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Empire, second

Publié le 13/02/2013

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1   PRÉSENTATION

Empire, second, régime politique de la France du 2 décembre 1852 au 4 septembre 1870.

Le second Empire fit longtemps l'objet d'un dénigrement général. Ce dénigrement avait de remarquables formulations littéraires — du Victor Hugo des Châtiments à la série des Rougon-Macquart d'Émile Zola. Il avait aussi des appuis politiques, celui des milieux républicains qui s'imposèrent dans la ruine du second Empire, lequel était la trahison à leurs yeux d'une République et celui des monarchistes pour lesquels Napoléon III faisait figure d'usurpateur supplémentaire. Une relecture plus sereine de cette période commença après la Seconde Guerre mondiale et surtout au moment de l'avènement de la Ve République, dans la mesure où le gaullisme s'apparentait par certains aspects au bonapartisme du second Empire. Cette relecture s'appuyait aussi sur la mise en évidence du décollage de l'économie française durant la période ; elle s'appuyait aussi sur le constat d'une évolution politique qui transforma un Empire au départ très autoritaire en un Empire assez libéral.

2   LES INSTITUTIONS

Comme le premier Empire, le second fut l'œuvre d'un homme et d'un coup d'État. Les institutions furent donc d'emblée marquées par la puissance accordée au pouvoir exécutif et à ses moyens de contrôle — la police, l'armée, l'administration. Il fut aussi marqué par la faveur accordée dans le texte constitutionnel à l'Église catholique qui avait manifesté dans l'enthousiasme son soutien au régime né du coup d'État de 1851. La marche vers l'Empire se fit dans le cadre de la Constitution du 14 janvier 1852. Le passage à l'Empire fut décidé par le sénatus-consulte du 7 novembre, ratifié par plébiscite les 20 et 21 novembre et proclamé solennellement le 2 décembre 1852.

La Constitution donnait au président de la République la totalité des pouvoirs politiques. Il était assisté d'un gouvernement, d'un Conseil d'État auquel les ministres pouvaient appartenir et qu'il présidait, d'un Corps législatif élu « par la population « (formule vague qui permettait éventuellement de restreindre le suffrage universel), à raison d'un député pour 35 000 électeurs, d'un Sénat dont les membres, nommés à vie, étaient de droit les dignitaires de l'armée et de l'Église, et, parmi eux, ceux que le président nommait dans la limite de 150.

L'initiative des lois revenait au seul président, le Corps législatif s'en tenant à leur discussion et à leur vote sans droit d'amendement. Le Sénat en vérifiait la constitutionnalité et, éventuellement, pouvait proposer des ajouts et des modifications à la Constitution par sénatus-consulte ; dans tous les cas, l'initiative devait en être approuvée par le président et celui-ci seul apportait ou refusait sa sanction aux textes adoptés. Le Conseil d'État était chargé de la rédaction des projets de loi. D'autres textes adoptés jusqu'en 1856 renforçaient encore la puissance de l'empereur, le sénatus-consulte du 7 novembre et le décret impérial du 12 décembre 1852 entérinant le passage à l'Empire.

Le régime ainsi constitué se plaçait sous deux patronages : celui, longuement évoqué dans la proclamation du 14 janvier 1852, du Consulat et de l'Empire (« J'ai pris comme modèle les institutions qui, au lieu de disparaître au premier souffle des agitations populaires, n'ont été renversées que par l'Europe entière coalisée contre nous «) ; celui, rappelé sommairement mais nettement dans l'article I, des « grands principes proclamés en 1789, et qui sont la base du droit public français «.

