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Edouard Balladur porté par son ambition présidentielle

Publié le 22/02/2012

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4 novembre 1994 - L'homme que le président de la République a nommé premier ministre au lendemain des élections législatives de 1993 est aujourd'hui candidat à sa succession. Cette évolution ne doit rien au hasard. Au long de ses vingt et un mois de gouvernement, Edouard Balladur a mis au service d'une ambition nourrie depuis 1988 l'habileté d'un politique accompli, le savoir-faire d'un habitué des plus hautes sphères de l'Etat, la ténacité de qui entend arriver seul au but qu'il s'est fixé. Il a été aidé par la chance, qui ne lui a pas manqué, même si les obstacles qu'il a rencontrés étaient loin d'être faciles à surmonter. De la conclusion des négociations du GATT, en décembre 1993, à la prise d'otages de l'Airbus d'Alger, un an plus tard, le premier ministre a su négocier et décider, tout en tirant le meilleur parti des ministres qu'il avait choisis. Porté par l'opinion dès le printemps de 1993, Edouard Balladur a consolidé sa position dans l'électorat de droite, que sa candidature ne saurait surprendre. Les Français en avaient fait un premier ministre avant même que François Mitterrand, le 29 mars 1993, ne le nomme à la tête du gouvernement. Vingt mois plus tard, Edouard Balladur peut penser que les électeurs sont décidés à lui confier la présidence de la République sans qu'il lui soit utile de mener vraiment campagne. Pour cet homme qui se meut dans les palais nationaux comme s'il était né avec un sceptre au-dessus de son berceau, la politique semble finalement quelque chose d'assez simple. Et pourtant, quelle formidable volonté, quel extraordinaire contrôle de lui-même pour faire oublier une analyse antérieure, qui interdisait à un " cohabitant " de briguer l'Elysée pour surmonter, sans dégâts apparents, les difficultés nées des aléas de la vie gouvernementale et des erreurs commises pour transformer en évidence une minutieuse conquête du pouvoir ! C'est bien avec cette idée en tête qu'Edouard Balladur s'est mis en situation d'être le second chef de gouvernement que la droite imposerait à François Mitterrand. La campagne présidentielle de 1988 l'avait convaincu que Jacques Chirac ne pourrait jamais conquérir la présidence de la République le dédain avec lequel l'avaient traité ses " compagnons " du RPR, au lendemain de leur défaite, lui a donné l'envie de démontrer que, lui, il pourrait faire mieux que l'autre héritier du pompidolisme. Le reste n'a été affaire que de patience, de stratégie, de chance. Matignon n'aura été utilisé par M. Balladur que comme un tremplin vers l'Elysée. Nul ne l'envisageait sérieusement il y a vingt mois, sauf lui et, probablement, les deux hommes dont il a fait les bras armés de sa campagne, d'abord souterraine, puis flagrante : Nicolas Sarkozy, à qui il a confié l'important ministère du budget et le soin de porter la parole du gouvernement Nicolas Bazire, dont il a fait le directeur de son cabinet. Les Français, une fois encore, ont été plus perspicaces que les professionnels de la politique, puisque, dès le milieu du mois de mai de 1993, ils avaient fait du premier ministre, dans les sondages, le meilleur des " présidentiables " de la droite. Depuis, il n'a pas quitté cette place enviable. Tout a été fait, dès le début, pour conquérir cette position, puis pour la rendre inexpugnable. Les électeurs de droite ne supportent plus la " guerre des chefs " : il compose un gouvernement où RPR et UDF sont à parité. Les Français ne veulent pas que triomphent des revenants revanchards : il fait de Simone Veil, symbole d'ouverture et de conciliation, la première de ses ministres. Les citoyens sont obsédés par la sécurité et l'immigration : il confie ces dossiers à Charles Pasqua. Nul ne veut de heurt entre la nouvelle majorité et un chef de l'Etat qui dispose encore de deux ans de mandat : il se fait l'apôtre d'une cohabitation harmonieuse, promettant de respecter " la lettre et l'esprit de la Constitution ". Le bon peuple rêve d'un monarque républicain : M. Balladur arrive à pied à Matignon, annonce à grand son de trompe qu'il va réduire les crédits de réception de l'Etat, que ses ministres devront, comme lui, être économe des avions que la République met à leur disposition. Chacun le croit. Le première bataille est gagnée c'était celle de la communication. Matignon n'aura été utilisé par le premier ministre que comme un tremplin vers l'Elysée Bâtir une image de gouvernant sérieux et désintéressé a été à peine plus difficile. Dès la première réunion du conseil des ministres, il assure que " sa seule préoccupation est de gouverner, à l'exclusion de toute autre ". Pour réduire le déficit budgétaire, afin d'accélérer une baisse des taux d'intérêt que M. Balladur se flatte d'avoir obtenu par un simple retour de la " confiance " dû à son arrivée au pouvoir, une forte ponction est opérée sur les revenus des ménages. Cette stratégie, qui ne peut avoir que des effets néfastes