commune de Paris, un immense rassemblement a lieu le 24 mai . Les participants y brandissent des drapeaux rouges en chantant des hymnes révolutionnaires ce qui montre bien la volonté d’action de la population. A partir du 2 juin de nombreuses corporations se mettent en grève telles que la chimie, l’alimentation, le textile, l’ameublement, le pétrole, la métallurgie, etc. Et à partir du 5 pour la première fois c’est au tour des vendeurs de journaux, des tenanciers de kiosques, des employés de salles de spectacle, des garçons de café, des coiffeurs, etc. 

Ces grèves sont spontanées et ne sont pas lancées par les syndicats. Les communistes refusent toujours de rentrer dans le gouvernement. Le 4 juin, le gouvernement est enfin constitué, l’investiture est prévue pour le 6 juin et cela déclenche une vague de grève encore plus forte. Le processus ne se calme pas, l’ensemble des secteurs professionnels sont touchés : c’est une grève générale qui se met en place dans le secteur privé mais on ne sabote pas les installations. 

 

B) Les reproches fait à Blum 

Léon Blum leader de la SFIO à la chambre des députés depuis 1919 devrait être proclamé chef du gouvernement quand il l’aura formé suite à la victoire du Front Populaire et à la supériorité numérique des députés de la SFIO à la Chambre. Ce qui lui fait défaut c’est le manque d’expérience de son parti pour gérer un gouvernement, c’est la première fois qu’un gouvernement socialiste est au pouvoir. De plus il a du mal à former celui-ci compte tenu du refus des communistes et des responsables syndicaux d’y participer et de répartir les portes-feuilles ministériels entre les autres responsables politiques. C’est pour ces multiples raisons qu’il attend le 4 juin pour investir l’Elysée, reproche qui lui est fait par Marceau Pivert instituteur laïc et surtout chef de fil de la tendance gauche révolutionnaire de la SFIO. Selon lui, tout de suite après le triomphe du Front populaire, le chef du gouvernement aurait dû investir l’Elysée et contenter l’attente populaire croissante c'est-à-dire prendre « des mesures énergiques contre les grandes féodaux capitalistes « et de ne pas « couler purement et simplement la matière en fusion de l’enthousiasme populaire dans le vieux moule de la démocratie et du parlementarisme bourgeois «. 

L'aile gauche de la SFIO soutient pleinement la grève générale : dans un article publié dans Le Populaire le 27 mai, Marceau Pivert presse Léon Blum de s'appuyer sur ces mouvements sociaux pour envisager une vraie conquête du pouvoir, clamant que « tout est possible «. En somme, le gouvernement ne doit pas freiner les travailleurs, « s’il y avait des résistances du Sénat, s’il y avait des résistances de la rue, la classe ouvrière les brisera «. 

 

II- Un Léon Blum pragmatique qui canalise la révolte 

A’) Des acquis sociaux historiques 

Dès le lendemain de la « déclaration ministérielle «, le 7 juin 1936, le gouvernement pousse la CGT et le patronat à signer les accords de Matignon. Sous l’extrême pression révolutionnaire et la menace d’une révolution bolchevik en France, le patronat est près à céder un bon nombre de choses. Ainsi, les accords de Matignon permettent « la reconnaissance du droit syndical «, « la hausse des salaires de 7 à 15% pour les catégories les plus défavorisées «, soit 12% en France en moyenne. Peu après les accords de Matignon, on vote au parlement les premiers « congés payés « de deux semaines ainsi que « la semaine de 40 heures « au lieu de 48. Cependant, ces accords n’affaiblissent pas les mouvements de grèves qui ébranlent le pays et les occupations se poursuivent souvent jusqu’en juillet. 

La retraite des mineurs est votée le 29 juillet et, le 28 août, les allocations chômage, en même temps qu’un budget de 20 milliards de francs pour de grands travaux et l’électrification des communes rurales. Un grand processus de nationalisation est mis en place dans différents secteurs ; aéronautique, armement, ferroviaire ainsi que des réformes dans la Banque de France où le pouvoir de l’Etat s’accroit. 

Dans l’éducation et les loisirs, des changements radicaux s’appliquent comme la scolarité obligatoire jusqu’à quatorze ans et la multiplication de passerelles entre l’enseignement primaire et secondaire. Le Front populaire fit aussi un gros effort en matière d'éducation et loisirs. On enrichit les musées et on facilite leurs accès. Léo Lagrange, sous-secrétaire d’Etat, le 10 juin 1936 dira « Notre but simple et humain, est de permettre aux masses de la jeunesse française de trouver dans la pratique des sports, la joie et la santé et de construire une organisation des loisirs telle que les travailleurs puissent trouver une détente et une récompense à leur dur labeur. « 

 

B’) Mais des miettes par rapport au désir social 

Le mouvement social a fait pression sur ce gouvernement sans véritable programme et qui l’a poussé à en adopter un très vite. Ce gouvernement bénéficie d’une double légitimité ; celle des urnes et celle de la rue. Léon Blum voit la lutte de classe s’installer dans les entreprises. La pression de ce mouvement social va conduire son gouvernement à aller bien au-delà de l’accord de janvier 1936 entre les radicaux, la SFIO et le PCF. Le gouvernement prend l’initiative de rassembler le patronat (comité des forges) avec la CGT et la CFTC dans l’idée d’établir une grande négociation sociale. Le gouvernement Blum va devoir très vite faire adopter les accords en une série de lois. Ces réformes (congés payés, le texte sur les conventions collectives, les quarante heures…) vont être votées à une quasi-unanimité : 563 voix pour les congés payés contre une par exemple. Tout ceci n’aurait pas pu être possible sans ce mouvement social. Mais le mouvement social continue et la SFIO, la CGT et le PCF appelle à une reprise du travail. 

Du côté du patronat, on est pris de cours. Il y a toute une réflexion enclenchée en son sein en 1936 et c’est à partir de ce moment là que vont être développés des échelons intermédiaires entre les ouvriers et la direction. Apparition des techniciens, des ingénieurs, des cadres… « Comment éviter un nouveau 1936 ? « Ni les quarante heures, ni les congés payés ne figuraient dans le programme du Front populaire. La mobilisation de la rue a permis des avancées sociales et le patronat, au vue de l’ampleur de la mobilisation est content de s’en tirer à si bon compte. 

Au sein de la gauche, il y a de nombreuses controverses sur ce gouvernement et ses réalisations. Ce gouvernement a duré moins d’un an ; dés février 1937 on fait une pause sur les réformes sociales. De plus le gouvernement a été confronté a d’énormes problèmes en matière économique (fuite des capitaux, fiasco de la politique de relance…). Ce gouvernement est toujours resté dans la légalité, ce n’est pas un gouvernement de rupture par rapport au capitalisme. Blum a voulu montrer que l’on pouvait avoir des avancées sociales sans changer le système. Etant donnée l’attente sociale et le résultat qui n’est pas à la hauteur, beaucoup d’intellectuels comme Daniel Guérin n’hésiteront pas à dire que 1936 est une révolution manquée. 

 

Bibliographie 

Daniel Guérin, Front populaire : une révolution manquée, Paris, Actes Sud, 1997. 

Serge Wolikow, Le Front populaire en France, Paris, Complexe, 1996. 

Xavier Vigna, Jean Vigreux, Serge Wolikow, dir, Le pain, la paix, la liberté, expériences et territoires du Front populaire, Paris, Editions sociales, 2006. 

Frédéric Bluche, Manuel d’histoire politique de la France contemporaine, PUF Droit, Coll. Droit fondamental, 2006 

 

www.assemblee-nationale.fr 

www.cairn.info

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