Le personnage qui s'attribuait ainsi la puissance publique était le neveu de Napoléon Ier par Jérôme et Hortense de Beauharnais ; il était, depuis 1832, l'héritier par primogéniture masculine de la dignité impériale. Si sa jeunesse avait été marquée par son engagement dans la Charbonnerie et un certain militantisme social (publication de l'Extinction du paupérisme, en 1843) qui l'avaient rapproché des saint-simoniens (voir Saint-Simon, Claude Henri de Rouvroy, comte de) et conduit en prison au fort de Ham, sa rentrée en politique d'abord discrète puis tonitruante aux élections de décembre 1848 s'était faite sur la base d'un conservatisme flou dans lequel chacun pouvait retrouver ses aspirations. Malgré le mépris dont l'enveloppa la majeure partie de la classe politique en place (« C'est un crétin «, aurait dit Adolphe Thiers), il sut progressivement placer ses familiers aux postes les plus importants — duc de Morny, Eugène Rouher, duc de Persigny, Achille Fould et, bientôt, le baron Haussmann. Ce groupe venait des cercles saint-simoniens ou de son entourage familial direct. L'empereur conserva toujours une autorité certaine sur ses alliés et sut, par l'intermédiaire de pensions qui dépendaient de sa seule libéralité pour celles accordées aux membres du Conseil d'État et aux sénateurs, par l'intermédiaire de fonctions d'autorité judicieusement attribuées, en particulier celles de préfets, élargir sa clientèle rapidement.

Héritier de Napoléon, il fut toujours sensible à sa popularité. Alors que les résultats électoraux aux législatives et lors des plébiscites avaient progressivement régressé, celui du 8 mai 1870 instituant l'Empire libéral où le « oui « l'emporta à plus de 69 p. 100 lui fit s'écrier : « J'ai retrouvé mon chiffre ! « Le résultat était effectivement excellent, d'autant qu'il ne reposait plus sur les directives sévères imposées aux électeurs par l'administration préfectorale. Le régime pratiquait en effet la « candidature officielle «, dont la propagande se faisait par voie d'affiches blanches financées par l'État, pour les législatives. Les opposants, sévèrement censurés, ne disposaient pratiquement d'aucune presse (décret du 17 février 1852) et voyaient leurs possibilités de réunions publiques limitées à moins de 20 personnes (décret du 25 mars 1852).

3   L'EMPIRE AUTORITAIRE

Dans ce cadre constitutionnel, les premières années de l'Empire furent celles de « l'Empire autoritaire «. La plupart des opposants républicains étaient en exil, tels Hugo à Jersey, qui faisait parvenir sous le manteau en France son Napoléon le Petit, ou Louis Blanc. Le Corps législatif, sans pouvoir ni possibilité de divulguer autre chose de ses débats que le procès-verbal visé par l'empereur, pouvait tout de même être, comme le Tribunat du premier Empire, un espace de débat réel : Napoléon III désigna le fidèle Morny, son demi-frère, comme président.

La population, dont les manifestations d'opposition furent rares et surveillées jusqu'à la manie (tel commissaire du Cambrésis dénonçant en 1853 le mauvais esprit d'un industriel qui avait utilisé une peinture peu onéreuse pour ses huisseries parce que cette peinture était rouge) fut soumise à une propagande qui, outre les journaux impériaux publiés dans tous les départements, utilisait les placards, les brochures que rédigeaient des rédacteurs souvent issus des milieux révolutionnaires de 1848. On célébrait le retour à l'Ordre, la fin du règne des politiciens bavards, le mariage d'amour de l'empereur avec Eugénie de Montijo (29-30 janvier 1853). Les rares sociétés ouvrières furent très vite démantelées (la Marianne ou la Cocotte), alors que le couple impérial rencontrait les canuts (ouvriers de l'industrie de la soie à Lyon). Seul le conflit des ardoisiers en 1855 eut quelque importance. Les paysans, les couches moyennes, satisfaites de la prospérité et de l'ordre, étaient favorables au régime.

L'Église, qui avait soutenu le coup d'État, fut choyée à l'origine par l'Empire. Mais celui-ci, très vite, affirma une conception gallicane qui divisa les clercs (voir gallicanisme) ; les ultramontains favorables au pape s'exprimaient dans l'Univers de Louis Veuillot, que Napoléon fit censurer à plusieurs reprises. Par ailleurs, un catholicisme libéral, favorable à des réformes, était défendu par le comte de Montalembert ou Mgr Dupanloup, dans des cercles bien étroits comme l'Académie française où il s'exprimait — tout comme les oppositions légitimiste et orléaniste — par de fines et obscures allusions à Tacite. Des tensions liées à l'expression, dans la presse autorisée, d'un certain anticléricalisme (le Siècle) se révélèrent quand le gouvernement prit la défense du vieux chansonnier Pierre Jean de Béranger contre les attaques fulminantes de Veuillot.