sur la relance économique, ne peut durer longtemps dès le 25 avril, il en change en annonçant le lancement d'un grand emprunt, dont l'extraordinaire succès lui permettra d'assurer qu'il dispose de la confiance des épargnants, faute d'avoir celle des " dîners en ville " parisiens. Le chômage est, déjà, pour lui l'obsession d'un homme qui redoute d'être jugé, en avril 1995, sur le nombre de sans-emploi. Il se plaint du patronat, avec lequel il n'aura jamais de bons rapports, mais assure qu'il prend la tête de ce combat-là. L'été est délicat. Au cours d'un terrible maëlstrom monétaire, le franc est attaqué. Pour éviter une dévaluation, M. Balladur est contraint d'obtenir de l'Allemagne un accroissement des marges de fluctuation dans le système monétaire européen. Il n'oubliera jamais que la ferme demande de Philippe Séguin d'une " autre politique " a affaibli la confiance dans le franc et que, dans cette épreuve, M. Chirac ne lui a apporté qu'un soutien très mesuré. Déjà, le 19 juillet, une vive algarade avait opposé les deux hommes lors d'un déjeuner réunissant les dirigeants de la majorité. Si le premier ministre continue d'assurer qu'il n'est là que pour " améliorer la situation de la France ", le président du RPR commence à comprendre que son " ami de trente ans " a un autre objectif, ne serait-ce que parce que celui-ci, dès le 12 août, refuse de lui reconnaître publiquement le titre de " candidat naturel " du RPR à l'élection présidentielle. Dans cette crise monétaire, M. Balladur profite, au moins, d'un appui sans restriction de M. Mitterrand. Pendant vingt mois, les deux patrons de l'exécutif ne s'opposeront vraiment que sur la politique militaire, le chef de l'Etat imposant au chef du gouvernement le maintien du moratoire sur les essais nucléaires. Bien des membres du RPR verront là une faiblesse coupable. Le soutien présidentiel est tout aussi acquis au premier ministre dans l'épreuve qu'il savait, dès son arrivée à Matignon, être la plus redoutable pour lui : la négociation du GATT. Il la surmonte brillamment et en tire, immédiatement, un profit intérieur en obtenant, le 15 décembre, un vote massif de confiance de l'Assemblée nationale. L'automne, décidément, lui a été bénéfique. Il a réussi, aussi, à démontrer la force de la majorité de droite en obtenant du président de la République une réforme de la Constitution restreignant le droit d'asile, ce qui lui permet de donner un nouveau gage à l'aile sécuritaire de ses futurs électeurs. Enhardi par ces succès, M. Balladur commet des erreurs qui vont le couper de ceux qui, à gauche, lui avaient, un temps, fait confiance. Il commence par imposer une réforme, à la hussarde, de l'antique loi Falloux, permettant ainsi aux collectivités locales d'aider les écoles confessionnelles. Ce faisant, il met dans la rue des centaines de milliers de défenseurs de l'école publique et il n'est dispensé de leur céder que parce que le Conseil constitutionnel annule cette réforme. Céder, le premier ministre a pourtant appris à le faire. En octobre 1993, il avait dû reculer devant les grévistes d'Air France mais, alors, il avait pu arguer que cela lui avait permis de prendre le temps d'imposer une réforme de l'entreprise. Il ne peut user de la même défense lorsqu'il ne comprend pas que la création du contrat d'insertion professionnelle, bien vite assimilé à un " SMIC-jeunes ", sert de détonateur au malaise d'une jeunesse qui n'accepte plus l'incapacité de la société à l'intégrer. Il lui faudra plus d'un mois, une série de manifestations, en province comme à Paris et un second tour d'élections cantonales pas aussi bon pour la droite qu'elle l'espérait pour qu'il se décide, le 30 mars 1994, à retirer des décrets dont personne ne voulait. Durant l'été, la quasi-absence de M. Mitterrand, après sa deuxième opération, permet à M. Balladur de revêtir l'habit d'un " président de la République de fait ", tout particulièrement dans la gestion du drame rwandais. Cet acquis lui permet de surmonter, au moins dans un premier temps, les ennuis de certains de ses ministres avec la justice. La démission contrainte d'Alain Carignon du gouvernement se passe sans fracas. En revanche, les tergiversations du premier ministre quand Gérard Longuet est à son tour dans le collimateur des juges confirment que, là encore, il n'a pas pris la mesure du véritable tremblement de terre que représente la mise au jour de la corruption. A force d'hésiter à trancher, il est contraint de courir après les initiatives de Philippe Séguin. Sans le vouloir, Jacques Delors vient à son secours. La crédibilité de la candidature du président de la Commission de Bruxelles convainc la droite que ses divisions la conduisent au désastre et que seul M. Balladur est en mesure de le lui éviter. Quand l'espoir de la gauche renonce, celui de la droite est déjà solidement installé. La bonne fin de la prise d'otages de l'Airbus vient lui donner, à Noël, l'ultime " coup de pouce " qui lui manquait. THIERRY BREHIER Le Monde du 19 janvier 1995

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