La politique extérieure de cette première période fut faite de choix relativement heureux. La guerre de Crimée (mars 1854-janvier 1856), marquée par le long siège de Sébastopol permit à la France, alliée au Royaume-Uni, de renouer avec la victoire contre la Russie. Isoler cette dernière en obtenant la neutralité des Prussiens et des Autrichiens pour pouvoir prendre la défense de l'Empire ottoman et garantir ainsi la liberté du passage dans les détroits, c'était en même temps se donner la possibilité de revenir sur les traités du congrès de Vienne. De février à avril 1856, le congrès de Paris fut un triomphe diplomatique en même temps qu'une réorientation politique et diplomatique majeure : plutôt que vers l'Autriche, Napoléon se tourna vers la Grande-Bretagne libérale et vers le Piémont dont le ministre Cavour était le porte-drapeau des ambitions nationales du Risorgimento, ambitions qu'il exprima lors de la séance de clôture du congrès (8 avril 1856). Entre-temps, la naissance en mars 1855 du prince impérial, l'ouverture de l'Exposition universelle la même année, avaient encore renforcé le prestige de la France.

La croissance économique importante, en particulier par l'intermédiaire de la réalisation accélérée du réseau ferroviaire, la prospérité agricole avec une augmentation de la surface utile, de la productivité et des opérations spectaculaires d'aménagement comme la plantation de la forêt landaise, une politique sociale favorisant les sociétés coopératives et de secours mutuel, la constitution d'établissements dont le succès semblait irrésistible comme le Crédit mobilier des frères Pereire et la faveur accordée aux rentiers et aux boursiers, tout cela donna à Napoléon III le désir de conforter sa légitimité en avançant les élections du Corps législatif, lesquelles eurent lieu en juin 1857.

Or il y eut, outre 90 p. 100 des suffrages exprimés en faveur des candidats officiels, 35 p. 100 d'abstention, ce qui était beaucoup, et surtout des élus républicains à Lyon et à Paris ; après les élections complémentaires d'avril 1858, sept députés républicains siégèrent au Corps législatif, dont Jules Favre et Émile Ollivier. L'empereur fut tenté de supprimer le suffrage universel. De plus, le 14 janvier 1858, il échappa à l'attentat d'Orsini. Une répression très dure fut mise en place par le général Espinasse (loi de sûreté générale de février). Plus de 400 républicains furent arrêtés et condamnés alors qu'il était établi qu'Orsini, défendu par Jules Favre, avait agi seul. Napoléon III, poussé par son gouvernement, refusa la grâce et Orsini fut exécuté le 13 mars.

L'attentat d'Orsini fut l'un des éléments par lesquels Napoléon III prépara l'intervention en Italie ; la brochure anonyme (rédigée par La Guéronnière) l'Empereur Napoléon et l'Italie, l'alliance franco-sarde, l'entrevue de Napoléon III et Cavour à Plombières (juillet 1858) attisèrent les tensions avec l'Autriche qui attaqua le Piémont le 29 avril 1859. Le 3 mai, la France déclara la guerre à l'Autriche et Napoléon, à la tête de ses troupes, arriva en Italie en juin. Le 4 juin, la victoire réelle de Magenta puis, le 24, la bataille plus confuse de Solférino constituèrent l'essentiel de cette brève campagne d'Italie, que l'empereur interrompit pour ouvrir les pourparlers à Villafranca. Le traité final fut signé à Zurich le 10 novembre, autorisant le Piémont à annexer la seule Lombardie. La crainte d'une mobilisation des troupes prussiennes et le constat des insuffisances de l'armée française expliquaient en partie l'ouverture précipitée des négociations par l'empereur. Celui-ci, cependant, laissait les mains libres au Piémont pour envahir la Romagne pontificale (mars 1860) ; en échange, la Savoie et Nice purent choisir leur rattachement à la France. Le fossé s'élargissait entre le régime et les catholiques ultramontains alors que l'empereur se rapprochait doucement des républicains et surtout des libéraux.

De plus, dans le même temps, l'Empire réalisait une véritable révolution douanière en signant avec le Royaume-Uni un traité de commerce prohibant les taxes sur les matières premières et les limitant sur les produits manufacturés. Ce traité fut conclu le 23 janvier 1860. Il avait été préparé dans le plus grand secret par Napoléon III et ses conseillers marqués par la pensée saint-simonienne : Fould, Michel Chevalier, Rouher ; le théoricien britannique Richard Cobden fut l'interlocuteur des Français. Suivi par d'autres traités avec la Prusse, puis avec la plupart des pays européens, ce « coup d'État douanier « rompait avec la longue tradition française de protectionnisme mercantiliste, tradition dont Napoléon Ier lui-même s'était fait le défenseur.

La plupart des choix économiques de l'empereur procédèrent de cet esprit libéral : en témoignèrent l'appel à l'investissement volontaire par l'emprunt public (novembre 1854), loi sur la propriété industrielle favorisant les créations collectives (mai 1855), assouplissement concernant la législation commerciale (juillet 1856), appui au projet du canal de Suez commencé en avril 1859, garantie d'État sur les obligations des chemins de fer (juin 1859). Les entreprises se multiplièrent, industrielles et financières comme la Société générale créée en décembre 1859.

En même temps coexistaient curieusement une sorte de folie de la « fête impériale « dont Morny était l'un des plus ardents acteurs, folie de dépenses et parfois de débauches qui permettaient l'épanouissement du talent d'un Jacques Offenbach ou d'un Eugène Labiche, et les rigueurs de la justice qui s'abattaient sur Madame Bovary que le juge condamnait comme « roman lascif « (sic !), ou sur les Fleurs du mal. Le second Empire, même s'il les condamna, fut donc pour Flaubert et Baudelaire une période de création littéraire importante, poésie et littérature bénéficiant, comme tous les domaines artistiques, des retombées de la prospérité. La bourgeoisie triomphante investissait dans les salons de peinture, les théâtres, les opéras et permettait, en marge de l'art pompier ou du style Napoléon III, un bouillonnement intellectuel remarquable.

4   L'EMPIRE LIBÉRAL

Les progrès économiques qui donnèrent aux groupes de pression libéraux une influence plus forte ; les heurts de plus en plus fréquents avec la droite légitimiste et ultramontaine ; la permanence probable chez l'empereur d'une certaine conception sociale ; la reconnaissance d'une implantation républicaine décidément irrépressible, à la fois dans les plus grandes villes (Paris, Lyon, Lille) et dans les « campagnes rouges « du Centre et du Sud : tout cela poussa l'empereur à progressivement atténuer le caractère autoritaire du régime.

Le passage à l'Empire libéral se manifesta par une série continue de mesures politiques, sociales et institutionnelles : ainsi furent adoptés le décret d'amnistie pour les proscrits de 1851 (15 août 1859) ; le décret accordant au Corps législatif le droit d'adresse (24 novembre 1860) ; un élargissement de la publicité des débats au Corps législatif (2 février 1861) ; l'autorisation accordée à Henri Louis Tolain de diriger une délégation ouvrière française à l'exposition de Londres (juillet-octobre 1862) ; la loi sur les coalitions autorisant le droit de grève (25 mai 1864) ; le droit d'amendement accordé par sénatus-consulte au Corps législatif, ainsi qu'une indemnité accordée aux députés (18 juillet 1866) ; l'accroissement des pouvoirs du Sénat (14 mars 1867) ; la libéralisation du régime de la presse (11 mai 1868) ; l'abrogation par sénatus-consulte des dispositions qui réduisaient le Corps législatif à une simple Chambre d'enregistrement (8 septembre 1869) ; et, surtout, le sénatus-consulte du 21 mai 1870 « fixant la Constitution de l'Empire «, fondé sur le plébiscite du 8 mai 1870 approuvant par 7,3 millions de « oui « contre 1,5 million de « non « les réformes libérales.

Ces mesures successives furent plus des concessions ou des réactions défensives que des initiatives. Ainsi, l'interdiction de l'Univers de Veuillot fit-elle suite, après la défaite des « zouaves pontificaux « de Lamoricière face aux troupes piémontaises, à une virulente campagne des ultramontains contre la politique italienne de l'empereur qui s'exprima jusqu'au Corps législatif et au Sénat, où cette politique ne recueillit que 60 p. 100 des votes des sénateurs. Des rapprochements d'opposition avaient lieu entre les ultramontains et les libéraux orléanistes (Victor Cousin, Thiers, Guizot), souvent protestants, que l'on retrouvait parmi les défenseurs de la société de Saint-Vincent-de-Paul interdite par le duc de Persigny, ministre de l'Intérieur.

Les progrès des oppositions se manifestèrent clairement aux législatives de 1863 : les abstentions de 1857 se convertirent en votes pour les candidats opposants. À Paris, les républicains remportèrent les 9 sièges mis en jeu. Au total, 17 républicains furent élus, ainsi que 15 « indépendants « ; les candidats officiels n'avaient souvent dû leur élection qu'au ralliement antirépublicain des monarchistes. Alors que Persigny avait de nouveau déployé une propagande intensive et exercé une pression scandaleuse sur les électeurs (dénoncée par le jeune Jules Ferry), le résultat, sans être catastrophique, laissait une marge d'action importante aux opposants à l'Empire. Dans l'entourage impérial, Morny poussait vers les réformes et obtint le ralliement d'Émile Ollivier, choisi comme rapporteur de la loi sur les coalitions en 1864, mais sa mort laissa Rouher, conservateur soucieux de préserver le soutien des classes aisées, principal conseiller de Napoléon III. Celui-ci, à partir de 1865, réorienta clairement ses choix constitutionnels dans le sens libéral, hostiles au mouvement ouvrier qui, entre 1862 et 1864, avait été courtisé mais qui utilisait effectivement, au grand dam des industriels, le droit de coalition qu'on lui avait accordé. Le gouvernement apporta aux patrons le soutien de la troupe, qui tira à plusieurs reprises sur les grévistes, faisant 14 morts parmi les grévistes à la Ricamarie en 1869.

L'économie avait continué à faire l'objet d'une législation intensive ; les lois sur la reconnaissance de la valeur du chèque, sur les sociétés anonymes en furent des résultats durables. La fondation du Crédit Lyonnais, des magasins du Printemps, du Bon Marché, de la Samaritaine, de Lip, l'ouverture du canal de Suez à l'occasion de laquelle Verdi composa Aïda, la mise au point de l'hydroélectricité, du Celluloïd ou des engrais potassés traduisent le dynamisme maintenu des entrepreneurs français. La période fut surtout marquée par l'haussmannisation de Paris, en premier lieu, puis de la plupart des grandes villes françaises ; grands et larges axes reliant les gares, places circulaires, bâti homogène d'immeubles à sept étages et toiture en zinc le long des boulevards, édification d'espaces de loisirs (jardins publics comme les Buttes-Chaumont à Paris, théâtres, opéras) : tout cela prolongeait l'impression de prospérité impériale. Non sans incertitudes : étonnée par les maquettes de l'Opéra de Paris, l'impératrice Eugénie se serait récriée : « Cela n'a pas de style ! «, et l'architecte Charles Garnier lui aurait répondu : « Si, votre altesse : c'est du Napoléon III. « La peinture officielle et académique (« pompier «) d'un Jean-Louis Ernest Meissonnier ne parvenait plus à cacher que la vraie nouveauté était exposée chaque année au salon des Refusés où le Déjeuner sur l'herbe de Manet fit scandale en 1863.

Les indices de crises surtout se multipliaient. Faillites retentissantes comme celle du Crédit mobilier des Pereire ; crise de production comme en 1867-1868 ; multiplication des mouvements sociaux, des associations syndicales clandestines : le régime s'avérait incapable de maintenir la prospérité, l'ordre public et l'autorité des élites sociales. Le prince Jérôme Napoléon (« Plon-Plon «) pérorait sur les réformes nécessaires et accomplissait avec l'aval du baron Haussmann des opérations immobilières suspectes (arcades de la rue de Rivoli) ; Jules Ferry put publier, en 1867, malgré tout, une brochure qui fit mouche. Intitulée les Comptes fantastiques d'Haussmann en référence à l'opérette d'Offenbach, elle montrait comment l'opération gigantesque de transformation de la capitale se faisait au prix d'un endettement, de prévarications, de pots-de-vin multiples.

L'évolution vers l'Empire libéral ne fut donc pas vraiment une évolution vers la gauche révolutionnaire ; Émile Ollivier, incarnation de la modification de l'Empire, était de fait très hostile aux socialistes et aux républicains les plus radicaux. Cette évolution fut encore accélérée par les échecs de la France en matière de politique étrangère.

L'affaire mexicaine, commencée en 1861, s'acheva en désastre : Maximilien, le candidat français au trône mexicain, fut fusillé par les insurgés (19 juin 1867). L'effondrement de l'Autriche à Sadowa face à la Prusse ôta à la France tout moyen de peser sur les négociations ; les « compensations « qu'elle demandait pour n'être pas intervenue dans le conflit lui furent refusées. Ce rôle, elle l'avait déjà réclamé en vain au sujet de la guerre de Sécession américaine et dans l'affaire du Schleswig-Holstein qu'annexa la Prusse de Bismarck. L'apogée du congrès de Paris en 1856 était bien oubliée : la France ne pouvait plus peser sur la diplomatie européenne. En matière coloniale toutefois, elle progressait notablement malgré des difficultés sérieuses au Cambodge et à Madagascar. Cela fut insuffisant pour renverser la tendance globale à l'affaiblissement.

La Constitution adoptée en 1870 proposait un régime effectivement libéral, bicamériste, avec un rôle législatif et financier important attribué au Corps législatif et un rôle de contrôle effectif donné au Sénat. La volonté libérale de Napoléon III s'était traduite dès le début de l'année par le renvoi du baron Haussmann comme préfet de la Seine et par le choix, comme ministre principal chargé de former le gouvernement, d'Émile Ollivier. Mais, alors que les résultats du plébiscite semblaient garantir l'assise du régime, celui-ci s'effondra dans la guerre contre la Prusse.

Celle-ci eut pour cause immédiate la « dépêche d'Ems «, une opération sans doute soigneusement combinée par les services secrets allemands : Bismarck annonçait à la presse que l'ambassadeur français, venu demander à Guillaume Ier la promesse de ne plus tenter d'installer la dynastie Hohenzollern sur le trône d'Espagne, avait été reçu de façon humiliante par l'empereur allemand. Le 19 juillet, la France déclarait la guerre à la Prusse. Très vite, les défaites s'accumulèrent en Alsace et dans les Ardennes (l'armée française était inférieure en nombre, en armement et surtout en préparation). Napoléon III, qui avait personnellement pris le commandement de ses troupes, se fit enfermer avec son armée à Sedan où il dut capituler le 2 septembre (voir franco-allemande, guerre (1870-1871)). Dès la nouvelle parvenue à Paris, un gouvernement provisoire de la République était mis en place : le second Empire était mort.

Ce régime avait fait entrer la France dans l'ère du capitalisme industriel et financier. Le pays avait retrouvé un lustre international que les monarchies précédentes avaient considérablement affaibli, mais qui allait survivre à l'Empire. Les structures sociales avaient été modifiées, tout comme les possibilités de déplacement et la conscience politique de la nation. Régime desservi par l'ère de l'argent-roi, par les successions répressives, par les erreurs diplomatiques de la seconde période, le second Empire sut pourtant donner à la France les bases de sa révolution économique et social tout en confirmant, conformément au projet initial, les acquis de la révolution de 1789 et de celle de 1848.

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